La semaine dernière, nous écrivions :Quant au futur de la Syrie, là aussi tout semble aller dans la direction indiquée par Moscou. Nous avions évoqué la proposition russe
d'une fédéralisation du pays avec des régions bénéficiant d'une réelle
autonomie, le Kurdistan au premier chef (tss tss Erdogan...) Or, cette
idée de simple bon sens est suffisamment sérieuse pour être maintenant discutée
par les grands dans les travées de l'ONU. Inutile de dire que
l'opposition et ses parrains turco-saoudiens n'y sont pas du tout, mais
alors pas du tout favorables. Inutile de dire également qu'ils n'ont
plus beaucoup de marge de manœuvre pour faire entendre leur voix...
Les Kurdes ont pris Poutine au mot hier et annoncé aujourd'hui même la création d'une région fédérale sur tous les territoires qu'ils contrôlent (en jaune sur la carte), c'est-à-dire la majeure partie de la frontière syro-turque mis à part le couloir de plus en plus étroit encore tenu par Daech :
Les Kurdes ont pris Poutine au mot hier et annoncé aujourd'hui même la création d'une région fédérale sur tous les territoires qu'ils contrôlent (en jaune sur la carte), c'est-à-dire la majeure partie de la frontière syro-turque mis à part le couloir de plus en plus étroit encore tenu par Daech :
Cette décision unilatérale des Kurdes syriens, soutenue en
sous-main par Moscou, est somme toute logique puisqu'ils ont été une
nouvelle fois exclus des négociations de Genève par les Américains sous
l'intense pression d'Ankara. Ces pourparlers servent d'ailleurs plus à
sauver la face occidentale (merci Poutine) et, pour les Russes, à
saucissonner la rébellion qu'à régler réellement le conflit syrien : des
quatre principales forces sur le terrain - régime d'Assad, YPG kurdes,
Al Qaeda et Etat Islamique - trois ne sont pas concernées ! Absurde...
Ainsi,
le PYD (qui rappelons-le est le parti kurde chapeautant les YPG
combattantes) a décidé de proclamer la région fédérale "Rojava-Nord de
la Syrie" en précisant toutefois bien, sans doute à la demande de
Moscou, que la nouvelle entité reste sous l'autorité de Damas. Ce
faisant, il provoque la fureur de toutes les composantes du conflit.
Erdogan est à nouveau sur les charbons ardents,
qui voit son cauchemar se réaliser : la création d'un Kurdistan
autonome à sa frontière, future base-arrière de la rébellion du PKK. Et
le sultan ne peut rien y faire : les S400 russes restent en Syrie.
Les Saoudiens sont tout aussi excédés : Rojava sera un obstacle
définitif à toute possibilité future d'un couloir sunnite entre l'Irak
chiite et la Syrie alaouite en direction de la Turquie.
Les Américains, pris par surprise, refusent
également de reconnaître la constitution d'une région unifiée et
autonome kurde, arguant sans rire (et avec une invraisemblable
hypocrisie) du danger de "démantèlement de la Syrie". On ne les avait
pas connus aussi soucieux de l'intégrité territoriale syrienne quand ils supportaient l'établissement d'une principauté salafiste dans la partie orientale du pays. Toujours est-il que cette "trahison" américaine risque de rester longtemps dans les mémoires kurdes...
Ironie du sort, Assad et son opposition
sont, pour une fois, eux aussi sur la même longueur d'onde et refusent
absolument de reconnaître la nouvelle région fédérale. Les fidèles
lecteurs ne seront pas surpris des possibles frictions entre Moscou et
Damas à propos des Kurdes, nous en parlions déjà il y a quelques mois
(notamment ici). Il ne faudrait toutefois pas que les choses dérapent trop sérieusement comme à Qamishli où YPG et armée syrienne viennent d'échanger quelques coups ; gageons que Poutine y mettra rapidement le hola.
Car après avoir étonné le monde avec un retrait partiel au timing parfait - tout en précisant
que les Sukhois peuvent y revenir en quelques heures si nécessaire (à
bon entendeur...) -, le maître du Kremlin prépare déjà le coup suivant.
Les Russes font cavalier seul ici et jouent de plus en plus la carte
kurde : en parallèle à l'insistance renouvelée pour que le PYD participe aux pourparlers de Genève, Lavrov hausse le ton contre la sale guerre d'Ankara contre le PKK. Les médias russes se jettent dans la ronde, notamment RT qui a mis en ligne une pétition adressée à l'ONU, dénonçant les atrocités turques.
Depuis
le 24 novembre, l'ours s'approche chaque fois un peu plus près de la
jugulaire turque et ne va plus la quitter des yeux, prêt à la mordre au
moindre prétexte. Erdogan a servi sur un plateau d'argent les Kurdes
syriens et le PKK à Poutine, qui peut armer et utiliser ce dernier quand
bon lui semble (pour les premiers, c'est déjà fait).
Nous renvoyons le lecteur à notre analyse détaillée sur le danger que fait peser le PKK sur l'approvisionnement énergétique présent et futur de la Turquie. Un nouvel article
de la presse spécialisée s'en fait l'écho tout en listant de manière
exhaustive le nombre d'attentats déjà à l'actif du mouvement
indépendantiste contre les pipelines turcs, et dont nous avions déjà
parlé à plusieurs reprises.
Pour le sultan, c'est un casse-tête
terrible. La grande majorité de l'approvisionnement gazier actuel de son
pays vient de l'ennemi russe avec lequel les contrats arrivent à
expiration en 2020 ; la totalité des routes alternatives possibles
(Caspienne, Kurdistan irakien, Iran) est aux mains du PKK. Et ce gros
bêta d'Erdogan qui a offert le PKK aux Russes ! Encore un coup de la
déesse Momos...
http://www.chroniquesdugrandjeu.com/2016/03/rififi-autour-des-kurdes.html?utm_source=_ob_email&utm_medium=_ob_notification&utm_campaign=_ob_pushmail