mercredi 23 juillet 2025

L’Empire Américain peine à mobiliser la piétaille occidentale contre la Russie (Emmanuel Todd)

En avril dernier, interrogé par une chaîne de télévision russe sur la russophobie occidentale, j’avais eu une illumination. J’avais à peu près répondu : cela va vous être désagréable d’entendre ça, mais notre russophobie n’a aucun rapport avec vous. C’est un fantasme, une pathologie des sociétés occidentales, un besoin endogène d’imaginer un monstre russe.

Pour la première fois à Moscou depuis 1993, je vivais un choc de normalité. Mes indicateurs habituels – mortalité infantile, suicide et homicide – m’avaient montré, sans bouger de Paris, que la Russie était sauvée, après sa crise de sortie du communisme. Mais Moscou normale à ce point, c’était au-delà de tout ce que j’avais conçu. J’ai eu sur place l’intuition que la russophobie était une maladie.

Cette intuition résout toutes sortes de questions. Je m’obstinais, par exemple, à rechercher dans l’histoire les racines de la russophobie anglaise, la plus obstinée de toutes. L’affrontement des empires britanniques et russe au dix-neuvième siècle semblait justifier une telle approche. Mais quand même, durant les deux guerres mondiales, la Grande-Bretagne et Russie furent alliées, et elles se durent mutuellement leur survie durant la seconde. Alors, pourquoi tant de haine ? L’hypothèse géopsychiatrique nous donne une solution. La société anglaise est la plus russophobe, tout simplement parce qu’elle est la plus malade d’Europe. Acteur majeur et victime première de l’ultralibéralisme, l’Angleterre n’en finit pas de produire des symptômes graves: effondrement universitaire et hospitalier, sous-alimentation des vieux, sans oublier Liz Truss, la plus brève et la plus folle des premiers ministres britanniques, hallucination fulgurante au pays de Disraeli, Gladstone et Churchill. Qui aurait osé une chute des recettes fiscales sans la sécurité d’une monnaie, non pas seulement nationale, mais impériale, monnaie de réserve du monde ? Trump aussi fait n’importe quoi avec son budget mais il ne menace pas le dollar. Dans l’immédiat.

En quelques jours, Truss avait détrôné Macron au hit-parade de l’absurdité occidentale. J’avoue attendre beaucoup de Friedrich Merz, dont le potentiel belliciste antirusse menace l’Allemagne de beaucoup plus qu’un effondrement monétaire. La destruction des ponts du Rhin par des missiles oreshnik ? Malgré la protection nucléaire française ? En Europe, c’est carnaval tous les jours.

La France va de plus en plus mal, avec son système politique bloqué, son système économique et social à crédit, sa hausse de mortalité infantile. Nous coulons. Et hop, poussée russophobe. Macron, le chef d’état-major des armées et le patron de la DGSE viennent d’entonner en cœur la chanson. La France, ennemi numéro 1 de la Russie. On croit rêver. Notre insignifiance militaire et industrielle fait de la France le cadet des soucis de la Russie, suffisamment occupée par son affrontement planétaire avec les États-Unis.

Cette dernière absurdité macronienne rend le recours à la géopsychiatrie indispensable. Un diagnostic d’érotomanie est inévitable. L’érotomanie, c’est cette affection, plutôt féminine mais non exclusivement, qui conduit le sujet à se penser universellement désiré sexuellement et menacé d’une pénétration par, mettons, tous les mâles environnants. La pénétration russe donc, menace…

Je dois avouer ma lassitude à taper sur Macron (d’autres s’en chargent désormais, malgré la servilité journalistique générale). Heureusement pour moi, nous avions été préparés au discours de 14 juillet du Président par du neuf, les interventions de deux petits soldats du régime, Thierry Burkhard (chef d’Etat-major des armées) et Nicolas Lerner (patron de la DGSE). Je ne suis pas constitutionnaliste et ne sais s’il est de bon augure pour la démocratie que des gérants du monopole de la violence « légitime » de l’État se répandent sur les ondes, en conférence de presse (Burkhard) ou en divagations angoissées sur la chaîne LCI (Lerner) pour y définir en avant-première la politique extérieure de la France.

Reste que l’expression publique et libre de leur parole russophobe est un trésor pour le géopsychiatre. J’en ai tiré deux enseignements essentiels sur l’état d’esprit des classes dirigeantes françaises (ces interventions ont été reçues comme normales par la majorité du monde politico-journaliste et nous parlent donc de la classe qui nous guide)

Écoutons d’abord Burkhard. Je reprends la transcription du Figaro avec ses évidentes imperfections. Je ne touche à rien. Comment notre chef d’État-major définit-il la Russie et les Russes? « C’est aussi par sa capacité de sa population à durer, voir à endurer, même si la situation est compliquée. Là aussi, historiquement et culturellement, c’est un peuple qui est capable d’endurer des choses qui nous semblent d’ailleurs complètement inimaginables. C’est un aspect important pour la résistance et à la capacité à soutenir l’État »Je traduis : le patriotisme russe est pour notre militaire inimaginable. Ce n’est pas de la Russie qu’il nous parle, c’est de lui et des siens. Il ne sait pas, ils ne savent pas, ce qu’est le patriotisme. Grâce au fantasme russe, nous découvrons pourquoi la France a perdu son indépendance, pourquoi, intégrée dans l’OTAN, elle est devenue un proxy des Etats-Unis. Nos chefs n’aiment plus leur pays. Réarmer, pour eux, ce n’est pas pour la sécurité de la France, c’est pour servir un empire en décomposition qui, après avoir jeté les Ukrainiens puis les Israéliens à l’assaut du monde des nations souveraines, s’apprête à mobiliser les Européens pour continuer de semer le désordre en Eurasie. La France est loin du front. Notre mission de proxy, si l’Allemagne est un Hezbollah, sera d’être les Houthis de l’Empire.

Passons à Nicolas Lerner s’étalant sur LCI. Cet homme semble en grande détresse intellectuelle. Décrire la Russie comme une menace existentielle pour la France… Avec une population qui diminue, déjà trop petite pour ses 17 millions de kilomètres carrés. Seul un malade des nerfs peut croire que Poutine veut pénétrer la France. La Russie de Vladivostok à Brest? Reste que dans sa détresse, Lerner est utile pour comprendre la mentalité des gens qui nous mènent à l’abîme. Il voit la Russie impériale là où elle est nationale, viscéralement attaché à sa souveraineté. La Nouvelle Russie, entre Odessa et le Donbass, c’est tout bêtement l’Alsace-Lorraine des Russes. Aurait-on décrit la France de 1914, prête à se battre pour résister à l’Empire allemand et reprendre ses provinces perdues comme impériale? Burkhard ne comprend pas le patriotisme, Lerner ne comprend pas la nation.

Une menace existentielle pour la France ? Oui bien sûr, ils la sentent, ils ont raison, ils la cherchent en Russie. Mais c’est en eux-mêmes qu’ils devraient la chercher. Elle est double. Menace n°1 : nos élites n’aiment plus leur pays. Menace n°2 : ils le mettent au service d’une puissance étrangère, les États-Unis d’Amérique, sans jamais tenir compte de nos intérêts nationaux.

C’est quand ils parlent de la Russie que les dirigeants français, britanniques, allemands ou suédois nous disent qui ils sont. La russophobie est certes une pathologie. Mais La Russie est surtout devenue un formidable test projectif. Son image est semblable aux planches du test de Rorschach. Le sujet décrit au psychiatre ce qu’il voit dans des formes à la fois aléatoires et symétrisées. Il projette ainsi des éléments cachés de sa personnalité. La Russie est notre Rorschach.

Par Emmanuel Todd 

11 commentaires:

  1. Il se fait trop de nœuds au cerveau ce Todd, et élude (volontairement ou pas) l'aspect judéo centriste qui à dominé la politique Anglo Saxonne et à toujours fait de l'Angleterre l'ennemi de tous, et de tous les empires, qu'ils soient Espagnol Français Prussien Austro hongrois etc...

    Et ce au principe d'équilibre des forces en Europe pour préserver sa position et favoriser son commerce...
    Diviser ou amoindrir les puissances pour mieux conserver son indépendance et son statut ...

    Étant sur une île de merde cela leur aura aussi toujours facilité la tâche, comme pour leurs cousins US...

    Eux même d'ailleurs plus proches du Germain que de l'Anglo Saxon ...
    C'est en quelque sorte la politique du "containment" ou chacun doit éviter de trop déborder sur l'autre...

    Vous imaginez un peu la Russie en lien direct avec Berlin et Paris et disposant de leviers commerciaux importants traversant toute l'Europe avec du gaz Nord stream, du pétrole raffiné (1er producteur de diesel) de l'uranium, des engrais et j'en passe...
    et disposant des infrastructures pour les produire et de ressources immenses....
    Une catastrophe pour l'axe Londres Washington...
    Donc la survie de leur rapine dépend de leur capacité à baiser tout le monde et à disposer des bon leviers et éléments clé grâce à de malicieux écrans de fumée...

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    1. Complètement d’accord, le démantèlement de l’empire Khazar par la Russie est la source de cette haine. Leur pouvoir monétaire a fait le reste.

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    2. Jeteriez-vous le bébé avec l'eau du bain? Todd met surtout l'accent sur la perte du sentiment national ou patriotisme dans les hautes sphères. Ne faîtes pas de hors sujet. Les juifs ont leur part dans ce sinistre désastre mais on peut décrire les effets sans faute ni erreur. Vous avez raison mais ce brave fils ou petit fils de rabbin parle tout de même très bien de la déliquescence française et de la morbidité anglaise.

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  2. 1 normal que les ânes appelés élites, n'aiment pas leur pays, ils ont été entraînés par les ashkénazes venus du nord.
    2 c'est un pur mensonge véhiculé par la grande majorité des journalistes européens : la guerre d'Ukraine ne nous concerne absolument pas et a très peu d'incidence direct sur nos vies. C'est une guerre attrape couillons pour détourner l'attention de ce qui se passent en Europe.
    Ce qui nous concerne en premier chef :
    3 le génocide initié par la période covid continue par des voies détournées, par la vaccination arnm des bovins qui finissent dans vos assiettes et vous contaminent et au vu de ce qui tombe du ciel, rendant les bovidés malades, la vaccination criminelle va battre son plein.
    https://m.youtube.com/watch?v=7CYpd3hktIs&list=LL&index=16&pp=gAQBiAQB
    4 le pillage bancaire organisé.
    5 le démantèlement complet des entreprises et du savoir faire européen.
    6 les attaques incessantes contre les PME, orchestrées par les apparatchiks de Bruxelles.
    7 les attaques climatiques incessantes fragilisant le secteur primaire vitale.
    8 le délitement de l'enseignement .
    9 un coût de la vie en hausse étranglant les familles, tuant l'avenir des classes populaires, dans les années 60 le loyer représentait 1/6 du salaire, maintenant c'est 1/3.
    10 disparition de la justice engendrée par une classe politique prédatrice.
    ... et on peut continuer la liste.

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    1. Vous avez le droit de ne pas apprécier le publications de monsieur TODD;
      Pour autant, Emmanuel Todd a publié un livre intitulé "La Défaite de l’Occident." Chacun de ses ouvrages est un événement du fait de l’originalité de ses conceptions et du crédit qu’on lui accorde d’avoir prédit la fin de l’URSS quinze ans avant qu’elle ne se produise, mais ceci toutefois après Andréï Amalrik en 1970 dans L’Union soviétique survivra-t-elle en 1984 ?
      L'avez-vous lu ? Ce livre de Todd est victime de ce qu’on peut appeler des anathèmes (« affligeant », « propagande« , « poutinophilie », « complaisance envers l’actuel régime russe »). Les anathèmes, voire les insultes, ne contribuent en rien à la réflexion, puisque leur but est justement de la tuer : que reste-t-il à discuter puisque l’autre est déconsidéré, rejeté, voire nié dans sa compétence ? En sciences, un chercheur s’interdit normalement de tels procédés même si, en politique, ils sont d’une grande banalité.
      Pensez-Y, pour vous-mêmes et les autres.
      De fait, chacun des livres de Todd donne lieu à débats et polémiques. Ainsi, Qui est Charlie ? a pu être critiqué, que ce soit sur ses bases théoriques ou sa méthodologie statistique. Dans les deux cas cités, il s’agit de critiques sévères mais constructives, comme on s’y attend dans un débat d’idées. Dans la même démarche, on ne cherche pas ici à faire un résumé du livre ou une analyse précise de toutes ses thèses, mais à voir ce que peut apporter le livre de Todd, en ne faisant aucune impasse sur ses faiblesses, et donc en pointant les critiques que l’on peut faire du point de vue théorique et des données auxquelles Todd fait appel, ceci sans céder à la toutologie qui ferait dire n’importe quoi sur un sujet non maîtrisé.

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  3. SI......On demandait l'avis de cette piétaille........ AVANT de déclencher les guerres: AUCUNE ne serait entamée !
    Les PEUPLES détestent les Guerres CAR ce sont EUX et leurs ENFANTS qui les font! Les Banquiers,financiers,industriels et politiques ADORENT ces guerres!

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    1. Oh vous savez? Quand le chat est parti les souris miaulent... pas de classe gentille, jamais.

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  4. Dès le début Mr TODD (comme à son habitude) met les points là ou çà fais mal
    Son argument sur les critères de 1993 que la Russie sauvée. "Mes indicateurs habituels – mortalité infantile, suicide et homicide – m’avaient montré, sans bouger de Paris, que la Russie était sauvée"
    Ce qui doit nous inquiétez gravemment, nous les Occidentaux.
    Puisque chez nous; çà ce passe exactement et totalement en inversé.
    Comme la nature à horreur du vide
    Et les fameux vases inversés

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  5. Hélas...NON !!!! L' alcool et le chômage font des ravages:
    Intéressez vous aux statistiques russes, en matière de mortalité,natalité divorces,célibat,et leurs répartitions géographiques( PLUS on est PAUVRE...PLUS on "TRINQUE") etc....Les petites républiques marginales musulmanes sont relativement épargnées par le fléau de la vodka:
    Si par "CHEZ NOUS" vous parlez de la France,sachez alors que cette France a les statistiques parmi les plus basses d'Occident sur TOUS vos indicateurs.....( Pour l'alcool faites un tour en GB un samedi soir....)

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    1. Merci de bien vouloir nous donner les liens de vos sources de statistiques russes. Publiées par quels organismes ? A quelle date ? Vos affirmations semblent tordre le bras aux faits. Dès lors, fautes de sources, crédibles, vérifiables, elles n'engagent que vous et vos croyances.

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    2. Controverse sur vos affirmations personnelles.
      Le taux de mortalité par suicide en Russie serait en 2020 de 10,4 pour 100 000 habitants, moins qu’en France.
      Je reviens comme promis dans mon avant-dernier billet sur l’évolution des  décès à la suite d’un suicide en Russie, cette fois sur longue période. Elle est étonnante, avec une baisse de 61 886 en 1994, le niveau maximal qui ait été atteint, à 16 546 en 2020. Ce dernier chiffre est cité dans l’article de Demoscope weekly auquel je faisais référence, est aussi publié par le service fédéral des statistiques russe, Rosstat, ici, ligne 346. 
      Source : Médiapart, pas connu pour être Poutinolâtre, Article complet, avec liens et sources russes.
      https://blogs.mediapart.fr/daniel-ac-mathieu/blog/230921/russie-suicides-le-temps-des-records-est-passe

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