La montée du radicalisme est le résultat de
l’islamisation rampante de la société, à l’œuvre depuis l’arrivée au
pouvoir en 2011 du parti islamiste Ennahda [et même depuis que Ben Ali a décidé, sous la pression des Arabes du CCG, de "out arabiser". Au lieu d'arabiser correctement les sciences et techniques, ou la philosophie, on a imposé aux jeunes des cours d'islamisation salafiste intensive, un lavage de cerveau radical. Les écoles ont donc produit des générations d'analphabètes bilingues. L'analphabétisme est le terreau de l'islamisme. HG]. L’attaque, début mars, de
Ben Guerdane en témoigne.
On peut bien évidemment invoquer la situation dans la région, avec
une Libye voisine en pleine déconfiture et en butte à la prolifération
des organisations terroristes, outre les enjeux géostratégiques, au
centre desquels la Tunisie, qui tente peu ou prou de garder la tête hors
de l’eau.
Ces enjeux régionaux, ne sont, bien sûr, pas étrangers à la
multiplication des actes terroristes sur notre territoire ou à
l’instabilité sécuritaire à laquelle nous sommes confrontés. Notre pays
n’est pas isolé des tractations mondiales, mais il est de ces facteurs
tuniso-tunisiens qui ont favorisé, voire participé à la montée en
puissance des radicaux religieux. On a ainsi préparé le terrain à
l’endoctrinement de milliers de jeunes qui rejoindront les groupes
terroristes. N’oublions pas que plus de 5 000 djihadistes tunisiens
combattent en Syrie, en Irak ou en Libye.
Le religieux s’est imbriqué avec le politique
Dès l’arrivée au pouvoir d’Ennahda en Tunisie [entre novembre 2011 et
janvier 2014 après avoir emporté le scrutin du 23 octobre 2011], le
pays a connu une période marquée par une islamisation rampante de la
société. Premier parti de Tunisie, le mouvement s’est attelé à diffuser
son idéologie de l’islam politique. Les mosquées ont été occupées de
force par des imams extrémistes prêchant le retour à la charia et
diffusant des messages de haine envers les laïques. Des débordements ont
vite été enregistrés.
Le religieux s’est imbriqué avec le politique, et on en est arrivé à
dénigrer tel opposant politique, ou carrément à le déclarer impie. Des
appels au meurtre ont même été proférés. L’espace public a été envahi,
des tentes de prêche devant ont été posées devant les lycées et les
collèges, sous le regard bienveillant des autorités. L’opération
d’endoctrinement était en marche.
Mouvances radicales
A partir de 2012, responsables de la sécurité, société civile et
dirigeants politiques ont commencé à tirer la sonnette d’alarme face à
cette montée en puissance des mouvances radicales et au risque que cela
pourrait engendrer. Ces mises en garde sont tombées dans l’oreille d’un
sourd, ou plutôt de quelqu’un qui feint la surdité. Rached Ghannouchi,
chef d’Ennahda, nous expliquait combien ses “enfants salafistes [lui] rappellent sa jeunesse” et comment ils “cherchent à promouvoir une nouvelle culture”.
Toujours en 2012, on découvrit une vidéo de sa rencontre avec une
délégation de salafistes, où il invoque l’expérience algérienne et
demande aux troupes de patienter et de procéder par étapes avant de
mettre en place le projet islamique. C’est que, disait Ghannouchi, ni
les médias, ni l’appareil sécuritaire et militaire, ni l’administration
en Tunisie ne leur sont [encore] acquis…
Des meetings des plus surréalistes
On se rappellera également de l’afflux en Tunisie des prédicateurs
étrangers, venant véhiculer les idées intégristes dans le pur jus
wahhabite. Des séries de conférences ont été organisées partout en
Tunisie et on a assisté à des meetings des plus surréalistes, où
l’obscurantisme rivalisait avec le radicalisme. Pour accueillir ces
personnalités venant d’autres cieux, prônant entre autres l’instauration
de la charia et l’excision des petites filles, des dirigeants d’Ennahda
ou du Congrès pour la République [CPR, centre gauche nationaliste, arrivé deuxième lors du scrutin d’octobre 2011] étaient au rendez-vous.
Mais ce n’était que le début. Toujours en cette année 2012, on
commençait à s’inquiéter de la présence de djihadistes dans les hauteurs
ouest du pays, en l’occurrence au mont Chaambi [à la frontière
algérienne ; la traque quasi permanente des djihadistes retranchés dans
cette montagne a fait plusieurs victimes dans les rangs de l’armée et de
la garde nationale]. A ces inquiétudes, Khaled Tarrouche, alors
porte-parole du ministère de l’Intérieur, rétorquait que ce ne
n’étaient que des sportifs luttant contre leur cholestérol. Nous
connaissons tous la suite de l’histoire.
Manifestation des salafistes
Les dirigeants d’Ennahda sont montés au créneau et ont crié à la
persécution, ressortant la carte de la victimisation. On entendait
partout : “Avant l’épouvantail était Ennahda, maintenant ce sont les
mouvances salafistes, mais il n’est pas question qu’on entre en
confrontation avec ces mouvances…”
C’est ainsi que l’avenue Habib Bourguiba, en plein cœur de Tunis, a
connu une grande manifestation des salafistes pour l’instauration de la
charia, sans oublier le grand rassemblement à Kairouan d’Ansar Al-Charia
[Les défenseurs de la religion], classée organisation terroriste après
l’attaque de l’ambassade américaine en septembre 2012…
Abou Iyadh [le responsable de cette attaque] comptait parmi ses
invités Sadok Chourou et Habib Ellouze, d’Ennahda, ou Abderraouf Ayadi,
du CPR. Après les événements de l’ambassade
américaine, Ali Larayedh [ministre de l’Intérieur à l’époque] a laissé
filer ce même Abou Iyadh, devenu ennemi public numéro un. Il était
encerclé par les forces de l’ordre à la mosquée El-Fath [dans le centre
de Tunis], l’ordre attendu du ministre de l’Intérieur de l’arrêter n’est
pas venu, et le chef d’Ansar Al-Charia a pu être exfiltré vers la Libye
sans être inquiété.
Les radicaux de tout genre
On n’oubliera pas les propos de Sihem Bensedrine [militante des
droits de l’homme souvent accusée de faire le jeu des islamistes] sur
les conteneurs de barbes artificielles qui seraient en rapport direct
avec les centres d’intelligence étrangers voulant nuire à l’intérêt du
pays. Point de menace terroriste selon elle. On en revient à notre
épouvantail ! On se rappellera du président de la République Moncef
Marzouki recevant au palais de Carthage les prédicateurs extrémistes de
la place et les radicaux de tout genre.
On se rappellera des milliers de jeunes endoctrinés qui ont pu
quitter le pays pour rejoindre les djihadistes en Syrie, toujours sans
être inquiétés, et étant même encouragés par les imams. On n’oubliera
pas la députée Samia Abbou [membre du CPR
jusqu’en 2013], qui affirmait que tout ce qui se passait en Tunisie
était une tentative de terroriser les Tunisiens, et qu’il n’y a pas de
Daech dans le pays. Pour ces politiques, le terrorisme n’était rien
d’autre qu’un épouvantail…
Sauf que cet épouvantail s’est finalement révélé une réelle menace.
Les assassinats de Chokri Belaïd [6 février 2013], de Mohamed Brahmi [25
juillet 2013], de dizaines de nos valeureux soldats, et les multiples
attentats, dont le dernier est celui de Ben Guerdane, n’ont pas fini de
meurtrir la Tunisie.
Avec l’avènement d’un nouveau pouvoir en 2015 et de Nidaa Tounès
[Appel de la Tunisie, centriste, vainqueur des législatives d’octobre
2014 et de la présidentielle de novembre-décembre 2014], une bonne
frange de la société croyait dur comme fer que la situation sécuritaire
irait en s’améliorant. Surtout que Nidaa s’est posé comme étant l’un des
plus farouches adversaires du mouvement islamiste Ennahda. Mais Nidaa
et Ennahda ont fait ami-ami et tout le reste ou presque a été relégué
aux oubliettes.