Si j'étais jihadiste, je réfléchirais à deux fois avant de songer à faire de la Tunisie un émirat. Car il faut tout ignorer de l’histoire de ce pays pour croire que le sinistre drapeau de l’État islamique flottera un jour sur ces terres. Il
faut être aveugle pour ne pas se rendre compte que l’islam politique
est en train de se casser les dents sur la résistance tunisienne. C’est
fou, quand même, le nombre de fois où ce peuple a relevé la tête devant
les forces obscurantistes qui voulaient le faire plier !
Souvenez-vous. La révolution s’est faite sans l’ombre d’un religieux.
Elle n’a pas concédé le titre de martyr au fameux Bouazizi. Puis les
Frères musulmans sont arrivés. Ils se sont fait passer pour des anges
sauveurs. La prison leur avait dessiné une auréole de saint. Les
Tunisiens ont bien voulu leur donner une chance, mais ce n’était pas un
blanc-seing pour la charia. Ils espéraient une gouvernance honnête et
juste. Ils ont vite déchanté.
Mais la société civile était au tournant. État musulman avant État libre ? Non, monsieur
Les Frères ont beau avoir invoqué Dieu en politique, ils n’étaient
pas meilleurs que les autres : appétit du pouvoir, manque d’expérience,
absence de patriotisme, lamentable gestion de l’image de la Tunisie à
l’extérieur, enrichissement subit et corruption. Les efforts pour
torpiller le projet démocratique furent à l’œuvre dès la rédaction de la
Constitution.
Mais la société civile était au tournant.
- État musulman avant État
libre ? Non, monsieur.
- Toucher à l’égalité entre hommes et femmes ? Vous
plaisantez ?
- Réintroduire la polygamie et restreindre le planning
familial ? Et puis quoi encore ?
Bref, la Tunisie a signifié aux Frères
musulmans qu’elle n’est pas prête à se faire manger. Et cela, Ghannouchi, en renard, l’a compris.
Ce n’est pas le contexte extérieur ni le sort fait en Égypte aux Frères
qui va l’édifier, c’est d’abord la Tunisie. Sa spécificité et son
histoire. Le leader d’Ennahdha a saisi qu’il fallait « tunisifier » le
projet islamiste et l’adapter aux mœurs et à l’esprit « citadin » des
Tunisiens.
Qu’une bande d’écervelés ait cru pouvoir mettre la main sur une ville tunisienne ferait rire tout le monde s’il n’y avait des victimes dans les rangs de nos soldats
Il y a là de quoi rappeler aux tenants du discours religieux, des
plus propres sur eux jusqu’aux « daé-chiens » qui ont attaqué Ben
Guerdane, que la Tunisie a derrière elle plus de deux mille cinq ans d’histoire. Elle
fut la première wilaya à sortir du giron du califat de Bagdad, au début
du IXe siècle déjà ! Elle a institué le contrat kairouanais qui
n’existait dans aucune contrée d’islam et qui garantissait la monogamie
aux femmes. Elle a aboli l’esclavage au XIXe siècle et lancé la première
Constitution laïque du monde arabe.
Surtout, elle a eu Bourguiba. Celui qui a dit et répété : « Je suis
musulman mais je refuse de gouverner avec la religion. »
Ses enfants se
sont transmis ce testament.
Ils se battront jusqu’au bout.
Alors, qu’une
bande d’écervelés ait cru pouvoir mettre la main sur une ville
tunisienne ferait rire tout le monde s’il n’y avait des victimes dans
les rangs de nos soldats. Des soldats qui viennent d’infliger une
défaite aussi cinglante que si elle avait été menée par tout un peuple..... Alors, gloire à leurs
ancêtres !
Faouzia Zouari
http://www.jeuneafrique.com/mag/309506/politique/tunisie-enfants-de-bourguiba/
Trois générations de Tunisiens auront vécu à l’ombre protectrice de
« Si Lhabib », séduits par ce tribun de génie, moderne et autoritaire,
angoissés par sa longue déliquescence. Ceux qui ont aujourd’hui entre
30 ans et 40 ans n’ont longtemps retenu que les dix dernières années de
sa vie, ce naufrage pathétique d’un vieillard au corps et à l’esprit
affaiblis, qui se voyait en président éternel, aveugle à l’usure du
temps. L’enfant de Monastir fut incapable de choisir lui-même le terme
de son règne. Mais réduire Bourguiba au crépuscule de sa vie, aussi
pénible que fût cette mise en scène permanente, serait une grande
injustice. C’était un personnage hors du commun : artisan de
l’indépendance, bâtisseur d’un État moderne, visionnaire, courageux,
responsable, intègre, humaniste. Le Combattant suprême a connu un
extraordinaire parcours politique, véritable entrelacs d’âpres batailles
pour l’indépendance, la libération de la femme, la généralisation de
l’enseignement et de l’accès aux soins, le développement de son pays, ou
contre l’obscurantisme. La trace laissée dans l’Histoire par le fils
d’Ali Bourguiba et de Fattouma Khefacha est à la mesure de sa stature :
immense. Côté sombre, sa conception monarchique, pour ne pas dire
tyrannique, du pouvoir, un ego démesuré, la censure, un caractère
colérique ne souffrant aucune contradiction.
Dix ans après sa mort, que reste-t-il du père fondateur ?
Un
véritable mythe, une conception de l’État et de son rôle mais aussi, et
surtout, un pays en paix et ouvert sur le monde qui, sans lui, ne serait
peut-être qu’un petit coin de terre sans intérêt, coincé entre deux
géants pétroliers, l’Algérie et la Libye. Certains l’ont oublié, qui ne
regardent qu’avec réticence le passé. D’autres, plus jeunes, ne mesurent
pas la valeur de son héritage, parce qu’on ne leur a pas (ou mal)
enseigné.
Ne pas comprendre d’où l’on vient, c’est s’exposer à ne pas savoir où l’on va…
12 avril 2010