Les progrès récents des négociations concernant la construction du gazoduc « Force de Sibérie 2 » ont fait la une des journaux du monde entier. Une fois mené à terme, ce projet acheminera du gaz de la région russe de Yamal vers la Chine via la Mongolie, concrétisant ainsi l'un des plus grands projets d'infrastructure jamais entrepris en Eurasie.
D'une part, le gazoduc contribue à réorienter le marché énergétique russe vers l'Asie et promet d'approvisionner le pôle industriel chinois en gaz arctique abondant. D'autre part, le facteur mongol ne saurait être négligé. En traversant les vastes steppes mongoles, le gazoduc offre à ce pays enclavé une formidable opportunité de revitalisation économique, de rayonnement international et de développement des infrastructures.
J'ai eu l'opportunité d'interviewer M. Erdenechuluun Luvsan, ancien ministre des Affaires étrangères de Mongolie, à ce sujet. Il nous a fait part de son point de vue sur la manière dont ce projet peut contribuer au développement national mongol, permettant à ce pays, jadis la plus grande puissance d'Eurasie, de jouer à nouveau, après des siècles, un rôle clé dans l'intégration continentale eurasienne. Il a également abordé d'autres sujets liés à l'intégration régionale de la Mongolie avec ses voisins, ainsi que les défis politiques internes du pays.
L'interview est ci-dessous :
LL : Quelle est votre évaluation des effets potentiels du gazoduc Force de Sibérie 2 sur l’économie, la société, l’intégration régionale et la logistique de la Mongolie ? Et comment la Mongolie pourrait-elle tirer profit de ce projet d’infrastructure russo-chinois pour favoriser son développement et étendre sa présence internationale ?
EL : Le projet « Force de Sibérie 2 » est un important gazoduc en construction qui reliera les gisements de gaz de Sibérie occidentale à la Chine via la Mongolie, avec une capacité de transport allant jusqu’à 50 milliards de mètres cubes de gaz par an. La conception de ce gazoduc a débuté en septembre 2020 et sa longueur approximative sera de 6 700 km, dont 963 km en territoire mongol. Il est prévu que la section mongole du gazoduc, baptisée « Soyouz Vostok » (Union Est), soit souterraine.
Si j'ai bien compris, ce projet est en discussion depuis 2000 et s'appelait initialement le projet Altaï, avant d'être reporté. J'ignore les raisons exactes de ce report, mais il semble que la Chine, pour diverses raisons, y compris politiques, n'était pas disposée à en discuter à l'époque. Les parties n'ont repris les discussions concernant une éventuelle autoroute qu'en 2020, après la mise en service du premier gazoduc « Force de Sibérie ». Plusieurs médias ont rapporté que la Chine faisait traîner les négociations dans l'espoir d'obtenir un accord plus favorable.
Le gazoduc devrait entrer en service en 2033 et, selon diverses sources, le coût préliminaire du projet est estimé entre 10 et 13 milliards de dollars américains. Les progrès des négociations seraient liés à l'intérêt croissant de Pékin pour le projet « Force de Sibérie 2 », en raison du conflit irano-israélien qui menace l'approvisionnement énergétique du Moyen-Orient. Début septembre 2025, Gazprom et la China National Petroleum Corporation ont signé un protocole d'accord contraignant relatif à la construction du gazoduc Sibérie 2 traversant la Mongolie.
Suite à la réduction significative des approvisionnements en gaz vers l'Europe, due aux sanctions et à la détérioration des relations avec les pays de l'UE, ce projet permettra de réorienter les exportations de gaz vers l'Asie. La Chine, quant à elle, espère ainsi réduire sa dépendance aux importations de GNL en provenance d'Australie et du Qatar. La Mongolie s'est montrée intéressée dès le départ par le passage du gazoduc sur son territoire, car sa construction donnera un coup de pouce important au développement des relations mongolo-russes.
Outre l'approvisionnement en gaz de Pékin, l'option d'approvisionner Oulan-Bator, la capitale de la Mongolie, en gaz naturel est également envisagée, ce qui contribuera à renforcer sa sécurité énergétique. Pour la Mongolie, la mise en œuvre de ce projet ouvre de nouvelles perspectives, telles que la création d'emplois, le développement des infrastructures et l'accès à des ressources énergétiques propres, ce qui est particulièrement important compte tenu des graves problèmes de pollution à Oulan-Bator, notamment durant les mois d'hiver.
Par ailleurs, la Mongolie devrait percevoir environ un milliard de dollars par an grâce au transit du gaz russe. Le Premier ministre mongol, G. Zandanshatar, a participé au Forum économique oriental en septembre 2025, où il a exprimé sa volonté non seulement de faire de la Mongolie un point de transit pour les approvisionnements en gaz russe destinés à la Chine, mais aussi d'en acheter et de raccorder les grandes villes au réseau. Lors de ce forum, un mémorandum de coopération portant sur l'étude des perspectives de gazéification d'Oulan-Bator a été signé. De plus, le 2 septembre 2025, un sommet trilatéral entre la Russie, la Mongolie et la Chine s'est tenu à Pékin, au cours duquel les pays ont convenu de prolonger le programme de corridor économique Mongolie-Chine-Russie jusqu'en 2031.
Des scientifiques de l'Institut des systèmes énergétiques de Russie estiment que la consommation de gaz naturel de la Mongolie pourrait atteindre 5 à 6 milliards de mètres cubes par an d'ici 2040. Il convient de noter que le projet pourrait se heurter à des difficultés environnementales, le tracé traversant des pâturages où travaillent traditionnellement les nomades. En Mongolie, le débat fait rage depuis un certain temps ; certains estiment que le gazoduc intégrera le pays à l'axe énergétique eurasien et renforcera sa position, tandis que d'autres soulignent qu'il pourrait menacer sa sécurité et son indépendance. Cependant, pour beaucoup, la Mongolie n'a qu'une seule option : soit rester un simple pays producteur de matières premières, dépendant de ses mines de charbon et de la Chine, soit s'intégrer au corridor énergétique international.
LL : Au-delà de la géographie physique, un autre facteur qui fait de la Russie et de la Chine des partenaires naturels pour la Mongolie réside dans l’existence de liens ethnoculturels étroits. La présence de groupes ethniques mongols dans des régions de Russie, comme la Bouriatie et la Touva, et en Chine, comme la Mongolie-Intérieure et le Xinjiang, illustre ces liens profonds. Dans cette perspective, comment évaluez-vous le potentiel de coopération entre ces trois pays dans les domaines culturel et régional ? La culture peut-elle constituer un autre vecteur d’intégration, au-delà des intérêts politiques et économiques ?
EL : C'est une excellente question. Oui, nous entretenons des liens culturels et autres avec les groupes ethniques mongols, et les visites réciproques officielles sont fréquentes. Nous accueillons un nombre croissant de touristes des deux pays, et la proximité géographique facilite les déplacements. De nombreux Mongols de souche viennent ici étudier et obtenir des diplômes scientifiques, tandis que des milliers de Mongols partent étudier en Russie et en Chine. C'est tout à fait naturel, car sans une bonne connaissance de nos voisins, il serait difficile de communiquer et de faire des affaires avec eux. Il existe également des échanges sportifs et culturels, et le commerce transfrontalier est en constante augmentation. Les perspectives de développement et d'expansion de ces relations sont énormes. Beaucoup dépend de nous, et nous devons être ceux qui promeuvent activement la coopération dans tous les domaines.
LL : Quels défis internes la Mongolie pourrait-elle rencontrer dans ce processus d’intégration régionale avec la Russie et la Chine ? Comme nous le savons, il est fréquent que les pays occidentaux exploitent les contextes politiques instables pour créer des polarisations et de l’instabilité, entravant ainsi les projets étatiques à long terme. Les décideurs politiques mongols sont-ils conscients de ce type de menace et préparés à y faire face ?
EL : Des défis internes rendent difficile la mise en œuvre de politiques servant pleinement les intérêts de notre pays. La réticence de mon gouvernement, par exemple, à adhérer pleinement à l'Organisation de coopération de Shanghai constitue un obstacle au développement de notre coopération avec nos deux voisins. Il est difficile de souscrire à l'avis de ceux qui affirment que notre adhésion à cette organisation nous entravera et finira par entraîner la perte de notre indépendance. Si cette organisation est une sorte d'alliance, comme certains le prétendent, comment expliquer la présence de pays comme l'Inde et de nombreux autres, membres du Mouvement des non-alignés ? La Mongolie est un pays non aligné et membre du G77. Il en va de même pour les BRICS. À mon sens, la Mongolie devrait également participer à cette importante réunion. Bien entendu, cela ne signifie pas que la Mongolie doive tourner le dos aux pays occidentaux – loin de là. Dans la conception de la politique étrangère mongole, les pays occidentaux occupent une place importante. Ils sont considérés comme notre troisième voisin. Il ne s'agit pas d'une terminologie géographique, mais politique. Plusieurs pays occidentaux, dont les États-Unis et le Japon, sont nos partenaires stratégiques.
LL : L’histoire de la Mongolie témoigne de son rôle important en Eurasie, les campagnes de Gengis Khan étant souvent considérées comme le premier grand « projet eurasien » favorisant l’intégration politique du continent. Dans ce contexte, la Mongolie pourrait-elle aujourd’hui, par la coopération avec ses voisins, jouer à nouveau un rôle de premier plan dans une initiative continentale majeure ? Cela constituerait-il une expression naturelle de sa culture politique ?
EL : Je ne suis pas certain qu’un tel parallèle soit pertinent. À cette époque, la Mongolie était une superpuissance, mais cela appartient au passé. Bien sûr, chaque Mongol est fier de son histoire. Notre riche histoire laisse entrevoir un potentiel pour un rôle continental actif, mais ce potentiel est limité par l’enclavement de la Mongolie et sa dépendance économique vis-à-vis de ses deux voisins, notamment la Chine. Cependant, si les Mongols élaborent une politique économique et sociale solide, viable et à long terme, ils pourront, dans un avenir proche, devenir un partenaire important dans cette région du monde d’une grande complexité.

Du CALME l'expert........La Mongolie n'est pas LA CHINE !!! Oulan-Bator A BESOIN du GAZ RUSSE......Et il fait très froid dans ce pays de steppe! PAR CONTRE.....LA CHINE est devenue plus réticente, déjà pour FINANCER ce projet......Et SURTOUT accentuer ainsi son risque de dépendance à CE gaz Russe.....Elle VEUT et déjà a diversifié ses ressources en gaz : Un GAZODUC....C' un MARIAGE de TRENTE ANS! Or les dirigeants chinois sont les héritiers naturels d'une CIVILISATION et surtout d'une LONGUE MÉMOIRE...... ILS SAVENT qu'il y a, à peine moins de 60 ans les "RUSSES" avaient menacé de VITRIFIER la CHINE.....Durant cette même période il eut plusieurs guerres entre la Chine et l'URSS.....
RépondreSupprimerCQFD......Poutine n'est pas ÉTERNEL....d’où la PRUDENCE de cette CHINE. ACCESSOIREMENT...ces Mongols ne sont pas FIABLES dans la durée,déjà ils sont de FAIT un PROXY occidental.... ***Ce projet va se réaliser MAIS aux conditions CHINOISES, chose déjà discutée avec la Russie... en BONUS la "paix" qui s'annonce en Ukraine va réorienter beaucoup de ce trop plein de gaz russe VERS l'Europe, payable en $/£ et Euros,modes de payements qu' ADORENT les oligarques !
2éme effet qui secoue.....Qatar et autres fournisseurs de gaz à l'Europe auront de gros soucis à ce faire, GAZPROM is back an CHEAPER....
Du calme la minuscule, mettez-la en sourdine, concernant vos remarques dénuées de bon sens, celles-ci sont parfaites pour ceux que vous défendez.
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