Le
vice-président américain Joe Biden tient une place particulière dans les couches sombres
de la politique de l’administration Obama, une place quasiment invisible tant
sa personnalité est transparente. Il semble pourtant que chaque fois qu’Obama
cherche à déclencher une guerre, il envoie Joe pour lancer le processus. Cela
vaut donc le coup de se pencher sur sa récente visite à Ankara et ce qu’il y a
dit.
Préambule du
Saker francophone
Les États-Unis sont ils en train de jouer la séduction
pour tendre un piège à la Turquie et à l’Arabie saoudite afin qu’elles
s’allient dans une guerre d’accaparement des champs pétroliers de la zone
sunnite Irak-Syrie ? Comme il y a peu de chance que la Russie, l’Iran, les
chiites, les Kurdes et toutes les autres minorités de la région laissent faire,
il ne peut qu’en résulter un embrasement total de la zone et un piège mortel
pour la Russie. Et tout cela alors que les négociations de paix de Genève
servent de paravent. Voici l’analyse d’Engdahl.
Le 24 janvier,
Joe Biden s’est rendu à Ankara pour des rencontres intensives avec le président
turc Recep Tayyip Erdogan et son premier ministre Davutoglu. Le point
significatif de ces rencontres, en tous cas de ce qui en a été rendu public,
est le fait assez étonnant que Joe Biden, représentant le gouvernement des
États-Unis, pays qui proclame s’être engagé dans une guerre pour vaincre EI, ou
Daesh en arabe, n’a pas une fois discuté avec les dirigeants turcs au sujet des
négociations sur une résolution politique du conflit syrien, selon un officiel
américain anonyme présent.
A la place,
Washington a avalisé le nettoyage ethnique en cours de la population kurde et
de ses alliés syriens, superficiellement déguisé en une guerre contre le
terrorisme du PKK. En plus, Joe Biden, se tenant aux cotés des dirigeants
turcs, a annoncé que si les négociations diplomatiques de Genève qui se
tiennent cette semaine échouaient, une action militaire contre la Syrie
s’ensuivrait : «Nous savons qu’il serait préférable d’atteindre une
solution politique, mais nous sommes prêts, si la solution politique n’est pas
possible, à utiliser la solution militaire pour déloger Daesh.»
Il a aussi indiqué
que Washington ne mettrait pas la pression sur la Turquie pour arrêter ses
placements de troupes en Irak, près des champs pétrolifères de Mossoul,
actuellement aux mains de Daesh, considérant cela comme une affaire bilatérale
entre l’Irak et la Turquie ; ce qui veut dire la reconnaissance de facto de
l’invasion illégale de l’Irak par la Turquie. Biden a même parlé d’aide
militaire américaine, non spécifiée, à un mouvement de troupes pour s’emparer
des champs de pétrole de Mossoul. De plus, le vice-président américain n’a pas
dit un mot à propos du trafic illégal de pétrole irakien et syrien par EI à
travers la Turquie, d’où les tankers pétroliers du fils d’Erdogan le
transportent vers les marchés du monde entier pour financer le terrorisme d’EI
auquel, pourtant, Biden prétend s’opposer.
Bien sur,
Biden, un politicien malin et corrompu sous bien des aspects, sait très bien
qu’Erdogan et Hakan Fidan, le chef des services secrets turcs, le MIT,
soutiennent ouvertement Daesh, les entraînent, les arment pour combattre en
Syrie ce même Daesh que Washington prétend combattre. Dans une interview le 18
octobre 2015 à l’agence de presse turque Anadoly, Fidan a reconnu ouvertement
le soutien turc a Daesh : «EI est une réalité et nous devons accepter le
fait que nous ne pouvons pas éradiquer une institution aussi populaire et bien
organisée que l’est EI. Dans ce sens, j’exhorte mes collègues occidentaux à
changer leurs visions des courants politiques islamistes, à mettre de côté
leurs mentalités cyniques et à contrecarrer les plans de Poutine qui cherche a
écraser les révolutionnaires islamiques syriens.»
Le jeu de la séduction
Comme je
l’ai déjà écrit, ce qui modèle le Moyen-Orient aujourd’hui, loin d’une solution
diplomatique à la guerre menée par EI, avec le soutien américain, contre le
gouvernement syrien élu et légitime du président Bashar al Assad, est que
Washington essaye de séduire, en coulisses, le grandiose et ambitieux Erdogan,
soutenu par le régime saoudien, tout aussi grandiose et stupide, du roi Salman
– qui est pro-EI – et de son fils au sang chaud mais militairement incompétent
alors qu’il est ministre de la Défense et roi de facto, le prince Salman.
Le jeu de
Washington semble être de procurer au duo turco-saoudien assez de corde pour se
pendre eux mêmes dans un jeu d’accaparement des richesses pétrolières syriennes
et irakiennes et même, s’ils sont assez fous, des champs de pétrole iraniens.
Peu réalisent que c’est le roi Salman qui a collecté l’argent saoudien pour la
CIA quand Salman, alors un prince, a financé Oussama Ben Laden et les
moudjahidines d’al-Qaida dans la guerre afghane contre l’armée Rouge
soviétique, dans les années 1980.
On voit
aujourd’hui une alliance militaire et économique obscène entre la Turquie du
grandiose et ambitieux Erdogan et la monarchie wahhabite saoudienne. De son
côté, la monarchie saoudienne du roi et du prince Salman est impatiente de
s’accaparer des champs de pétrole pour accroître ses richesses. Ceci non pas
parce que la monarchie est à cours d’argent mais parce qu’elle se berce de
l’illusion que s’ils deviennent ceux qui possèdent le plus de pétrole au monde,
ils seront alors autorisés a s’asseoir à la table des Maitres et ne seront pas
traités par les arrogants oligarques occidentaux comme des gardiens de chameaux
primitifs roulant en Rolls Royce.
Le grand sultan ?
Conséquence
de la collusion entre la monarchie saoudienne et Erdogan, l’Égypte du président
Abdel Fattah al Sisi a été contrainte de laisser en mars de cette année une
position politique importante à Erdogan, qui dirigera donc bientôt
l’Organisation de la coopération islamique (OCI), considérée comme les Nations
Unies musulmanes, juste derrière en terme de taille et de puissance globale.
L’Arabie
saoudite a organisé des rencontres entre la Turquie et l’Égypte dans le cadre
d’un accord de paix entre ces deux pays qui devrait être parachevé en avril,
quand Al-Sisi remettra la direction de l’OCI entre les mains d’Erdogan. En
2013, la Turquie avait condamné la destitution du régime des Frères musulmans
par Al-Sisi, refusant de lui reconnaître toute légitimité. Aujourd’hui, grâce à
l’accord passé sous l’égide de l’Arabie saoudite, Al-Sisi va abandonner sa
présidence de l’OCI à Erdogan, sans doute convaincu par l’argent saoudien dont
l’Égypte à tant besoin. En plus, le président égyptien va transférer vers la
Turquie pro Frères musulmans d’Erdogan des centaines d’Égyptiens Frères
musulmans condamnés à mort à la suite du renversement, par Al-Sisi, du
président Frère musulman Mohammed Morsi en 2013.
L’OCI a été
créée en 1969 par 57 États membres pour être la voix collective du monde
musulman. Elle a été mise en place en conséquence de la chute de l’Empire
ottoman et du Califat à la fin de la Première Guerre mondiale qui avait laissé
un vide pour une institution panislamique. Aujourd’hui, l’OCI représente 56
nations islamiques. C’est à peu près le même groupe qui a été invité à Riyad le
mois dernier par le prince Salman pour former une coalition antiterroriste
islamique.
Petit à
petit, le grandiose et très ambitieux Erdogan, l’actuel protecteur des Frères
musulmans, soutien de Daesh, c’est-à-dire EI, se rapproche de son grand rêve de
restauration d’un califat musulman, mais dont le calife ne sera pas Al
Baghdadi, un personnage peut-être bien fictif. Le grand calife sera Recep
Tayyip Erdogan lui-même, ou en tous cas le croit-il, et cela encore plus après
la dernière visite du machiavélique Joe Biden à Ankara.
Il devient
de jour en jour plus clair que les manipulateurs de Washington et les
oligarques de Wall Street et du pétrole qui les soutiennent sont en train
d’organiser quelque chose de puissant et de dramatique au Moyen-Orient pour les
mois qui viennent. Le résultat pourrait prendre de court le monde entier. Ce
dont on peut être certain, c’est qu’avec Joe Biden et ses patrons, ce résultat
n’ira pas dans le sens de la paix et de l’harmonie dans le monde.
F.William Engdahl.
Le
28 janvier 2016 – New Eastern Outlook
Note du
Saker Francophone
Trois jours après cette analyse, le grandiose et
ambitieux Erdogan semble avoir effectivement repris du poil de la bête en
accusant, apparemment sans preuve et donc probablement faussement, la Russie
d’avoir encore violé son espace aérien. Le début d’une série de provocations
pour piéger la Russie, mais aussi l’Iran, dans une guerre ouverte, américaine
et par procuration, au Moyen-Orient contre une coalition
arabe-turque-Otan ?
Liens utiles
https://fr.news.yahoo.com/violation-lespace-a%C3%A9rien-pr%C3%A9sident-turc-erdogan-met-garde-175456153.html
(en français).
http://fr.sputniknews.com/international/20160130/1021343281/russie-allegations-turques-violation.html
(en français).
Traduit par
Wayan, relu par Hervé pour le Saker francophone
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