Dans mon
récent article, Les risques et les chances pour 2017, j’ai fait
une déclaration qui a choqué de nombreux lecteurs. J’ai écrit :
La Russie
est maintenant le pays le plus puissant de la planète. […] l’Armée russe est probablement la
plus puissante et la plus capable sur terre (bien qu’elle ne soit pas la plus
grande) […] la Russie est le pays le plus puissant sur la terre pour deux
raisons : elle rejette et dénonce ouvertement le système politique,
économique et idéologique mondial, régnant dans le monde entier, que les
États-Unis ont imposé à notre planète depuis la Seconde Guerre mondiale, et
parce que Vladimir Poutine jouit d’un soutien solide comme le roc de quelques
80% de la population russe. La plus grande force de la Russie en 2017 est
morale et politique ; c’est la force d’une civilisation qui refuse de
jouer selon les règles que l’Occident a réussi à imposer au reste de
l’humanité. Et maintenant que la Russie les a « rejetées » avec
succès, d’autres suivront inévitablement (de nouveau, en particulier en Asie).
Si certains ont
rejeté ceci comme une hyperbole assez ridicule, d’autres m’ont demandé
d’expliquer pourquoi j’arrive à cette conclusion. Je dois admettre que ce
paragraphe est quelque peu ambigu : d’abord j’affirme quelque chose de
spécifique sur les capacités de l’Armée russe puis les « preuves »
que je présente sont de nature morale et politique ! Pas étonnant que
certains aient exprimé des réserves.
Effectivement,
ce qui figure ci-dessus est un bon exemple de l’une de mes pires
faiblesses : j’ai tendance à supposer que j’écris pour des gens qui feront
les mêmes hypothèses que moi, considéreront les problèmes de la même manière
que moi et comprendront ce qui est implicite. C’est ma faute. Donc aujourd’hui,
je vais tenter de préciser ce que je voulais dire et clarifier mon point de vue
sur cette question. Pour cela, cependant, un certain nombre de prémisses
doivent, je pense, être énoncées explicitement.
Tout
d’abord, comment mesure-t-on la qualité d’une armée et comment les armées de
divers pays peuvent-elles être comparées ?
La première
chose à écarter immédiatement est la pratique totalement inutile connue sous le
nom de « décompte des haricots » : compter le nombre de chars,
de véhicules blindés pour le transport des troupes, des véhicules blindés de
combat d’infanterie, de pièces d’artillerie, d’avions, d’hélicoptères et de
navires pour le pays A et le pays B et en déduire lequel des deux est le plus « fort ».
Cela n’a absolument aucun sens. Ensuite, deux autres mythes doivent être
détruits : que la haute technologie gagne les guerres et que l’argent
gagne les guerres. Comme j’ai analysé ces deux mythes en détail ailleurs (ici), je ne le répéterai pas.
Ensuite, je
soutiens que le but d’une armée est d’atteindre un objectif politique
spécifique. Personne n’entre en guerre uniquement au nom de la guerre, et la « victoire »
n’est pas un concept militaire, mais politique. Donc oui, la guerre est la
continuation de la politique par d’autres moyens. Par exemple, réussir à
dissuader un agresseur potentiel pourrait être compté comme une « victoire »
ou, au moins, comme une réussite de votre armée si son but était la dissuasion.
La définition de la « victoire » peut comprendre la destruction de
l’armée de l’autre, bien sûr, mais ce n’est pas une obligation. Les
Britanniques ont gagné la guerre des Malouines/Falklands même si les forces
argentines étaient loin d’être détruites. Quelquefois, le but de la guerre est
le génocide, et dans se cas se contenter de vaincre une armée ne suffit pas.
Prenons un exemple récent : selon une déclaration officielle de Vladimir Poutine, les
objectifs officiels des interventions de l’armée russe en Syrie étaient 1)
stabiliser l’autorité légitime et 2) créer les conditions d’un compromis
politique. Il est indéniable que les forces armées russes ont totalement
atteint ces deux objectifs, mais elles l’ont fait sans que cela nécessite une « victoire »
impliquant une destruction totale des forces ennemies. En fait, la Russie
aurait pu utiliser des armes nucléaires et des tapis de bombes pour balayer
Daech, mais cela aurait eu pour résultat une catastrophe politique pour la
Russie. Est-ce que cela aurait été une « victoire militaire » ?
Dites-le moi !
Donc si le
but de l’armée d’un pays est d’atteindre des objectifs politiques particuliers,
cela implique directement qu’il est absurde de dire que l’armée d’un pays peut
tout faire, partout et tout le temps. Vous ne pouvez pas avoir une armée
indépendamment d’un ensemble de circonstances très spécifiques :
1) Où :
Espace/géographique.
2)
Quand : moment/durée.
3)
Quoi : objectif politique.
Pourtant, ce
que nous voyons, notamment aux États-Unis, est une approche diamétralement
opposée. C’est quelque chose comme ça : nous avons l’armée la mieux
formée, la mieux équipée et la mieux armée sur la terre ; aucun pays ne
peut rivaliser avec nos bombardiers furtifs perfectionnés, nos sous-marins
nucléaires, nos pilotes sont les mieux entraînés sur la planète, nous avons des
capacités de guerre réseau-centrées sophistiquées, d’intervention globale, de
reconnaissance et de renseignement basées dans l’espace, nous avons des porte-avions,
notre Delta Force peut vaincre n’importe quelle force terroriste, nous
dépensons plus d’argent que tout autre pays, nous avons plus de navires que
toute autre nation, etc. etc. etc. Cela ne signifie absolument rien. La
réalité est que l’armée étasunienne a joué un rôle secondaire dans la Seconde
Guerre mondiale sur le théâtre européen et qu’après cela, les seules « sortes
de victoire » que les États-Unis ont remportées sont extrêmement
embarrassantes : Grenade (à peine), Panama (presque sans opposition. Je
vous accorderai que l’armée étasunienne a réussi à dissuader une attaque
soviétique, mais je soulignerai immédiatement que les Soviétiques ont ensuite
également dissuadé une attaque étasunienne. Est-ce une victoire ? La
vérité est que la Chine non plus n’a pas subi d’attaque soviétique ou
américaine ; cela signifie-t-il qu’elle a réussi à dissuader les
Soviétiques ou les Américains ? Si vous répondez « oui », alors
vous devrez admettre qu’elle l’a fait pour une fraction des coûts
américains ; donc quelle armée était la plus efficace – celles des
États-Unis ou celle de la Chine ? Ensuite, observez toutes les autres
interventions militaires étasuniennes, il y en a une liste convenable, et ce
que ces opérations militaires ont réellement atteint. Si je devais choisir la « moins
mauvaise », je choisirais à contrecœur Tempête du Désert qui a libéré le
Koweït des Irakiens, mais à quel prix et avec quelles conséquences ?
Dans la
grande majorité des cas, lorsqu’on évalue la qualité de l’armée russe, c’est
toujours par comparaison avec les forces armées étasuniennes. Mais cela a-t-il
un sens de comparer l’armée russe à une armée qui a une longue histoire d’échec
à atteindre les objectifs politiques spécifiques qu’elle s’était fixés ? Oui, les forces armées américaines
sont énormes, boursouflées, ce sont les plus chères de la planète, les plus
technologiques, et leurs performances effectives assez médiocres sont
systématiquement occultées par la machine de propagande la plus puissante de la
planète. Mais tout cela les rend-elles efficaces ? Je soutiens que
loin d’être efficaces, elles sont fantastiquement gaspilleuses et
extraordinairement inefficaces, au moins d’un point de vue militaire.
Vous
doutez encore ?
Okay.
Prenons le « meilleur du meilleur » : les forces spéciales
américaines. Nommez-moi s’il vous plaît trois opérations réussies exécutées par
les forces spéciales américaines. Non, les petites escarmouches contre des
insurgés du Tiers Monde peu entraînés et pauvrement équipés, tués dans une
attaque surprise, ne comptent pas. Quel serait l’équivalent américain de,
disons, Operation Chtorm-333, ou la libération de
l’ensemble de la péninsule de Crimée sans qu’une seule personne soit
tuée ? En fait, c’est une des raisons pour lesquelles la plupart des
blockbusters de Hollywood sur les forces spéciales américaines sont basés sur
de terribles défaites comme La Chute du faucon noir ou 13 Hours.
Quant à la
haute technologie américaine, je ne pense pas avoir besoin de me pencher trop à
fond sur les cauchemars du F-35 ou du destroyer de classe Zumwalt, ou expliquer
comment des tactiques bâclées ont permis à la défense aérienne serbe d’abattre
un F-117A super furtif et censément « invisible » en 1999, en
utilisant un ancien missile S-125 datant de l’ère soviétique déployé pour la
première fois en 1961 !
Il n’y a
aucune Schadenfreude pour moi à me rappeler tous ces faits. Ce que je cherche,
c’est briser le réflexe mental qui conditionne tant de gens à considérer
l’armée américaine comme une sorte de mètre étalon permettant de mesurer ce que
réalisent les autres armées dans le monde. Ce réflexe est le résultat de la
propagande et de l’ignorance, pas d’une raison rationnelle. Il en va de même,
d’ailleurs, pour les autres armées faisant l’objet d’une
hyper-propagande : les FDI israéliennes dont les troupes blindées, les
pilotes et les fantassins sont toujours présentés comme extraordinairement bien
entraînés et compétents. La réalité est bien sûr qu’en 2006, les FDI n’ont même pas pu sécuriser la petite ville
de Bint Jbeil située à seulement 2 km de la frontière israélienne. Pendant 28
jours, les FDI ont tenté d’arracher le contrôle de Bint
Jbeil aux forces de second plan du Hezbollah (celui-ci gardait ses meilleures
forces au nord de la rivière Litani pour protéger Beyrouth) et ont totalement
échoué, en dépit de leur immense supériorité numérique et technologique.
J’ai
personnellement parlé à des officiers étasuniens qui se sont formés avec les FDI et je peux vous dire qu’ils n’étaient pas du
tout impressionnés. Exactement comme les guérilleros afghans sont totalement
unanimes lorsqu’ils disent que le soldat soviétique est bien meilleur que le
soldat américain.
Parlons
de l’Afghanistan
Vous
souvenez-vous que la 40e Armée soviétique, qui était chargée de
combattre les « combattants de la liberté » afghans, était
généralement sous-équipée, sous-entraînée et peu soutenue en termes
logistiques ? Alors lisez cet effroyable rapport sur les conditions sanitaires
de la 40e Armée et comparez-le avec les 20 milliards de dollars par an que les États-Unis
dépensent en air conditionné en Afghanistan et en Irak ! Ensuite comparez
les occupations étasunienne et soviétique en termes de performances : non
seulement les Soviétiques contrôlaient la totalité du pays le jour (la nuit,
les Afghans contrôlaient la plus grande partie des campagnes et les routes),
mais ils contrôlaient aussi toutes les grandes villes 24 heures sur 24 et 7
jours sur 7. En revanche, les États-Unis tiennent difficilement Kaboul et des
provinces entières sont aux mains des insurgés. Les Soviétiques ont
construit des hôpitaux, des barrages, des ponts, etc., alors que les Américains
n’ont absolument rien construit. Et comme je l’ai déjà dit, dans toutes
les interviews que j’ai vues, les Afghans sont unanimes : les Soviétiques
étaient des ennemis beaucoup plus coriaces que les Américains.
Je pourrais
continuer sur des pages et des pages, mais arrêtons-nous là et acceptons
simplement que l’image de relations publiques de l’armée étasunienne (et
israélienne) n’a rien à voir avec leurs capacités et leurs performances
effectives. Il y a des choses que l’armée américaine fait très bien
(déploiement à longue distance, guerre sous-marine en eaux tempérées,
opérations de transport, etc.), mais son efficacité et son efficience sont
assez faibles.
Donc
qu’est-ce qui rend l’armée russe si bonne ?
D’une part,
sa mission, défendre la Russie, est proportionnée aux ressources de la
Fédération de Russie. Même si Poutine le voulait, la Russie n’a pas les
capacités de construire dix porte-avions, de déployer des centaines de bases
outre-mer ou de dépenser plus pour la « défense » que le reste de
l’humanité. L’objectif politique spécifique confié à l’armée russe est très
simple : dissuader ou repousser toute attaque contre la Russie.
D’autre
part, pour accomplir cette mission, l’armée russe doit être capable d’attaquer et de l’emporter à une distance maximale
de 1.000 km, ou moins, de la frontières russe. La doctrine militaire russe
officielle fixe les limites d’une opération offensive stratégique un peu plus
loin et inclut la défaite totale des forces ennemies et l’occupation de leur
territoire à une profondeur de 1.200 à 1.500 km (Война и Мир в Терминах и
Определениях, Дмитрий Рогозин, Москва, Вече, 2011, p.155), mais en réalité
cette distance serait beaucoup plus courte, en particulier dans le cas d’une
contre-attaque défensive. Ne vous y trompez pas, cela reste une tâche
redoutable à cause de l’immense longueur de la frontière russe (plus de
20 000 km), qui traverse presque tous les types de géographie, depuis les
déserts et les montagnes arides jusqu’à la région du pôle Nord. Et c’est là
l’extraordinaire : l’armée russe est actuellement capable de vaincre
n’importe quel ennemi imaginable tout le long de ce périmètre. Poutine lui-même
l’a dit récemment lorsqu’il a déclaré que « nous pouvons le dire avec certitude : nous
sommes maintenant plus forts que tout agresseur potentiel, quel qu’il
soit ! » Je réalise que pour la plus grande partie du
public américain, cela sonne comme le baratin typique que tout officier ou
politicien étasunien doit dire à chaque occasion publique, mais dans le
contexte russe, c’est assez nouveau : Poutine n’avait jamais dit quelque
chose de semblable auparavant. Les Russes préfèrent se plaindre de la
supériorité qu’ils prêtent à leurs adversaires (eh bien, ils le sont, en nombre
– ce que tout analyste militaire russe sait ne rien vouloir dire).
Numériquement,
les forces russes sont en effet beaucoup plus modestes que celles de l’OTAN et
de la Chine. En fait, on pourrait dire que par rapport à la taille de la
Fédération de Russie, son armée est assez petite. C’est vrai. Mais elle est
redoutable, bien équilibrée en termes de capacités et fait un usage maximum des
caractéristiques géographiques uniques de la Russie.
Aparté
La Russie est un pays
bien plus « nordique » que, disons, le Canada ou la Norvège. Voyez où
se situent la grande majorité des villes et des villages au Canada ou en
Scandinavie. Puis regardez une carte de la Russie et les latitudes où sont
situées les villes russes. La différence est assez frappante. Prenez par
exemple Novosibirsk, qui est considérée en Russie comme une ville méridionale
de Sibérie. Elle est presque à la même latitude qu’Edimbourg en Écosse, Grande
Prairie en Alberta ou Malmö en Suède.
C’est
pourquoi tout l’équipement utilisé par les Forces armées russes doit être
opérationnel à des températures allant de -50° à +50°. La plupart des engins
occidentaux ne peuvent pas opérer à des températures aussi extrêmes. Bien sûr,
il en va de même pour le soldat russe, qui est aussi formé pour agir dans cette
gamme de températures.
Je ne pense
pas qu’il y ait une autre armée qui puisse prétendre posséder de telles
capacités, et très certainement pas les forces armées américaines.
Un autre
mythe qu’il faut détruire est celui de la supériorité de la technologie
occidentale. Alors qu’il est vrai que dans certains domaines spécifiques, les
Soviétiques n’ont jamais été capables de rattraper l’Occident, les micro-puces
par exemple, cela ne les a pas empêchés d’être les premiers à développer une
grande liste de technologies militaires telles que les radars à réseau en phase
sur des intercepteurs, des viseurs montés sur des casques pour les pilotes, des
missiles sous-marins à sous-cavitation, des chargeurs automatiques sur les
chars, des véhicules blindés déployables en parachute, des sous-marins
d’attaque à double coque, des missiles balistiques mobiles, etc. En général,
les systèmes d’armement occidentaux tendent à avoir plus de haute technologie,
c’est vrai, mais ce n’est pas dû au manque de capacités des Russes, mais à une
différence fondamentale dans la conception. En Occident, les systèmes
d’armement sont conçus par des ingénieurs qui bricolent ensemble les dernières
technologies puis conçoivent une mission autour d’elles. En Russie, l’armée
définit une mission puis cherche les technologies les plus simples et les
meilleur marché susceptibles d’être utilisées pour l’accomplir. C’est pourquoi
le MiG-29 russe (1982) n’avait pas de « commande de vol électrique » comme le
F-16 américain (1978) mais pratiquait de « vieux » contrôles
mécaniques du vol. J’ajouterai qu’un fuselage plus sophistiqué et deux
moteurs au lieu d’un pour le F-16 ont donné au MiG-29 un domaine de vol supérieur. En cas de besoin,
cependant, les Russes ont utilisé des commandes de vol électrique, par exemple
sur le Su-27 (1985).
Enfin, les
forces nucléaires russes sont actuellement plus modernes et beaucoup plus
performantes que la triade nucléaire américaine, vieillissante en comparaison.
Même les Américains l’admettent.
Donc
qu’est-ce que tout cela signifie ?
Cela
signifie qu’en dépit d’une tâche immensément difficile, l’emporter contre
n’importe quel ennemi le long des 20.000 km de la frontière russe et jusqu’à
une profondeur de 1.000 km, l’armée russe a constamment démontré qu’elle est
capable de dissuader ou de vaincre un ennemi potentiel, que ce soit une insurrection wahhabite
(que les experts occidentaux qualifiaient d’« imbattable »), une
armée géorgienne entraînée et équipée par l’Occident (en dépit d’un nombre de
combattants inférieur pendant les heures cruciales de la guerre avec
d’importants problèmes et la faiblesse du commandement et du contrôle), le
désarmement de plus de 25.000 soldats ukrainiens (prétendument des cracks) en
Crimée sans tirer un seul coup de feu de colère et, bien sûr, l’intervention
militaire russe dans la guerre en Syrie où une toute petite force russe a
changé le cours de la guerre.
Pour
conclure, je veux revenir à ma déclaration sur la Russie comme étant le seul
pays qui ose ouvertement rejeter le modèle de civilisation occidental et dont
le dirigeant, Vladimir Poutine, jouit du soutien de plus de 80% de la
population. Ces deux facteurs sont déterminants dans l’évaluation de l’armée
russe. Pourquoi ? Parce qu’ils illustrent le fait que les soldats russes
savent exactement pour quoi (ou contre quoi) ils combattent et que quand ils sont
déployés quelque part, ils ne le sont pas comme des instruments de Gazprom,
Norilsk Nickel, Sberbank ou toute autre entreprise russe : ils savent
qu’ils combattent pour leur pays, leur peuple, pour leur liberté et leur
sécurité. En outre, le soldat russe sait aussi que l’usage de la force armée
n’est pas l’option première et préférée de son gouvernement, mais la dernière à
laquelle celui-ci recourt lorsque toutes les autres ont été épuisées. Il sait
que le Haut Commandement russe, le Kremlin et l’état-major général ne sont pas
déterminés à trouver quelque petit pays à tabasser uniquement pour faire un
exemple et faire peur aux autres. Enfin, le soldat russe est prêt à mourir pour
son pays en exécutant tous les ordres. Les Russes sont très conscients de cela
et c’est pourquoi l’image ci-dessous a récemment circulé sur le Runet [l’Internet
russe, NdT] :
Le texte sous les photos dit : « Soldat de
l’armée US vs soldat de l’Armée russe, sous contrat, déployés dans une zone de
combat. » Le texte central en dessous dit : « L’un des deux doit être
nourri, vêtu, armé, payé, etc. À l’autre on doit seulement ordonner « Par
là » et il remplira sa mission. À tout prix. »
À la fin, le
résultat de toute guerre est décidé par la volonté, je le crois fermement et je
crois aussi que c’est le « simple » soldat d’infanterie qui est le
facteur le plus important dans une guerre, non le superman super entraîné. En
Russie, on les appelle parfois « makhra » – les jeunes gars de
l’infanterie, qui ne sont pas beaux, pas particulièrement mâles, sans
équipement ni formation spéciaux. Ce sont eux qui ont vaincu les wahhabites en
Tchétchénie, à un coût élevé, mais ils l’ont fait. Ce sont eux qui fournissent
un nombre impressionnant de héros, étonnant leurs camarades et leurs ennemis
par leur ténacité et leur courage. Ils ne font pas bien dans les parades et ils
sont souvent oubliés. Mais ce sont eux qui ont vaincu plus d’empires que
quiconque et qui ont fait de la Russie le plus grand pays sur la terre.
Donc oui, la
Russie dispose aujourd’hui de l’armée la plus performante sur la planète. Il y
a beaucoup de pays qui ont aussi d’excellentes armées. Mais ce qui rend celle
de la Russie unique est la portée de ses capacités, qui vont des opérations
anti-terroristes à la guerre nucléaire internationale, combinée avec la
résilience et la volonté étonnantes du soldat russe. Il y a une masse de choses
que l’armée russe ne peut pas faire, mais contrairement aux forces armées
étasuniennes, l’armée russe n’a jamais été conçue pour faire tout, partout,
tout le temps (c’est-à-dire « gagner deux guerres et demie »
n’importe où sur la planète).
Pour le
moment, les Russes observent comment les États-Unis n’arrivent même pas à
prendre une petite ville comme Mossoul, même s’ils ne font que
renforcer les forces locales avec beaucoup de « soutien »
étasunien et de l’OTAN, et ils ne sont pas impressionnés, c’est le moins qu’on
puisse dire. Mais Hollywood fera sûrement un grand blockbuster de cet échec
embarrassant et il y aura plus de médailles décernées que de militaires
impliqués (c’est ce qui est arrivé après le désastre de Grenade). Et la foule
de téléspectateurs sera rassurée que « bien que les Russes aient fait
quelques progrès, leurs forces sont encore très loin de celles de leurs
homologues occidentaux ». Qui s’en soucie ?
Le 18 janvier 2017 – Source The Saker