Le Comité des chefs d’états-majors du
Pentagone a indirectement fourni à l’armée syrienne de l’information
concernant les terroristes islamistes, de peur que la volonté de l’administration
Obama à destituer Bachar el-Assad ne crée le chaos en Syrie.
Une nouvelle enquête de la London Review of Books
par le journaliste renommé Seymour M. Hersh dévoile la scission entre
les généraux et les hommes politiques américains au sein de la Maison
blanche en ce qui concerne l’approche aux extrémistes islamistes en
Syrie et en Irak.
Il semble que le Comité des chefs d’Etats-majors du Pentagone (CCE)
ne partage pas l’enthousiasme de Barack Obama quant au concept de départ
obligatoire d’Assad, en choisissant d’aider Damas en matière de
renseignement concernant les djihadistes. Cela est cependant fait de
façon indirecte, a confié à Hersh un ancien conseiller au Comité, sous
couvert d’anonymat.
À retenir
Au cours des derniers mois, la Rand Corporation (principal think-tank du complexe militaro-industriel), l’ancien directeur de la Defense Intelligence Agency Michael T. Flynn, l’ancien président du Comité des chefs d’état-major Martin Dempsey, et l’ancien secrétaire à la Défense Chuck Hagel ont mis en cause les contradictions et les hésitations de la Maison-Blanche.
L’intelligentsia militaire US conteste la politique héritée de l’ère Bush de confrontation avec la Russie. Elle demande une collaboration en Syrie et en Ukraine aussi bien qu’une reprise en main des alliés que sont sensés être la Turquie, l’Arabie saoudite et le Qatar.
Pour les officiers supérieurs US (1) il faut soutenir le président el-Assad qui doit vaincre et rester au pouvoir ; (2) il faut agir avec la Russie contre Daesh ; (3) il faut sanctionner la Turquie qui ne se comporte pas en allié, mais en ennemi ; (4) enfin il faut arrêter d’imaginer qu’il existerait des rebelles syriens modérés et de se cacher derrière ce fantasme pour laisser la CIA soutenir les terroristes.
À retenir
Au cours des derniers mois, la Rand Corporation (principal think-tank du complexe militaro-industriel), l’ancien directeur de la Defense Intelligence Agency Michael T. Flynn, l’ancien président du Comité des chefs d’état-major Martin Dempsey, et l’ancien secrétaire à la Défense Chuck Hagel ont mis en cause les contradictions et les hésitations de la Maison-Blanche.
L’intelligentsia militaire US conteste la politique héritée de l’ère Bush de confrontation avec la Russie. Elle demande une collaboration en Syrie et en Ukraine aussi bien qu’une reprise en main des alliés que sont sensés être la Turquie, l’Arabie saoudite et le Qatar.
Pour les officiers supérieurs US (1) il faut soutenir le président el-Assad qui doit vaincre et rester au pouvoir ; (2) il faut agir avec la Russie contre Daesh ; (3) il faut sanctionner la Turquie qui ne se comporte pas en allié, mais en ennemi ; (4) enfin il faut arrêter d’imaginer qu’il existerait des rebelles syriens modérés et de se cacher derrière ce fantasme pour laisser la CIA soutenir les terroristes.
En été 2013, un rapport classifié préparé par l’Agence du
renseignement de la défense (DIA) et le CCE soulignait que la
destitution du président Assad créerait le chaos dans le pays, le
rendant facile à conquérir pour les terroristes.
A ce moment, la CIA livrait depuis un an de l’armement en Syrie via
la Turquie depuis ses dépôts situés en Libye. Cette pratique a été mise
en place peu de temps après l’assassinat du leader libyen Mouammar
Kadhafi, écrit Hersh.
Les armes ont été distribuées à tout groupe luttant contre l’armée
d’Assad, y compris au Front al-Nosra et à l’Etat islamique. Les rebelles
dits «modérés» se sont «évaporés et l’Armée syrienne libre était un
groupe minoritaire stationné dans une base aérienne en Turquie», a
révélé la source au journaliste, en ajoutant que les estimations des
militaires américains étaient réalistes : l’opposition modérée à Assad
est un mythe est les Etats-Unis armaient en réalité les extrémistes.
L’ancien chef de la DIA Michael Flynn s’est rappelé que le rapport a
été «fortement repoussé» par l’administration Obama, qui «ne voulait pas
entendre la vérité». «Si l’opinion américaine voyait les données que
nous produisons jour après jour, elle serait pour le moins extrêmement
fâché», a dit Flynn.
«Le CCE a réalisé à son tour qu’Assad ne devait pas être remplacé par
les fondamentalistes», a encore raconté un ancien conseiller du comité à
Hersh.
Dans ces circonstances, les militaires américains ont compris que
défier directement la politique d’Obama était voué à l’échec, le
président du CCE Martin Dempsey aurait donc décidé de s’opposer aux
extrémistes sans utiliser «les canaux politiques».
Afin de combattre l’ennemi commun qu’est le Front al-Nosra et l’Etat
islamique, le renseignement américain a fourni des informations aux
militaires de partis tiers, tels l’Allemagne, Israël et la Russie.
«Il était clair qu’Assad avait besoin du meilleur renseignement
tactique et avis d'ordre opérationnel», a révélé le conseiller anonyme à
Hersh, en notant qu’«Obama ne le savait pas, mais Obama n’est pas au
courant de tout ce que fait le CCE, ce qui a été le cas pour tous les
présidents».
Le conseiller a souligné qu’il n’y avait pas de contact direct entre les militaires américains et syriens.
«C’était une affaire de militaire à militaire, pas une sorte de
complot sinistre des généraux pour contourner Obama et soutenir Assad», a
remarqué la source. «Si Assad reste au pouvoir, c’est parce qu’il est
assez intelligent pour utiliser le renseignement et le conseil
opérationnel que nous avons fourni aux autres».
Les services de renseignement syriens sachant parfaitement ce qu’il
se passe, l’ambassade américaine à Damas a dépensé des millions de
dollars sur une période prolongée pour financer les dissidents cherchant
à déstabiliser le pays. Ce travail de sape ont eu lieu alors que le
président Bachar el-Assad essayait d’établir des relations amicales avec
Washington.
Suite à l’attaque du 11 septembre, «Bachar nous a pendant des années
été très utile alors que, à mon avis, nous manquions de bienveillance en
retour, et n’avons pas su bien utiliser tout l’or qu’il nous a donné»,
selon un ancien consultant au renseignement américain qui a parlé à
Hersh.
Vers 2002, Assad a livré de gros volumes d’information concernant les
activités des Frères musulmans en Syrie et Allemagne. Cette même année,
le renseignement syrien a déjoué une attaque d’Al-Qaïda sur les
quartiers généraux de la flotte américaine à Bahreïn.
Hersh affirme qu’à cette époque la prison de Damas était utilisée
pour torturer les personnes soupçonnées de terrorisme détenues par la
CIA, comme cela a été le cas dans d’autres pays qui faisaient partie du
programme secret de détention illégale.
Cependant, en dépit du généreux soutien d’Assad, l’attitude de la
Maison blanche envers le leader syrien reste la même : largement
négative.
Le journaliste américain suggère qu’en échange du marché du
renseignement avec le comité militaire américain, Damas devait accepter
quatre conditions : ne pas laisser le Hezbollah attaquer
Israël, renouveler le dialogue avec Israël concernant le plateau du
Golan, accepter «les conseillers militaires russes et autres» et
promettre de tenir une élection ouverte à la fin de la guerre.
Une source à Moscou a rapporté à Hersh que les Israéliens auraient
refusé de discuter le problème du plateau du Golan, en prétendant que
«Assad est fini».
Seymour M. Hersh estime que le succès militaire américain dans la
fourniture de renseignements de qualité à Damas et l’affaiblissement du
potentiel des terroristes en livrant de l’armement obsolète en
provenance de dépôts turcs à travers les itinéraires de la CIA, ont été
compromis par les actions de l’Arabie saoudite, du Qatar et de la
Turquie. Ces pays ont armé les extrémistes islamistes avec des armements
modernes, ce qui leur a donné l’avantage contre l’armée gouvernementale
syrienne et a abouti à d’importants revers en 2013.
Alors que les Saoudiens seraient restés ouverts à des négociations,
le gouvernement turc et le président Recep Tayyip Erdogan jouaient un
autre jeu.
Après avoir soutenu le Front al-Nosra pendant des années, le
gouvernement turc «fait maintenant la même chose avec l’Etat islamique»
afin de perturber l’équilibre du Moyen-Orient, d’après un conseiller du
CCE.
Le gouvernement turc a refusé d’interrompre l’afflux de djihadistes
étrangers passant à travers la Turquie parce que le président Erdogan
«voit grand, jusqu’à la restauration de l’Empire ottoman, et il ne s’est
pas rendu compte des limites de son succès dans cette entreprise».