lundi 28 mars 2016

Washington relance le scandale Erdoğan


Il y a un et demi, deux énormes scandales secouaient l’administration Erdoğan, mais l’actuel président turc se tirait d’affaire en limogeant 350 policiers et magistrats. Or, les États-Unis et la Russie ont récemment décidé de faire chuter le désormais dictateur [1] . C’est dans ce contexte que le mythique procureur de Manhattan vient de faire arrêter l’homme d’affaire aux trois nationalités qui avait organisé un gigantesque détournement de fonds pour le compte de l’AKP.


Le 17 décembre 2013, profitant d’un voyage au Pakistan du Premier ministre de l’époque, Recep Tayyip Erdoğan, 91 suspects étaient arrêtés par la Justice turque, dont 26 furent déférés aux tribunaux. Selon les magistrats, ils avaient créé une organisation criminelle pour contourner l’embargo US vis-à-vis de l’Iran et blanchir des fonds détournés à la République islamique.
Parmi les suspects, on trouvait un homme d’affaire turco-azéri-iranien, les enfants des ministres de l’Environnement, de l’Économie et de l’Intérieur, l’ancien négociateur pour l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne, le directeur de la principale banque publique, et un magnat de l’immobilier.
Entre mars 2012 et juin 2013, les suspects avaient transféré, directement ou via les Émirats, 13 milliards de dollars en or. En retour, ils avaient écoulé sur le marché international des hydrocarbures iraniens. Au passage, ils auraient détourné 2,8 milliards de dollars de commissions qu’ils auraient partagé avec des hauts-fonctionnaires iraniens et des dirigeants de l’AKP turc.
Côté iranien, l’affaire a été prise au sérieux. Le 30 décembre 2013, l’un des plus puissants hommes d’affaire du pays, Babak Zanjani, était interpellé. Jugé le 6 mars dernier, il a été condamné à mort pour vol, corruption, fraude, contrebande et atteinte à la sécurité de l’État. Deux autres Iraniens, Camelia Jamshidy et Hossein Najafzadeh, sont en fuite.
Cependant quelques jours après cette première affaire, le 26 décembre, une seconde éclata : le juge Muammer Akkaş mit à jour les entretiens secrets du Premier ministre d’alors, Recep Tayyip Erdoğan, et de ses deux fils Bilal et Burak, avec leur ami, le trésorier d’Al-Qaïda recherché par l’Onu, Yaseen Al-Qadi. Alors que les forces de l’ordre étaient requises pour les arrêter, la police d’Istanbul refusa d’exécuter les mandats d’amener et le magistrat fut démis de ses fonctions.
Réagissant à ces enquêtes, Recep Tayyip Erdoğan dénonça une opération téléguidée par son ancien allié, l’islamiste Fethullah Gülen, installé aux États-Unis, et soutenue voire téléguidée par l’ambassadeur et ancien responsable du Renseignement au secrétariat d’État, Francis Ricciardone Jr. Allant plus loin encore, il accusa Gülen et la CIA d’avoir créé une structure parallèle au sein de l’État. Il révoqua 350 policiers et magistrats, qui avaient participé à la création de l’AKP et y représentaient le courant Gülen.
Durant cette période, les événements se succédèrent rapidement. Une vidéo circula montrant Ali Erdoğan, un neveu et garde du corps du Premier ministre, donnant instruction à des policiers de brutaliser des opposants qui se trouvaient en détention. Puis un enregistrement sonore permit d’entendre le Premier ministre conseiller à son fils Bilal de planquer 30 millions de dollars en liquide qu’il détenait à son domicile avant que la police ne vienne y perquisitionner. Le commissaire de police d’Ankara, chargé des affaires de corruption, Hakan Yüksekdağ, fut retrouvé mort et ses collègues conclurent un peu rapidement au suicide. Etc.
Les cauchemars du désormais président Erdoğan sont de retour. Le 21 mars 2016, l’homme d’affaire irano-azéri-turc Reza Zarrab (ou Riza Sarraf en turc) a été interpellé à Miami et incarcéré sur instruction de l’implacable procureur de Manhattan, Preet Bharara (l’homme qui a inspiré la série télévisée Billions).
Comme si de rien n’était, le ministre de l’Économie, Nihat Zeybekçi, et le vice-Premier ministre, Numan Kurtulmus, décernent en juin 2015 un prix à l’homme d’affaire irano-azéri-turc Reza Zarrab, accusé d’avoir blanchi 2,8 milliards de dollars pour le compte de l’AKP.
Comme si de rien n’était, le ministre de l’Économie, Nihat Zeybekçi,
et le vice-Premier ministre, Numan Kurtulmus, décernent en juin 2015
un prix à l’homme d’affaire irano-azéri-turc Reza Zarrab, accusé d’avoir blanchi
2,8 milliards de dollars pour le compte de l’AKP.

[1]Moscou et Washington contre Ankara

Ciao, Erdogan ?

27 Mars 2016 , Rédigé par Observatus geopoliticus 
Ciao, Erdogan ?
Il y a deux jours, nous évoquions, à propos du Grand jeu énergétique, la possible mise à l'écart d'Erdogan suite à un coup d'Etat :
Il semble hors de question pour Moscou de renouer avec Erdogan. Si la Turquie est choisie, cela signifie que le sultan a été "écarté" et que la matérialisation du projet se fera au moment d'un "changement de garde" à Ankara. Or, certains bruits commencent à courir selon lesquels un accord pourrait avoir été passé entre les Russes et l'état-major turc pour se débarrasser d'Erdogan. Insistons, ce ne sont pour l'instant que des rumeurs invérifiables, mais si un reporter aussi chevronné que Pepe Escobar évoque cette possibilité, il n'y a peut-être pas de fumée sans feu. Ce qui est sûr, c'est que la politique erratique du sultan commence à exaspérer tout le monde en Turquie, y compris l'establishment politique. Changement de régime à Ankara ? A suivre...
Surprise, nous retrouvons cette idée dans une analyse de l'influent Michael Rubin de l'American Enterprise Institute. Pour mémoire, l'AEI est un important think tank néo-conservateur américain et Rubin évolua dans la sphère de l'administration Bush au début des années 2000 (directeur de département sur le Moyen-Orient au Pentagone sous Rumsfeld). Pas vraiment le genre de personne qui apporterait de l'eau au moulin de Poutine ou d'Assad...
Or, que dit-il ? Ni plus ni moins ce que nous répétons ici depuis plusieurs mois. Que la Turquie s'enfonce dans une situation catastrophique, qu'Erdogan devient incontrôlable (on notera le qualificatif de "sultan fou") et paranoïaque (il chercherait même à installer des systèmes anti-aériens dans son nouveau palais présidentiel de peur d'un putsch des parachutistes), que la guerre civile avec les Kurdes pourrait conduire à la partition de la Turquie, que la corruption atteint des sommets et que même les amis politiques du sultan ne le comprennent plus. En un mot, pour reprendre Rubin, "sa folie conduit la Turquie au précipice" (!)
L'auteur se penche ensuite sur les conséquences éventuelles d'un coup d'Etat militaire et assure qu'il serait accepté sans trop de difficultés par les alliés occidentaux de la Turquie, la libération des opposants et des journalistes, ainsi que la reprise du dialogue avec les Kurdes, contrebalançant la mauvaise presse d'un putsch. En Turquie même, beaucoup, y compris apparemment ses alliés politiques, seraient également soulagés et n'opposeraient aucune résistance à une prise de pouvoir temporaire par l'armée. Diantre...
Quand on connaît le pouvoir d'influence de ces think tanks sur la politique américaine (les deux entretenant d'ailleurs des liens incestueux), l'on en vient à se demander s'il ne s'agit pas ici d'une sorte de feu vert officieux, un encouragement en sous-main à un coup de force de l'état-major turc contre Erdogan. Or c'est exactement ce que veut Moscou de son côté ! Chose curieuse, l'article n'évoque pas une seule seconde les Russes, alors que c'est en grande partie la rupture entre les deux pays qui a mené le sultan à cette impasse.
A moins que... Stratégiquement parlant, Moscou bénéficierait-il tant que ça d'une chute d'Erdogan et d'une réconciliation avec Ankara ? Pas sûr. Certes, cela permettrait la renaissance du Turk Stream, assurant la mainmise gazière russe sur l'Europe du sud et coupant définitivement l'herbe sous le pied des chimériques projets de gaz caspien et des moins chimériques, quoique complexes, projets iraniens. Mais, d'un autre côté, ce sont les bourdes d'Erdogan qui ont permis à Poutine, en bon judoka qu'il est, d'avancer ses pions : sanctuarisation du ciel syrien et au-delà (S-400), renforcement irréversible des bases russes de Tartous et Hmeimim, attachement des Kurdes syriens "volés" aux Américains...
Une pacification des relations avec la Turquie placerait la Russie quelque peu en porte-à-faux avec ces gains stratégiques majeurs. Et c'est peut-être justement la raison pour laquelle certains, à Washington, commencent à envisager ouvertement un coup d'Etat en Turquie : renverser Erdogan avant que les Russes n'en profitent trop ?
Tout cela est passionnant et mérite d'être suivi avec la plus grande attention...
Source : http://www.chroniquesdugrandjeu.com/2016/03/ciao-erdogan.html?utm_source=_ob_email&utm_medium=_ob_notification&utm_campaign=_ob_pushmail