Face à un discours politique de plus en plus musclé, la majorité des Tunisiens estiment que la corruption ne cesse de perdre du terrain ces jours-ci. Mais attention, le chemin est long et le combat est difficile.
«A voir comment et combien de grosses têtes se sont retrouvées récemment derrière les barreaux, je peux dire que la Tunisie est en passe de vaincre cette gangrène appelée corruption», nous confie Rafaa Souileh, expert en économie qui avertit «contre tout relâchement dans ce combat que les sages et les patriotes, les vrais, doivent ériger en cause nationale, étant donné son impact extrêmement important, tant sur l’économie du pays que sur sa crédibilité aux yeux de ses fournisseurs et investisseurs étrangers». Loin d’être abusivement optimistes, nous considérons que ces propos d’un connaisseur sont confortés par deux facteurs principaux.
Primo, selon le dernier rapport de «Transparency international» sur l’indice de perception de la corruption pour l’année 2023, la Tunisie a totalisé 40 points (sur 100), soit le même score de 2022, mais meilleur que celui de 2015 (38 points). Toujours d’après ledit rapport, la Tunisie arrive à la 87e place (sur 180), effaçant ses mauvais scores du passé, et faisant ainsi beaucoup mieux que des pays arabes, tels que le Maroc (97e), l’Algérie (104e) l’Égypte (108e) ou encore la Mauritanie (130e). Une belle performance au regard de l’immense fardeau hérité des décennies marquées par le règne sans partage des mafias, c’est le cas de le dire, qui ont la mainmise sur la plupart des secteurs d’activité.
Des puissants qu’on croyait intouchables sont en train de tomber
Secundo, la lutte contre la corruption est devenue, ces dernières années, une superbe machine à marquer des points, celle-là même qui, par on ne sait quelle baguette magique, ne cesse de faire tomber, les uns après les autres, et à rythme soutenu, des puissants qu’on croyait intouchables. Rien que pour le mois courant, le juge d’instruction près le Pjef (Pôle judiciaire économique et financier) a émis des mandats de dépôt pour suspicion de corruption contre trois cadres d’une grande banque de la place. Pour le même motif, ont été arrêtés trois responsables d’une institution également étatique basée à La Manouba. Auparavant, de gros poissons ont été à leur tour rattrapés.
Au moment même où 62 mille cartes de soins gratuites ont été retirées à des bénéficiaires illégitimes qui ont été mis en examen, tout comme les principaux suspects dans cette affaire qui avait défrayé la chronique dans les régions de Zaghouan, Ben Arous, La Manouba et l’Ariana.
Ce n’est là qu’une goutte dans un océan, car dans la foulée de cette sensationnelle opération «mani pulite» (mains propres), de nombreux dossiers de corruption que beaucoup ont peut-être oubliés, ont été récemment dépoussiérés pour prendre dare-dare le chemin des bureaux des juges d’instruction. Selon des sources sécuritaires, «il s’agit d’importantes affaires de corruption, les délits de faux et usage de faux côtoient ceux des pots-de-vin, de l’évasion fiscale, de l’enrichissement illicite, de trucage de concours de recrutement, etc. Les mêmes sources rapportent que de hauts cadres relevant de ministères et d’entreprises publiques y sont impliqués et que le butin global de ces pratiques est estimé à des milliards de nos millimes.
Des avocats habitués aux tribunaux évoquent «un record en nombre d’affaires liées à la corruption», tout en n’écartant pas» l’hypothèse de voir ce record battu dans les mois à venir.
Le temps de l’impunité est révolu
Record ? Nous lui préférons le terme «tsunami» qui sied le mieux à ce sujet. Un tsunami qui, par son ampleur et les ravages qu’il a causés, continue d’avoir le vent en poupe, depuis son déclenchement par le Chef de l’Etat qui a fait de la lutte contre ce phénomène son cheval de bataille. En effet, l’autre jour, lors de l’audience qu’il a accordée au chef du gouvernement, n’a-t-il pas fait valoir «la guerre sans merci menée aujourd’hui contre les corrompus qui ont réussi à noyauter l’appareil d’Etat», se disant «fermement résolu à traquer la corruption où qu’elle se trouve», promettant d’assainir le pays et appelant à «l’accélération de l’examen des affaires de corruption qui traînent dans les bureaux des palais de justice».
Le message, maintes fois réitéré, est donc clair et net : les corrompus, quelles que soient leur puissance et l’ampleur de leurs manœuvres, seront attrapés et sanctionnés. Le temps de l’impunité est révolu.
Rien à voir, en tout cas, avec la fameuse campagne d’assainissement lancée le 23 mai 2017 par le gouvernement Chahed et qui s’est avérée, au bout du compte, un pétard mouillé, de courte durée, ne visant spécialement que de gros bonnets de la corruption tels que Chafik Jerraya, Nejib Ben Ismail, Yassine Chennoufi et Ridha Ayari et… puis c’est le néant ! On serait plutôt tenté de parler règlements de comptes que de véritables opérations d’assainissement.
Par le passé et tout au long des longs règnes de Bourguiba et de Ben Ali, dont les cercles proches et influents ont bénéficié de laxisme, mais aussi de complaisance. Résultat, la corruption a été banalisée et certains, mal lotis, insuffisamment protégés, ont dû payer pour les autres.
Il n’est plus aisé de trouver un piston pour obtenir un passe-droit
Aujourd’hui, le décor est planté : qui s’y frotte s’y pique. La majorité des Tunisiens le disent. «Désormais, il n’est plus aisé de trouver un piston pour vous régulariser une situation», ou plutôt pour obtenir un passe-droit, assure Hatem Slimani, préposé de guichet dans une municipalité de la banlieue nord, qui affirme que «le discours de plus en plus musclé du Président de la République sur la corruption a fini par faire peur et dissuader tous ceux qui pensent encore se prêter à ce jeu et pouvoir en tirer profit».
Pour Fahima Riahi, banquière, «c’est, je crois, le début de la fin d’un phénomène qui avait longtemps gangréné la société, et qui nous a fait tant souffrir, au point que même pour un petit service, ou vous versez la sacro-sainte commission, ou vous rentrez bredouille». Et notre interlocutrice de lancer cet émouvant appel: «De grâce, aidons l’Etat, luttons ensemble contre ces pros de la corruption, et si par exemple, un policier vous arrête pour une infraction routière, soyez courageux et ne lui donnez rien..»
Pour sa part, un maître-assistant universitaire nous renvoie à une étude réalisée en 2021 par l’Association tunisienne des contrôleurs publics qui a révélé que «plus de 500 millions de dinars ont été distribués en pots-de-vin, d’où la nécessité de soutenir l’action courageuse de l’Etat face à cet épineux problème qui plombe l’économie du pays». Dans la foulée, la Tunisie est aujourd’hui parmi les 190 pays qui se sont engagés à mettre en œuvre la convention de l’ONU sur la corruption, qui incite à l’élaboration de mécanismes durables au sein des ministères, à l’autonomisation de la lutte contre ce fléau et au renforcement des lois réglementant le droit de dénonciation et le droit d’accès à l’information. Les bases sont jetées, pour entamer avec optimisme cette année 2024 sous les meilleurs auspices.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Les commentaires hors sujet, ou comportant des attaques personnelles ou des insultes seront supprimés. Les auteurs des écrits publiés en sont les seuls responsables. Leur contenu n'engage pas la responsabilité de ce blog ou de Hannibal Genséric.