Bonne
nouvelle pour le Maroc et l’Algérie, mauvaise nouvelle pour le pouvoir tunisien,
espoir ou catastrophe pour différentes forces en Libye... Le politologue Mezri
Haddad montre comment l’arrivée de Donald Trump rebat les cartes au Maghreb.
RT France : A quoi peuvent s’attendre les pays du Maghreb après l’élection
de Donald Trump ? Est-ce une bonne ou une mauvaise nouvelle pour eux ?
Mezri
Haddad (M. H.) : Cela dépend des pays. C’est une très mauvaise nouvelle
pour le régime islamiste «modéré» au pouvoir en Tunisie, malgré la
couverture républicaine et moderniste que procure l’actuel président, Béji Caïd
Essebsi, à ce régime. Le chef des Frères musulmans locaux, Rached Ghannouchi, croyait et
espérait ardemment la victoire d'Hillary Clinton sur Donald Trump. Et
pour cause : la première, dans la continuité obamienne, avait l’intention
de soutenir les pays dits du «printemps arabe» et, alliée aux Saoudiens et
aux Qataris qui ont financé sa campagne, elle comptait même porter la politique
islamo-atlantiste de son prédécesseur à son paroxysme en intervenant directement et militairement en Syrie.
Quant à Donald Trump, il avait clairement et publiquement affiché, lors de sa campagne
électorale, son allergie profonde pour tout ce qui est islamisme, de la secte
barbare de Daesh au mouvement des Frères musulmans. Orphelin de son parrain à
la Maison Blanche, le parti islamiste d’Ennahdha est donc dans la ligne de mire
de la nouvelle administration américaine.
Le Maroc n’a
pu échapper au séisme du «printemps arabe» qu’en anticipant ses effets pervers
et en faisant des concessions à la mouvance islamiste
Pour l’Algérie, c’est une bonne nouvelle dans la mesure où l’arrivée au
pouvoir d'Hillary Clinton aurait provoqué le «printemps arabe» tant espéré par Barack Hussein Obama et
ses alliés arabes et occidentaux. A chaque fois contenu et repoussé grâce à la
vigilance de l’armée et à l’énorme budget consacré par le gouvernement algérien
aux chômeurs et aux plus démunis, le pouvoir a mené jusqu'à présent avec succès
une stratégie d’achat de la paix civile. Avec Donald Trump à la tête des
Etats-Unis, le président Abdelaziz Bouteflika a désormais les mains libres et
il peut limiter les concessions faites aux islamistes dans son propre pays et
revoir à la baisse son soutien implicite aux Frères musulmans tunisiens !
Pour le Maroc, c’est également une bonne nouvelle dont on perçoit déjà les
conséquences politiques : processus de marginalisation du PJD islamiste
dont le chef, Abdelilah Benkirane est désormais dos au mur.
L’élection de Habib El Malki à la présidence de la Chambre des représentants
fragilise incontestablement l’hégémonisme du PJD. Mesure symptomatique d’un
changement stratégique dans la politique marocaine, la récente interdiction de
vente de la burka dans tout le royaume. Il faut rappeler que le Maroc n’a pu
échapper au séisme du «printemps arabe» qu’en anticipant ses effets pervers et
en faisant des concessions à la mouvance islamiste. Bien averti et pragmatique,
le Roi du Maroc a désormais toute la latitude pour continuer ses réformes
politiques, économiques et sociales sans subir le poids de la géopolitique
américaine.
Quant à la Libye, il n’y a plus d’Etat pour en déduire une quelconque
appréciation ou position sur l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche.
Depuis l’agression néocoloniale menée par Nicolas Sarkozy, la Libye est
fragmentée et livrée à l’anarchie et aux conflits tribaux, en plus de
l’implantation de Daesh sur son territoire.
Trump
gardera certainement un œil sur les zones d’influence américaines sans pour
autant y investir de l’argent, encore moins y soutenir des régimes impliqués
avec une idéologie islamiste
Il y a en
gros deux forces qui s’affrontent pour prendre le contrôle de la
Libye : celle que dirige le général Khalifa Haftar, déterminé à éradiquer les islamistes et à préserver
l’intégrité territoriale de la Libye et celle qui obéit au Frère musulman Ali
Salabi et à l’ancien membre d’Al-Qaïda Abdelhakim Belhadj, tous les deux
soutenus par le Qatar et qui ne comptent pas renoncer au butin de guerre qu’ils
se sont accaparés après la chute du régime de Kadhafi. Pour le général Haftar, l’élection de Donald Trump est
évidemment une excellente nouvelle. Aux yeux de Belhadj et de Salabi, et
pour des raisons évidentes, cette élection est catastrophique
RT France : Avez-vous l’impression que le nouvelle administration va
consacrer plus d’attention aux pays de la région ?
M.
H. : Je ne le pense pas, même si la
nouvelle administration américaine ne va pas se désengager rapidement et
totalement du Maghreb, ni même d’ailleurs du Proche-Orient en général. Comme il
l’a déclaré plusieurs fois, avant et après son investiture, Donald Trump va se
consacrer d’abord aux réformes structurelles et urgentes dans son propre pays
que la gouvernance Obama a laissé quasiment exsangue tant
au niveau économique que social. Il gardera certainement un œil sur les zones
d’influence américaines sans pour autant y investir de l’argent, encore moins y
soutenir des régimes impliqués de près ou de loin avec une idéologie islamiste.
Isolationniste
comme il se définit lui-même, son interventionnisme ne sera plus unilatéral
mais multilatéral et dans tous les cas bilatéral, avec un partenaire
géopolitique et stratégique incontournable, la Russie, que Barack Hussein Obama et Hillary
Clinton ont essayé d’affaiblir sur la scène internationale. Donald Trump va
probablement couper les vivres à la multitude de médias et d’ONG américaines,
européennes et arabes qui sont financées par le Trésor américain pour « implanter
la démocratie » en terre arabo-musulmanes, autrement dit, pour faire imploser les États-nations,
mettre la main sur leurs richesses naturelles et y placer au pouvoir leurs
suppôts islamistes.
RT France : Est-ce que la politique des pays du Maghreb à l’égard de la
nouvelle administration sera coordonnée ou leurs politiques seront-elles
totalement différentes ?
M.
H. : Là aussi cela dépendra du pays en
question. En attendant de rétablir sa souveraineté totale et de préserver son
intégrité territoriale, la Libye compte bien sur une alliance russo-américaine
pour nettoyer ses territoires des mercenaires islamistes locaux ou étrangers.
Cette opération a de toute façon déjà commencé avec un Haftar soutenu par les
présidents Abdelfattah Al-Sissi [Egypte] et Vladimir Poutine [Russie].
Logiquement, les Américains n’ont d’autre choix que de s’y joindre et l’on peut
s’attendre donc à une prise de contact rapide entre Donald Trump et le général
Khalifa Haftar.
Pour le Maroc et l’Algérie, c’est plutôt la politique
intérieure à l’égard des islamistes qui va changer substantiellement, maintenant que l’épée de Damoclès
obamienne ne pèse plus sur eux et que les islamistes ont perdu un parrain des
plus précieux. Par ailleurs, l’Algérie dispose d’un potentiel énergétique
suffisamment grand pour amener la nouvelle administration américaine à
instaurer et développer un partenariat économique qui n’a d’ailleurs jamais
cessé depuis qu'Abdelaziz Bouteflika est au pouvoir. De son côté, le Maroc va
pouvoir jouer la carte du vrai islam modéré pour séduire Donald Trump et servir
de contre-modèle au wahhabisme et au frérisme que le nouveau président américain
déteste.
En revanche, les choses seront un peu plus compliquées
pour le régime tunisien qu’on a présenté jusqu’à présent comme étant le seul
pays ayant «réussi» son printemps arabe et qu’Obama avait placé sous sa
protection. Au sein de
la mouvance islamiste tunisienne, c’est déjà la panique, notamment au sujet du
rôle discret mais hautement nuisible qu’elle a joué dans la guerre contre la
Syrie. Idem pour l’actuel
président Béji Caïd Essebsi qui, en 2011, en tant que Premier ministre et sous
injonction française et américaine, a joué un rôle crucial dans la déstabilisation de la Libye.
Là
où le régime tunisien va devoir rendre des comptes, c’est surtout à propos des
milliers de terroristes qu’il a expédiés en Syrie pour y faire le djihad et pour répondre aux exigences du
Qatar et de l’Arabie saoudite. Rendre des comptes, c’est d’autant plus
inévitable que Donald Trump a l’intention de faire toute la lumière sur la
guerre par procuration dont a été victime la Syrie. Outre la Tunisie, c’est l’Arabie saoudite, le Qatar et
la Turquie qui figurent sur le banc des accusés et désormais dans le
collimateur américain.
Les
opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait
de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.
Mezri Haddad
est l'ancien
ambassadeur de la Tunisie auprès de l'UNESCO, docteur en philosophie morale et
politique à la Sorbonne, auteur de plusieurs essais sur le monde arabe, la
réforme de l'islam et le dialogue des civilisations, ainsi qu'auteur du
livre La Face cachée de la révolution tunisienne. Islamisme et Occident :
une alliance à haut risque. Il préside le think tank Centre international de
géopolitique et de prospective analytique (CIGPA)
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