Einstein avait déclaré que sa « vie était partagée entre les équations et la politique ». Pourtant, chez ses biographes – il y en des centaines – et dans les grands médias, ses vastes écrits politiques sur Israël et le sionisme ont été, au mieux, balayés sous le tapis, au pire, déformés complètement en faisant de lui un suppôt de l’État d’Israël.
C’est-à-dire jusqu’à ce que feu Fred Jerome les cherche, les retrouve, les fait traduire, surtout de l’Allemand, et les publie dans le livre Einstein on Israel and Zionism. Malheureusement, la première édition ce livre, publiée par une maison d’édition newyorkaise a connu un tout petit tirage, n’a jamais été promue ni transformée en livre électronique, et a été épuisée en un rien de temps, l’éditeur ayant cédé à la pression énorme des sionistes. Voilà pourquoi nous avons publiée une nouvelle édition avec l’accord de Jocelyn Jerome, veuve de l’auteur.
C’est en Allemagne dans les années 1920, une époque d’antisémitisme rampant où la théorie de la relativité était attaquée comme de la « science juive », que Einstein a été attiré par le mouvement sioniste. C’est seulement en 1914 en arrivant en Allemagne, écrit-il, qu’il « découvre pour la première fois qu’il est un Juif », découverte qu’il attribue davantage à des « Gentils qu’aux Juifs ». Auparavant, il se voyait comme un membre de l’espèce humaine.
Il se disait « sioniste culturel », mais dès 1921 Kurt Blumenfeld, un militant sioniste envoyé pour recruter Einstein, mettait en garde Chaim Weizmann, futur président d’Israël, au sujet du grand scientifique :
« Einstein, comme vous le savez, n’est pas sioniste, et je vous demande de ne pas essayer de faire de lui un sioniste ou de l’attacher à notre organisation. . . . Einstein, qui penche pour le socialisme, se sent très impliqué dans la cause des travailleurs juifs. . . . J’ai entendu dire que vous souhaitiez qu’Einstein fasse des discours. Soyez très prudent avec cela. Einstein dit souvent des choses par naïveté qui ne sont pas bien accueillies par nous. »
À part la supposée « naïveté » d’Einstein, Blumenfeld ne saurait dire mieux. Einstein serait constamment un obstacle au projet de colonisation sioniste de la Palestine et de la création de l’État d’Israël jusqu’à sa mort en 1955.
Voici un échantillon de ses prises de position.
Ses échanges avec Chaim Weizmann, futur président d’Israël, illustrent à quel point Einstein était important aux yeux des sionistes, mais surtout à quel point ses opinions divergeaient des leurs. Dans une lettre à Weizmann du 25 novembre 1929, il a écrit : « Si nous ne parvenons pas à trouver une voie vers une coopération honnête et des pactes honnêtes avec les Arabes, alors nous n’aurons rien appris de nos deux mille ans de souffrance et nous méritons le sort qui nous attend. »
L’idée du « sort qui nous attend » revient souvent. En 2024, il semble avoir déjà prévu que l’État d’Israël que les sionistes rêvaient de créer sans « une coopération honnête de des pactes honnêtes » avec leurs voisins palestiniens deviendrait ce qu’il est actuellement, l’endroit le plus dangereux au monde pour les Juifs
Quelques semaines plus tard, le 14 décembre 1929, il écrit au directeur de l’organisation sioniste de Londres, Selig Brodestsky, « Je suis heureux que nous n’ayons aucun pouvoir. Si notre aveuglement bête se révèle assez fort, alors nous nous ferons péter le cerveau comme nous le méritons. »
Par ailleurs, Leon Simon, l’un de ses premiers éditeurs et traducteurs a écrit : « Le nationalisme du professeur Einstein ne laisse aucune place à l’agressivité ou au chauvinisme. Pour lui, la domination des Juifs sur les Arabes en Palestine, ou la perpétuation d’un état d’hostilité mutuelle entre les deux peuples, signifierait l’échec du sionisme. »
Contrairement à la grande majorité des sionistes, l’appui d’Einstein à un éventuel « foyer juif » – pas un État – ne se limitait pas à la Palestine. Il n’y avait de rien de religieux dans son engagement. Certains sionistes préconisaient l’établissement d’un tel foyer, entre autres, en Chine, au Pérou ou à Birobidjan en Union soviétique, mais en bonne entente avec les autorités étatiques et les populations dans chaque cas. Einstein appuyait ces démarches. À titre d’exemple, sur le foyer juif de Birobidjan en Union Soviétique au lendemain de la Seconde guerre mondiale il écrit :
« Nous ne devons pas oublier que durant ces années de persécutions atroces contre le peuple juif, la Russie soviétique a été la seule grande nation à avoir sauvé des centaines de milliers de vies juives. L’entreprise d’installer 30.000 orphelins de guerre juifs à Birobidjan et de leur assurer ainsi un avenir satisfaisant et heureux est une nouvelle preuve de l’attitude humaine de la Russie envers notre peuple juif. En aidant cette cause, nous contribuerons de manière très efficace au salut des restes du judaïsme européen. »
Dans les années charnières entre la fin de la guerre et sa mort en 1955, Einstein n’y allait pas par quatre chemins au sujet du projet de l’État juif. Invité à témoigner devant le Anglo-American Committee of Inquiry on Palestine, à Washington, D.C., en janvier 1946, Einstein a répondu sans équivoque à une question sur l’éventuel État d’Israël versus un foyer culturel : « Je n’ai jamais été en faveur d’un État. »
En mars 1947, I.Z. David, un membre du groupe terroriste Irgun dirigé par Menahem Bégin, lui a envoyé un questionnaire auquel il a répondu du tac au tac :
Question : Quelle est votre opinion sur la création d’une Palestine nationale juive libre?
Einstein : Un foyer national juif ? Oui. Une Palestine nationale juive ? Non. Je suis favorable à une Palestine binationale libre à une date ultérieure après un accord avec les Arabes.
Question : Quelle est votre opinion sur la partition de la Palestine et les propositions de Chaim Weizmann concernant la partition ?
Einstein : Je suis contre la partition.
Sur la question de l’impérialisme britannique et américain, Einstein ne se faisait pas d’illusions au moment où Londres passait le relais à Washington :
« Il me semble que nos chers Américains modèlent maintenant leur politique étrangère sur le modèle des Allemands, puisqu’ils semblent avoir hérité de l’orgueil et de l’arrogance de ces derniers. Apparemment, ils veulent aussi assumer le rôle que l’Angleterre a joué jusqu’à présent. Ils refusent d’apprendre les uns des autres et n’apprennent pas grand-chose, même de leur propre dure expérience. Ce qui a été implanté dans les têtes dès la petite enfance est plus fermement enraciné que l’expérience et le raisonnement. Les Anglais en sont encore un bon exemple de cela. Leurs méthodes démodées de répression des masses en utilisant des éléments autochtones sans scrupules de la classe économique supérieure leur coûteront bientôt tout leur empire, mais ils sont incapables de se résoudre à changer leurs méthodes, peu importe qu’il s’agisse des conservateurs ou des socialistes. Avec les Allemands, c’était exactement la même chose. Tout cela serait bien, sauf que c’est si triste pour les meilleurs éléments et les opprimés…» (Lettre à Hans Mühsam)
Quant aux ancêtres politiques du gouvernement Netanyahou actuel, Einstein tirait à boulets rouges, sur eux et leurs partis politiques, notamment dans le New York Times. Lorsque Menahem Bégin venait à New York fin 1948, Einstein, Hannah Arendt et d’autres personnalités juives des États-Unis ont publié une lettre dénonçant sa venue et l’organisation qu’il dirigeait, soit « un parti politique très proche, dans son organisation, ses méthodes, sa philosophie politique et son attrait social, des partis nazis et fascistes. » L’exemple qu’ils citent : le massacre de 240 hommes, femmes et enfants au village palestinien de Deir Yassine.
Jusqu’à sa mort en 1955, Einstein répéterait cette accusation : « Ces gens sont des nazis dans leurs pensées et leurs actes. » Quiconque dirait cela aujourd’hui dans les grands médias serait traité d’antisémite et serait banni de ces mêmes médias.
Il est de notoriété publique que lors de la mort de Chaim Weizmann en 1952, le premier ministre d’Israël a offert la présidence d’Israël à Albert Einstein. En revanche, moins connue est la raison donnée par Einstein pour expliquer son refus : « Je serais dans l’obligation de dire aux Israéliens des choses qu’ils ne veulent pas entendre. » Et encore moins connue est la déclaration de Ben Gurion : « Dîtes-moi ce que je vais faire s’il dit oui! Je n’avais pas le choix, je ne pouvais pas ne pas la lui offrir. Mais s’il accepte, nous serons dans le pétrin. »
Des centaines, voire des milliers, de gens se font accuser d’antisémitisme parce qu’ils osent critiquer l’État d’Israël, le traiter d’un État d’apartheid et dénoncer le génocide des Palestiniens. Qu’ils se rassurent : ils sont en bonne compagnie, car si Einstein était en vie aujourd’hui il se trouverait aux premiers rangs des manifestants.
Par Robin Philpot, éditeur de Baraka Books, Montréal.
Source : Mondialisation.ca, 29 octobre 2024
* Toutes les citations sont du livre Einstein on Israel and Zionism, New Enriched Edition (Baraka Books, 2024). Nos traductions.
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COMMENTAIRE
EINSTEIN est-il antisémite ?
Trump, Harris, Macron, and Co pourraient très bien dénoncer, et même faire juger pour... antisémitisme le juif Albert Einstein parce qu'ils ont a osé écrire les choses « inconcevables » suivantes, qui ont été publiées au New York Times il y a 73 ans :
Nouveau Parti Palestinien
La visite de Menahem Begin et les objectifs de son mouvement politique
Aux éditeurs de New York Times
Parmi les phénomènes politiques les plus inquiétants de notre époque, est l’émergence, à l’intérieur de l’État d’Israël, nouvellement créé, du « Parti de la Liberté » (Tnuat Haherut), un parti politique qui ressemble beaucoup, dans son organisation, ses méthodes, sa philosophie politique et ses prétentions sociales, aux partis politiques nazis et fascistes. Il a été créé par des membres et sympathisants de l’ancien Irgun Zvai Leumi, une organisation chauvine, droitière et terroriste, en Palestine.
La visite en cours, aux États-Unis, de Menachem BEGIN, chef de ce parti, a, de toute évidence, comme objectif de créer l’impression qu’il y a un soutien américain à son parti aux prochaines élections israéliennes, et de renforcer les liens politiques avec les éléments sionistes conservateurs américains. Plusieurs Américains de réputation nationale ont prêté leur nom pour soutenir sa visite. Il est inconcevable que ceux qui luttent contre le fascisme à travers le monde, si correctement informés sur le passé politique de Monsieur Begin et ses ambitions, puissent ajouter leur nom au soutien du mouvement qu’il représente.
Avant que des dommages irréparables soient causés par des contributions financières, par des manifestations publiques de soutien au profit de Begin et par la création, en Palestine, de l’impression qu’une grande partie de l’Amérique soutient les éléments fascistes en Israël, l’opinion publique américaine doit être informée sur le passé et les objectifs de M. Begin et de son mouvement.
Ce que dit publiquement le parti de M. Begin, cache son vrai caractère. Aujourd’hui, ils parlent de liberté, de démocratie et d’anti-impérialisme, alors que, jusqu’il y a peu, ils prêchaient ouvertement la doctrine de l’État fasciste. C’est dans ses actions que le parti terroriste trahit ses réelles aspirations. C’est à la lumière de ses actions passées, que nous pouvons juger ce qu’on peut s’attendre qu’il fasse dans le futur.
Attaque d'un village arabe
Un exemple choquant a été donné par ce qu’ils ont fait contre le village arabe de Deir Yassin. Ce village, situé à l’écart des routes principales et entourées de terres juives, n’a pris aucune part à la guerre et a même combattu des groupes arabes qui avaient l’intention d’établir leur base dans ce village. Le 9 avril, selon le New York Times, des groupes terroristes ont attaqué ce paisible village, qui n’était en rien un objectif militaire dans ce conflit, et ont tué la plupart de ses habitants (240 personnes, hommes, femmes et enfants), et en ont gardé quelques uns en vie, afin de les faire parader, en tant que prisonniers, dans les rues de Jérusalem. La plus grande partie de la Communauté Juive fut horrifiée par cette démonstration et l’Agence Juive envoya un télégramme d’excuses au roi Abdullah de Cisjordanie. Cependant, les terroristes, bien loin de regretter leur geste, tirèrent fierté de ce massacre, en firent largement publicité, et invitèrent tous les correspondants étrangers présents dans le pays, pour voir les cadavres entassés et les dégâts causés au village de Deir Yassin.
L’incident de Deir Yassin illustre le caractère et les actions du Parti de la Liberté.
À l’intérieur de la Communauté juive, ils prêchent un mélange d’ultra-nationalisme, de mysticisme religieux et de supériorité raciale. A l’instar d’autres partis fascistes, ils ont pris l’habitude de briser des grèves et ont exercé, eux-mêmes, des pressions afin d’éliminer les syndicats indépendants. Dans leur élan, ils ont proposé la création de syndicats corporatistes sur le modèle de l’Italie fasciste.
Au cours de ces dernières années de violence sporadique à l’encontre des intérêts britanniques, les groupes IZL et STERN ont inauguré le règne de la terreur au sein de la Communauté juive de Palestine. Des enseignants ont été battus parce qu’ils ont parlé contre eux, et des adultes ont été abattus parce qu’ils n’ont pas autorisé leurs enfants à les rejoindre. C’est par des méthodes de gangsters, des coups, des vitrines brisées, des nombreux braquages, que les terroristes sont parvenus à intimider la population et à lui extorquer des grandes sommes d’argent.
Les membres du Parti de la Liberté n’ont joué aucun rôle dans les événements créatifs en Palestine. Ils n’ont récupéré aucune terre, construit aucune colonie, et n’ont fait qu’affaiblir l’activité de la défense Juive. Leurs efforts pour l’immigration, à grand renfort de publicité, ont été insignifiants et orientés principalement à porter en Palestine leurs compatriotes fascistes.
Des décalages constatés
Les décalages entre les prétentions hardies, formulées à présent par Begin et son parti, et l’historique de leurs actions passées en Palestine, portent l’empreinte d’un parti politique qui n’est pas comme les autres. C’est la marque indiscutable d’un parti fasciste pour lequel le terrorisme (contre les Juifs, les Arabes, aussi bien que les Britanniques) et la falsification sont les moyens, et “l’État Dominant”, le but.
A la lumière de ces considérations, il est impératif que la vérité, au sujet de Mr Begin et de son mouvement, soit connue dans ce pays. Il n’y a rien de plus tragique que de constater que la direction du Sionisme Américain a refusé de mener campagne contre les efforts de Begin, ou d’exposer à ses propres électeurs les dangers que représente pour Israël le soutien à Begin.
Par conséquent, les soussignés ont recours à ce moyen pour présenter publiquement quelques faits marquants concernant Mr Begin et son parti, et pour inciter toute personne concernée à ne pas soutenir cette dernière manifestation de fascisme.
Isidore ABRAMOWITZ, Hannah ARENDT, Abraham BRICK, Rabbi Jessurun CARDOZO, Albert EINSTEIN, Herman EISEN, M.D., Hayim FINEMAN, M. GALLEN, M.D., H.H. HARRIS, Zelig S. HARRIS, Sidney HOOK, Fred KARUSH, Bruria KAUFMAN, Irma L. LINDHEIM, Nachman MAISEL, Seymour MELMAN, Myer D. MENDELSON, M.D. Harry M. OSLINSKY, Samuel PITLICK, Fritz ROHRLICH, Louis P. ROCKER, Ruth SAGIS, Itzhak SANKOWSKY, I.J. SHOENBERG, Samuel SHUMAN, M. SINGER, Irma WOLFE, Stephan WOLF.
New York, 2 décembre 1948
Hannibal Genséric
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