La prise d'Alep
- où l'humanité s'était apparemment effondrée dixit l'inénarrable
Samantha Power - avait marqué un jalon important dans le conflit qui
ensanglante le Syrak. Une pause également, priorité étant donnée aux
négociations, c'est-à-dire au saucissonnage de la rébellion modérément
modérée. L'accord russo-turco-iranien, qui a botté Washington en touche,
est encore flou, notamment autour du rôle du puissant Ahrar al-Cham,
groupe salafiste syrien tendance Frères musulmans. Le sultan
arrivera-t-il à détacher ses petits protégés d'Al Nosra et à leur faire
déposer les armes ? A suivre...
Toujours est-il que les bruits de canon reprennent un peu partout après un mois de surplace, dû entre autres à l'acharnée résistance djihadiste.
A
tout seigneur (et saigneur), tout honneur, le nord syrien offre une
panoplie d'offensives en cours ou dans les tuyaux. L'interminable
campagne d'Al Bab entre dans la première catégorie. Les Turcs n'y arrivent décidément pas et ce n'est pas l'appoint pour le moins douteux
de l'Armée Syrienne Libre qui y change quelque chose. Notons au passage
que la valeur guerrière toute relative de l'ASL prouve indirectement et
par contraste que le cœur de la rébellion "modérée" est le fait d'Al-Qaïda, Ahrar al-Cham et autres joyeux lurons djihadistes ; eux seuls
pouvaient résister à l'armée syrienne ou expulser Daech d'Alep en 2014,
l'ASL n'étant présente que pour le décorum nécessaire aux chancelleries
et médias occidentaux...
Incapables de prendre Al Bab à l’État Islamique, les Turco-ASL en sont réduits à demander l'assistance aérienne russe, ce qui était dans les tuyaux comme nous l'avions annoncé fin décembre :
Il a même fallu, ô ironie, que les avions russes viennent en aide
pour stopper la débandade ASL-turque à l'ouest d'Al Bab ! Simple coup
sans lendemain afin de sauver la face du sultan ou pièce d'un
échafaudage bien plus vaste faisant suite à la rencontre
Russie-Iran-Turquie et début d'un règlement du conflit syrien entre les trois boss ?
Le
mécanisme de coopération est désormais officiel, ce qui ne manque pas
de sel un an après l'incident du Sukhoï... Sur le terrain, les Turco-ASL manœuvrent actuellement à l'est d'Al Bab et tentent de réduire enfin
la poche de Qabasin (flèches vertes) pour la troisième fois en dix jours :
A défaut de prendre la ville, l'objectif est de l'encercler lentement, peut-être avec l'aide de l'armée syrienne qui remonterait du sud (base de Kuweires où affluent les renforts) vers le nord (flèches rouges sur la carte). Nous en évoquions
déjà la possibilité en octobre. La rencontre choc entre loyalistes et
ASL turquisée, ennemis d'hier (et d'aujourd'hui à vrai dire), ne
manquerait en tout cas pas de piment. Sans compter, évidemment, l'inconnue kurde.
Et puisqu'on en parle... Profitant de la réaffectation des moyens de Daech pour défendre Al Bab, les YPG s'enfoncent un peu plus à l'est, entre Al Bab et Raqqa. Eternel jeu de vases communicants entre Ankara et Rojava qui se regardent en chiens de faïence, chacun attendant que l'autre fasse le premier mouvement contre l'EI pour en profiter.
Notons au passage que les Kurdes arrivent à proximité de Tabqah, point stratégique dont nous avions parlé en juin dernier, lorsque l'armée syrienne tentait de couper l'EI en deux avant sa terrible déconvenue désertique.
Celle-ci
ne prévoit pas de renouveler l'expérience, du moins dans un futur
proche. La prise d'Alep a permis la libération de milliers de soldats
qui se regroupent ailleurs. A Kuweires, on l'a vu, mais également en
direction du sud-ouest, vers Idlib. C'est le scénario que tout le monde
attendait après la victoire aléppine, seulement retardé par les
négociations russo-turques.
Les différents plans de bataille sont déjà prêts
(on s'étonne encore une fois qu'ils soient naïvement mis à disposition
du public) et l'aviation syro-russe s'en donne à coeur joie depuis
quelques jours afin de préparer le terrain (ici ou ici).
Les
pourparlers d'Astana, auxquels Ahrar al-Cham est conviée, sont prévus
pour le 23 janvier, soit trois jours après la prise de fonction de
Donald Trump qui, comme chacun sait, risque de faire faire à la
politique syrienne de Washington un acrobatique 180° auquel ne s'habitue
toujours pas le parti de la guerre et ses affidés. Il lui faudra
peut-être quelques semaines supplémentaires pour désamorcer la folle proposition
de Barack à frites d'ouvrir la porte aux livraisons d'armes à
destination des djihadistes modérés. Quant à la toujours délicieuse
Tulsi Gabbard, elle bat la campagne pour son Stop Arming terrorists Act sur lequel l'accord est total avec la future administration Trump :
Gageons donc que si elle a lieu, la grande offensive sur Idlib devra encore attendre un peu...
Près de Damas, l'armée avance dans le Wadi Barada
pour mettre fin au blocage de l'eau potable par les légendaires modérés
qui mettent en danger les cinq millions d'habitants de la capitale
syrienne dans le silence assourdissant de la volaille médiatique occidentale. Les loyalistes avancent aussi dans la Ghouta orientale.
Pour compliquer encore un peu la donne, les Israéliens viennent rajouter de l'huile sur le feu en bombardant un dépôt de munition
sur la base aérienne de Mazzeh, près de Damas. S'il n'y a aucune
victime à déplorer, Tel Aviv continue sa petite guerre contre le
Hezbollah ou, en l'occurrence, les livraisons d'armes que le mouvement chiite envoie au Liban. Le commandement militaire syrien est furieux
et le fait savoir. Le Kremlin, lui, reste silencieux, sans doute
embarrassé par les bisbilles entre ses traditionnels alliés et le nouvel
ami israélien.
Quid de l'Irak ? Commencée dans les flonflons, la difficile bataille de Mossoul ne fait plus la une des médias depuis un certain temps comme nous l'expliquions :
En
octobre, la consigne était de dresser un parallèle entre la supériorité
morale du camp du Bien et les crimes contre le cosmos des méchants
Syro-russes à Alep. Aujourd'hui, il s'agit surtout de cacher le quasi
surplace de la campagne et ses innombrables ratés.
Quelques éléments nouveaux toutefois. Les forces irakiennes avancent
dans la partie orientale de la ville, certes la plus "facile" à prendre
car de peuplement mixte (Kurdes, chiites, Assyriens) peu lié au
sunnisme arabe de l'Etat Islamique. Dans certains secteurs, le Tigre est
enfin en vue :
Si
les combats seront encore rudes et meurtriers, Mossoul-est devrait être
libérée d'ici le mois de mars. Ce sera une autre paire de manches pour
la partie occidentale de la métropole, plus acquise à Daech. Les petits
hommes en noir commencent d'ailleurs à faire sauter les ponts enjambant le Tigre.
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Source : Chroniques du Grand Jeu