vendredi 12 décembre 2025

La Belle et la Bête : Pepe Escobar et la stratégie de sécurité nationale des États-Unis

FLORENCE, Italie – La nouvelle stratégie de sécurité nationale américaine, version décembre 2025, est un édifice hybride fascinant et atypique, digne d'un projet Bosch. Elle ne correspond pas exactement à ce qu'elle paraît.

Un déferlement de gros titres à travers l'Occident désorienté s'est concentré sur une apparente volonté de normalisation des relations entre Washington et Moscou. Mais c'est loin d'être le sujet principal de cette création digne de La Belle et la Bête.

Pour commencer, quel centaure a conçu le monstre du NSS ? Serait-ce Trump ? Peu probable. Ce ne serait pas le secrétaire aux Guerres sans fin, ce clown. Ce ne serait pas Marco Rubio, qui peine à situer quoi que ce soit en dehors du Venezuela et de Cuba sur une carte. Alors, qui est le coupable ?

 Political cartoon U.S. President Trump Statue of Liberty Beaty and the Beast  | The Week

Le véritable objectif de la NSS est de saper le partenariat stratégique russo-chinois par tous les moyens. Trump, instinctivement, et les vieilles fortunes, les classes dirigeantes américaines traditionnelles, ont peut-être enfin conclu qu'il est vain d'investir dans une guerre frontale contre deux rivaux stratégiques de même niveau,  la Russie et la Chine . On retombe donc dans la stratégie « diviser pour mieux régner ». Et pour tous les autres, c'est le pillage.

Le NSS propose apparemment à Moscou une série d'incitations géoéconomiques et géopolitiques tout en intégrant méticuleusement des mesures coercitives sous forme hybride – susceptibles soit de provoquer la fragmentation de l'élite russe en l'attirant vers le marché américain et les « valeurs » américaines, soit de plonger la Fédération de Russie dans des « tensions » ethniques, coordonnées par la cyberguerre.

Rien ne garantit que la nouvelle équipe Trump sera suffisamment habile pour y parvenir. En clair, et sans jargon diplomatique, il s'agirait d'« isoler » Moscou une fois de plus tout en « contenant » la Chine. Moscou et Pékin ne se laisseront pas prendre au piège.

Ce qui est clair jusqu'à présent, c'est qu'avec la nouvelle stratégie de sécurité nationale, l'idéologie de la guerre perpétuelle persiste. Mais sous une nouvelle appellation : les guerres seront désormais majoritairement hybrides, indirectes et peu coûteuses.

Bienvenue dans la multipolarité gérée

Même en réduisant le NSS à un simple outil narratif – l’Empire du Chaos étant un maître en la matière –, d’importants changements rhétoriques semblent s’opérer. L’ancienne « nation indispensable » n’est plus perçue comme un Robocop mondial imposant son hégémonie, mais comme un Robocop régional, opérant dans certaines zones (principalement l’hémisphère occidental). L’Europe et l’Asie occidentale sont reléguées au second plan.

Pour aggraver ce changement de realpolitik (pragmatique ?), il s'agit désormais, du moins en théorie, d'un empire non idéologique. Les « autocraties » sont acceptables tant qu'elles jouent le jeu impérial ; ce sont maintenant les chihuahuas de l'UE qui sont qualifiés d'« antidémocratiques ». Trump 2.0 soutiendra une multitude de partis européens « patriotiques », ce qui, comme prévu, provoquera des crises cardiaques en série dans toute la sphère bruxelloise vassalisée.

La NSS promeut également sa propre version du monde multipolaire. Qu'on pourrait appeler « multipolarité gérée », à l'image du Japon « gérant » l'Asie de l'Est et des vassaux israélo-arabes « gérant » l'Asie de l'Ouest via les accords d'Abraham, la « lutte contre le terrorisme » étant imposée par les pétro-monarchies du Golfe. Dans les deux cas, l'Empire du Chaos tirera les ficelles en coulisses.

L'OTAN est, en pratique, réduite à la misère. L'Empire monopolise tout : armes, distribution des fonds, garanties nucléaires. Il incombe aux États vassaux de se plier à toutes les exigences impériales, notamment en consacrant 5 % de leurs maigres budgets à l'achat d'armements (essentiellement américains).

Il n'y aura plus d'élargissement de l'OTAN : après tout, les véritables priorités sont l'hémisphère occidental et l'« Indo-Pacifique », cette formulation inexistante appliquée à la réalité de l'Asie-Pacifique.

L'alliance OTAN/UE n'est désormais, au mieux, qu'une nuisance – comme des moustiques dans un hôtel cinq étoiles. Même avec l'article 5 et le parapluie nucléaire toujours en vigueur. Pourtant, c'est aux Européens de payer, et de payer encore. Sinon, l'Empire les punira.

Le Sud global/la majorité mondiale peine à contenir son impatience lorsque viendra le jour – et il viendra – où la Russie scellera la défaite stratégique définitive de l’Occident collectif sur le sol noir de Novorossiya.

D'une certaine manière, le NSS anticipe déjà ce jour, le nouveau récit montrant clairement que l'Empire est déjà passé à autre chose.

Contenir la Chine à nouveau

L’Amérique latine, comme le reste de l’hémisphère occidental, subira une pression maximale conformément à la Stratégie de sécurité nationale, qui réaffirme explicitement un corollaire de la doctrine Monroe sous l’ère Trump. L’Empire veut récupérer son arrière-cour – l’ensemble du territoire – afin de pouvoir le piller sans restriction.

Tout cela est une question de ressources naturelles : cela concerne le Venezuela et la Colombie, mais aussi, de façon inquiétante, le Brésil et le Mexique. Les « rivaux non hémisphériques » – comme la Chine – seront « contrôlés ». Guerre hybride en marche, de facto – une fois de plus.

Le discours de la NSS s'efforce de masquer son obsession pour la Chine. Le masque tombe lorsqu'il aborde la question de la Première Chaîne d'Îles.

« Nous allons bâtir une armée capable de repousser toute agression dans la Première Chaîne d'Îles. Mais l'armée américaine ne peut pas, et ne doit pas, y parvenir seule. Nos alliés doivent intensifier leurs efforts et investir davantage – et surtout agir – pour la défense collective. »

Traduction : La « Première Chaîne d'Îles » – des îles Kouriles en Russie, en passant par Okinawa et Taïwan, à travers les Philippines, jusqu'à Bornéo – constituera le point culminant de la militarisation en Asie-Pacifique. La Stratégie de sécurité nationale (SSN) étant un récit, elle présente cette stratégie d'encerclement héritée de la Guerre froide comme un bouclier protecteur. Pékin ne se laissera pas berner : il s'agit, en pratique, d'une politique d'endiguement de la Chine en Asie-Pacifique poussée à l'extrême.

Pékin est-il impressionné ?  Pas vraiment.  Surtout quand on sait que l’excédent commercial de la Chine a, pour la première fois, dépassé les 1.000 milliards de dollars, même en tenant compte de la baisse des exportations vers les États-Unis suite à la politique tarifaire autoritaire de Trump. Privilégions le commerce à l’endiguement.

Retour au Chihuahuastan. Le monde entier sait désormais que l'alliance UE/OTAN se prépare à une guerre contre la Russie avant 2030 ; cela pourrait même se produire dès l'année prochaine. Ils envisagent également une attaque préventive contre la première puissance nucléaire et hypersonique mondiale.

Loin du côté comique inhérent au suicide politique européen au ralenti, dans la réalité, les États-Unis et le Japon vassal ont refusé de se joindre à l'obsession européenne de voler les fonds russes.

L’effondrement de l’UE – une construction artificielle dès le départ – est aussi inévitable que la mort et les impôts : se profile à l’horizon un nuage toxique de sorties à la manière du Brexit ; une zone euro ingouvernable ; des fuites de capitaux en série ; des rendements obligataires en constante augmentation ; une dette publique insoutenable ; un effondrement du marché unique ; une paralysie institutionnelle ; et une perte totale, irrémédiable et définitive de la légitimité qu’elle n’a jamais eue.

Un livre récemment publié en Italie par la jeune économiste Gabrielle Guzzi résume tout dans son titre :  Eurosuicidio . Spengler y faisait remarquer que toute civilisation finit par disparaître ; ce projet européen actuel pourrait bien être le chant du cygne – politique, militaire et spirituel – d’une zone géographique, d’une péninsule eurasienne, jouant son ultime rôle dans l’Histoire, après n’avoir tiré aucune leçon de deux tentatives de suicide précédentes : la Première et la Seconde Guerre mondiale.

L'Empire s'en soucie-t-il ? Pas du tout. La Belle s'éteint tandis que la Bête poursuit son chemin.

Source : The Beauty and the Beast: Pepe Escobar on the US National Security Strategy

4 commentaires:

  1. https://fr.topwar.ru/274987-senator-ssha-hochet-rasprostranit-praktiku-zahvata-tankerov-i-na-rossijskie-suda.html
    Légaliser la piraterie US et l'étendre aux navires russes! Délire russophobe de Graham, un malfaisant sénateur US néo-cons!

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  2. En miroir et complément à l’analyse de Pepe Escobar, le « docteur » de Covidémence nous livre, lui aussi son point de vue, depuis la France.
    1/2 - « L’UE couches et biberons : “Trump il fait rien qu’à nous embêter”. »
    Un extrait. …..  «Mais les Bruxellois n’ont plus que l’hystérie comme mode de traitement de l’information. Un fait -pourtant évident- que l’on oublie : ce document incarne la politique de Trump-Vance. Rien de plus. Si Vance perd la présidentielle de 2028… alors les priorités de “sécurité nationale” changeront. Tout redeviendra comme sous Biden. Probablement en pire. Il y a bien entendu des lignes de fond qui demeurent et qui transcendent les différentes administrations. Citons : le déclin de la puissance américaine et la Chine qui s’affirme (les 2 faces d’une même pièce). Et d’autres qui évoluent avec le temps.
    Le “pivot vers l’Asie” par exemple, théorisé sous Obama (ça fait un bail) puis oublié sous Biden (qui était manifestement compromis via la corruption de sa famille)… et enfin réactivé par Trump 2 sous la forme d’une guerre commerciale (perdue)… n’est plus qu’un souvenir. Les Etats-Unis ont perdu. »….

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  3. 2/2 – Autre extrait : …. «Pourtant, l’énormité de l’urgence est telle que Trump devrait lancer la CIA et la NSA (les grandes oreilles) à la chasse aux crapules gauchistes bruxelloises, françaises, allemandes, anglaises qui ravagent l’Europe et son futur. Afin de faire le ménage et de nous aider. Où sont les opérations “homo” dont raffolait Hollande (oui, oui les assassinats extrajudiciaires) ? Les plans “Condor“, “Phoenix“, “Gladio” ? Où sont les honeypots, les chantages ? Où sont les dossiers compromettants ? Où sont les révolutions colorées ? Trump continue de parler à ces crapules, de les inviter à Washington (même si c’est pour les humilier).
    Il se plaint souvent mais n’agit pas. Or, si ces dirigeants éprouvent de la peine pour les populations européennes, l’état profond -lui- n’a pas d’amis. Et son intérêt demeure -inexplicablement- d’affaiblir l’Europe. Cette posture agressive dure… depuis 1945 (on se souvient des déclarations de Mitterrand, sur son lit de mort : “La France ne le sait pas, mais nous sommes en guerre avec l’Amérique“). »….
     Tout lire : https://covidemence.com/2025/12/12/lue-couches-et-biberons-trump-il-fait-rien-qua-nous-embeter/

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  4. "Afin de faire le ménage et de nous aider. Où sont les opérations “homo” dont raffolait Hollande (oui, oui les assassinats extrajudiciaires) ?"
    Présentement, les plans" homo " de la macronie ont pour cibles ceux qui ont accès au très lourd dossier "Brigitte" ou aux magouilles financières de son mari, via une équipe de sicaires, au doux nom de Lily, qui semble inclure Benalla, Nunès et d'autres encore aux noms moins connus.

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