Dans le brouhaha de la querelle entre la
France et l’Australie sur le marché des sous-marins, un événement
majeur est survenu qui pourrait bien être interprété comme une riposte
immédiate Sino-Russe à la constitution du nouveau pacte de sécurité
trilatéral anglo-saxon AUKUS (Australie-UK- USA)
ouvertement dirigé contre la Chine.
En effet, l’annonce du pacte AUKUS a été
faite le 15 Septembre. Mais trois jours plus tard, au 21 ème sommet de
l’Organisation de coopération de Shangaï (OCS) qui se tenait à Douchanbé
(Tadjikistan), on apprenait que l’Iran, qui attendait ce jour depuis 13
ans, devenait membre à part entière de l’OCS.
Par ailleurs, CHRUNK (Chine-Russie-North Korea) est une autre réponse à l'AUKUS : en effet, dans le cadre de CHRUNK, la Corée du Nord recevrait des sous-marins nucléaires de la Chine et de la Russie.
Il y a donc eu, en l’espace de trois jours, une recomposition considérable des pactes de sécurité et de défense au sein de la coalition occidentale d’une part, et dans le camp eurasiatique d’autre part.
Qui a gagné, qui a perdu ?
Le camp occidental a incontestablement perdu des points.
Le nouveau pacte de sécurité AUKUS
n’apporte pas grand-chose à la « coalition occidentale » menée par
l’OTAN puisque l’Australie, à défaut d’appartenir à l’Alliance atlantique,
était déjà, depuis fort longtemps, une alliée fidèle des USA et du Royaume Uni
avec lesquels elle partageait le renseignement dans le cadre des «Fives Eyes»,
depuis la fin de la deuxième guerre mondiale.
Les nouveaux sous marins promis par les USA ne seront d’ailleurs pas en ligne
et opérationnels dans la marine australienne avant dix ans. L’Australie, quant
à elle, perd son indépendance vis à vis des USA, entre dans une fâcherie
durable avec la Chine, et se voit interdire les eaux néo-zélandaise pour ses
sous marins, la Nouvelle Zélande restant, pour le moment, allergique au
nucléaire.
Au sein de l’OTAN, la forme de cette annonce « surprise » du pacte
AUKUS et sa conséquence commerciale n’ont pas été appréciées par la France et
pose désormais un réel problème de confiance entre alliés, d’autant qu’elle
vient s’ajouter à d’autres griefs : Pillage par les USA de
quelques fleurons industriels français (Alsthom …), abus répétés de
l’extraterritorialité du droit US avec sanctions des entreprises des pays alliés qui ne se
soumettraient pas au bon vouloir de l’exécutif américain, mépris des pays alliés dans l’annonce et
l’exécution du retrait US d’Afghanistan, abus de pouvoir sur le contrôle des transactions en dollar, opposition
anglo-saxonne en coulisses, comme toujours, à l’émergence d’une défense
européenne ...etc
Au total, ce nouveau pacte AUKUS, et surtout la forme secrète de sa
négociation, en marge de l’OTAN et son annonce surprise, n’ont certainement pas
renforcé la cohésion d’un camp occidental déjà déclinant. Enfin, ce pacte AUKUS
a donné au camp eurasiatique une excellente opportunité pour attribuer
enfin à l’Iran le statut de membre à part entière de l’Organisation de
Coopération de Shanghai. Certes, ce projet d’adhésion était dans les tuyaux
depuis très longtemps. Sans doute l’adhésion était elle prévue de longue date,
puisque l’Iran était observateur depuis 16 ans et candidat malheureux à
l’adhésion pleine depuis treize années, en raison des sanctions onusiennes.
Mais l’annonce de cette adhésion survenant trois jours après celle du pacte
AUKUS, certains pourront, à tort ou à raison, la considérer comme une riposte
très habile de la part de l’alliance sino-russe.
Avec cette adhésion, le camp eurasiatique de l’OCS va incontestablement marquer des points précieux
L’Iran est tout sauf un partenaire
négligeable, tant au plan économique qu’au plan géopolitique et militaire. Avec
une population de 83 millions d’habitants, d’immenses ressources naturelles, le
21 ème PIB du monde et de grandes potentialités d’amélioration, l’Iran dispose
d’un budget de défense proche du notre en Parité de Pouvoir d’Achat (seule comparaison pertinente).
Certes l’Iran a renoncé à se doter de
l’Arme nucléaire en échange de son adhésion à l’OCS, mais il l’avait déjà
fait dans le cadre du JCPOA (Joint Comprehensive Plan of Action) signé avec les
occidentaux, traité que l’Iran a plutôt mieux
respecté que nous jusqu’à présent. Il ne perd donc rien, bien au
contraire.
Pourquoi ? Parce que les USA espéraient bien renégocier cet accord en allant
plus loin. Ils espéraient faire en sorte que l’Iran renonce également à ses
missiles de croisière de portée intermédiaire pouvant atteindre Israël,
missiles que l’Iran considère comme des armes défensives. L’adhésion à
l’OCS permet donc à l’Iran de conserver toutes ses défenses et, à la limite, de
mettre un terme à toute renégociation du JCPOA avec les USA ou de s’y présenter
en position de force.
Les sanctions onusiennes contre l’Iran ayant été levées avec la signature du
JCPOA en 2015, on peut d’ores et déjà être assuré qu’elles ne seront jamais
rétablies grâce aux vetos Russe et Chinois.
Par ailleurs l’adhésion comme membre à part entière de l’OCS rend beaucoup plus
difficile une agression contre l’Iran venant des USA ou d’Israël, parce que
l’Iran pourra compter sur des alliés puissants et sur ses nombreux
missiles de toutes portées qui ont prouvé leur efficacité et leur précision
depuis plusieurs années.
Enfin, l’adhésion de l’Iran à l’OCS permet désormais de l’inclure dans les
circuits économiques et commerciaux de l’organisation de Shanghai, circuits qui
sont capables de s’affranchir du dollar dans les transactions
bilatérales et qui n’auront désormais aucun scrupule à le faire. Les actuelles
sanctions US seront donc contournées.
Notons que ce sommet de Douchanbé, où le futur de l’Afghanistan a été évoqué, a apporté d’autres
surprises intéressantes qui s’inscrivent toutes en faveur de l’OCS. Ainsi,
l’Arabie Saoudite, le Qatar et l’Égypte ont demandé et obtenu un statut
d’observateur à l’OCS montrant par là tout l’intérêt qu’il porte désormais à
cette organisation.
N’allons pas jusqu’à dire que «les rats quittent le navire»…. Mais il y a
certainement de la part de ces pays un réel effort d’émancipation de la tutelle
occidentale.
En conclusion, dans cette recomposition des alliances et des équilibres du monde
de septembre 2021, la coalition occidentale aura perdu des points face à une
OCS qui en aura gagné.
Le grand gagnant est incontestablement l’Iran qui, en devenant membre à part entière de l’OCS, se met toujours plus à l’abri des sanctions et des agressions occidentales, susceptibles d’être conduites en soutien d’Israël ou par Israël.
Le grand perdant de cette recomposition est sans aucun doute Israël qui aura toujours plus de difficultés à s’opposer à un Iran non nucléaire qui s’est tourné résolument vers l’Est. Un autre perdant est probablement l’OTAN pour des raisons de cohésion et de confiance interalliées, même si la France ravale son humiliation et reprend sa place au sein de l’alliance sans sourciller.
Au total, en réalisant son «coup de Jarnac» aux visées plus économiques que sécuritaires, les USA se sont peut-être bien tiré une balle dans le pied ….
Par Dominique Delawarde
CHRUNK (1)
Les chefs militaires de trois pays s’étaient réunis avec leurs interprètes dans la Cité interdite historique de Pékin. Le général chinois Wei Fenghe accueillait le vice-maréchal nord-coréen Kim Jong-gwan et le général de l’armée russe Valery Gerasimov. Les personnes réunies étaient d’humeur joviale et faisaient tinter les coupes de champagne.
"Combattre le feu par le feu. N’est-ce pas ce qu’on dit ?", déclara le vice-maréchal Kim.
Ils ont tous levé leur verre à nouveau.
Kim compara le CHRUNK (Chine-Russie-Corée du Nord) nouvellement formé à la collaboration AUKUS, où les États-Unis et le Royaume-Uni ont convenu de s’associer et de fournir des sous-marins nucléaires à l’Australie. Dans le cadre de CHRUNK, la Corée du Nord recevrait des sous-marins nucléaires de la Chine et de la Russie.
"L’oncle Sam ne va pas aimer ça", ajouta Kim avec un sourire en coin.
"Et qu’est-ce que l’oncle Sam va faire à ce sujet ?" déclara Gerasimov, qui affichait habituellement un visage sombre.
"Qu’est-ce que l’Oncle Sam peut faire ?" dit le général Wei aux cheveux grisonnants. "Rien."
Kim et Gerasimov sourirent à leur hôte chinois.
"Vous pouvez probablement vous attendre à une augmentation du nombre de navires de la marine américaine en mer de Chine méridionale", déclara Gerasimov, en agitant son bras droit sur le côté. "Et ils viendront probablement avec une flottille de sous-marins nucléaires. J’espère qu’ils sauront naviguer en mer", a-t-il ajouté en faisant référence à la récente collision de l’USS Connecticut.
"Laissez-les venir", dit Wei. "Nous aurons chacun nos propres sous-marins nucléaires maintenant."
"Mais les Américains, et bien sûr les Britanniques et les Australiens – les animaux de compagnie aboyeurs des Américains – se plaindront de notre contribution à la prolifération nucléaire", considéra Kim.
"Eh bien, les Américains auraient dû y penser avant de fournir des sous-marins nucléaires à l’Australie, et d’énerver Macron au passage", rétorqua Gerasimov.
"Le fait est que les Australiens n’ont pas d’armes nucléaires et que vous en avez", ajouta Wei en regardant Kim.
"C’est vrai, mais nous avons une politique de non-utilisation en premier, tout comme la Chine", lui répondit Kim.
Gerasimov prit la pose, le bras gauche en travers du corps, le coude droit sur la main gauche et la main droite repliée sous le menton, comme le "Penseur" de Rodin.
"En l’état, il n’y a plus rien à sanctionner chez aucun d’entre nous", gloussa Gerasimov.
"Et il est salutaire que nous coopérions pour surmonter les sanctions. En tout cas, nous, les Coréens, maintiendrons notre juche (2)", déclara Kim.
*****
À Washington, l’ambiance était résolument différente de celle de Pékin. Dans le bureau ovale, le président Joe Biden était furieux. "Comment osent-ils faire ça ?", s’écria-t-il en tapant du poing sur la table.
Son cercle restreint restait silencieux. La vice-présidente Kamala Harris changea la position de ses mains, l’une sur l’autre sur le revers de son tailleur pantalon, à la manière de la fashionista Hillary Clinton. Le conseiller à la sécurité nationale, Jake Sullivan, hocha la tête. Le secrétaire à la défense, Lloyd Austin, était assis, le visage sévère. Le secrétaire d’État, Antony Blinken, ajouta : "Nous devons faire quelque chose contre ces parvenus communistes."
Austin se tourna vers son collègue et le regarda solennellement. Il songea à informer le secrétaire d’État que la Russie n’était plus communiste, mais il se mordit la langue. Puis il prit la parole : "Que proposez-vous de faire ? Nous les avons sanctionnés, nous avons fait de notre mieux pour que nos alliés ne fassent pas affaire avec eux, nous avons fait enfermer leur directeur financier technologique dans une procédure d’extradition. Nous avons rompu notre engagement envers la Chine unique, et nous avons envoyé des canonnières pour essayer de les effrayer. Où est-ce que tout cela nous a menés ?"
L’air dans la salle était devenu lourd et tendu. À part Biden, qui semblait maintenant s’assoupir, les autres savaient ce que le général à la retraite Austin avait laissé entendre : l’impensable. La guerre. Une guerre avec des adversaires dotés de l’arme nucléaire.
*****
La réunion du CHRUNK à Beijing se termina par un nouvel ordre du jour qui proposait de discuter de la liberté de navigation des flottilles dans le détroit de Floride, du soutien à l’indépendance de Porto Rico, et d’une éventuelle extension du CHRUNK à Cuba et de son équipement en sous-marins nucléaires.
NOTES
(1) CHRUNK a deux sens potentiels en anglais : soit le mot-valise fait de Christmas et drunk (saoûl) qui signifie bourré à Noël, soit une homophonie avec shrunk, participe passé de shrink, qui signifie rétréci, rapetissé.
(2) Le juche (en coréen : 주체사상, romanisation nord-coréenne : Juchesasang « pensée du corps-maître, est une idéologie autocratique qui fonde le régime de la République populaire démocratique de Corée et conçue par son premier dirigeant Kim Il-sung.
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