Après
la visite qualifiée de très importante du Premier ministre turc Ahmet
Davutoglu à Téhéran le 5 mars, c’est au tour du ministre iranien des
Affaires étrangères Mohammad Jawad Zarif de se rendre à Ankara
aujourd’hui. Ces développements interviennent au moment où des groupes
kurdes en Syrie ont annoncé la création d’un canton indépendant dans la
région de Hassaké dans le nord de la Syrie et où les tensions sont
extrêmes entre dirigeants turcs et russes. Dans ce contexte complexe et
tendu, comment faut-il interpréter l’intensification des contacts entre
Téhéran et Ankara ? La question est importante surtout qu’il est de plus
en plus question, dans les coulisses diplomatiques, de changement dans
les cartes de la région.
Une
source proche du Hezbollah révèle à ce sujet que lors de la visite du
Premier ministre turc à Téhéran, un dirigeant iranien aurait eu ce
commentaire en parlant d’Ahmet Davutoglu : « Ce n’est plus l’homme que
nous connaissons ! » Cette source confie que les dirigeants iraniens ont
été surpris par l’attitude inattendue du dirigeant turc qui se voulait
conciliant à l’extrême, prêt à faire des concessions pour aboutir à des
ententes pour préserver la stabilité de son pays. La même source
rapporte aussi, en citant les dirigeants iraniens, que le Premier
ministre turc a souhaité effectuer cette visite en Iran pour exprimer la
crainte de son pays de la menace que représente l’action du PKK et ses
attentats terroristes à l’intérieur de la Turquie ainsi que la
proclamation éventuelle d’un État kurde indépendant en Syrie. Ahmet
Davutoglu aurait ainsi évoqué l’existence de cellules dormantes du PKK à
l’intérieur de son pays que l’État ne parvient pas à identifier et à
démanteler. Tout en évoquant sa crainte d’une déstabilisation interne de
la Turquie et en précisant que dans certaines régions du pays,
notamment les provinces à majorité kurde, c’est presque déjà les
prémices d’une guerre civile qui ne dit pas son nom, le Premier ministre
turc aurait demandé une plus grande coopération avec l’Iran. Les
dirigeants iraniens se seraient d’abord contentés de demander à leur
interlocuteur turc ce qu’il propose, sachant que le dossier syrien reste
un grand sujet de conflit entre les deux pays. Finalement, les deux
parties ont trouvé un terrain d’entente en déclarant leur appui à
l’unité territoriale et institutionnelle de la Syrie.
Pour
les Turcs, c’est une question très sensible parce qu’elle porte sur le
refus de la création d’un État kurde. Au début de la crise syrienne,
Ankara avait mis le paquet pour installer une zone tampon dans le nord
de la Syrie qui serait une province sous leur influence et qui leur
permettrait de peser et d’intervenir dans les décisions syriennes. Les
deux millions de réfugiés syriens ont été accueillis en Turquie dans le
but d’être réinstallés dans cette zone tampon, qui serait limitrophe de
la région kurde de Syrie et, par conséquent, permettrait aux forces
syriennes alliées à la Turquie d’attaquer en permanence les Kurdes et en
tout cas de les contrôler. Le projet turc s’est toutefois heurté à la
résistance des Kurdes et à l’appui qui leur a été accordé par les
Américains lors de la bataille de Kobané. Malgré cela, les Turcs ont
maintenu leur plan et c’est dans cette perspective qu’ils ont abattu un
avion russe qui survolait le nord de la Syrie à la frontière avec la
Turquie. Le plan des dirigeants turcs était donc d’adresser un message
clair à la Russie que cette région était leur chasse gardée. Mais ils
ont provoqué une réaction contraire chez les dirigeants russes qui ont
depuis décidé d’intervenir militairement en Syrie pour mettre un terme
« aux appétits » turcs dans ce pays. Aujourd’hui, non seulement le
projet turc de créer une zone tampon dans le nord de la Syrie n’est plus
envisagé, mais c’est désormais la Turquie qui craint plus que tout un
démantèlement de la Syrie qui favoriserait la naissance d’un État kurde.
Ahmet
Davutoglu aurait donc insisté sur ce point avec ses interlocuteurs
iraniens qui auraient à leur tour évoqué la nécessité de maintenir le
régime actuel en Syrie et le président Bachar el-Assad en personne pour
la période transitoire. À la grande surprise des Iraniens, le Premier
ministre turc se serait montré compréhensif, ajoutant toutefois que son
pays serait prêt à fermer les yeux sur ce fait à condition que les
Iraniens ne lui demandent pas de l’annoncer publiquement.
Selon
la source proche du Hezbollah, les Turcs auraient promis même d’être
plus fermes à leur frontière avec la Syrie avec les combattants de
l’opposition et de mieux contrôler l’afflux d’armes vers la Syrie, et de
pétrole (dans les régions sous le contrôle de Daech) vers la Turquie,
souhaitant toutefois ne pas être amenés à faire des déclarations dans ce
sens car cela poserait un problème avec leur opinion publique et
mettrait en cause la cohérence de leur politique et leur crédibilité.
Mieux encore, les Turcs auraient même promis de tenter d’intervenir
auprès des Saoudiens pour les pousser à nouer un dialogue constructif
avec l’Iran, comme d’ailleurs l’avait suggéré le président américain aux
dirigeants du royaume et comme il compterait le répéter au cours de sa
visite à Riyad annoncée pour le mois prochain.
De
leur côté, les dirigeants iraniens auraient promis de tenter une
médiation auprès des Russes pour faire baisser la tension entre Moscou
et Ankara, sachant que le principal point de l’entente entre les
Américains et les Russes au sujet de la Syrie porte sur la volonté
d’éviter toute partition de ce pays, même s’il faut pour cela briser le
rêve kurde d’instaurer un État indépendant...
Scarlett HADDAD
19 mars 2016
19 mars 2016