Vous vous
souvenez tous de la prédiction de l’ex-Secrétaire d’État Condoleezza Rice, sur
les « douleurs de l’enfantement d’un nouveau Moyen-Orient » ? Comme de bien
entendu pour une janissaire du régime Dobelyou Bush/Cheney, Condi
se trompait sur toute la ligne, pas seulement sur le Liban et Israël, mais
aussi sur l’Irak, la Syrie et la Maison des Saoud.
L’administration
Obama a dûment maintenu une tradition que nous pourrions dénommer, pour
blaguer, l’école d’Affaires étrangères des Sex Pistols (« No future for you »,
pas d’avenir pour vous). Cela été parfaitement décrit par l’imperturbable
porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, en
quelques phrases bien senties.
Maria Zakharova |
Zakharova
souligne que l’équipe Obama « n’a pas eu de stratégie cohérente sur la Syrie
pendant un seul jour de ses huit ans : un jour nous bombardons, le jour suivant
nous ne bombardons pas, un jour nous nous retirons de la Syrie, le jour suivant
nous y allons ».
C’est parce que « une branche du gouvernement ne comprenait pas ce que faisait l’autre branche. Et au bout du compte, ils ont laissé tomber toute leur politique syrienne, sans la mener à son terme logique. Puis ils se sont concentrés sur Alep, mais pas pour résoudre la situation, seulement pour monter le volume de l’hystérie d’une campagne d’informations uniquement destinée à servir des buts électoralistes ».
C’est parce que « une branche du gouvernement ne comprenait pas ce que faisait l’autre branche. Et au bout du compte, ils ont laissé tomber toute leur politique syrienne, sans la mener à son terme logique. Puis ils se sont concentrés sur Alep, mais pas pour résoudre la situation, seulement pour monter le volume de l’hystérie d’une campagne d’informations uniquement destinée à servir des buts électoralistes ».
Ce qui nous
mène aux seuls adultes restants de l’ère Trump, ceux qui, de fait, sont en
train de veiller sur les douleurs de l’enfantement du véritable nouveau
Moyen-Orient : les Russes.
Et cette base iranienne à Lattaquié ?
Commençons
par la récente visite du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou au
président Poutine.
Netanyahou
est arrivé à Moscou plein d’illusions, et a essentiellement essayé d’engager
Poutine à abandonner son partenariat stratégique avec l’Iran – ainsi qu’à se
joindre à la coalition anti-Iran, anti-chiite de type « OTAN
arabe » soutenue par les USA, qui comprend Israël, les pétromonarchies du Golfe
et des sous-fifres (la Jordanie et le Maroc).
Netanyahou
est au désespoir, parce que l’Iran, avec des faits au sol plutôt que des mots
(des combattants iraniens et le Hezbollah), en partenariat avec des faits
russes plutôt que des mots dans les airs, est en train de gagner la guerre par procuration menée par l'Occident contre Damas. Et, quoi qu’il arrive après les
négociations d’Astana, Téhéran aura gagné un pied-à-terre permanent en Syrie –
à la grande fureur du combo OTAN-Conseil de coopération du Golfe-Israël.
Une
implication parallèle est qu’Israël ne peut plus attaquer le sud du Liban. Le
mois dernier, à Téhéran, j’ai eu la confirmation des 40.000 combattants du
Hezbollah alignés soit à la frontière, soit à surveiller un réseau
d’installations souterraines, et prêts à défendre le Liban contre n’importe qui
; c’est quelque chose comme dix fois plus qu’en 2006, une invasion qui s’est
soldée par une retraite humiliante pour Israël.
Pendant ce
temps, des rapports ont émergé, selon lesquels le président
de la Syrie Bachar el-Assad aurait donné le feu vert à l’installation d’unebase navale iranienne à Lattaquié, à côté de la base aérienne de Hmeymim
utilisée par les forces aériennes russes. Ces rumeurs ont fait surface après
que le Chef d’état-major de l’armée iranienne, Mohammad Bagheri, a souligné que
la marine iranienne allait rapidement avoir besoin de bases militaires en Syrie
et au Yémen.
Téhéran a
envoyé surtout des conseillers militaires et des instructeurs en Syrie, mais le
Corps des Gardiens de la révolution islamique (CGRI) a également envoyé des
soldats.
A Téhéran,
j’ai eu le plaisir de rencontrer le général-major Ali Jafari, le commandant du
CGRI et un excellent tacticien spécialisé dans la guerre asymétrique. Il a
acquis sa vaste expérience au cours de la guerre Iran-Irak et des succès du
Hezbollah au Liban en 2006.
Cela revient
à rencontrer le chef du Corps des Marines, le général Joseph Dunford,
aujourd’hui à la tête du Comité des chefs d’état-major interarmées des USA,
mais sans la pompe et le décorum. Un homme courtois, gracieux, Jafari n’avait
pas le temps d’entrer dans des détails, mais d’autres sources m’ont confirmé
que sans son expérience des champs de bataille, Damas aurait été en grand
péril.
CE QUE LA RUSSIE VEUT EN SYRIE
Ensuite, il
y a une interview du sous-ministre des Affaires
étrangères Mikhail Bogdanov, ancien ambassadeur à Tel-Aviv et au Caire, et
aujourd’hui également représentant spécial de Poutine au Moyen-Orient, qui a
métaphoriquement ré-écarté les eaux de la Mer rouge.
Bogdanov a
offert au public arabe un guide concis de la politique russe au Moyen-Orient –
le contraire absolu de la démence des changements de régime des néocons
américains.
Il a comparé
les « dizaines de milliers » de mercenaires djihadistes salafistes étrangers en
guerre avec Damas, à la présence militaire russo-iranienne officiellement
invitée par « le gouvernement légitime ». Il a écarté la notion tordue d’une
volonté d’exportation de la révolution islamique par l’Iran (c’était valable au
début des années 1980). Il insiste sur la volonté de la Russie d’arriver à une
sorte d’entente cordiale entre les USA et l’Iran – avec (mais c’est peu
probable) la Maison des Saoud à bord. Les négociations peuvent être conduites à
Moscou ou ailleurs.
Le Kremlin,
comme Bogdanov l’a redit, veut une Syrie séculière, sans sectarisme, issue
d’élections libres supervisées par l’ONU. Comme c’était à prévoir, ses mots
masquaient mal l’exaspération de Moscou à propos du refus obsessionnel de
Washington d’admettre Téhéran à la table des pourparlers de paix de Syrie. Et
il a fermement écarté que les « rebelles modérés », dont le seul but est « Assad
doit partir », comparaissent devant le Tribunal pénal de La Haye. (« Avec ce
but, la guerre peut durer à perpétuité. »)
Puis,
l’argument décisif : « La Russie veut s’en tenir aux règles du droit
international. Nous sommes attachés au principe de non-ingérence dans les
affaires internes des autres pays, y compris dans nos propres affaires
internes. Nous respectons le processus démocratique, pas les révolutions de
couleur. »
Les membres
de l’équipe Trump pourraient entretenir des illusions sur un éventuel abandon
de Téhéran par Moscou – pas seulement en Syrie, mais aussi sur le plan de son
intégration eurasienne. C’est hors de question. Mais allez le dire à la Maison
des Saoud.
La Maison
des Saoud a dépensé des fortunes en djihadistes salafistes dans sa guerre de
changement de régime en Syrie et dans une guerre impossible à gagner au Yémen ;
une guerre conduite avec des armes américaines, qui a engendré une famine de
masse. Moscou aurait pu, avec le temps, faire entrer un peu de raison
géopolitique dans les têtes de pioche de Riyad. Mais plus maintenant. Parce que
la Maison des Saoud est aujourd’hui convaincue que son meilleur allié est le
président Trump.
Géopolitiquement
prise au piège, incapable de se dégager de la paranoïa qui est sa marque de
fabrique, la Maison des Saoud a décidé de passer à l’offensive, avec
l’investissement du roi Salmane dans une virée somptueuse en Asie, Pékin
compris, où il a signé une fournée de contrats, et le prince héritier
Mohammed ben Salmane Al Saoud – de fait, le prince belliqueux responsable de la
tragédie humanitaire au Yémen – faisant la cour à Washington.
Selon la
narrative qui en a résulté, l’Arabie saoudite sera désormais une « proche
conseillère » de Trump sur la sécurité et l’économie au Moyen-Orient, y compris
sur le drame palestinien et l’accord sur le nucléaire avec l’Iran. Aucun cercle
de l’enfer de Dante n’aurait pu imaginer une meilleure recette pour accoucher
d’un désastre complet dans le nouveau Moyen-Orient.
TOUS LES REGARDS SE PORTENT SUR LES KURDES SYRIENS
Comme
c’était à prévoir, ni Moscou ni Téhéran ne sont invités à la rencontre
anti-Daech de 68 pays, hébergée par Washington la semaine prochaine. Encore un
autre chapitre de la guerre de l’information ; envers l’opinion publique des
USA, la Russie et l’Iran ne doivent pas être perçus comme victorieux dans une
vraie guerre contre le terrorisme.
Éradiquer
Daech était l’une des promesses de campagne majeures de Trump. Il n’y arrivera
pas avec plusieurs centaines de marines américains concentrés sur Raqqa – au
passage, une invasion puisqu’ils n’ont pas été invités dans le pays par Damas.
Donc, retour au Plan A, à savoir les Kurdes de Syrie.
D’abord, le
commandant en chef au Moyen-Orient, le général Joseph Votel, est allé à Kobane
assurer les Forces démocratiques syriennes, menées par les Kurdes, du soutien
sans faille du Pentagone. Ensuite, le Pentagone a publié sa nouvelle stratégie
(ordonnée par Trump et révisée) pour vaincre Daech, qui se résume à « Personne
ne dort avant Raqqa ».
Cela
implique un tout nouvel alignement géopolitique. L’équipe Obama – notamment la
CIA et le Département d’État – était l’otage de la vision de la Turquie, selon
laquelle les Kurdes sont « des terroristes ». Pas Trump. Et pas Bogdanov, au
passage : « Pourquoi est-ce que la Turquie accepte un Kurdistan en Irak, mais
n’accepte pas un Kurdistan en Syrie ? Je pense que cela ne les regarde pas.
C’est une affaire irakienne et une affaire syrienne. Le peuple syrien, et non
l’État russe ou turc n’ont à en décider. »
Le
Pentagone, et c’est un euphémisme, en a plus qu’assez d’Ankara. Pour de
nombreuses raisons, à commencer par les purges non-stop (qui ont privé les USA
d’agents placés à des postes stratégiques) jusqu’au rapprochement
Turquie-Russie implicite dans la menace d’Erdogan de se tourner définitivement
vers l’Est, au cas où Washington continue de soutenir les Kurdes de Syrie,
et/ou manque à extrader Fethullah Gulen, qui est accusé par Erdogan d’être le
cerveau du coup d’État manqué de 2016 contre lui.
NdT, pour clarifier le propos, une carte du schéma prévisionnel (simplifié) de la monumentale initiative économique chinoise One Belt, One Road terrestre et maritime – le « cauchemar pour Washington ». |
Donc, la
dernière tendance, c’est Washington, Moscou et Téhéran, tous alliés avec les
Kurdes de Syrie.
C’est
compliqué, bien sûr. Dans les négociations d’Astana, la Turquie, la Russie et
l’Iran sont théoriquement du même côté. Mais Téhéran soutient une autonomie
kurde en Syrie sous une forme ou une autre – une ligne rouge pour Erdogan, pour
qui la seule autonomie kurde possible est celle de ses amis contrôlés par
Barzani, dans le Kurdistan irakien.
C’est donc à
la Russie de trouver un compromis – d’abord tenter de convaincre Ankara qu’il
n’y a pas d’autre solution que d’accorder une autonomie aux Kurdes syriens dans
un futur État fédéral syrien. Le concept est très ambitieux ; Moscou espère
démontrer aux uns et aux autres que les Kurdes syriens, en tant qu’acteurs
non-islamistes et séculiers, sont des instruments parfaits pour combattre Daech
et d’autres formes de djihadisme salafiste.
Rien
d’étonnant au manque d’enthousiasme de l’Arabie saoudite ; le combat contre
Daech n’a jamais été leur priorité. Mais ce qui compte, c’est qu’Ankara n’est
pas convaincue.
Erdogan est
totalement absorbé par le référendum à venir, qui peut lui donner les pouvoirs
d’une sorte de sultan présidentiel. Pour engranger une victoire définitive, il
doit courtiser le nationalisme turc par tous les moyens possibles. D’un autre
côté, il ne peut pas se mettre à dos la Russie/Iran et Washington en même
temps.
Il y a
seulement quelques semaines, personne n’aurait imaginé que les Kurdes de Syrie
auraient le potentiel stratégique de renverser la géopolitique du Moyen-Orient
– connectée à l’Asie, à l’Afrique et à l’Europe. L’initiative One Belt, One Road (la nouvelle Route de la soie)
chinoise – cette frénésie de construction de ports, de pipelines, de réseaux
ferroviaires à haute vitesse – cible fermement le passage Sud-Est, de l’Iran
(une plateforme clé) jusqu’à l’Arabie saoudite (le plus gros fournisseur de
pétrole de la Chine). La Syrie est également une future plateforme de la Route
– et pour cela, la Syrie doit être en paix et libre de djihadistes salafistes.
Comme à son habitude de discrète cheville ouvrière de l’intégration eurasienne,
la Chine soutiendra ce que décideront la Russie et l’Iran.
En
conclusion, aujourd’hui, nous comprenons mieux qui veille sur les douleurs de
l’enfantement d’un nouveau Moyen-Orient. Et ce n’est pas Israël. Ce n’est pas
la Maison des Saoud. Et ce n’est pas précisément Trump.
Par Pepe
Escobar
– Le 17 mars 2017 – Source Sputnik News via entelekheia.fr
– Le 17 mars 2017 – Source Sputnik News via entelekheia.fr