Le 19 février, les États-Unis ont bombardé
pour la quatrième fois le territoire libyen. Des frappes ciblées. Elles
ont détruit deux maisons d'un camp d'entraînement de djihadistes de
l'État islamique, à Ksar Alalga, près de Sabratha, à 80 kilomètres de
Tripoli. Les 43 morts sont presque tous des Tunisiens – et deux Serbes,
une jeune diplomate et son chauffeur, enlevés il y a trois mois à
Tripoli. En ligne de mire des États-Unis : Noureddine Chouchane, 26 ans,
Tunisien responsable des attentats contre les touristes au musée du
Bardo, à Tunis, et les vacanciers d'un hôtel à Sousse, au printemps
dernier. Chouchane serait au nombre des morts, estime le Pentagone.
En
novembre dernier, les Américains avaient déjà bombardé, à Derna, dans
l'est du pays, l'Irakien Abu Nabil, celui qu'El-Baghdadi, l'émir de Daech, avait envoyé en Libye pour prendre la tête de cette filiale de
l'EI.Les États-Unis en première ligne
En Libye, Barack Obama a fait le choix
d'opérations ponctuelles et ciblées contre le groupe salafiste. Au moins
aussi longtemps qu'un gouvernement libyen d'union nationale ne
demandera pas une éventuelle intervention de pays occidentaux. Pour être
légitime, ce gouvernement devra être accepté par les deux Parlements
rivaux (celui de Tripoli et celui de Tobrouk). Les Européens (Italie,
Grande-Bretagne) sont sur la même longueur d'onde. Hier, 22 février,
l'Italie a accepté que des avions américains porteurs de drones
décollent de son sol pour des frappes en Libye. Si la France déclare
être de plus en plus soucieuse de ne pas mettre le doigt dans le
chaudron libyen, il semble qu'elle dispose, comme les Américains, les
Britanniques et les Italiens, d'une poignée d'hommes des forces
spéciales engagés dans des opérations de renseignements et des prises de
contact avec des tribus et des milices locales.
Méfiance
Les capitales occidentales craignent, à
juste titre, la réaction de la population face à une intervention qui
sera considérée, au bout de quelques semaines, comme celle de nouveaux
« croisés ». Les inévitables victimes civiles alimenteront rapidement la
haine et un désir de vengeance qui pousseront des jeunes au djihad. Un
remède qui serait pire que le mal dans ce pays où l'EI, fort de 3 000 à 5
000 hommes selon les sources, compte plus de djihadistes étrangers que
de Libyens. Une crainte qui n'est pas vaine. Ces derniers jours, le
gouvernement libyen de Tobrouk (reconnu par la communauté internationale
et vu comme « pro-occidental ») a logiquement dénoncé le bombardement
américain « comme une violation flagrante de la souveraineté de l'État
libyen ».
Les États arabes absents du terrain
Pour éviter ces réactions, les États arabes
ne pourraient-ils pas, eux, s'engager dans la lutte contre Daech en
Libye ? Concrètement, il n'en sera rien. Le monde arabe est incapable de
s'entendre, il n'est certes pas le seul. Ainsi, en mars 2015, lorsque
l'Égypte, sur une initiative des États du Golfe, propose, à Charm
el-Cheikh, lors d'une réunion de la Ligue arabe, de créer une armée
arabe pour lutter contre le terrorisme, chacun a ses visées. Le Caire y
voit le moyen de mater ses islamistes armés dans le Sinaï et
éventuellement en Libye ; le Golfe et l'Arabie saoudite y cherchent un
prétexte pour faire front contre l'Iran, en particulier au Yémen.
Concrètement, le projet n'aboutira pas, sinon sur le papier.
Même échec en décembre dernier, lorsque
l'Arabie saoudite lance la Coalition islamique contre le terrorisme.
Elle regroupe 34 pays du Moyen-Orient, d'Afrique et d'Asie (Malaisie,
Pakistan). Le commandement militaire est installé à Riyad et une
coordination existe officiellement avec la coalition internationale sous
l'égide des Américains. Mais, en décembre, l'objectif saoudien était
prioritairement de voir des États membres de la coalition soutenir les
soldats saoudiens au Yémen. Peine perdue (à l'exception du Soudan). Les
Saoudiens sont fort mécontents.
Quels pays et quels moyens ?
Quant à la Libye, hormis les pays arabes du
sud de la Méditerranée, inquiets, nul ne s'en soucie. Pas une capitale
d'un État voisin ne se lancera dans une intervention militaire contre
Daech. Les pays frontaliers du Sahel, le Niger et le Tchad, pauvres
d'entre les pauvres, n'en ont pas les moyens. Les deux grands voisins,
l'Égypte, à l'est, l'Algérie à l'ouest, n'en ont pas la volonté
politique. Pour des raisons différentes.
L'Égypte d'abord. Avec ses 80 millions
d'habitants et son armée puissante, le grand voisin égyptien aurait, en
théorie, les moyens militaires de lutter contre l'EI. D'autant plus
qu'il existe des liens étroits entre l'Égypte et l'est de la Libye. Les
populations sont les mêmes, parlent le même arabe avec l'accent
égyptien, et nombre de djihadistes arrivent clandestinement en Libye, à
travers la frontière égyptienne, poreuse. Mais Le Caire se soucie
d'abord de sa propre lutte contre Daech dans le Sinaï. L'armée
égyptienne n'en vient pas à bout. Aussi la seule intervention de l'armée
égyptienne en Libye s'est-elle déroulée « à l'américaine », en février
2015, lorsque des avions égyptiens ont bombardé l'EI dans l'Est libyen
après la décapitation, filmée, d'Égyptiens coptes (chrétiens) sur une
plage. Le Caire fournit, il est vrai, des armes à son allié, le général
Khalifa Haftar, ancien proche de Kadhafi rallié à la révolution
libyenne, et aujourd'hui chef anti-islamiste de la nouvelle armée
libyenne.
L'Algérie, ensuite. Son histoire est autre.
Elle soutient un principe depuis 1962 : pas d'intervention militaire
hors des frontières. Son credo : les conflits doivent se résoudre par la
politique, non par les armes. Pourtant, Alger est inquiet de la
situation libyenne. L'Algérie partage 700 kilomètres d'une frontière
désertique avec son immense voisin. Les hommes de Mokhtar Belmokhtar ont
franchi sans problème cette frontière en janvier 2013 pour attaquer un
site pétrolier près d'In Amenas. Depuis, l'armée est sur le pied de
guerre.
Mais en Libye, aujourd'hui, comme au Mali
hier, l'Algérie n'interviendra pas militairement. Elle rencontre,
officiellement ou officieusement, les différents partis, les groupes
armés, les milices, pour tenter de faire dialoguer les groupes rivaux et
mettre sur pied un gouvernement d'union nationale libyen qui, lui,
devra lutter contre Daech. Alger pourra alors accepter, éventuellement,
de fournir une aide dans le domaine du renseignement. En fait, l'Algérie
a une grande peur : qu'une intervention étrangère en Libye déstabilise
la région. Elle y voit une menace pour sa sécurité intérieure.
Par Mireille Duteil
http://afrique.lepoint.fr/actualites/libye-daech-et-la-passivite-des-pays-arabes
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