Les journaux publient
des conseils utiles pour survivre à une attaque nucléaire. Par exemple, vous
devez vous cacher en sous-sol (pour éviter les frais d’inhumation, je suppose).
Vous devriez également vous préparer à l’attaque en chargeant votre ordinateur
portable et votre smartphone (qui sera détruit par une impulsion
électromagnétique, mais si leurs batteries au lithium-ion sont complètement
chargées, elles seront toujours utiles comme dispositifs incendiaires
déclenchés par rayonnement, vous fournissant un choix de mort moins horrible
que l’empoisonnement par rayonnement). Vous êtes également invité à ne pas vous
déplacer (trivialement facile si vous êtes mort) à moins d’avoir l’ordre
d’évacuer par les autorités légitimes (qui n’existeront plus).
Lorsque, au
milieu d’une partie de cartes, vous vous rendez compte que vous êtes sur le
point de perdre votre ferme, votre chemise et votre premier-né, vous pouvez
décider d’opter pour l’option nucléaire : renverser la table en attrapant
votre revolver. Les résultats peuvent varier, mais ils sont
nettement préférables à celui qui est prévisible si vous ne faites
rien : l’extrême humiliation et la pauvreté. Vous pourriez être trop lent
et mourir d’une mort douloureuse mais rapide, criblé de balles. Vous pourriez
être le plus rapide et tuer ou désarmer vos adversaires. Ou vos adversaires
risquent de courir vers les sorties, et vous permettre de ramasser le pognon
sur la table. Le premier de ces résultats peut sembler le moins
attractif ; mais en supposant que vous vous pensiez bien armé et rapide à
dégainer et que vos adversaires sont des lâches, vous pourrez peut-être vous
persuader que c’est votre meilleure option. En ce qui concerne les pires
scénarios, une possibilité est que vos ennemis vont vous désarmer avant que
vous ayez eu une chance de tirer, vous coller un pruneau dans le ventre,
prendre votre argent, se rire de vous, vous enfermer dans une cave et vous
laisser mourir lentement.
Cette
situation n’est pas très différente de celle dans laquelle les États-Unis se
trouvent actuellement. Franchement, je préférerais écrire sur d’autres sujets,
mais ce qui se passe actuellement sur notre seule et unique planète, c’est
qu’il y a un certain pays assez important et toujours influent qui perd son
esprit collectif. Après avoir étudié et observé les États-Unis au cours des 40
années passées, et les observant maintenant à une distance respectable de près
de 8.000 km, je ne pense pas qu’il y ait actuellement un sujet plus important à
discuter, même si j’espère revenir à des sujets plus agréables, paisibles et plus proches du localisme
dans quelque temps.
En cela, je
suis loin d’être le seul : une grande partie du monde est
complètement éveillée aux dangers de cette situation, et occupée à discuter de la menace que ce
pays représente pour eux et à concevoir des moyens de la combattre.
Pendant ce temps, une grande partie de la population des États-Unis s’est
tellement habituée aux violences commises en son nom – quelque 60 pays ont été envahis, occupés,
bombardés, sanctionnés, « leurs régimes politiques renversés » ou
autrement influencés dans l’histoire récente – que la plupart des Américains ne
sont plus en mesure de percevoir à quel point leur situation s’est transformée
d’une situation qui les favorisait en une nouvelle qui ne favorise
personne en particulier, mais certainement pas eux.
À quel point
la situation allégoriquement esquissée ci-dessus n’est-elle pas si différente
de celle dans laquelle les États-Unis se trouvent actuellement ?
Permettez-moi d’énumérer les raisons.
1. Le joueur allégorique court
réellement à la catastrophe en prenant des risques inutiles. Les États-Unis
font de même en provoquant systématiquement leurs adversaires. Ils ont
provoqué la course aux armements nucléaires avec l’URSS en frappant Hiroshima
et Nagasaki avec des bombes nucléaires, un acte barbare qui n’avait aucune
justification stratégique ou tactique, parce que le Japon était prêt à se
rendre. Ils ont provoqué la crise des missiles cubains en plaçant des armes
nucléaires en Turquie, visant l’URSS à bout portant.
Plus
récemment, ils ont provoqué une répétition de cette même crise en plaçant des
batteries de missiles supposément défensives, mais aussi facilement
reconfigurable en mode offensif en Roumanie, et se préparent à le faire en
Pologne. (Les Russes ont trouvé des moyens asymétriques pour neutraliser cette
menace.) Et cela a, en pratique, incité la Corée du Nord à développer une
dissuasion nucléaire. Les motifs nord-coréens comprennent le bombardement,
l’invasion, le démembrement et l’occupation d’une longue liste de pays – la Serbie / Kosovo, l’Irak, l’Afghanistan,
la Libye – à qui il manquait la dissuasion nucléaire.
2. Le joueur souffre d’une image de
lui surévaluée et délirante : il est « le tireur le plus rapide de
l’Ouest » et ses adversaires ne vont pas répliquer mais fuir, le
laissant avec tout l’argent qui est sur la table. Les États-Unis sont également
trompés par le niveau de leurs dépenses de défense ridiculement élevées qui se
transformeraient automatiquement en supériorité militaire. Ils jouent d’une
ignorance volontaire, dénigrant leurs adversaires en fonction de données triées
sur le volet, si jamais des informations factuelles sont vraiment utilisées.
Ainsi, la Russie ne serait qu’« une station-service déguisée en pays »,
en négligeant de mentionner le fait que la Russie est le principal fournisseur de combustible
nucléaire des États-Unis, sans lequel ceux-ci seraient plongés dans une panne
de courant permanente. De même, on pense que la Corée du Nord est
indiquée comme vivant à l’âge de pierre simplement parce que les Nord-Coréens
éteignent tous les lampadaires la nuit (ainsi que tout le trafic), ce qui fait
apparaître leur pays comme complètement noir sur les images satellites. (C’est
un pays très sûr et qui n’a aucune raison de garder les lumières allumées pour
éviter les crimes).
Le fait que
la Corée du Sud est actuellement beaucoup plus fort économiquement que le Nord
est mis en scène en termes idéologiques, est présenté comme un échec de
l’idéologie communiste, en négligeant de mentionner qu’avant la perte de son
soutien par l’URSS, la Corée du Nord était plus développée et plus prospère que
celle du Sud, en dépit d’avoir été bombardée par les Américains pendant la
guerre, et négligeant également de dire que la Chine communiste se développe à
un rythme vertigineux depuis des décennies et que sous certains points de vue,
elle a déjà dépassé les États-Unis comme la plus grande économie du monde.
3. Enfin, notre joueur n’a d’autre
choix que de jouer, et finalement de faire tapis. Une longue histoire de jeu
compulsif, en augmentant constamment la mise et en la doublant, l’a placé dans
une position où le repli et la marche arrière signifieraient la perte
d’absolument toutes ses mises. Les États-Unis ont connu des déficits
commerciaux systémiques depuis des décennies à force d’importer beaucoup plus
de produits, en termes de valeur, que ce qui a pu être exporté. Ils ont équilibré leurs comptes
par d’autres moyens : en exportant de la dette et en exportant de
l’inflation. Leur capacité à exporter leur dette dépend de la vigueur du
dollar américain en tant que principal moyen d’échange international, obligeant
d’autres pays à gagner des dollars, donc de la dette américaine, c’est-à-dire
en devenant des créanciers des États-Unis pour pouvoir payer leurs
importations. Leur capacité à exporter l’inflation repose sur la force des
actifs libellés en dollars américains considérés comme valeur refuge et leur
capacité à stimuler cette demande pour créer ce besoin de refuge en lançant des
attaques spéculatives sur d’autres monnaies plus faibles.
Mais ces
dernières années, l’efficacité de ces deux astuces a beaucoup baissé car le
monde a trouvé des moyens de contourner le dollar américain dans le commerce et
de freiner l’envol des capitaux vers les États-Unis. La diminution du montant
de l’argent chinois versé sur le marché immobilier des États-Unis en est un
exemple. En continuant de vivre au-dessus de leurs moyens, les États-Unis ont été forcés
d’accumuler des montants fantastiques de dette publique et des passifs
non financés tels que les pensions et les dépenses médicales futures. Pour ne
pas être distancées, les entreprises se sont également chargées de dettes,
qu’elles ont utilisées non pour investir dans la production, mais pour racheter
leurs propres actions, gonflant leur valorisation boursière et contribuant à
perpétuer une bulle des marchés actions.
La
combinaison de cette dette impayable, de la lenteur de la croissance économique
et de l’appétit globalement réduit pour le dollar américain entraînera en
conséquence des taux d’intérêt plus élevés, rongeant la situation financière
des États-Unis. Les deux dernières options seront de gonfler la dette (ce qui
entraînera des prix beaucoup plus élevés pour les importations et une forte
augmentation de la pauvreté) ou faire défaut sur la dette (déclenchant une crise
bancaire, avec le risque de perdre totalement l’accès aux importations).
L’inévitabilité de ce développement éventuel est bien comprise, mais la volonté
politique de mettre en œuvre des réductions de dépenses et de réorienter les
priorités nationales en matière de durabilité économique n’existe tout
simplement pas.
Une
autre catégorie de dépenses sans fond, c’est l’armée américaine.
C’est de
loin la plus chère du monde, mais ce n’est en aucun cas la plus efficace. Ses
capacités sont limitées à faire exploser les choses, à causer des ravages et à
contrôler temporairement certaines zones avant de se retirer. Il ne lui a pas été possible de
remporter une victoire décisive pour gagner une paix durable et stable dans un
seul des conflits armés récents. Dans son sillage, l’armée américaine
laisse des pays ravagés, la misère et des aires de reproduction fertiles pour
les terroristes. Tout comme pour la gestion de l’économie, la réponse à cette
chaîne continue de fiascos militaires a été la fuite en avant : augmenter
les dépenses militaires, jeter encore plus d’argent dans des systèmes d’armes
inefficaces, trop coûteux et largement inutiles, continuer à construire encore
plus de bases militaires à travers le monde et viser l’objectif de plus en plus
évident et finalement impossible de maintenir la domination mondiale.
De toutes ces manières, les États-Unis ressemblent à
un joueur compulsif qui ne peut pas gagner, ne peut se permettre de perdre, et
ne peut pas arrêter de jouer. Il manque la volonté politique de changer de cap et de se réformer. Tout
ce qu’ils sont actuellement capables de faire est de perpétuer le statu quo et
d’agir militairement.
Mais que se
passera-t-il quand ils constateront que le statu quo ne peut plus être
maintenu ? Tout ce
qui restera sera la solution nucléaire : renverser la table à
cartes pour se sauver. Et contrairement à la plupart des exercices de pouvoir
militaire, celui-ci n’exigera pas de formuler une stratégie gagnante. La seule
exigence sera de parvenir à un fiasco militaire assez grand pour obscurcir
toutes les autres formes d’échec – politiques, économiques et sociales. Alors
que nous pouvons essayer de nous convaincre que ce point se trouve encore dans
un avenir lointain et qu’il est encore temps d’éviter une confrontation militaire
inutile et futile dont le seul but sera de forcer une réinitialisation
financière, il y a plusieurs raisons de penser que ce point approche
rapidement.
De toute
évidence, beaucoup de gens pensent dans ce sens. Une indication en est que les commandes de bunkers de fin
du monde ont récemment augmenté de quelque 90%. Les journaux publient
des conseils utiles pour survivre à une attaque nucléaire. Par exemple, vous
devez vous cacher en sous-sol (pour éviter les frais d’inhumation, je suppose).
Vous devriez également vous préparer à l’attaque en chargeant votre ordinateur
portable et votre smartphone (qui sera détruit par une impulsion
électromagnétique, mais si leurs batteries au lithium-ion sont complètement
chargées, elles seront toujours utiles comme dispositifs incendiaires
déclenchés par rayonnement, vous fournissant un choix de mort moins horrible
que l’empoisonnement par rayonnement). Vous êtes également invité à ne pas vous
déplacer (trivialement facile si vous êtes mort) à moins d’avoir l’ordre
d’évacuer par les autorités légitimes (qui n’existeront plus).
Mais nous pouvons également être
optimistes et espérer que les États-Unis s’écrouleront dans un conflit interne
avant d’utiliser la « solution nucléaire » contre le monde. Après tout, les joueurs compulsifs
peuvent parfois avoir une attaque et tomber raides morts au milieu du jeu.
Dmitry Orlov
Le livre de Dmitry Orlov est l’un des ouvrages
fondateur de cette nouvelle « discipline » que l’on nomme aujourd’hui : «
collapsologie », c’est à-dire l’étude de l’effondrement des sociétés ou des
civilisations.
Source : le Saker Francophone