En 1931, Georges Bernanos publie un pamphlet intitulé La Grande Peur des Bien-pensants qui retrace la vie, l'œuvre et l'époque d'Édouard Drumont (voir ici la liste des articles TOO traitant de Drumont) .
Il y brosse un tableau apocalyptique de la conquête de la France par les juifs et de l'éviction concomitante des chrétiens, avec, d'une part, le décret Crémieux [1] qui, en 1870, accorde automatiquement la nationalité française aux « Israélites indigènes » d'Algérie. (Adolphe Crémieux était lui-même juif), l'affaire Dreyfus, qui débuta en 1894, puis la création en 1898 de la LDH (Ligue des Droits de l'Homme), ces droits de l'homme s'opposant aux droits des Français — et même à Dieu, et avec, d'autre part, l'anti-catholique Expulsion des Congrégations en 1880, la loi du 7 juillet 1904, relative à la suppression de l'enseignement congréganiste, dite « loi Combes », et au milieu de tout cela, un pauvre petit journaliste, Édouard Drumont, qui ramait à contre-courant en publiant en 1886 une monumentale La France Juive, 1200 pages en deux volumes, qui cherchait à réveiller la France catholique, mais qui a été surpris par la trahison du Ralliement (le ralliement de l'Église en faveur du régime républicain naissant en France), prononcé en 1892 par le pape Léon XIII.
Le Méchant, le Factice, le Bon, l’Astucieux,
de gauche à droite, Léo Taxil (1854-1907) de son vrai nom Gabriel Jogand-Pagès, Luigi Rotelli (1833-1891) l'archevêque de Pharsale et nonce apostolique, Édouard Drumont , auteur de La France juive (1844-1917), Georges Bernanos (1888-1948) |
C'est dans ce contexte que l'épisode Léo Taxil devient emblématique du jeu de dupes du clergé romain avec les Juifs et la République en France. Le Ralliement dans son ensemble a été un pur suicide pour l'Église, et le Comte de Chambord a répondu à la politique de Léon XIII : « Je pensais que l'Église interdisait le suicide », mais avec Léo Taxil, nous verrons jusqu'où cette Église se compromettra.
Drumont va forcer une clarification des positions, et la publication de La France Juive est un franc succès, un coup qui se répercute au plus profond de la société française et provoque une réaction immédiate du grand rabbin du Consistoire central des Israélites de France, Zadoc-Kahn, qui envoya sa fameuse lettre au Temps, dont le ton faussement modéré suintait d'angoisse :
C'est déjà trop que, cent ans après la Révolution de 89, il puisse se produire dans nos réunions publiques de telles agitations contre toute une catégorie de citoyens aussi bons Français que n'importe qui d'autre. — « En tant que Juif, je souffre, en tant que Français, je rougis. — « La France ne serait plus la France, c'est-à-dire le pays des traditions libérales… » [Les lecteurs américains peuvent bien sûr remplacer « France » par « États-Unis » et « Français » par « Américain » si cela les aide à comprendre la phrase ]. Et aussitôt après, la conclusion perfide, le piège tendu, où les lâches aspirent déjà à tomber : « C'est ma conviction absolue qu'aucun membre du clergé catholique ou protestant, dont j'admire les vertus, dont l'élévation de cœur et patriotisme éclairé, voudrait souscrire à un langage qui n'est ni française, ni chrétienne, ni humaine ».
On se demande comment un ecclésiastique héritier de la tradition de saint Thomas d'Aquin a pu être dupe d'un tel étalage de politesse orientale, mais au moins ce Zadoc-Kahn est une sorte de grand prêtre, alors que Léo Taxil ne l'est pas. C'est un pornographe, un blasphémateur et un mystificateur qui, en 1887, « au nom du haut clergé », donne une conférence dénonçant la « guerre de religion » menée par les nationalistes (et notamment Édouard Drumont) contre les financiers juifs de son temps. Et c'est à cet aventurier peu scrupuleux que le nonce apostolique, Monseigneur Rotelli, remet sa carte de visite à la fin de la conférence, sans hésiter, et lui organise un rendez-vous privé avec le pape Léon XIII.
Pape Léon XIII 1810 – 1903
Dans les grandes lignes, quand tout est dit et fait et qu'on comprend la question posée dans le titre, on comprend la réponse de l'Église : l'antisémitisme est pire que la pornographie et le blasphème talmudique, les catholiques doivent se rallier et se soumettre, non seulement à la République, mais à la République juive.
Les lecteurs indulgents pourraient entrevoir la pensée de Bernanos et de Drumont dans ces extraits traduits de La Grande Peur des Bien-Pensant, le chapitre consacré à Léo Taxil, un Français anticlérical qui a concocté un canular dans lequel il prétendait être revenu à catholicisme dans le but d'exposer l'opposition de l'Église à la franc-maçonnerie. Gardez à l'esprit que ce que nous visons ici n'est pas tant une bonne traduction vers l'anglais que de faire connaître deux auteurs incontournables de l'autre côté de l’Atlantique : Édouard Drumont et Georges Bernanos, qui peuvent être très utiles aux Américains pour comprendre ce qui s'est passé dans leur propre pays au même moment.
Pourquoi donc? Car le propos de Bernanos et Drumont est au-delà de la guerre classique entre une République française anticléricale et l'Église. Le contexte a évolué entre 1789 et 1871 : les Juifs sont désormais de la partie, au sein de la République et au sein de l'Église, tout comme les néoconservateurs ont réussi à dominer les deux bords de la fracture politique aux États-Unis (voir « Le néoconservatisme comme mouvement juif »). On pourrait dire que Drumont et Bernanos voyaient le « Ralliement comme mouvement juif » et le pape Léon XIII comme le premier néoconservateur qui choisira de rencontrer Léo Taxil, pourtant pornographe et blasphémateur, plutôt qu'Édouard Drumont, catholique mais antisémite (et il faut noter que le « mais » est complètement nouveau, auparavant, on aurait écrit « et donc »).
Georges Bernanos, traduit de La grande peur des justes (1931), citations intérieures de Drumont
A cette époque, ils [les gens du clergé] lançaient sur l'irrespectueux catholique [Drumont], avec une naïveté inouïe, le plus hideux des écrivaillons, rejeté de tous, une sorte de sacristain de messe noire, se prétendant converti, et dont la puanteur dont seuls les bigots. étaient encore capables de supporter : Léo Taxil.
Une magnifique histoire ! Un certain nombre de braves gens qui ne se lassent jamais de rien, si terriblement bien intentionnés que, comme la courtisane de Juvénal — et pour réécrire cette phrase sauvage — aucun fromage ne les fera jamais vomir, prennent encore au sérieux, après quarante ans, un ou deux épisodes d'une imposture aussi simple, aussi sommaire qu'une escroquerie célèbre. Ancien séminariste, mi-pornographe, mi-chanteur, fournisseur de librairies spécialisées, puis lui-même libraire, fondateur d'une "Librairie anticléricale" où il publiait des pamphlets dits populaires, le délice des obsédés et des maniaques, il avait soudain annoncé son retour à Dieu, promettant en même temps, grâce à des révélations imminentes sur les secrets de la franc-maçonnerie à laquelle il avait appartenu, une abondante ration d'eau boueuse aux grenouilles dévotes. Des milliers de niais étaient avides d'apprendre les fameux rites secrets de la bouche de l'enfant prodigue, flairant sans doute les détails d'une merveilleuse obscénité, la terreur et le tourment de leur anxieuse chasteté. Du jour au lendemain, la Librairie anticléricale devient la Librairie antimaçonnique, triplant ou quadruplant sa clientèle. De plus, cet étrange enfant de chœur d'une quarantaine d'années s'était assuré, disait-on, la collaboration encore plus bizarre d'une mystérieuse sœur maçonnique [Diana Vaughan] qui avait autrefois atteint le dernier degré d'initiation, et qui était familière avec le culte démoniaque et était responsable d'un nombre incalculable d'assassinats politiques, exécuteur des décrets impitoyables de la secte, et qui, ayant miraculeusement échappé à la possession de son maître Satan et à la vengeance de ses complices, fut condamnée à mort, erra sous un faux nom de monastère en monastère, surveillé par les poignards des assassins. Sous le pseudonyme de Diana Vaughan, elle fait des révélations encore plus sensationnelles que celles de Taxil, avidement commentées par les journaux catholiques les plus sérieux, et qui remplissent tous les presbytères de France de visions et de cauchemars.
Ce prodigieux roman policier s'est terminé aussi brusquement qu'il avait commencé : par une pirouette. A la terreur des bons chanoines, menacé d'apoplexie, le néophyte [Taxil] inondé de bénédictions [néophyte au sens littéral = nouvellement baptisé], bourré de pieux bonbons comme le perroquet des dames de Nevers, tire tranquillement la langue à son nouveau public, et déclara qu'il s’était payé les têtes mitrées ; de plus, plus franc-maçon que jamais, n'ayant révélé les secrets de Polichinelle qu'à la curiosité bien pensante. Diana Vaughan n'avait jamais existé que dans son imagination de feuilleton télévisé : les prétendues révélations, les aveux, les pages qui avaient versé tant de larmes, étaient l'imposture grossière de ce proxénète vicieux, écrite sur le marbre d'une table de café, grasse de sirop de gomme et l'absinthe. De plus, même au sommet de sa ferveur, un trait inouï ! — le favori du public pieux n'avait même pas renoncé aux bénéfices de la Librairie anticléricale. Au grand étonnement de ses dupes, il avait laissé la direction de la librairie à Mme Léo Taxil, qui apportait fidèlement, chaque mois, les innombrables sous de la libre pensée, fraternellement mêlés aux sous cléricaux venus d'ailleurs. Aussi répugnante que soit cette histoire, elle vaut courageusement ravaler son ignominie et son humiliation : elle donne la mesure d'une certaine bassesse de cœur qui explique, sans justifier, hélas ! les corruptions de l'intelligence.
Mais en même temps que l'auteur de La France juive [Drumont] se présente modestement aux élections municipales, Léo Taxil reste le favori de la paroisse, publiant chaque jour des articles dans Le Petit Catholique et La France Chrétienne. Bien qu'il ait déjà donné quelques signes de l'antisémitisme naissant, il changea brusquement de front et dans un sermon retentissant stigmatisa pour la première fois, au « nom du haut clergé », ce qu'il appela impudemment la nouvelle guerre de religion, déclarant d'ailleurs que « les noms des Rothschild, des Pereire, des Cahen d'Anvers, des Hirsche, des Ephrussi et des Commondos étaient universellement estimés ».
Le « haut clergé » ne laissa pas longtemps sans réponse la mise en demeure brutale de l'aventurier : en toute fin de conférence — chose incroyable — le nonce apostolique [le cardinal Rotelli] fit déposer sa carte chez M. Léo Taxil. Un gage de faveurs encore plus grandes ! Un peu plus tard, il fut reçu en audience privée par Léon XIII, et en plus des bénédictions d'usage, il rapporta une interview plus ou moins fidèle mais savamment dosée.
On dira que l'épisode est mince. Cependant, cela vaut la peine de le répéter. Dans sa comédie, hélas ! un peu triviale — de si basse qualité, enfin, — il dévoile tout un pan de la vie de Drumont, donne la mesure de l'amertume héroïque qui vingt ans plus tard devait sombrer dans une sorte de désespoir, autrement incompréhensible.
A ce moment du moins, en pleine force, l'incomparable combattant tenait bon. Il ne dépendait évidemment pas de lui de détruire en un seul jour la médiocrité — l'incurable médiocrité du parti clérical, médiocrité dont les causes sont profondes, échappent probablement au jugement du moraliste ou de l'historien, et appellent une explication surnaturelle. Tirons au moins, après tant d'années, de cette vieille voix fraternelle, une admirable leçon de mépris ! Les portraits trop scolastiques de [antisémites, monarchistes et/ou pro-catholiques comme] Veuillot, les cris déchirants de Léon Bloy, la fureur lyrique de Léon Daudet, l'éloquence antique, la colère sacrée de Maurras, ne peuvent donner l'idée de cette férocité bon enfant et familière, dans son déroulement un peu monotone, où passe soudain un frisson tragique, tout le souffle de la poitrine puissante, comme un grognement de lion.
Tout cela, écrit-il, est d'un intérêt secondaire. Ce qui trouble l'esprit, c'est de voir l'archevêque de Paris souffrir qu'un tel individu ose parler au nom du haut clergé, d'entendre l'auteur des Amours secrètes de Pie IX [i.e., Taxill] affirmer qu'il a un mandat de l'Église pour attaquer un écrivain [Drumont] dont le passé est propre et qui, même lorsqu'il n'était pas chrétien, n'a jamais écrit, contre ce que les chrétiens respectent, une ligne dont il aurait honte aujourd'hui.
Il y a plus de surprise que de colère dans ces lignes ; on croit voir le regard fatigué derrière les lunettes, le geste résigné de la main refermant un livre. … Mais il marche déjà sur son adversaire, de son pas lourd :
J'étais curieux de parcourir le sale travail de cet homme si cher aux autorités ecclésiastiques aujourd'hui. On comprend que les premiers éditeurs de ces livres aient été juifs : Strauss à Paris, Milhaud à Marseille. C'est bien une descente dans l'enfer juif, dans l'enfer excrémentiel décrit par Swendenborg dans cette « Jérusalem souillée qui exhale la puanteur des rats, et à travers laquelle les juifs s'écorchent dans la boue après quelques pièces d'or ». Ce n'est pas une moquerie de Voltaire, ni le blasphème éloquent de Proudhon, ni les protestations inquiétantes de tant de grands révoltés : c'est pure abjection, la littérature de La Lanterne qui a lancé ces publications et en a fait un succès ; c'est le Talmud qui annonce que c'est de bon augure de rêver de matières fécales.[2]
Le nonce protecteur de Taxil commence à rougir et demande grâce. Le justicier poursuit, impassible :
Vous n'imaginez pas ce que c'est que de parcourir (même en hâte, même en évitant de les toucher longtemps) ces livres de stercoraux [un passage omis, une liste de livres aux titres rocailleux difficiles à traduire ]
Encore une minute de silence, un autre pas en avant.
Il y a quelques mois, lorsque parut
le curieux volume de M. Quentin-Bauchard, La Caricature pendant le siège et
la Commune, j'eus la curiosité de regarder ma collection : elle n'est pas
complète, et contient à peine cinq cents articles. Pendant toute une journée,
j'ai vu passer devant moi le Paris du siège, cet étrange Paris, qui, mourant de
faim et encore sous les armes, trouvait encore le moyen d'accrocher près de
mille charges, caricatures et dessins aux clous de toutes les boutiques. … Rien
n'est épargné. … Non, je me trompe, et c'est une observation qui a été faite
avant moi : une figure n'apparaît jamais au milieu de ces saturnales qui
commencent le 4 septembre et finissent dans les journées de mai. Pendant ce
temps de liberté absolue, au milieu de tous les accès de colère, aucun Français
n'a été assez vil pour insulter la cornette blanche des Sœurs de la Charité….
C'était comme si le Paris qui s'était soulevé ressemblait au Forum de Rome… La
sédition grondait sous la voix ardente des Gracches, les sbires de Clodius
étaient en désaccord avec les amis de Milon ; les gens étaientcriant, menaçant
et se tranchant la gorge. Soudain, la clameur s'est éteinte et les poignards
ont été baissés. A l'entrée de la place qui retentissait des cris de la guerre
civile, les licteurs venaient d'apparaître, précédant le cortège blanc des
Vestales...
L'implacable
écrivain prend son temps, balançant un instant sa fronde :
La
première personne à insulter les filles de Saint-Vincent-de-Paul, la première à
soulever sans vergogne la robe sacrée, fut la favorite actuelle de l'archevêché
et de la nonciature.
Il hausse les
épaules :
C'est un
rendez-vous, un diplôme dans les égouts. Si nous avions un hydromètre pour
indiquer la laisse de basse mer de la rivière boueuse qui a coulé sur la
France, nous trouverions celle-ci, indiquée par un nom.
La voici, la sœur de la charité, dans l'Album anticlérical [dessins comiques de
Pépin d'après un texte de Léo Taxil] elle porte son vrai nom : la petite sœur
qui cherche… [la petite sœur qui cherche = jeu de mots, « qui quête» signifie
«quéquette» c'est-à-dire «wee willy winkle» - désolé]
C'était le carême, et l'aumônier du couvent a prêché un sermon très pathétique
sur les larmes versées par le Christ pour les péchés humains.
Les larmes du Christ pleurant sur les fautes des hommes, vous imaginez comme
cela se prête à des commentaires crapuleux… Sœur Marie des Anges boit du
lacryma christi, elle est ivre comme une pute, elle est pendue par un rapin
[apprenti peintre] et après neuf mois on la retrouve dans le dessin final avec
un énorme ventre qu'elle étale.
Il saisit le nonce
assoupi de sa main forte et le mit sur ses pieds, mou et pâle, face à l'égout
crevé :
Il faut
encore avancer, vaincre un dégoût qui s'exprime de façon très physique. En
parcourant ce chemin qui pue la pisse, vous pensez avoir atteint le dernier
couac, mais vous vous trompez. Il y a encore un autre monticule d'excréments,
une autre flaque d'excréments.
Courage, Excellence !
La vie de Jésus-Christ en train de
déconner [le long des quais de Seine] est peut-être la chose la plus ignoble
qu'on puisse imaginer dans cette œuvre où l'ignominie est partout.
La Vierge est couverte de crasse. En fait, tout en elle est un développement
d'une calomnie abjecte du Talmud que j'ai déjà démystifiée, qui montre la
Vierge en train d'accoupler des femmes et d'être fécondée par un soldat appelé
Panther.
"Pendant que Joseph parlait, Marion avait retrouvé son sang-froid : elle a
tenté d'amadouer son fiancé, fait une moue câline pour lui faire avaler la
pilule..
• Joseph, mon gros lapin…
• Ta ta ta, n'essaie pas de me tromper… Qui, si ce n'est un homme, t'a mis dans
cette putain de position ?
• C'est le pigeon, Joseph… »
La plume tremble dans ma main, mais il faut transcrire cette ordure, pour que l'on sache que le misérable qui a vomi cette ordure a pu se dresser contre moi et dire qu'il me blâmait au nom du haut clergé sans une voix autorisée se fait entendre pour protester.
Mais Léo Taxil avait peut-être un autre droit à l'indulgence du haut clergé, aux faveurs du nonce Rotelli…. Ancien élève du séminaire, il est initié à certains traités spéciaux, véritables manuels cliniques à l'usage des futurs confesseurs, et devient un jour éditeur volontaire, les traduit du latin en français et lance les fameux Livres secrets des confesseurs dévoilés aux pères. de famille (Livres secrets des confesseurs révélés aux pères de famille), grâce à la publicité de La Lanterne. — « la seule édition complète publiée par Léo Taxil et contenant les Diaconales de Mgr Bouvier, le Compendium et la Mœchialogie ou Traité des péchés contre les sixième et neuvième commandements du décalogue et de toutes les matières matrimoniales par le révérend père Deybryne, moine trappiste ».
Dans cette œuvre de méchanceté, Taxil était vraiment infernal. A cinq francs, le volume semblait encore trop cher : pour atteindre les plus petits et leur dévoiler tous les secrets de la débauche, il publia un volume à un franc et demi, et en inonda la France : « Les Pornographes sacrés : La Confession et les Confesseurs, de Léo Taxil, en vente chez l'auteur et chez tous les libraires ».
Mais ici la grande voix du vieux maître va s'enfler, passer insensiblement d'un ton de mépris tranquille à cette sorte d'accent qui est le frémissement même du génie, l'ingenium, la vibration immortelle que rien n'arrête, ni l'espace ni le temps - la parole de justice là où même la colère s'est tue. Des paroles comme celles-ci ne sortent pas du cœur d'un homme sans le déchirer : malheur à celui qui reçoit au visage, pour être marqué à jamais, le jet de sang vermeil !
Voulez-vous savoir ce que le
représentant du pape, le nonce apostolique, l'archevêque Rotelli de Pharsale,
pense de l'homme qui a tant corrompu ? Lire La France chrétienne du 12 juin
1890, qui rend compte du colloque contre l'antisémitisme à la salle des
Capucines.
« Le lendemain de la conférence, Son Excellence le Nonce Apostolique a fait
remettre sa carte à Monsieur Léo Taxil !
C'est un trait très fin de siècle, et cela confirme ce que nous avons dit sur
l'allure frivole, extravagante, caricaturale et bouffonne de la société mourante.
liens.
Quand on pense aux innombrables petites filles de l'atelier ou de la campagne
souillées par cette lecture immonde, et qu'on voit Rotelli fraterniser avec l'auteur de toute
cette immondice, il ne faut désespérer de rien. On peut s'attendre à voir un
jour le Nonce Apostolique, dans sa fine dentelle et son camail violet, marcher
au bras des imitateurs de Ménesclou [assassin infâme, sorte de Jack
l'éventreur].
Mais la comparaison n'est qu'à moitié juste. Les malheureux qui commettent ces
crimes qui effraient Paris appartiennent, pour la plupart, plus au médecin
qu'au bourreau ; ce sont des brutes irresponsables ; leur cerveau est bouilli;
ils portent le fardeau de toutes les hérédités fatales. Ici, c'est le crime
intellectuel — le lycéen qui se dit froidement : « Je vais gagner de l'argent
en souillant l'âme des petites filles et des petits garçons ».
Alors le Nonce lui envoya sa carte.
A ce moment, ce qui restait du sourire dans la barbe emmêlée disparaît, le regard se fixe sans se durcir ; attentif, comme l'a tant de fois rencontré le regard de l'adversaire, les matins pâles, et les longues phrases admirablement articulées, puissantes et souples, se succèdent, dans la même cadence, qu'à la fin d'un duel à mort :
S'il voit ces pages, Rotelli ne comprendra même pas pourquoi sa conduite est honteuse : il a un obscurcissement complet du sens moral. Pour lui, la vertu consistait à payer fidèlement son loyer à Calmann-Lévy, chez qui il avait élu domicile en attendant que la marquise de Plessis-Bellière déshérite ses parents et lui laisse un hôtel. Telle est la morale de ce nonce.
Ce n'est pas un politique, ce Français, murmure-t-il en me lisant ; « il n'a pas compris la combinazione. Léo Taxil entretient de bonnes relations avec Son Excellence le Baron de Rothschild, et le Baron de Rothschild est un homme bon ; il m'a fait faire une petite affaire.
Ils sont tous comme ça dans ce pays, et l'archevêque de Pharsale n'a pas plus de scrupules à courtiser les juifs que Nigra n'en avait à faire le rizotto de l'impératrice dans une casserole d'argent.
Rotelli aurait même été cardinal il y a un an s'il n'y avait pas eu un procès qui eut lieu à la cour d'assises de Pérouse en mars 1890. Il s'agissait d'un pharmacien, bien connu de Rotelli, qui avait assassiné son frère avec un couteau ; le frère était un chanoine, également bien connu de Rotelli.
On craignait que, dans le Sacré Collège moderne, le représentant d'une race de fratricides ne paraisse un peu trop XVIe siècle ; on craignait aussi que la nouvelle Éminence n'éprouve quelque embarras à prêcher aux impies les vertus de la famille.
Vous savez, Excellence, que je ne suis pas comme votre ami Taxil, et que quand j'affirme un fait, c'est qu'il est absolument vrai.
§§§
Un dernier mot sur Bernanos : dans la légende de sa photo ci-dessus, nous l'avons décrit comme dubitatif, pour deux raisons :
1 – Le Drumont dépeint par Bernanos a une ressemblance frappante avec sa Curée de Campagne, que l'on retrouve dans les pages de son prochain roman le plus célèbre, on ne sait donc pas si La Grande Peur est sincère ou s'il s'agit d'une sorte de répétition pour son chef d'oeuvre.
2 – Il s'oppose d'emblée au national-socialisme sans concession, même si NS pose exactement les mêmes problèmes que Drumont.
Alors, Bernanos considérait-il l'antisémitisme comme une de ces vieilles vertus chrétiennes devenues folles ?
Cela n'enlève rien à son talent, bien sûr.
Par Francis Goumain
Source : The Occidental Observer
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NOTES de H. Genséric
[1] Adolphe
Crémieux, les juifs algériens et l’Alliance Juive universelle
- L’émancipation
des juifs algériens. — Le Juif en Algérie. — L’usure. — Le
"patriotisme" des Juifs.
- L’affaire
Mokrani et la révolte algérienne de 1871
- Pourquoi
les juifs sont-ils partis du Maghreb ?
- La
Clé du Mystère (Partie 2/5). Le Terrible Complot
- France.
" L’Arabe ! Voilà l’ennemi. L’Islam, voici le Diable !..."
- Rappel.
La colonisation française de l'Algérie
- Comment
le "super menteur" Zemmour déforme l’Histoire (3/5)
[2] Arme
de l'antisémitisme : de victime à tortionnaire
- L'Amérique
gouvernée par le Talmud: est-ce une bonne chose ?
- LE
TALMUD révélé. 2. La haine raciste envers les non-juifs et envers Jésus et
Marie
- LE
TALMUD révélé. Une littérature de la haine raciste. 1. Introduction La Torah et
le Talmud
- LE
TALMUD révélé. 3è partie. Les non-juifs ne sont pas humains, génocides,
racisme, pédophilie, zoophilie,...
- De
la réalité d’un complot juif, ou la domination talmudique vue par des « juifs »
dissidents
- USA
(et UE). La loi sur l’antisémitisme va rendre le christianisme illégal
- Le
Talmud révélé. Voici comment les juifs doivent traiter les Goyim
- Que
dit le judaïsme rabbinique sur ce qui différencie les Juifs et les Gentils?
- La
question juive en Europe : les causes, les effets, les remèdes . Par La Civilta
Cattolica, vol VII, no. XIV 1890 (Oct, Nov, Dec). Partie 1/3
Portrait de Gabriel
Jogand-Pagès, dit Léo Taxil, né à Marseille en 1854 et mort à Sceaux en 1907. En arrière-plan, la réception d’un apprenti sur une gravure dans une histoire de la franc-maçonnerie parue en 1843 • ISTOCK |
Révélations complètes sur la franc-maçonnerie : c’est sous ce titre « sensationnel » que paraît en 1885 le premier brûlot antimaçonnique de Léo Taxil, dénonciation en règle des nombreuses « exactions » de la société secrète. Une douzaine d’autres ouvrages vont suivre, aux titres tout aussi provocateurs : Les Assassinats maçonniques, Y a-t-il des femmes dans la franc-maçonnerie ? ou Le Diable au XIXe siècle.
L’auteur, un polygraphe marseillais adepte des coups d’éclat, entendait y dévoiler la franc-maçonnerie « telle qu’elle est », à savoir l’œuvre personnelle de Satan, une machinerie politique usant de l’intrigue, du meurtre et des orgies sexuelles pour assouvir sa soif de pouvoir. Sous le titre La France maçonnique, il publia également une série de volumes divulguant les noms, adresses et professions de milliers de francs-maçons. Le succès fut au rendez-vous : les journaux en firent des gorges chaudes, les livres connurent de gros tirages, et plusieurs d’entre eux furent traduits à l’étranger.
Un virulent libre-penseur
Le parcours personnel de l’auteur explique pour partie ce retentissement. Car Léo Taxil – Gabriel Jogand-Pagès de son vrai nom – n’était pas un inconnu. Journaliste républicain, il s’était d’abord fait connaître comme un virulent militant libre-penseur. À Marseille où il était né en 1854, il avait commencé par fonder un journal, La République anticléricale, puis une « librairie anticléricale » et composé une Marseillaise anticléricale.
Ses textes, qui ne faisaient pas dans la dentelle, attaquaient avec une rare violence le dogme, la morale et l’enseignement des « corbeaux », qu’il accusait de toutes les turpitudes, principalement sexuelles. Son pamphlet À bas la calotte, publié en 1879, lui valut d’ailleurs des poursuites pour outrage à la morale publique ainsi qu’une excommunication en bonne et due forme.
Son combat contre l’Église catholique le rapprocha bien sûr des milieux maçons, notamment de la loge parisienne du « Temple des amis de l’honneur français », dans laquelle il fut initié en 1881. Mais il n’y dépassa pas le grade d’apprenti : il en fut exclu quelques mois plus tard pour avoir produit des lettres de soutien de personnalités (dont Hugo et Louis Blanc) qui se révélèrent être des faux.
C’est là que se produisit le premier coup de théâtre : Taxil désavoua publiquement ses erreurs et annonça son retour dans le giron de l’Église. Il se rendit à Rome pour l’occasion, d’où il reçut l’absolution des mains mêmes du pape Léon XIII. Son offensive contre les francs-maçons inaugurait donc sa nouvelle carrière d’apostat.
La bête noire de l’Église
L’écho de cette conversion et de la campagne qui suivit ne peut se comprendre sans tenir compte de la vigueur de l’antimaçonnisme en cette fin de siècle. Condamnée par la papauté dès le début du XVIIIe siècle en raison du secret de ses activités et de son œcuménisme, la franc-maçonnerie ne devint vraiment la bête noire de l’Église qu’au lendemain de la Révolution française.
L’abbé Barruel, dans ses Mémoires pour servir à l’histoire du jacobinisme, avait en effet expliqué dès 1797 que la révolution en cours n’était que le produit d’un complot fomenté par les élites maçonnes. Les liens que la maçonnerie établit tout au long du XIXe siècle avec les libéraux européens et avec des sociétés secrètes comme les carbonari italiens, fervents partisans de l’unité de la péninsule, confortèrent l’Église et le Saint-Siège dans leur rejet radical.
En France, la convergence fut générale entre la République et la maçonnerie, engagées dans un même combat contre « l’obscurantisme », et plus encore contre l’alliance du trône et de l’autel. La victoire des républicains à la fin des années 1870 signa donc aussi celle des loges, principalement du Grand Orient de France, qui fournit au nouveau régime nombre de ministres, de présidents du Conseil et de parlementaires influents.
Une secte luciférienne
Mais le succès de l’offensive lancée par Léo Taxil devait aussi à la personnalité de son auteur, qui avait de la ressource et qui se plut à en rajouter. À la conspiration mondiale annoncée dans Le Diable au XIXe siècle s’ajoutèrent bientôt d’autres révélations formidables. L’attrait du temps pour le satanisme l’incita à mettre en scène une secte luciférienne de la « haute maçonnerie », dénommée « palladisme », dont le siège était situé dans la ville de Charleston, aux États-Unis, et qui entretenait avec les démons des relations directes. Ses rituels incluaient la profanation régulière d’hosties consacrées ainsi que l’organisation de grandes copulations publiques. L’Existence des loges de femmes, qu’il publie en 1891, prenait tout son sens dans cette perspective. Taxil prolongea cette veine dans une série de fascicules feuilletonesques, publiés en 1893 et 1894, qui relataient les aventures du Dr Bataille, un médecin catholique infiltré dans les milieux occultistes pour mieux décrire leurs orgies et leurs pratiques criminelles.
La secte décrite par Léo Taxil, le « palladisme », dont le siège serait situé dans la ville de Charleston, aux États-Unis, entretiendrait avec les démons des relations directes. Parmi ses rituels : la profanation d’hosties consacrées, ainsi que l’organisation de grandes copulations publiques.
Un pas supplémentaire fut encore franchi avec l’apparition en 1893 de la belle Diana Vaughan. Présentée par Taxil comme une ancienne dignitaire du « rite palladique rectifié », cette jeune Américaine avait fait le choix – tout comme son mentor autrefois – d’abjurer ses erreurs : convertie au catholicisme, elle vouait désormais sa vie à lutter contre la secte. Les palladistes l’avaient condamnée à mort ; elle était donc contrainte à vivre dans la clandestinité, multipliant les déplacements ou se réfugiant dans des couvents isolés. Seul Taxil savait comment la contacter et servait donc d’intermédiaire. Il inséra des lettres et des articles d’elle dans les nombreuses publications qu’il dirigeait, expliqua comment sa fortune servait à soutenir diverses institutions et œuvres pieuses. C’est une « jeune femme de 29 ans, jolie, très distinguée, l’air franc et honnête », explique un collaborateur. La parution en fascicules des Mémoires d’une ex-palladiste, évidemment présentés par Léo Taxil, fit d’elle un personnage à succès.
Premiers soupçons
Toutes ces révélations furent prises très au sérieux dans les milieux catholiques, alors engagés dans une lutte acharnée contre les libres-penseurs. Elles séduisirent également de nombreux publicistes, comme le jésuite allemand Leo Meurin, dont La Franc-Maçonnerie, synagogue de Satan recycla en 1893 plusieurs thèses de Taxil. Mais les plus lucides des catholiques commençaient à nourrir des doutes. Le caractère extravagant des récits de Taxil suscitait la défiance, d’autant que certains des ouvrages anticléricaux publiés lors de sa première carrière étaient toujours en vente. L’évêque de Charleston, Mgr Northrop, s’ouvrit au pape Léon XIII pour lui signaler que nul culte sataniste n’existait dans sa ville. D’autres, à l’inverse, expliquaient que Diana Vaughan, loin d’être convertie, pratiquait toujours le palladisme.
Taxil reconnut, devant un parterre de journalistes et de représentants de la nonciature, que tout cela n’avait été qu’une « aimable plaisanterie ».
L’affaire fut au centre du congrès organisé à Trente par la Ligue internationale antimaçonnique, en septembre 1896. On s’interrogea surtout sur l’existence réelle de Diana Vaughan. Certains ecclésiastiques exigèrent que l’on produise son acte de naissance, les preuves de son baptême ou de sa communion. Taxil, qui était présent, affirma détenir tout cela, mais refusa de publier ces pièces pour ne pas mettre en danger la vie de Diana, poursuivie par les loges. Il diffusa cependant une photographie de l’Américaine. Rien n’étant réglé, le congrès décida de convoquer une commission pour éclaircir ces points. Mais celle-ci, qui se réunit à Rome en janvier 1897, déclara n’avoir réuni aucune preuve concluante. Beaucoup, d’ores et déjà, concluaient à la mystification, à l’œuvre d’un fantaisiste, voire d’un libre-penseur désireux de tirer profit de la crédulité des catholiques. Taxil contre-attaqua en annonçant la prochaine manifestation publique de Diana Vaughan, qu’il venait de décider à prononcer une série de conférences, dont le point d’orgue aurait lieu à Rome en mai 1897.
Le second coup de théâtre survint quelques jours avant le début programmé de la tournée. Lors d’une conférence à la Société de géographie, Taxil reconnut, devant un parterre de journalistes et de représentants de la nonciature, que tout cela n’avait été qu’une « aimable plaisanterie ». Un tumulte indescriptible éclata dans la salle et tourna vite au pugilat. L’affabulateur dut sortir sous la protection des gardiens de la paix.
Les rieurs de son côté
Ce que Léo Taxil lui-même qualifia de « plus colossale mystification des temps modernes » avait duré 12 ans, ce qui en dit long sur la lutte qui opposait alors cléricaux et libres-penseurs. L’affaire mit les rieurs de son côté, mais elle était aussi lourde de perspectives plus sombres. Matthieu Golovinski, un agent de l’Okhrana (la police secrète tsariste) alors installé à Paris, forgea quelques années plus tard l’un des plus tristement célèbres faux de l’histoire du monde, Les Protocoles des Sages de Sion, qui dénonçait le prétendu complot mondial fomenté par les juifs et les francs-maçons et qui demeure, aujourd’hui encore, un outil de la propagande antisémite.
Taxil, lui, publia encore quelques romans, sans grand succès, et acheva sa carrière comme correcteur dans une petite imprimerie de banlieue parisienne. Mais on n’oublia pas son canular, dont l’ampleur et la longévité continuent d’impressionner. En 2010 encore, Léo Taxil et Diana Vaughan apparaissent en compagnie du « capitaine » Simonini, un faussaire italien réfugié à Paris, dans Le Cimetière de Prague, un roman d’Umberto Eco qui place ces propos dans la bouche de Taxil : « Le principal caractère des gens, c’est qu’ils sont prêts à croire n’importe quoi. »
....Hannibal GENSÉRIC
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RépondreSupprimerDRUMONT ET BERNANOS
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