L'historien
et démographe Emmanuel Todd analyse en profondeur la signification du vote
britannique en faveur d'une sortie de l'Union européenne. Grand entretien. " après le réveil de
l'Allemagne, de la Russie, et du Royaume-Uni, doit être le réveil de la France.
Suivre les Anglais est conforme à notre tradition révolutionnaire"
Atlantico : Le
23 juin, le Royaume-Uni a fait le choix de sortir de l'Union européenne.
Emmanuel Todd, on vous imagine très satisfait de ce résultat…
Emmanuel Todd : C'est une
évidence mais ce n'est pas vraiment le problème. Je m'intéresse à ce qui se
passe en tant qu'historien de l'Ecole française de la longue durée, celle de
Fernand Braudel et de mon maître Emmanuel Le Roy-Ladurie; j'essaye de
m'extraire du court-termisme de l'agitation des hommes politiques. Le Brexit
fait partie d'un phénomène global sur lequel je travaille et qui concerne
l'ensemble des sociétés les plus avancées, incluant l'Amérique, le Canada,
l'Australie, le Japon : la divergence. Les démographes savent que les
niveaux de fécondité sont très différents, que certaines populations se
reproduisent, que d'autres n'y arrivent pas, que certaines doivent donc faire
appel à l'immigration et d'autres non ; les travaux d’Atkinson et de
Piketty montrent que la vitesse et l’ampleur de la montée des inégalités sont
différentes.
L’anthropologie des structures familiales permet de
comprendre l’origine de ces différences et de cette divergence généralisée. Ce
qui se passe actuellement, dans le contexte de la globalisation, ce n'est pas
seulement que les cultures nationales résistent, mais que le stress et les
souffrances de la globalisation conduisent les sociétés, non pas à s'ouvrir
plus et à converger, mais au contraire, à trouver en elles-mêmes, dans leurs
traditions et dans leurs fondements anthropologiques, la force de s’adapter et
de se reconstruire. C'est ce que j'observe, et ce, bien au-delà du contexte
européen.
Le Japon est dans une période de recentrage sur
lui-même, des gens rêvent de la période d'Edo durant laquelle le pays se
développait de manière autonome, et à l'insu de l’Europe. Ce sont des forces du
même ordre qui ont permis l'émergence de candidats comme Bernie Sanders ou
Donald Trump aux Etats-Unis, et qui exigent une sortie du "consensus de
Washington" et du discours mondialisé, avec un rêve de refondation de la
nation américaine.
En Europe, c'est encore plus intéressant parce que
nous sommes un système de vieilles nations. L'Europe s’est engagée la première
dans ce processus parce que l'Allemagne est partie la première. La
problématique du retour à la nation a été imposée à l’Allemagne en 1990
par sa réunification. C’était son devoir, elle devait reconstruire sa partie
orientale. Elle a eu une sorte de temps d'avance qui l’a menée, presque par
accident, à sa situation de prééminence sur le continent européen depuis 2010
environ. Le deuxième pays en Europe qui se soit recentré sur un idéal
national, après bien des troubles, c'est la Russie. L'Empire soviétique s'est
décomposé, la Russie a traversé une période de souffrances terribles entre 1990
et 2000, mais l'accession de Poutine a finalement incarné ce retour de la
Russie à un idéal national, recentré sur une notion néo-gaulliste
d'indépendance. Il a fallu une quinzaine d'années aux Russes pour se retrouver
en situation économique, technologique et militaire de ne plus avoir peur des
États-Unis. Ce que l'on a pu constater, par étapes, en Géorgie, en Crimée, puis
en Syrie. On en arrive à une situation où les armées occidentales qui veulent
survoler la Syrie doivent demander l'autorisation aux Russes.
Ce référendum sur le Brexit, dans cette logique, c'est
l'étape numéro 3 : la réémergence du Royaume-Uni en tant que nation.
Et quelle
serait la spécificité du Royaume-Uni dans cette dynamique de retour à la nation
?
Ils ne sont pas les premiers mais c'est probablement
l'étape la plus importante parce que c'est l’un des deux pays leader de la
mondialisation. Avec Margaret Thatcher, ils avaient un an d'avance sur les Etats-Unis
dans la révolution néo-libérale. Ils font partie de ces pays qui ont les
premiers impulsé cette logique. Un re-basculement anglo-américain vers
l’idéal national est plus important que l'émergence allemande ou la
stabilisation russe. Depuis le XVIIe siècle, l'histoire économique et
politique du monde est impulsée par le monde anglo-américain. La nation
anglaise a deux caractéristiques combinées et contradictoires. Il s'agit
d’abord de la culture la plus individualiste d'Europe, la plus ouverte ;
c'est le pays qui a inventé la liberté politique. Ensuite, et paradoxalement,
c'est aussi une identité nationale à base ethnique pratiquement aussi solide
que celle des Japonais. Comme les Japonais, les Anglais savent qui ils
sont.
Si l'on suit
votre raisonnement de retour à la nation, après l'Allemagne, la Russie, et
maintenant le Royaume-Uni, quel pays est le suivant ?
Pour accepter ce que je vais dire, il faut sortir des
poncifs sur l'Angleterre, ces Anglais bizarres qui ont des bus à deux étages,
qui roulent à gauche, qui ont de l’humour, une reine respectée, etc…Tout
cela est vrai. Mais il faut surtout voir les Anglais en leader de notre
modernité, dans la longue durée braudélienne. La révolution industrielle
est venue d'Angleterre et d’Ecosse, et elle a économiquement transformé
l'Europe. Les révolutions industrielles française, allemande, russe et les
autres n’en sont que les conséquences. Mais avant même la transformation
économique, les Anglais ont inventé notre modernité libérale et démocratique. Le
véritable point de départ, c'est 1688, ce que les Anglais appellent la "Glorious
Revolution" par laquelle la monarchie parlementaire a été établie. Si
vous lisez les "lettres anglaises" de Voltaire de 1734, vous verrez
son admiration pour la modernité anglaise, avec des choses très drôles sur les
quakers ou l'absence de vie sexuelle de Newton. En 1789, le rêve et l’objectif
des révolutionnaires français, c'est de rattraper l'Angleterre, le modèle de la
modernisation politique. C’est le modèle, que j’accepte, de Daron Acemoglu et
James Robinson, dans leur bestseller Why Nations Fail, d’autant qu’ils
sont très sympas pour la France; ils soulignent que l'apport de la Révolution
française à l’ensemble du continent a été capital, que notre Révolution a
généralisé l’idéal d'inclusion du peuple. Reste que c’est l'Angleterre qui a
inventé le gouvernement représentatif.
Dans ce contexte, il n'est pas illogique de constater
que le premier référendum qui aura vraiment des conséquences pour l'Union
européenne, le référendum historique, a eu lieu au Royaume-Uni. Un
référendum est une procédure inhabituelle en Angleterre. Mais l'objet
de ce référendum, et cela est très clair, c’est que la première motivation des
électeurs du Brexit, selon les sondages "sortie des urnes", c'est,
avant l’immigration, le rétablissement de la souveraineté du Parlement.
Car jusqu'au Brexit, le Parlement anglais n'était plus souverain alors que le
principe de philosophie politique absolu pour les Anglais, c'est la
souveraineté du Parlement.
Je conclus : logiquement, l'étape numéro 4, après
le réveil de l'Allemagne, de la Russie, et du Royaume Uni, doit être le réveil
de la France. Suivre les Anglais est conforme à notre tradition
révolutionnaire.
A vous
entendre, finalement, et en suivant votre logique, l'axe qui convient pour
"changer l'Europe", n'est plus le couple franco-allemand, mais le
couple Paris-Londres ?
Oui. Il y aura une Europe des nations. Mais dans cette
Europe des nations, pacifique, j’espère, il y aura toujours des problèmes
d'équilibre des puissances et, bien entendu, l'Allemagne va rester quelques
temps encore la puissance économique prédominante. A moyen terme, la crise
démographique et l’aventurisme migratoire des Allemands laissent présager une
grave crise politique dans le pays, et sur le continent - mettons dans les 20
ans qui viennent.
L’une des fautes majeures des dirigeants français est
de ne pas avoir compris, de ne pas avoir été capables d’anticiper que le bon
rééquilibrage avec l'Allemagne, ce n’était pas l’euro, qui nous détruit, mais
l’axe Paris-Londres, inéluctable à moyen terme, qui ne définira pas un
couple de circonstance parce qu’il est dans la logique des forces et des
cultures.
Il y a un grand mensonge des élites françaises
lorsqu’elles prétendent se méfier de l'Angleterre. C'est en réalité le seul
pays européen auquel nous faisons absolument confiance et c’est pour cela que
c’est le seul pays avec lequel on peut efficacement collaborer sur la sécurité
militaire. Ce n'est pas technique, cela révèle un rapport de confiance
extrêmement fort. Continuons à dévoiler la réalité. Il n’y a que quelques
dizaines de milliers de Français à Berlin alors qu’il y en a des centaines de
milliers à Londres. Comme il y a des Anglais en France. Il y a deux mégalopoles
jumelles en Europe, qui sont Londres et Paris. Les dynamiques démographiques
des deux pays sont les mêmes, proches de deux enfants par femme. Le discours
sur l’opposition entre l'Angleterre néolibérale et inégalitaire et sur la
France de l’Etat social contient un élément de vérité, mais lorsque l'on
observe ces deux pays, on voit qu’ils évoluent en parallèle, sur l’oppression
des jeunes, les privilèges des vieux. Toutes les nations sont différentes. Mais
l’objectivité comparative doit nous faire admettre que le véritable monde
étranger, avec ses jeunes si rares, ses loyers bas dus à la dépression
démographique, son union structurelle de la gauche et de la droite, son
autoritarisme social, c’est l’Allemagne, pas l’Angleterre.
Et comment
s’opérera cette période de transition vers une Europe des États-nations ?
D’abord sur le continent, malheureusement par une
accélération et une accentuation de la dérive antidémocratique. Désormais,
avec une Angleterre libérale qui nous a quittés pour se refonder, les ordres
vont arriver encore plus brutalement de Berlin. Sans masques. Les classes
dirigeantes – pardon dirigées – françaises doivent s’attendre à être
publiquement humiliées. N’oublions pas qu’avec le départ des Britanniques, les
Etats-Unis aussi perdent définitivement le contrôle de l’Allemagne. Avec le
Brexit, la germanosphère prend son indépendance officielle. Le niveau de
contrôle des Américains, avait été bien affaibli par le "Nein" stratégique
allemand à la guerre d’Irak. Nous avons pu constater l’impuissance américaine
dans le refus catégorique des Allemands d’obéir aux injonctions économiques des
Etats-Unis, les adjurant de contribuer à la relance économique mondiale en
augmentant leurs dépenses. Le Brexit, c’est la fin de la notion de système
occidental. Tous les réalignements sont désormais possibles. C’est la vraie fin
de la Guerre froide. Et Poutine, par ses commentaires extrêmement prudents,
montre qu’il l’a compris.
La situation devient dangereuse, effectivement, mais
pas pour les raisons avancées par les euroconformistes.
C’est vrai, on garde cette sécurité qui vient du fait
que personne ne veut la guerre, que nos populations sont vieilles, et riches
encore, pour quelques temps. Mais il y a des éléments violents d’affirmation
nationale. Il y a la violence de la prise de contrôle économique du continent
par l’Allemagne. Il y la violence de la politique allemande d’immigration qui
suit logiquement sa politique austéritaire de destruction des économies de la
zone euro, avec ce rêve hyper violent de l’Allemagne de récupérer pour sa
propre économie les jeunes qualifiés espagnols, italiens, portugais, grecs et
bientôt français, réduits au chômage. Il y a la violence avec laquelle
l’Allemagne a rejeté les Etats-Unis.
L’anti-américanisme français est une blague comparé à
celui de l’Allemagne. Je pense que les Allemands considèrent la victoire
américaine de la Seconde Guerre mondiale comme illégitime parce qu’ils savent
que la vraie victoire, celle du terrain, fut celle des Russes, qui ont fourni
90% de l’effort humain. La politique américaine de maltraitance de la Russie
après l’effondrement du bloc soviétique fut une énorme faute stratégique. Les
Américains, ivres de leur réussite dans la Guerre froide, ne se sont pas rendus
compte qu’ils déstabilisaient l’Allemagne. Les Américains ont humilié les vrais
vainqueurs de l’Allemagne, les Russes, ce qui revenait à dire, dans un certain
sens, que la Seconde Guerre mondiale n’avait même pas eu lieu. Plus de
vainqueur, plus de vaincu. Dès lors, l’Allemagne a été libérée de son passé. La
stratégie américaine anti-russe a détruit la prise américaine sur l’Allemagne.
De leur côté, les Français, au lieu d’agir comme un contrepoids à
l’Allemagne en copinant avec les Anglais, ont passé leur temps à dire que
l’Allemagne était merveilleuse. Leur servitude volontaire a contribué à
renationaliser l’Allemagne.
Pour Jean
Claude Juncker, "le Brexit n’est pas un divorce à l’amiable",
et pour François Hollande "Si le Royaume-Uni veut rester dans le marché
unique, il faudra qu'il en paie le prix dans tous les sens du terme, y compris
avec la liberté de circulation", tout en indiquant que la situation "peut
valoir expérience et leçon". Comment interprétez-vous une telle
position, pouvant être qualifiée de "ligne dure" à l’égard du
Royaume-Uni ?
Nous n’avons plus de classe dirigeante, nous avons, je
l’ai dit, des classes dirigées. Ce que disent Hollande et Juncker ne
m'intéresse plus. Ce que vous évoquez ici est une comédie des apparences en
faisant comme si "l’Europe" existait encore. Ce qui existe, c’est
l’ "Europa", c’est-à-dire une Europe allemande. La seule chose
importante qui se soit passée, selon moi, depuis le résultat du référendum, est
que nous avons vu, en cascade, les ministres des Affaires étrangères, Hollande
et Renzi courir à Berlin pour prendre leurs consignes. C'est une révélation. La
dureté hollandiste n’aura aucun effet pratique. C’est l’Allemagne qui va
décider. Notons quand même, de la part de notre président, non, de notre
représentant à Berlin, une trahison de plus de notre intérêt national :
la France a 10% de chômage, elle a un déficit commercial contre tous les pays
européens sauf le Royaume-Uni, où ses investissements financiers et industriels
sont considérables et il veut nous lancer dans un conflit. En cas de conflit
économique avec le Royaume-Uni, à cause de l’intensité de nos liens avec notre
sœur d’Outre-manche, la France est le pays qui a la plus à perdre. Il n'y a
aucune conscience des intérêts nationaux dans cette histoire.
Essayer de se mesurer à l’Angleterre serait aussi déraisonnable
que ce le fut d’essayer de faire plier la Russie. La Grande-Bretagne est une
île mais elle n’est pas isolée. L’anglosphère, ce sont les Etats-Unis,
l’Australie, le Canada, la Nouvelle-Zélande, et le Royaume-Uni, dont la
population globale est déjà supérieure à celle de l’Europe entre Brest et
Varsovie. Le Royaume appartient aussi à cet ensemble.
C’est donc l ‘Allemagne qui m’intéresse. Que
va-t-elle faire ?
L'Allemagne est un pays qui peut fonctionner sur deux
modes psycho-politiques. Un mode raisonnable, que j’appelle le mode
bismarckien, où l'on essaye d'être copain avec le plus de gens possibles pour
assurer sa prise sur son espace de domination. Bismarck copinait avec la
Grande-Bretagne, la Russie, l’Autriche-Hongrie, et l’Italie pour isoler la
France, vaincue en 1870 et qui digérait mal la perte de l’Alsace-Lorraine. Son
objectif était la stabilisation de l’Empire allemand réunifié. Et puis il y a
le mode wilhelmien, où l'on s’emballe et l’on essaye de se faire le plus
d'ennemis possibles pour perdre tous ses acquis : Guillaume II s’est
brouillé avec la Russie et avec la Grande-Bretagne, créant pour la France un
système d’alliances. Donc : un mode allemand maniaque et un mode allemand
calme. Merkel est plutôt sur le mode calme, bismarckien, sauf quand elle a
fait appel à l'immigration et commencé de déstabiliser le continent. Avec
l’appel aux réfugiés syriens, irakien et afghans, elle est passée en mode
maniaque, wilhelmien.
Le mode bismarckien, calme et raisonnable, serait,
pour l'Allemagne, d’accepter le Brexit sans faire d’histoire, et d’en profiter
pour parachever son contrôle du continent. Elle est le pays le plus
libre-échangiste du monde dans une Europe qui a abaissé toutes ses
barrières douanières. Pourquoi s’embêter avec une guerre commerciale ?
La situation est exactement le contraire de ce que
nous racontent les Européistes anglophobes, allons, prononçons le mot,
néo-pétainistes. Ils se gargarisent de l’idée que la sortie du Royaume-Uni
renforcera le rôle de la France face à l’Allemagne. C'est évidemment faux.
L'horrible vérité est qu'il y avait en Europe un équilibre des puissances, avec
les Allemands, puissance dominante, et puis les Anglais et les Français. Tout
le jeu des Allemands était de jouer de l'opposition des Français et des Anglais
pour maintenir l’équilibre qui assurait leur pouvoir de contrôle global.
Maintenant, ils sont débarrassés de la puissance anglaise, libérale en termes
politiques, et qui ne pouvait qu’être un frein à toutes les tentations
autoritaires, déjà puissantes en Allemagne et sur le continent. Maintenant, les
Français ne sont plus protégés par les Anglais, ils se retrouvent dans un tête
à tête complètement inégal avec l'Allemagne et nous allons passer de la
servitude volontaire dans laquelle nos élites nous ont mises, à une servitude
de moins en moins volontaire. Les consignes de Berlin risquent d'être de
moins en moins polies, d'autant que l'Allemagne, faute de stratégie, a une
tactique : elle semble avoir immédiatement remplacé les Anglais par les
Italiens pour affaiblir la France. Elle fait rentrer Renzi dans le jeu pour de
nouveau créer une concurrence interne qui ré-affaiblira la France.
Je suis optimiste à long terme. Sur le modèle de
réémergence des nations, je n'ai aucun doute et je pense que l'issue finale de
ces problèmes, sera un retour pacifique à l'Europe des nations. Parce qu'avec
les structures d'âge de nos populations, parce que la principale puissance du
continent, l'Allemagne, a à peine une armée et ne possède pas l'arme nucléaire,
parce que les Européens restent des gens paisibles et civilisés. La guerre est
inimaginable. Mais, dans la phase transitoire, la position de la France va être
très dure. Nous allons perdre notre statut de chouchou de l’Allemagne, d’enfant
fantasque auquel on permet tous les déficits. En route pour 15% de
chômage ? Les Britanniques partent parce qu'ils n'aiment pas la
bureaucratie bruxelloise, bien sûr, mais surtout parce qu’ils ont la liberté
chevillée au corps. Ils perçoivent la zone euro non seulement comme une catastrophe
économique, comme une zone d'austérité et de stagnation – comme tout le monde
d’ailleurs – mais aussi comme le lieu d'une dérive autoritaire
antidémocratique. Et bien entendu, le retrait de l'Angleterre de l'espace
européen central nous annonce dans un premier temps une accentuation de la
dérive autoritaire de cette "Europa".
Pour un géopoliticien, une configuration avec deux
grandes nations libres aux extrémités du continent, la Russie et le Royaume
Uni, avec une France suivant l’Allemagne, avec une Italie au bord de la
défection, et des Américains peu pressés d’intervenir, cela semble comme une
parodie pacifique, économique et un peu sénile de l’Europe en 1941.
Vous citez le
problème migratoire, qui a été central dans le vote relatif au Brexit. N’est-ce
pas le signe que ce vote a été permis par d’autres facteurs que le retour à la
liberté politique ?
Selon les sondages de sortie des urnes, la première
motivation des Anglais est de ramener à Londres le pouvoir de décision :
c’est une exigence démocratique. La seconde motivation, c’est effectivement la
question de l’immigration. Mais ce n’est pas "la même immigration"
que nous, il s’agit des Polonais. Les règles de la Communauté donnent le droit
aux Européens de circuler librement sur le continent. C’est une question sur
laquelle nous allons devoir parler clairement. Dans ce contexte, je suis
particulièrement heureux de m’être fait carboniser l’année dernière par la
classe politico-médiatique française pour avoir défendu l’idée que nos
compatriotes musulmans avaient un droit à la paix, dans mon livre Qui est
Charlie ?
Ca me donne du champ idéologique pour parler de
l’immigration de façon équilibrée, sans me faire traiter de lepéniste. Je
suis un immigrationniste raisonnable : l’immigration est une bonne
chose, l’assimilation des immigrés est une bonne chose, et il faut donner
du temps aux gens et admettre que diaboliser l’islam n’est pas bonne solution.
Pour la défense de cette conception simplement humaine, j’ai perdu la moitié de
mes amis et me suis fait traiter de mauvais Français par notre Premier
ministre, Manuel Valls. Mais je peux, je dois dire maintenant que l’immigrationnisme
sans frein, qui est en train de se constituer en idéologie européenne, qui met
les droits des étrangers mobiles – polonais ou
moyen-orientaux – au-dessus de ceux des nationaux, qui met donc les
populations en état d’insécurité est, sous l’apparence des bons sentiments, un
anti-humanisme. Dans les droits de l’homme, dans les fondements mêmes de la
démocratie qui ne peut, pour fonctionner, être que nationale, il y a,
implicitement, un droit de sécurité territoriale, un droit de régulation
de l’immigration. En niant ce droit, on organise de fait la plongée du monde
occidental dans la barbarie. Il est irresponsable de dire que vouloir
réguler l’immigration, c’est être xénophobe. Ici encore, les Anglais ont
raison.
Mais ici, nous nous trouvons en choc frontal avec une
Allemagne structurellement wilhelmienne, aventuriste, déstabilisatrice du
continent. La préoccupation fondamentale de l’Allemagne – il faut lire sa
presse, nous le pouvons tous grâce à Google Translate – est d’attirer
des immigrés, dans des proportions extraordinaires, alors même que le pays
n’est déjà pas parvenu à assimiler correctement ses populations turques. Le trou
qui s’ouvre au bas de sa pyramide des âges est son obsession. Pour les
Allemands, la liberté de circulation des personnes en Europe, et au-delà, est
essentielle, parce qu’indispensable à leur politique immigrationniste. Elle
veut absorber, je l’ai déjà dit, les jeunes qualifiés réduits au chômage dans
la zone euro. Elle veut, au-delà de ce qui est anthropologiquement raisonnable,
absorber des populations du Moyen-Orient dont le taux de mariage entre cousins
est de 35%. Le désordre migratoire est le projet de l’Allemagne.
Je voudrais éviter tout malentendu. Je ne suis pas
partisan de conflits radicaux, c’est exactement l’inverse. Pour moi, la mise en
évidence de ces contradictions est une aide à la prise de conscience, pour
éviter la maturation de conflits graves, en se mettant d’accord entre Français,
Britanniques, Allemands, Italiens, Espagnols et Suédois, sans oublier les
autres, sur des perspectives d’immigration raisonnables, sur la coexistence
pacifique des nations, sur la défense de la démocratie. Il ne suffit surtout
pas de répondre que "l’Europe c’est la démocratie", par essence.
Soyons sérieux : sans les Anglais, l’Europe ce n’est déjà plus le lieu de
la démocratie. Regardez les années 1930 : Salazar, Franco, Mussolini, Hitler,
et en Europe de l’Est, à part la Tchécoslovaquie, des dictatures, encore des
dictatures. La dénégation mène au choc brutal de la réalité. Si les
problèmes ne sont pas traités, bien sûr qu’il y aura un retour des
conflits.
Dans son
édition du 29 juin, le quotidien Le Monde titrait "Les leaders
du Brexit piégés par leur victoire". Depuis le vote en faveur du
Brexit, le refrain d’un Royaume-Uni pris par le regret semble s’installer au
sein de l’opinion. Comment interprétez-vous cette impression ?
Je crois qu'il y a des éléments réels. Je suis ce qui
se passe là-bas d'assez prêt. Les gens me soupçonnent souvent d'être partial
parce qu’anglophile, formé à la recherche à l'Université de Cambridge. J’avoue
avec fierté que c'est bien pire que cela. Mon fils aîné aussi a été à
Cambridge, il y a été meilleur que moi et ils l'ont gardé. Il vit à Londres et
a pris la nationalité britannique, et j’ai la joie d’avoir maintenant deux
petits-fils britanniques. Mais j’aimerais quand même être considéré d’abord
comme un Français qui connaît mieux l’Angleterre que François Hollande et qui
sait reconnaître un accent écossais. J’en profite pour signaler que
j’utilise parfois Anglais ou Angleterre de manière archaïque, pour désigner
toute la Grande-Bretagne ou le Royaume-Uni, à la manière de l’historien A.J.P.
Taylor.
Il est évident que le Brexit a ouvert une crise
culturelle, politique, sociale, idéologique en Grande-Bretagne. Il est vrai que
les classes supérieures et l'establishment ont voté massivement "Remain".
Les catégories "A" et "B" de la nomenclature
socioprofessionnelle anglaise, équivalentes de nos cadres et professions
intellectuelles supérieures, plus les patrons, ont voté "Remain".
Le vote "Leave" devient majoritaire dans "les classes
moyennes inférieures", catégorie C1, nos catégories intermédiaire, 30% du
corps électoral.
La circonscription de Cambridge a dû voter à 72% pour "Remain".
Le résultat du vote a été un choc pour la majorité des classes supérieures
britanniques. Les différences de classes, qui s'expriment au travers des accents,
sont beaucoup plus fortes en Angleterre qu'en France. Il y a en ces temps de
gueule de bois, dans certains milieux, une rage antipopulaire tout à fait
extraordinaire. Le parti travailliste est entré en crise. Mais il est vrai,
aussi, et cela est une grosse différence avec la France, qu’une partie de
l'élite anglaise, au parti conservateur, à droite donc, a su devenir leader de
l'opposition populaire. C'est extrêmement intéressant mais là, je dois rester
chercheur et admettre que je ne comprends pas tous les éléments de ce qui se
passe. Reste qu'ils ont trouvé Boris Johnson, homme tout à fait étonnant,
membre indiscutable des plus hautes classes britanniques, par sa parenté comme
par ses études. Les Britanniques ont ce qu'il faut, une fraction de la plus
haute élite pour gérer la réémergence nationale. Avec ce mystère supplémentaire
que maintenant, le débat démocratique a lieu au sein du parti conservateur,
avec une gauche hors-jeu. Mais ici, nous retrouvons notre PS anti-populaire et
antinational…Faute de comprendre pleinement, on doit admettre
"empiriquement" - voilà un mot qui n’est guère français - que
ce sursaut démocratique et national a lieu à droite de l'échiquier politique
officiel. Pour notre malheur, en France, nous n'avons pas l'équivalent de
Boris Johnson ou de Michael Gove, mais peut-être y a-t-il une place à prendre à
droite. Il n'est pas impossible cependant que personne n'ose. A gauche,
c'est mort, je ne crois pas du tout que Mélenchon soit capable de quoi que ce
soit. La gauche est paralysée par une sorte de vision naïve, abstraite,
archaïque de l'internationalisme et de l'universel, et je dis ça en étant
moi-même de centre gauche.
Si le Brexit
l’emporte avec près de 52% des voix, l'UKIP s’affichait à 12.6% aux dernières
élections générales de 2015. Un constat qui peut également être fait en
France, indiquant un large écart entre la défiance européenne des électeurs et
les scores des partis qui portent cette offre politique. Quelle est la
signification de ce paradoxe, entre une majorité "radicale" et la
faiblesse de ses représentants ?
Le problème est que les Anglais ont toujours eu leur
Winston Churchill ou leur Boris Johnson. Ce n'est pas l'UKIP qui a gagné, il
n'est toujours pas question, en Angleterre, que Farage prenne les rênes du gouvernement.
Le gouvernement anglais doit rester dans une partie de l'establishment
absolument traditionnelle. Voilà une classe dirigeante qui arrive à se
renouveler….je les envie.
Le vrai drame de la France est que l'on ne voit pas
apparaître, au cœur de l'establishment, ce sursaut de dignité qui
pousserait une portion minoritaire des élites à prendre en charge les intérêts
de la population. J'ai toujours été antipopuliste, j'ai toujours milité pour un
retour des élites françaises à la raison. Mais pourquoi donc nos élites
sont-elles si uniformément résignées ? Nous avons pourtant nos Grande
écoles, qui assurent un approvisionnement régulier en élites arrogantes,
méprisantes même. Je crains que ces bons élèves disciplinés ne restent des
petits-bourgeois qui veulent se distinguer du peuple : la notion de
liberté noble, chère à Montesquieu, leur reste inaccessible. Mais il y a
l’histoire aussi, et ses traumatismes.
La différence fondamentale entre la France et
l’Angleterre n'est pas leur rapport à l'Europe, concept abstrait et dépassé,
mais dans leur rapport à l'Allemagne. Obéir à l'Allemagne, ce n'est pas le truc
des Anglais ; en France, c'est plus compliqué.
Il y a un mensonge que ces gens de l’establishment
médiatico-politique français se font à eux-mêmes et qu'il faut dévoiler. Ils
parlent du couple franco-allemand, de l'amitié franco-allemande etc. Mais je ne
connais personnellement qu’un seul Français vraiment amical et respectueux
vis-à-vis de l'Allemagne, moi. Dans le livre que j’écris, je mets en évidence
l’importance de la Réforme et de Luther pour l’alphabétisation de masse de
l’Europe. Je suis sensible à la grandeur tragique de l’histoire allemande.
J’oserais parler pour moi-même d’empathie vis-à-vis de l’Allemagne. Mais
le véritable sentiment des élites françaises vis-à-vis de l'Allemagne, c'est la
peur. C'est ce que j'appelle le syndrome de FOG, pour Franz-Olivier Giesbert.
Je l’aime bien FOG, il est rigolo et talentueux. Il se la joue cynique. Il
prend son pied en révélant le off des hommes politiques, il est passé de L'Observateur
au Figaro, il m’a publié une interview néo-marxiste dans Le Point,
le journal des vieux messieurs de droite. Il est hilarant sur les choses
personnelles, dures parfois: une posture d'esthète, tout l’amuse. Une seule
fois, à la closerie des Lilas, je l'ai vu perdre le contrôle de lui-même. Et il
s’agissait de l’Allemagne. Il n ‘arrivait plus à exprimer que la peur d’un
conflit avec l’Allemagne. Et là j'ai compris: les élites françaises
ont juste peur de l’Allemagne. Une blague circulait autrefois à
Bruxelles : "Qu'est-ce que l'Europe ? L'Europe, c'est
l'association de tous les peuples qui ont peur de l'Allemagne….Et cette
définition inclut les Allemands". Le vrai problème de l'Europe,
maintenant, c'est que les Allemands, eux, n'ont plus peur de l'Allemagne, à
cause des erreurs américaines et de la lâcheté française.
Ecosse, Irlande
du Nord, Pays de Galles, Londres : le vote provoque des ruptures
apparentes au sein du Royaume-Uni. N'êtes-vous pas effrayé à l'idée de sa dislocation
?
Revenons à cette notion de tendance historique lourde.
La vérité historique est que c'est l'appartenance du Royaume-Uni à l'Europe
qui a enclenché son processus de désintégration. Partout, l'appartenance à
l'Europe induit une émergence des régions et des phénomènes de distorsions
territoriales. L'appartenance à l'Europe a séparé Londres de son arrière-pays
anglais, elle a éloigné de Londres les Ecossais. De même en France, en Espagne,
et en Italie. Donc, bien entendu, ce que nous voyons aujourd’hui, c’est le
point ultime de cette dérive centrifuge du Royaume-Uni. Mais avec l'Ecosse, il
suffira à Londres de bien négocier quelques compensations et de jouer la
montre. Une nouvelle réalité va apparaître aux Ecossais. L'Ecosse a 5.4
millions d'habitants, mais 800 000 personnes vivant en Angleterre sont nées en
Ecosse. Les forces de dislocation de l'Union européenne vont s'éteindre, et,
surtout, les Ecossais vont être confrontés à la réalité de la nouvelle
Europe qui s'annonce. Il ne s’agit pas de quitter le Royaume-Uni pour entrer en
Europe. Le choix va être : faut-il cesser d'obéir à Londres pour aller obéir à
Berlin ? J'ai énormément de mal à imaginer les Ecossais choisir Berlin.
L’Ecosse aussi est une très grande nation. Je vous recommande le bouquin de
Arthur Herman, How the Scots invented the Modern World. Alors pour
l’Ecosse, je dirais, en scots, "dinna fash yersel"
("don’t worry", du français "fâcher").
Je ne dis pas que ce sera facile pour les
Britanniques, il y aura du travail pour résoudre des tonnes de problèmes, 10
ans minimum pour remettre tout cela en ordre, peut-être même une génération. Il
nous a fallu plus pour produire le désastre européen actuel. Les vrais
problèmes les plus angoissants seront pour l'Irlande du Sud, pas pour l'Irlande
du Nord. Comme le Danemark, la République d’Irlande n’est entrée dans le
marché commun que pour suivre le Royaume-Uni. Elle va être mise dans une
situation économique intenable si les continentaux se mettent en posture
conflictuelle.
Il y aurait également une réflexion intéressante
à mener sur l’intérêt pour la Scandinavie à rester dans l’Union européenne
après le départ des Britanniques. Les classes moyennes scandinaves parlent
exceptionnellement bien l’anglais, elles sont quasiment bilingues. La Scandinavie
a été désorganisée par la construction européenne : les Norvégiens l’ont
refusée, les Finlandais sont dans la zone euro, les Suédois non et sont
fatigués de tous ces bavardages bruxellois. Les Danois sont tellement proches
des Anglais par leurs tempérament libéral. Une sortie de l'Europe, pour
l'ensemble, permettrait de reconstituer la Scandinavie. On peut imaginer une
reconstruction du Royaume de Grande Bretagne et d'Irlande, une reconstruction
de la Scandinavie. Alors les 27 englués dans des bavardages dont le seul
objet est de masquer la centralisation allemande du pouvoir….
Dans la géographie électorale du Brexit, ce qui m'a
frappé, ce n'est pas tellement le vote "Remain" de l'Ecosse ou
de Londres, attendus, mais l’abolition du clivage Nord-Sud qui semblait
détruire l'Angleterre. L'Angleterre a voté "Leave" de façon
homogène dans les régions conservatrices du Sud et dans les régions
travaillistes du Nord. Un peu comme si le référendum avait déjà commencé de
réunifier la société britannique.
De leur côté,
plusieurs défenseurs du Brexit, comme Nigel Farage, ont reconnu leurs
exagérations sur les possibilités offertes par une sortie de l’Union
européenne. N’y a-t-il pas un danger à voir la population britannique se rendre
compte que le Brexit n’apportera pas de réponses aux problématiques développées
pendant la campagne ?
L'idée que le Brexit sera facile est absurde. La
construction européenne, qui a été très positive pendant un moment, est entrée
dans une phase de déstructuration des sociétés, de difficultés croissantes
depuis plusieurs décennies, maintenant, avec un élément de folie
bureaucratique. Cela va donc être beaucoup de travail. C'est typiquement le
genre de domaine dans lequel il faut distinguer le court, le moyen et le long
termes. Le Royaume-Uni va avoir des tas de problèmes à résoudre mais compte
tenu de ce que je disais, de la dynamique générale de séparation des nations, à
mon avis, nous n'aurons bientôt plus le temps de nous y intéresser, vu les
problèmes qui attendent l'Europe: reconstruction Outre-manche, déconstruction
sur le continent. Voilà le programme des années qui viennent. Les journalistes
ne vont pas s’embêter. Dans les grands défis historiques, il faut toujours un
moment pour que les Britanniques se mettent en train, mais ensuite ils
assurent. En revanche, nous pouvons compter sur les Européistes tardifs pour se
ridiculiser.
Si l'on reste dans l'hypothèse que le Brexit va
jusqu'au bout, ce qui est le plus probable, il est tout à fait normal qu'il y
ait une transition. Mais ce qui m'a plutôt frappé ces derniers jours, ce n'est
pas le désordre, mais les qualités de loyauté nationale et de résistance au
choc qui sont dans l'être britannique. La première prestation post-Brexit de
David Cameron, instinctive, a été admirable. Il assurera la période de
transition, avant de passer la main à son successeur qui devra opérer le
Brexit. Il met en place un calendrier idéal. Si ce genre d’attitude se confirme
dans le parti conservateur, et dans toute la nation, on peut avoir confiance
dans la capacité du Royaume-Uni à surmonter cette épreuve. L’urgence pour les
Tories, c’est la pacification du parti avant de s’embarquer dans l’aventure du
Brexit. Il ne faut pas se contenter de voir la guerre de succession et les
trahisons dans le parti conservateur. Le refus de Johnson de briguer la
direction du parti est la contrepartie de l’élégance de Cameron. Mais tout d’un
coup, ma francité me submerge, je repense à notre président Hollande et j’ai
envie de pleurer...La France aussi est une grande Nation. Nous méritons
tellement mieux !
Entretien réalisé par Nicolas Goetzmann
http://www.atlantico.fr/decryptage/emmanuel-todd-etape-numero-4-apres-reveil-allemagne-russie-et-royaume-uni-doit-etre-reveil-france-suivre-anglais-est-conforme-2753532.html/page/0/1