jeudi 21 juillet 2016

Le coup d'État manqué en Turquie menace le plan "Pivot" de l’Oncle Sam

Un coup d’État manqué en Turquie a changé le paysage géopolitique en une nuit, réalignant Ankara sur Moscou tout en brisant le plan de Washington/Tel-Aviv de redessiner la carte du Moyen-Orient. Que l'homme fort turc, Recep Tayyip Erdogan, ait organisé lui-même le coup d’État ou non, est de peu d'importance dans le grand schéma des choses. Le fait est que cet incident a consolidé son pouvoir national tout en faisant dérailler le plan israélo-américain pour contrôler les ressources critiques et les corridors de pipelines du Qatar  vers l'Europe.

shutterstock_452965270Le mépris du régime Obama pour les intérêts de sécurité nationale de ses alliés, a poussé le président turc dans le camp de Moscou, en supprimant le pont crucial entre l'Europe et l'Asie dont Washington a besoin pour maintenir son hégémonie mondiale dans ce nouveau siècle. Le plan de Washington du pivot vers l'Asie, d’entourer et de briser la Russie, de contrôler la croissance de la Chine et de maintenir sa poigne de fer sur le pouvoir global est maintenant en ruines. Les événements de ces derniers jours ont tout changé.
Voici ce qu’écrit  Sahbah Daily:
    "Le changement de la rhétorique de la Turquie envers la Russie est également une conséquence directe des attentes non satisfaites d'Ankara concernant le conflit en Syrie. La déception de la Turquie par la politique des États-Unis en Syrie a augmenté avec le temps, surtout compte tenu de l'appui continu de Washington aux combattants kurdes des Unités de Protection Populaire (YPG) en Syrie. Ankara voit ce groupe comme membre du groupe du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) organisation terroriste (Daily Sabah, le 12 Juin).
Obama ne peut que se blâmer lui-même pour la débâcle qui se déroule maintenant. Erdogan était très clair sur les lignes rouges de la Turquie, dont la plus  importante est d’empêcher les milices kurdes de se déplacer à l'ouest de l'Euphrate en vue de la création d'un État contigu le long de la frontière sud de la Turquie. Voici comment Erdogan commentait cette évolution il y a quelques mois:
    «En ce moment, il y a un projet sérieux, un plan en cours d'exécution dans le nord de la Syrie. Et dans ce projet et ce plan se cachent des objectifs insidieux de ceux qui apparaissent comme des «amis». Ceci est très clair, donc je dois faire des déclarations claires » .
Au lieu de répondre aux préoccupations de sécurité d'Erdogan, Obama l'ignora afin de poursuivre l'objectif des États-Unis d'établir des bases militaires et d’occuper des territoires dans l'Est de la Syrie, afin d’y construire des pipelines du Qatar vers l'UE. Erdogan y a répondu en formant des alliances avec d'anciens ennemis de la Turquie (la Russie, la Syrie, Israël) afin de réinitialiser la politique étrangère turque, et de faire face à la menace croissante d'un État kurde émergeant sur son flanc sud. Gardons à l'esprit que la Turquie estime que les nouveaux proxies de l'Amérique en Syrie, les Kurdes d’YPG, sont liés au PKK, qui est considéré comme une organisation terroriste par les États-Unis et par l'UE. Si Obama avait engagé des troupes US dans la lutte, (au lieu d'utiliser le YPG), Erdogan n’aurait pas réagi du tout. Mais le fait qu’Obama ait délibérément renforcé les ennemis traditionnels de la Turquie sur son flanc ouest, était plus qu’Erdogan ne pouvait supporter.

Erdogan présente des excuses

À la fin de Juin, Erdogan a présenté ses excuses au président Vladimir Poutine pour la mort d'un pilote russe qui a été tué lorsque la Turquie abattu un bombardier survolant le territoire syrien en Novembre dernier. Cet incident a incité Poutine à rompre les relations avec Ankara et à mettre fin à toute communication entre les deux pays. Puis, dans la dernière semaine de Juin, Erdogan a envoyé une lettre à Poutine, « exprimant sa profonde sympathie et ses condoléances aux parents du pilote russe décédé. » Il a ajouté que la Russie était "un ami et un partenaire stratégique" avec lequel les autorités turques ne voudraient pas gâcher les relations . (les pilotes turcs, des agents de la CIA, qui ont tiré sur le Su-24 russe ont depuis été arrêtés et accusés en tant que membres du coup Guleniste.)
La Maison Blanche, inexplicablement, n'a jamais commenté ce dégel des relations russo-turques qui posent des risques évidents pour les ambitions américaines dans la région.
Pourquoi?
Parce que, il y a deux semaines, des rapports ont commencé à émerger disant qu’Erdogan fait des efforts pour normaliser ses relations avec le président syrien Bachar al Assad. La nouvelle n'a pas été signalée dans la plupart des médias occidentaux, mais le Guardian a publié un article intitulé "Les rebelles syriens abasourdis que la Turquie cherche la normalisation de ses relations avec Damas". Voici un extrait:
    "Plus de cinq ans après le début de la guerre en Syrie, la Turquie, le pays qui a le plus aidé la rébellion contre la régime de Bachar al-Assad, a laissé entendre qu'elle peut s’orienter vers une   normalisation de ses relations avec Damas.
    La suggestion faite par le Premier ministre turc, Binali Yıldırım, mercredi, a stupéfié les dirigeants syriens de l'opposition qui sont à Ankara, ainsi que les dirigeants (arabes) régionaux, qui s’étaient alliés à la Turquie en vue d’évincer Assad dans une longue guerre féroce et impitoyable.
    «Je suis sûr que nous allons ramener [nos] liens avec la Syrie à la normale», a-t-il dit, contredisant le leitmotiv officiel qui a constamment appelé à un changement de régime immédiat. "Nous en avons besoin. Nous avons normalisé nos relations avec Israël et avec la Russie. Je suis sûr que nous allons, tout aussi bien, revenir à des relations normales avec la Syrie. "
On pourrait penser que cela déclencherait des alarmes à la Maison Blanche. Car si la Turquie veut normaliser les relations avec Damas, il est clair qu'elle allait abandonner la guerre, qu’elle avait soutenue (par ses mercenaires proxy et ses djihadistes) pendant plus de cinq ans. Ceci signifie un changement politique fondamental qui pourrait avoir des implications plus larges pour l'effort des États-Unis. Mais l'équipe Obama n'a montré aucun intérêt pour cette annonce et n’a fait aucune  tentative pour ramener Erdogan dans le rang.
Washington, avec ses « amis et ses alliés »  a l’habitude de donner des ordres et tout le monde claque du talon et se dit prêt. Obama & Co ne se soucient pas des « futilités » comme la peur de l’avènement d’un État kurde qui pourrait constituer une menace directe pour la sécurité nationale de la Turquie. Pourquoi voudraient-ils se soucier de quelque chose d'aussi trivial que cela? Ils ont tout un empire à gérer.
Puis vint le coup d’État qu’Erdogan attendait car il avait été averti à l’avance par des agents de renseignement russes qui ont une forte présence en Turquie. En informant Erdogan du coup d’État, et en le sauvant de la mort, Poutine pouvait espérer qu’Erdogan, en retour, pourrait bloquer les plans de l’OTAN consistant à déployer une flotte permanente en mer Noire qui va encore encercler et menacer la Russie. (Et, oui, Poutine sait qu’Erdogan est un autocrate impitoyable et un bailleur de fonds des organisations terroristes, mais il sait aussi qu'il ne peut pas être «trop difficile» quand l'OTAN déploie tous ses efforts pour encercler et détruire la Russie. Poutine doit prendre ses amis comme il les trouve. Par ailleurs, certains analystes ont suggéré que Poutine exigera d’Erdogan d'abandonner son soutien aux djihadistes en Syrie comme condition de leur nouvelle alliance.)
En tout état de cause, Poutine et Erdogan ont réglé leurs différends et prévu une réunion pour le début d’Août. Est-ce que Erdogan va faire une déclaration? Oui, certainement.
Voici l'histoire du quotidien Hurriyet turc:
    "Le président turc Recep Tayyip Erdoğan et le président russe Vladimir Poutine vont se  rencontrer en Août en face-à-face dans le cadre des efforts mutuels pour normaliser les relations bilatérales après des mois de tension due à la destruction d'un avion de guerre russe par les forces aériennes turques en Novembre…Avec la normalisation des relations, la Russie a supprimé certaines sanctions sur le commerce et les restrictions sur les touristes russes, mais elle continuera à imposer le régime des visas aux ressortissants turcs. Une conversation plus profonde entre les deux pays sur un certain nombre de questions internationales comme la Syrie et la Crimée suivra bientôt entre les deux ministres des Affaires étrangères avant la réunion Poutine-Erdogan. "(Poutine, Erdoğan se réuniront prochainement dans le but de commencer une nouvelle ère des relations Turquie-Russie liens, Hurriyet)
Est-il raisonnable de penser que la Turquie est en train de glisser hors de l'orbite de Washington pour aller vers des amis plus fiables qui respecteront ses intérêts nationaux?
Certainement.
Et ce rapprochement soudain pourrait avoir des conséquences catastrophiques pour la politique américaine au Moyen-Orient. Considérons, par exemple, que les États-Unis, non seulement  dépendent de la base turque d’Incirlik pour mener leur campagne aérienne en Syrie, mais aussi que cette même base abrite "environ 90 bombes nucléaires tactiques."
Et si Erdogan décidait soudainement qu'il n’est plus dans l'intérêt de la Turquie de fournir aux États-Unis un accès à la base ou qu'il préférait permettre à des bombardiers et à des chasseurs russes d’utiliser la base? (Selon certains rapports, c’est déjà le cas.) 
Plus important encore, qu’arrivera-t-il aux plans des États-Unis de pivoter vers l'Asie si le pont crucial (Turquie) qui relie l'Europe aux marches de l’Asie rejoint la coalition des pays d'Asie centrale qui sont en train de construire une nouvelle zone de libre-échange au-delà de l'adhérence suffocante de l'oncle Sam?
Une dernière chose. Il y avait lundi un important paragraphe d’un article de  Moscou Reuters qui ne figurait pas dans la presse occidentale. Nous le reproduisons ici:
    MOSCOU (Reuters) – Les projets conjoints de la Russie avec la Turquie, y compris le pipeline marin de gaz naturel TurkStream, de la Russie vers la Turquie, sont toujours à l'ordre du jour et ont un avenir,  a déclaré lundi  le vice-Premier ministre russe Arkadi Dvorkovitch"
Ceci est important.
Erdogan est maintenant en train de rouvrir la porte que l'équipe Obama a essayé si durement de fermer. Ceci est un coup majeur contre les plans de Washington pour contrôler le flot des ressources vitales d’Asie vers l'Europe, afin que tout cela reste libellé en dollars américains. 
En cas de succès, Poutine aura accès au marché européen en plein essor à travers le corridor sud qui permettra de renforcer les liens entre les deux continents, étendre l'utilisation du rouble et de l'euro pour les transactions d'énergie, et de créer une zone de libre-échange de Lisbonne à Vladivostok . Et l'Oncle Sam va regarder tout cela depuis les coulisses.
Tout d'un coup, le plan «pivot» de Washington semble être en grave difficulté.
Traduction/ adaptation : Hannibal GENSERIC

Réactions de médias arabes

Les médias arabes continuent à commenter le coup d'Etat manqué du vendredi dernier en Turquie, laissant échapper de temps à autre des informations "non politiquement correctes".
Selon Al Monitor qui cite les diplomates turcs, le Président Erdogan avait été alerté par la Russie, quelques heures avant le début du putsch militaire. Aux premières heures du coup d'Etat, Ankara a aussi appliqué les conseils de Téhéran qui a proposé au président turc de faire envahir les rues par ses partisans. 
Le renseignement turc, MIT, avait  reçu des informations en provenance de la Russie lesquelles confirmaient l'imminence du coup d'Etat. L'armée russe aurait capté des messages échangés à la radio, qui mettaient en évidement des mouvements et des agissements suspects. Suivant ces informations, plusieurs hélicoptères militaires projetaient de se rendre à l'hôtel où résidait Erdogan pour l'arrêter ou le tuer. 
Mais où se trouvait la source de captage russe ? 
Selon les diplomates, les unités de l'armée russe, basées dans la province de Lattaquié au nord de la Syrie, qui sont dotées de systèmes d'écoute et de dispositifs de captage très sophistiqués, auraient collecté ces informations. C'est visiblement en guise de remerciement qu'Erdogan a donné l'ordre d'arrestation de deux pilotes impliqués dans l'abattage du bombardier russe en décembre 2015 au dessus de la Syrie. Ces deux pilotes auraient été aussi impliqués dans le coup d'Etat. 
Les sources diplomatiques, citées par Al Monitor, n'écartent pas l'existence de liens entre le rapprochement de la Turquie avec la Russie d'une part, et le coup d'Etat de l'autre, un rapprochement qui s'est amorcé à peine 10 jours avant le coup de force. 
Quatre jours après le coup d'Etat, Erdogan a publiquement annoncé vouloir changer de cap dans ses relations avec certains pays et "mettre un terme à ses divergences avec ses voisins". Le porte-parole du Kremlin, Dimitri Peskov a fait état, lui aussi, de la visite début d'août d'Erdogan en Russie. 
Et le rôle de l'Iran ? 
Selon les diplomates turcs, le MAE iranien a vivement condamné le coup d'Etat manqué, à peine deux heures après le début des violences. Plusieurs hauts responsables sécuritaires iraniens, dont le secrétaire du Conseil suprême de la sécurité nationale, Ali Chamkhani, ont contacté les autorités turques. Le commandant en chef de la force Qods, le général Ghassem Soleimani s'est penché sur divers scénarios à prévenir. L'Iran est préoccupé par les événements en Turquie. La Turquie est un pays voisin et Erdogan, malgré le dossier syrien, reste un partenaire. Et puis tout au long de la crise syrienne, la Turquie s'est engagée dans une alliance contre nature avec les pays qui, à présent, souhaitent son démembrement. 
Ankara accuse Fethullah Gülen d'être derrière ce coup d'Etat mais les sources bien informées évoquent la piste émiratie. Cette piste, certains responsables turcs en avaient pressenti l'existence sans pour autant y attacher une grande importance. Il y a aussi les traces saoudiennes dans ce coup de force manqué dans la mesure où Riyad aurait été bien au fait de ce coup d'Etat mais n'a pas daigné en informer l'intéressé. 
Une chose est sûre : le coup d'Etat de la semaine dernière s'est transformé en une confrontation régionale avec en toile de fond la perspective d'une Turquie qui est sur le point de changer de camp. Si telle est la nouvelle donne, alors il est parfaitement fondé de dire que c'est l'Iran et la Russie ont sauvé Erdogan. Pas pour ce qu'il est mais pour éviter l'émergence d'une nouvelle Syrie... 
http://parstoday.com/fr/news/middle_east-i6595-qui_a_sauvé_erdogan_et_pourquoi

VOIR AUSSI :
Commentaire:

....Il est évident que depuis notre modeste dimension, nous ne pouvons pas savoir ce qui est entrain de s'organiser derrière les coulisses secrètes de la géopolitique. Ici, sur F.B., nous ne pouvons que commenter, analyser, -au vu des informations qui nous parviennent- et il peut même arriver que nous soyons induits en erreur per certaines d'entre elles, nous sommes sur une plate-forme Internet...terrain propice aux manipulations.
Mais le bon sens et l'apprentissage de la grille de lecture de l'échiquier politique, nous aide à comprendre les tendances qui se dessinent, à déceler les mensonges et les pièges, (et souvent, nous parvenons même à les anticiper ! ), à défricher le vrai du faux.
Mais je considère dérisoires et inutiles, ceux qui commentent l'actualité géo-politique au travers du prisme de leur préférences personnelles, se focalisant sans discernement sur une personnalité, un "individu", sans l'inscrire dans un contexte global, historique et politique. Ceux-là, dont la pensée a été depuis des décennies, formatée par la propagande occidentale, aujourdh'ui, devant l'actualité "Turquie", qui ne brandissent que le slogan : "Erdogan dictateur, islamiste"...me font penser à ces Lybiens (car il y en a eu!) qui étaient allés cracher sur le corps supplicié du "méchant dictateur Khadafi", (à la grande satisfaction de la Clinton, que l'odeur et la vue du sang fait jouir...) ; ces Lybiens qui aujourd'hui, -comme tout le monde le sait-, baignent dans le bonheur, puisqu'ils ont été "sauvés et pacifiés" à coup de bombes par l'OTAN et grâce aussi à l'union sacrée de BHL et de Sarkozy... ;
Ils me font penser à l'Irakien qui était allé déboulonner la statue de "Saddam, le méchant dictateur", et qui des années après, vient dire en pleurant, ses regrets, dans son pays qui n'en finit plus de pourrir, livré par les "libérateurs" anglo-américains, à la peste Daech !
Ils me font penser à ces Français ou ces Italiens qui croient encore qu'ils ont été "libérés" par les Américains, sans voir que la Pax Americana les a réduits à l'état de paillasson. (ah... la propagande made in USA !!)
Alors je dis que ces gens-là font non seulement preuve de vue basse, mais également d'hypocrisie et de malhonnêteté intellectuelle :
- savent-ils que l'équilibre géo-politique est le résultat d'un RAPPORT de FORCE et que seule la FORCE de DISSUASION peut arrêter la guerre que les USA veulent absolument déclencher contre la Russie et dont les Européens feraient également les frais ?
- savent-ils que le rapprochement Turquie/Russie qui se dessine (qu'on peut aujoud'hui, s'autoriser à envisager...), et la Turquie hors de l'OTAN (qu'on souhaite et qu'on espère, en attendant qu'elle soit officielle et effective), pourrait faire basculer ce rapport de force en faveur de la Russie, et représenter "LA" force de dissuasion par excellence, à opposer aux Américains et à l'OTAN ?
- savent-ils que si Vladimir POUTINE consentira à serrer la main à Erdogan, c'est pour éviter cette guerre dont on entend déjà les roulements de tambour, et non seulement pour sauver la Russie, son pays, mais aussi la Syrie, et l'Europe ? et sauver aussi, -par la même occasion-, ceux qui aujourd'hui, se pincent le nez devant Erdogan, mais qui demain, (comme ils l'ont fait hier), iront donner leur vote et redonneront le pouvoir aux pourritures criminelles, qui par alternance, -et quelle que soit l'étiquette droite/gauche, dont ils se réclament- sont les complices de l'Empire US, et participent aux mêmes crimes, en tant qu'alliés !