Le conflit ukrainien a montré des faiblesses technologiques, mais aussi scientifiques en Occident [1]. Nous en analyserons certaines et essaierons d’en déterminer la cause. Nous aborderons ensuite la question de la science en général dans le monde et verrons comment la planète s’est à la fois standardisée et stérilisée. Nous observerons en second lieu les acteurs émergents, Russie et Chine principalement. Enfin nous traiterons le thème du renseignement scientifique dans ce contexte.
Les faiblesses technologiques et scientifiques occidentales
Alors que je donnais un cours facultatif d’informatique quantique à Skoltech [2] en 2018, présentant une approche non archimédienne qui déboucherait sur des machines de Turing infinies, un de mes élèves physicien issu de la fameuse université dite МФТИ[3], m’interpella et me déclara que les mathématiques que j’avançais n’étaient pas correctes et que je n’avais pas le droit d’écrire ce qu’il voyait. Formellement et dans une optique traditionnelle, il avait raison. Plus précisément, il prenait une attitude qui avait été prônée par Cantor lui-même lorsqu’il découvrit les infinis. Néanmoins, la discipline a évolué et en 1974, John Conway, hélas décédé récemment du Covid, a fourni une démarche extrêmement originale qui permet d’outrepasser les limites établies par son prédécesseur. J’expliquai cela à mon élève en lui disant que si je voulais justifier ce que je proposais, à des physiciens donc, il me faudrait expliciter un livre entier[4] et que je n’avais pas le temps nécessaire pour cela. Il prit la référence et accepta mes affirmations pour pouvoir continuer.
Ce qui est intéressant est la chose suivante. Jamais en France, même face à des étudiants issus de la rue d’Ulm, en physique et très probablement en mathématiques, je n’aurais pu avoir une telle remarque ! Il y a là une question de niveau et cet exemple en est une preuve convaincante. Le bagage des excellents élèves russes est incomparable. Et cela a donc des conséquences, car ce jeune se destinait à faire des moteurs de fusées… !
Il est essentiel d’avoir conscience de quelques faiblesses technologiques et scientifiques de notoriété publique.
Les faiblesses technologiques
– L’hypersonique
Tout d’abord, en 2018, quand Vladimir Poutine a annoncé que son pays avait des missiles hypersoniques, l’establishment militaire est entré dans le déni. J’ai eu des discussions personnelles avec des retraités, polytechniciens et ingénieurs de l’armement, qui avaient fait toute leur carrière à la DGA et qui n’y croyaient pas. Dans les débats que j’ai pu avoir avec eux, tout y est passé, du déni total en passant par les hautes altitudes, puis les questions de portée, les possibilités de guidage et de recalage en vol, etc. Il a fallu les premiers tirs pour qu’ils comprennent qu’il y avait eu une percée et qu’ils étaient comme le Grand-Duc dans le conte d’Andersen[5].
De fait, avec du retard à l’allumage, l’Occident s’y est mis. Je ne donnerai pas de références, car chacun pourra se faire une idée en effectuant une recherche sur Google tant ce fut un fiasco. Aujourd’hui les États-Unis ont abandonné la quasi-totalité de leurs programmes et n’ont jamais guère visé que des vitesses allant jusqu’à Mach 5 ou 6, quand le Zircon vole à Mach 9 au niveau de la mer et l’Avangard à Mach 27 à haute altitude[6]. Peut-être la France, via l’ONERA, n’est-elle pas si mal placée, mais, hélas, elle fait ses essais outre-Atlantique et est ainsi sous contrôle absolu[7].
En parallèle, les Chinois et les Iraniens ont montré des capacités à atteindre l’hypersonique. C’est donc d’un naufrage de classe mondiale qu’il s’agit. Cela dans un contexte de puissance anglo-saxonne maritime qui est complètement rendue obsolète par ces nouveaux engins dont la diffusion technologique est assurée à se propager très rapidement dans un contexte qui veut devenir multipolaire.
– L’aéronautique
Face aux Sukhoï et autres modèles d’avions de combat russes, nous avons principalement le F35 qui a été imposé à quasiment tous les benêts européens au détriment de notre excellent Rafale et du très bon Grippen. Le F35 coûte une fortune, a de piètres performances, tombe en panne régulièrement, a une maintenance hors de prix et un taux d’attrition à faire rêver un banquier qui le vendrait. Il se présente comme furtif, mais il n’a cette qualité que pour les radars sophistiqués occidentaux, pas pour ceux des Russes ! On voit bien là la machine coloniale en place qui oblige les vassaux à acheter de médiocres matériels au suzerain.
– L’électromagnétisme
C’est un domaine où l’avance russe est de notoriété publique. Je ne détaillerai donc pas le sujet, mais il suffit de regarder les scores d’interception des engins envoyés depuis l’Ukraine, quels qu’ils soient, pour constater un taux de succès de l’ordre de 90%. Cela inclut, bien entendu, le brouillage du GPS et les radars.
D’un point de vue global, on a l’impression que tant que les Ukrainiens ont utilisé du matériel soviétique, ils ont bien mieux résisté que lorsqu’ils sont passés à nos équipements. Cela devrait ou aurait dû faire l’objet de rapports chez nous, mais je ne sais absolument pas ce qu’il en est. Nous ne sommes plus dans un pays « normal ».
Les faiblesses scientifiques
– Les brevets
Le tableau ci-dessus donne une idée de la réalité[8]. Ceux qui sont intéressés pourront consulter le texte, mais il apparaît très clairement que la Chine fait la course en tête et représente à elle seule aux environs de 25 % du nombre total des brevets déposés dans le monde. Le sujet étant complexe, il y a d’autres façons de compter qui donnent la position de l’Empire du milieu comme encore plus avantageuse. On constate aussi une absence des États-Unis sur les dessins et modèles, ce qui, à terme, sera une importante faiblesse. Enfin, n’oublions pas que les marques sont le reflet de la domination des États. Au fur et à mesure de l’innovation et avec une montée en gamme de ses produits, la puissance asiatique a tous les atouts pour atteindre à brève échéance le haut du classement.
Souvenons-nous que cela est un tout et que la science, comme les autres domaines, est sensible à la communication, aux marques, aux images, etc.
– Le système scientifique
Parti d’un sentiment venu d’un pays ayant comme valeur essentielle l’argent, il fallait évaluer les chercheurs qui étaient, de fait, soupçonnés de ne travailler que très peu. On a donc mis en place, aux États-Unis, un système d’appréciation avec des revues à comité de lecture, des articles validés par les pairs et le fameux h-index qui mesure, parmi les caractéristiques, combien de fois un auteur va être cité par ses collègues. Il ne faut pas perdre de vue, en disant cela, que le contexte est avant tout financier : salaire élevé, reconnaissance internationale, voyages autour du monde tous frais payés, consultances hors de prix auprès de riches entreprises, etc.
Dès lors, il était assez trivial que ce système attire ce que j’appellerai ici des « mafieux ». On forme une coterie, on se met dans les comités de lecture avant tout pour censurer, on s’arrange avec les collègues pour se citer les uns les autres, on fait fi de la qualité des papiers quand encore ils sont justes. À ce titre la crise du Covid a largement appris au public que dans le domaine médical la plupart des résultats publiés sont faux (intentionnellement !). Mais déjà, Landau, prix Nobel de physique, en URSS, dans les années 60, déclarait[9] : « Je ne lis jamais les articles de physique. En physique, environ 60% des articles n’apportent rien de nouveau, 30% sont erronés et 10% contiennent des idées intéressantes ? »
Il faut bien comprendre que ce système favorise la formation de corporations qui disent détenir la vérité et protègent « leur vérité », car leur carrière et leur santé financière en dépendent.
– Le conformisme
C’est une conséquence de ce qui précède. Pour percer, les jeunes doivent faire progresser la science et la vision de ceux qui tiennent les cordons de la bourse. S’ils dévient, par exemple en émettant de nouvelles idées qui viendraient à modifier la position dominante des chefs de meute, ils ne passeront pas. Ils seront ostracisés et leur carrière ne démarrera pas.
Il y a même des interdits. Peut-être vaut-il la peine que je donne un exemple, sans citer son nom, d’un physicien nucléaire qui travaillait sur la fusion (chaude !). Un jour, il eut la velléité d’étudier la fusion froide, sujet controversé, et fut licencié sur le champ. On notera que ce n’était pas en France.
Idem pour Jean-Pierre Petit[10], chercheur au CNRS qui a découvert parmi les premiers, sinon le premier, la magnéto-hydrodynamique (MHD)[11] qui pourrait servir pour les missiles hypersoniques[12]. On le muta en astrophysique pour l’ostraciser, mais comme c’est un chercheur hors pair, il récidiva dans ce nouveau domaine avec son fameux modèle Janus qui lui valut à nouveau la mise à l’écart, car il ridiculisait les savants français les plus en vue.
A ce stade, on peut faire le lien avec le célèbre film Matrix, car échapper au système relève de l’exploit. Cela a toujours été, les découvreurs ayant constamment eu de grandes difficultés à promouvoir leurs travaux. Mais l’arrivée massive d’argent dans la science rend l’obstacle bien plus important aujourd’hui. Par ailleurs, le conformisme dont nous parlons fait décroître le rendement des sommes investies de façon extraordinaire.
– Le système d’instruction
La vision occidentale de l’instruction est celle d’un centre de coûts. Je n’ai pas connaissance d’une quelconque étude qui ferait état de retour sur investissement (RoI) et qui prendrait en compte, entre autres, le positionnement géopolitique que cela procure. Par exemple, maîtriser le nucléaire ou le spatial, même si cela coûte, permet d’être à un certain rang international et cela « rapporte » !
Néanmoins, sous l’influence américaine, il y a eu des tentatives de transformer le système en un centre de profits. La vocation philosophique initiale de l’école est donc devenue celle de fabriquer un produit, l’étudiant, qui aura pour objectif de se vendre le plus cher possible sur le marché du travail et, en conséquence, les candidats élèves accepteront de payer des sommes considérables pour accéder aux meilleures universités. La structure, bien qu’ayant commencé au niveau supérieur, a diffusé jusqu’aux degrés les plus bas.
Cela a des effets pervers ! Au-delà des problèmes pécuniaires de court terme que cela représente – la dette des étudiants américains étant de 1700 milliards de dollars[13] -, ce dispositif a conduit les protagonistes à resserrer les rangs en créant de véritables castes qui se font la courte échelle et qui finissent, dans certains secteurs, par truster tous les postes. La recherche n’est pas épargnée par ces coteries.
De plus, comme dans toute industrie fabricant des produits, pour gagner en efficacité, on a normé et établi des standards. Ceux des doctorats par exemple sont absolument désolants dans les méthodes d’approche si l’on compare cela à ce que pouvaient être, en France, les thèses d’État qui ont disparu.
Peut-être vaut-il la peine de préciser comment marche un doctorat actuellement. L’élève se focalise sur un sujet qui lui est en général susurré. Il commence par une recherche bibliographique qui dure au moins six mois. Il choisit dans ce fatras, un sous-thème sur lequel il va se concentrer pendant le reste du temps jusqu’à un total de 3 à 4 ans. Et on le déclarera docteur et chercheur à l’issue. Dans la plupart des cas il n’aura rien trouvé et au mieux, il aura très légèrement amélioré l’existant.
On remarquera aussi que pour ceux qui ont une tendance à l’humanisme, au sens du XVIe siècle, c’est-à-dire des personnes de grande culture et à spectre large de connaissances, ne trouveront pas chaussure à leur pied, car les thèses sont codifiées en domaines intellectuellement étroits et aucune vision globale n’y est autorisée, parce que cela impliquerait, entre autres, que plusieurs mandarins se parlent et risquent de perturber leurs disciplines respectives.
– La course à l’argent
Il est bien connu que les chercheurs passent près de 70% de leur temps à rechercher des financements. Ne nous étonnons donc pas de la piètre qualité du travail réalisé[14]. En entreprise, c’est encore pis, car une recherche doit, par construction, déterminer à l’avance combien elle va rapporter et évaluer le risque de non-faisabilité. Il est inutile, probablement, de vous préciser que même s’il y a 1% de chances d’échec, vous êtes mal parti.
– La question des nationalités
Nous vivons dans une époque de mondialisation. Néanmoins, puisque l’université, ayant abandonné toute velléité philosophique d’élever l’homme, fabrique un produit, les étudiants, eux, visent, dans une société rivée sur le matérialisme, à maximiser leurs revenus. S’ils font des sciences, ils seront de facto en concurrence sur tout le globe, alors que s’ils choisissent par exemple la filière du droit, typiquement nationale, ils vont passer d’un potentiel de 8 milliards de compétiteurs, à moins de 70 millions en France et encore moins en Belgique ou en Suisse. C’est ainsi que dans beaucoup d’États, les natifs ne font pas d’études scientifiques. Cela est dévolu aux personnes d’origine étrangère. Et c’est une catastrophe pour la France. Nous sommes en effet l’une des nations qui ont provoqué la révolution industrielle. Nous avions donc une base culturelle intrinsèque pour aborder la science. En désertant ce secteur, les Français de souche ont largement amoindri notre capacité collective à exister dans un monde devenu technologique, au profit de professions intermédiaires et parasitaires qui ressemblent de plus en plus aux charges qui étaient concédées sous l’Ancien Régime. Et on laisse aux immigrés les postes soumis à la compétition internationale.
La situation la pire se trouve aux États-Unis où en l’absence de Chinois et d’Indiens, il n’y aurait quasiment plus de science américaine. Mais, comme toujours, nous les suivons de près.
– La langue universelle
Les États-Unis ont réussi à imposer leur langue dans les publications scientifiques. Cela a un impact considérable. Tout d’abord, ceux dont l’anglais est l’idiome maternel ont un avantage important. D’autre part, cela efface la culture des autres. On peut en effet penser que la recherche utilise des subtilités civilisationnelles. Mais si vous êtes déraciné, ânonnant un vocabulaire qui n’est pas le vôtre, cela va perturber le plus profond de votre être. Les plus doués seront hybrides, mais la plupart seront handicapés. Ainsi, quand deux étrangers au dialecte de Shakespeare se rencontreront, leur discussion se positionnera sur l’intersection de la connaissance de ce dialecte qui imposera une manière de raisonner qui sera exogène à chacun des interlocuteurs, avec un résultat bien souvent étique.
Les travaux publiés dans les diverses revues existantes, sont donc en général incolores, inodores et insipides. Leur contenu est le plus souvent indigent. Cela est en conséquence un handicap sévère au développement d’une nation.
Néanmoins, tant en Russie qu’en Chine, une certaine science souterraine est pratiquée et n’est promulguée que dans des journaux locaux en langue indigène. Bien entendu, la diffusion n’est pas mondiale ou alors met du temps à percoler, comme les découvertes de Vapnik et Chervonenkis par exemple[15].
Précisons que quand il y a une vraie recherche militaire, nous devrions être dans une telle situation. Mais en France, au-delà du fait qu’il n’y en a pas vraiment, la plupart des impétrants s’y expriment dans un franglais extraordinaire. Sans doute est-ce le prix à payer de la vassalisation[16].
– La non-valorisation de la recherche fondamentale
Attaquons-nous maintenant à la question de la recherche fondamentale, et commençons par faire une remarque. Lorsqu’une découverte – bien souvent seulement une légère amélioration – est faite dans un contexte industriel, on dépose un brevet. Cela coûte très cher : 20 millions d’euros sur 20 ans pour le monde entier. Il vous faut donc trouver des investisseurs et bien entendu, cela nécessite un retour sur investissement à la hauteur des sommes consenties pour se protéger. Considérons maintenant un artiste qui écrit une chanson ou un livre, compose une musique, etc., il fera une déclaration à l’organisme ad hoc, cela lui reviendra à moins de 100 euros et il sera garanti pendant 70 ans. On voit rien qu’à la lecture des chiffres qu’il y a un problème.
Passons au chercheur fondamental. Alors qu’à l’instar d’Einstein il aura peut-être fait des avancées majeures pour l’humanité, il ne recevra rien, ne pourra rien protéger, ni pour lui ni pour sa descendance.
L’auteur de ces lignes plaide donc pour une réforme urgente de la recherche fondamentale. Dans le système dans lequel nous sommes, si l’on veut motiver les vocations, il faut qu’il y ait des possibilités de faire « fortune ». Et ce sera une bonne voie pour casser les coteries dont nous avons parlé plus haut. Typiquement, si une recherche fondamentale est utilisée pour faire de la recherche, c’est gratuit, mais si une application est développée, alors, pendant 70 ans, le découvreur se verrait attribuer 1% du chiffre d’affaires correspondant au produit. Rappelons que le grand Albert a eu son prix Nobel pour l’effet photoélectrique et qu’en conséquence, même si cela avait été assez tard, il aurait eu droit à quelques royalties, ainsi que sa famille.
– La corruption de la science
Les coteries, nous l’avons vu, amènent à la corruption de la science. Prenons quelques exemples. Nous avons eu les questions concernant le Covid, sa dangerosité supposée avec des prévisions de mortalité qui se sont révélées fausses, tout autant que les taux de contagiosité. Il y a aussi eu le scandale des vaccins et la volonté délibérée de ne pas reconnaître l’efficacité de certains traitements pour pouvoir rendre quasi obligatoire la vaccination qui est en passe, outre-Atlantique, d’être requalifiée en thérapie génique[17].
Nous avons également la thèse du réchauffement climatique qui a été démontée depuis longtemps, l’argumentaire n’ayant pas pris une ride[18].
Bien entendu, en sus de ces deux cas extrêmes, il y en a beaucoup d’autres, les sommes en jeu sont considérables. Les vaccins pour l’épisode Covid ont coûté à l’Union européenne 71 milliards d’euros[19]. Quant à ladite transition énergétique, ce sont des milliers de milliards d’euros pour une inefficacité extraordinaire. Rappelons à titre d’exemple le montant du raccordement des éoliennes flottantes en Méditerranée[20] qui était évalué, à lui seul, à 300 millions d’euros, soit plus de 15 EPR !
On voit donc bien que cela va avoir un retentissement sur la science, comment elle est enseignée, ce qui va être professé, comment cela va être orienté et comment cela va s’articuler avec les coteries, la fabrication du produit étudiant, son exploitation par le système industriel, etc.
N’hésitons pas à citer l’ISAE SUPAERO à Toulouse qui, dans son « référentiel aviation climat »[21] réussit le tour de force à expliquer à des élèves en aéronautique qu’il faudra réduire le nombre de vols en avion pour les personnes. C’est à peine s’ils ne donnent pas écho à l’ineffable Jean-Marc Jancovici qui plaide, c’est bien connu, pour que chaque être humain sur terre n’ait plus droit qu’à 2 allers et retours en aéroplane[22] dans leur vie.
– Le manque de diversité
La science devient ainsi normalisée et religieuse, au sens où elle ne saurait être discutée quand bien même elle serait dans l’erreur. Là encore, certains se gaussent de l’Église et de son attitude vis-à-vis de Galilée, mais faisons-nous mieux aujourd’hui ? Combien de médecins ont perdu leur emploi dans l’épisode Covid pour avoir voulu exercer leur métier selon les standards anciens ? Qui sait qu’actuellement les traitements médicaux et leurs protocoles sont élaborés par ceux qui choisissent « médecine publique » lors de leurs études, que ces gens-là ne voient jamais de malades et que ceux qui les soignent ensuite et qui, eux, en côtoient à longueur de journée n’ont pas le droit de déroger ?
– L’ostracisation des originaux
Elle mérite quelques exemples. Commençons par Jacques Benvéniste[23] qui avait théorisé la mémoire de l’eau. L’histoire est controversée, mais est-il certain que cette hypothèse a été correctement invalidée ? La preuve en est que Luc Montagnier[24], prix Nobel, a repris ses travaux. Et dès qu’il l’a fait, il a été ostracisé ! Sans doute ces gens-là devaient-ils gêner bien des intérêts. Idem aux États-Unis où Pons et Fleischmann[25], ce dernier nobélisable en chimie, ont perdu leur carrière en 9 mois quand ils ont émis la possibilité de fusion froide. Et nous avons évoqué plus haut les vexations qu’a subi Jean-Pierre Petit, l’inventeur de la MHD, utilisée par missiles hypersoniques russes.
Notre pays est donc devenu une entité non pas composée de leaders, mais de suiveurs. A l’heure d’Internet et des réseaux sociaux, même auréolés de prix Nobel[26] ou autres, la plupart de nos savants, récompensés par les seuls États-Unis, ne sont guère capables que de mettre un pouce en l’air sur ce qui se passe chez l’oncle Sam.
– La pauvreté de la science utilisée dans le domaine de l’ingénierie
Nous terminerons ce tour d’horizon par l’indigence scientifique des ingénieurs qui sont passés du statut d’éléments d’excellence dans les années 50 à celui d’une armée de suiveurs des diverses modes et de propagateurs de doxa depuis les années 90 grâce à un vernis scientifique qu’il ne faut pas trop gratter sinon on aperçoit rapidement des dérapages.
À titre d’exemple, l’ingénierie aujourd’hui utilise au mieux et en général, des mathématiques du milieu du XXe siècle, mais le plus souvent celles du XIXe. Or, de 1990 à 2000, on a découvert 200.000 nouveaux théorèmes de mathématique et la croissance se poursuit de manière exponentielle. Dans le même temps, le contenu des programmes de mathématiques et de physique est devenu très léger et on forme toujours les ingénieurs en ayant diminué les horaires consacrés aux disciplines scientifiques. Voilà un excellent cocktail pour l’échec que l’on observe voit très clairement aujourd’hui.
Toutes ces faiblesses occidentales sont graves. J’ai démontré, dans certains de mes ouvrages[27] comment le système occidental, basé sur l’argent, contamine les esprits pour les conduire à des attitudes visant à créer le maximum d’argent plutôt que de la vraie richesse matérielle ou intellectuelle.
Je vais vous passer les détails, mais nous avons pu constater de visu ce qui y était prédit. Le conflit ukrainien démarre. Bruno Lemaire fait sa déclaration inepte de vouloir mettre la Russie à genoux[28]. Et ledit pays, qui n’avait que le PIB de l’Espagne, avec 150 millions d’habitants seulement, tient tête au « milliard doré » de l’Occident qui est entré depuis dans une crise profonde alors que l’ennemi désigné est en assez forte croissance.
Encore une fois, sans aller dans des détails, techniques pour le coup, ce qui fait la différence entre la Russie et l’Ouest, c’est l’appareil économique qui n’a pas les mêmes fins. Et on en voit clairement le résultat. Il faudrait tout changer chez nous, mais cela mettrait tellement en péril les intérêts les plus puissants qu’il est plus sûr d’attendre un effondrement qui contraindra la remise en question plutôt que de vouloir réformer le système.
Le renseignement scientifique
Dans un tel contexte, que pourrait être le renseignement scientifique ? Avons-nous des éléments capables de comprendre ce qui se passe en Chine et en Russie dans des domaines stratégiques ? Sûrement pas avec ce que nous venons de dire.
Prenons un exemple sous forme de question. L’entreprise chinoise de télécommunications Huawei a fait l’objet de sanctions d’abord aux États-Unis, puis dans le monde occidental. L’argument qui a permis de l’attaquer était que les dispositifs vendus par cette société servaient à espionner. Tout d’abord, l’offensive arrivant des États-Unis qui, auparavant, étaient leaders, ne manque pas de sel. Nous sommes légitimes en effet à concevoir que les matériels américains étaient, jusque-là, truffés de moyens de surveillance. Cela n’a, semble-t-il, jamais effleuré les médias de grand chemin. Mais il y a mieux. Quand on sait avec quelle jalousie la Russie tient à ses secrets que peut-on, dès lors, penser de l’attitude de ce pays qui s’est pleinement équipé de la 5G chinoise et de serveurs chinois ? Il y a deux solutions. Soit les Russes sont des inconscients, soit ils sont bien meilleurs que les Occidentaux et, lorsqu’ils conçoivent un système de télécommunications avec des « briques » faibles, ils sont capables d’en tirer un édifice « solide », ce que ne sauraient faire ni les Américains ni les Européens.
En conséquence, les Européens, vassaux, vont acheter du matériel d’outre-Atlantique plus cher, moins performant techniquement et qui, en plus, les espionnera ! Elle est pas belle l’Europe ?
Mais revenons au renseignement scientifique. En général, ce travail est en partie dévolu aux attachés scientifiques des ambassades. Quand on voit ce qui s’est passé en 2018 lorsque Poutine a déclaré au monde qu’il avait désormais des missiles hypersoniques et quand on voit l’incrédulité de l’Ouest, toutes nations confondues, on peut raisonnablement se dire que certains sont très bien payés à manger des petits fours et briller dans les cocktails, mais qu’ils ne sont au niveau de rien.
Nous avons évoqué plus haut l’efficacité des systèmes de brouillage du GPS. Fut-ce une surprise pour ces gens-là qu’un adversaire pourrait facilement le faire ? Quid des missiles et autres engins guidés par ces systèmes ? Qu’a fait le renseignement durant toutes ces années ? Et s’il l’a observé, pourquoi n’a-t-il pas été écouté ?
Le système des publications
Être le maître d’œuvre des publications est un avantage considérable en matière de renseignement. On connaît les ruptures avant leur parution et parfois même dans certains pays, elles ne sont pas détectées et des articles sont soumis à diffusion alors qu’ils ne devraient pas l’être. En stérilisant le système, les Américains ont complètement détruit leur atout. Reste à savoir si les Chinois pourront les remplacer un jour en imposant leur langue. Ce sera sans doute difficile, mais forts de leurs 1,5 milliard d’habitants, ils ont assez de ressources pour conserver le meilleur en interne, idem pour les Indiens. La problématique est plus délicate pour les Russes, mais ils ont montré par le passé qu’ils sont capables de beaucoup avec très peu.
Le système d’instruction
Si des étudiants étrangers viennent, ils peuvent ensuite être exploités, soit directement pour du renseignement, ce qui peut se faire à titre exceptionnel, mais plus sûrement à titre indirect, via des contacts amicaux et des échanges réguliers. Là encore, la langue utilisée jouera un rôle majeur. Encore faut-il être attractif. Et nous avons vu que nous ne le sommes plus.
Les coopérations industrielles
Elles ont encore le vent en poupe en particulier en Europe alors qu’elles sont un moyen de pillage avéré. Certains acteurs l’ont bien compris, comme peut-être Dassault dans le cadre du SCAF. On observera, que l’avionneur français ne peut décemment y mettre toute son expertise sans s’en faire voler une partie substantielle par les Allemands. Rappelons par ailleurs qu’un projet industriel à n coopérants, voit croître son coût[29] comme la racine de n, ce qui fait moins cher pour chaque participant, mais augmente l’acquisition de l’unité de savoir de racine de n. C’est donc une très mauvaise opération alors que c’est un des piliers de l’Europe. Avec la multipolarité et la scission du monde actuel, cette ressource va péricliter.
Les prix et petites compétitions
Prenons un exemple récent qui nous vient de Google[30] qui offre 5 millions de dollars à qui trouvera des applications aux ordinateurs quantiques. Voilà un véritable moyen de renseignement. De même quand le CNES organise des petites compétitions, pratique-t-il l’espionnage aussi. Néanmoins, il y a fort à parier que Russes et Chinois ne participeront jamais à cela.
L’éléphant au milieu du couloir
Nous terminerons par une référence au conflit ukrainien dans lequel l’Occident a démontré une grande faiblesse scientifique. Sa crédibilité est définitivement entamée. Il apparaît clairement aux jeunes talents que s’ils veulent accomplir des exploits, il vaut mieux aller ailleurs. De plus, il y a actuellement un mouvement de reflux de Chinois ayant fait de brillantes études aux États-Unis et qui retournent dans leur pays pour y monter des industries dans lesquelles ils feront fortune et pour lesquelles ils trouveront un soutien étatique au moins aussi bon qu’en Amérique, sans compter le positionnement social.
*
Nous voilà au crépuscule de cet article qui, malgré sa longueur, n’a pu que survoler le sujet. Notre système scientifique est un champ de ruines, amplifié par notre vassalisation. Cela nous empêche donc même d’imaginer comment s’en sortir. L’Occident qui s’est vu en rentier – notion qui a été vendue au public sous le nom de société post-industrielle – a définitivement perdu la bataille de la science, son système s’étant stérilisé de l’intérieur, l’argent y ayant percolé pour amener de la corruption. Cela rend nos chercheurs indigents ne serait-ce que pour faire du renseignement scientifique efficace, seule chose qui aurait pu nous rester puisque nous n’avons pas su préserver le niveau qui nous aurait permis de conserver le leadership.
Le pire dans cette affaire, c’est que les responsables de cet effondrement n’en paieront jamais le prix. Ceux qui restent, oui !
Source : NOTE RENSEIGNEMENT, TECHNOLOGIE ET ARMEMENT N°80 / mars 2024
Par Jean-François GENESTE
Jean-François Geneste a près de 40 ans d’expérience dans les domaines aéronautique espace et défense. Il a été directeur scientifique du groupe EADS, devenu Airbus Group, pendant 10 ans. Il a été professeur au Skolkovo Institute of Science and Technology à Moscou. Il est actuellement le PDG de la startup WARPA qui vient de se voir attribuer un brevet pour son moteur de propulsion spatiale à impulsion spécifique infinie.
Voilà, tout est dit sur l'état de l'art en matière scientifique occidentale. Ces constats qui ne sont pas nouveaux seront la base d'un changement nécessaire mais pourtant hypothétique, hélas.
RépondreSupprimerLe changement se fera sans la science, quand nos derniers puits de pétrole ou poche de gaz auront été vidés. A ce moment, le changement sera cruel.
SupprimerSi la science devait régler le problème de l’inadéquation entre le niveau de vie, le nombre de terrien et la limite des ressources, nous ne serions pas en guerre pour se partager les dernières ressources énergétiques.
RépondreSupprimerPenser que la sophistication des armes donnera un avantage sur le terrain de l'accaparement des ressources est un leurre.
La preuve, les russes dispose de l'hypersonique ... et bien les occidentaux peuvent répondre avec le nucléaire, mais personne n'a envie de détruire la planète en l'espace d'une slave de tir de missiles nucléaires. Donc, tout le monde se retient.
Les outils sont multiples pour faire redescendre la population autour du milliard d'êtres humain : baisse de la fécondité et de l'espérance de vie, guerres civiles, famines, rationnement, inflations, pseudo pandémies, ...
Imaginez qu'un strato volcan explose et c'est -50% de production agricole pendant 5 ans. Qu'est ce qu'il se passe alors ? Que fait-on ?
La Russie (et l'Ukraine) a toujours disposé d'une excellente école de mathématique et de physique. Notre système occidental est sclérosé, mais nous arrivons encore à produire d'excellents chercheurs. Le problème réside dans le système de financement et de sélection.
RépondreSupprimerAprès, je rejoins un des commentaires au dessus. La science ne peut nous sortir du trou dans lequel nous sommes. Penser que la croissance (la consommation) est exponentielle dans un monde fini est une idiotie qui nous emmène dans le mur.
Sortir de l'impasse dans laquelle nous nous trouvons ne se fera que par un système politique adéquate pour changer nos modes de vie.
"Sortir de l'impasse dans laquelle nous nous trouvons ne se fera que par un système politique adéquate pour changer nos modes de vie."
Supprimerou alors les changements nous s'appliqueront de fait et dans la douleur.
Il y a tant à dire, mais je commenterai juste la théorie Janus de Jean-Pierre Petit.
RépondreSupprimerJPP a formulé cette théorie parce qu'il croyait au manque de masse pour expliquer les anomalies de la force gravitationnelle observées dans le cosmos. C'est ce manque supposé qui est la cause de l'invention de la matière noire dans l'astrophysique conventionnelle.
Par exemple, la rotation des galaxies n'obéit pas aux lois de la gravitation. On voit que toutes les étoiles, celles du centre comme celles de l'extérieur, tournent à même vitesse angulaire, comme si les galaxies étaient des objets monoblocs.
L'astrophysique conventionnelle a expliqué ce phénomène en décrétant, d'autorité, qu'une matière indécelable "soudait" les galaxies. Au lieu d'exprimer simplement le constat scientifique : La rotation des galaxies n'obéissent pas à la gravitation. Et d'ouvrir ainsi une voie de recherche.
En fait, cette énigme est résolue depuis belle lurette par des scientifiques qui travaillent en dehors du système mafieux. L'univers étant composé de plasma à 99,99%, il développe, on ne sait trop comment, des courants électriques (courants de Birkeland) et des forces électromagnétiques qui surpassent la force de gravitation de plusieurs ordres de grandeur ; les galaxies sont des structures de plasma maintenues par les forces électromagnétiques ; les étoiles, dont le spectre lumineux est celui d'un arc électrique, sont alimentées par l'électricité des galaxies ; comme l'univers est électrique, il est fractal …
Machin
Marc Henry explique le problème de la science d'aujourd'hui :
RépondreSupprimerhttps://www.youtube.com/watch?v=pZjTaGQE96M
De 49:00 à 55:50.
Il raison.
SupprimerLe problème est humain, et aussi vieux que depuis que nous sommes sur terre, c'est la compétition autour du pouvoir, de sa conquête, et du maintient de celui ci...
RépondreSupprimerCompétition rivalités etc etc etc...