mardi 8 août 2017

FRANCE. Mieux vaut Neymar que Drahi: les leçons de morale, ça suffit!

Avec l’arrivée de Neymar au PSG, on vient de vivre une jolie séquence de mépris de classe et d’aversion sociale. Chez les CSP plus ou moins plus, ce ne fut qu’une clameur : « Ces cons de prolos qui aiment le foot! Bandes d’abrutis! »

Dans un premier temps, ce furent les cris d’orfraie à propos des sommes en jeu dans ce transfert, puis les crachats sur ceux qui se réjouissaient ou qui faisaient la queue pour acheter son maillot.
Tiens, à propos de maillot, une petite histoire qui se passe dans le monde du rugby, mais qui en dit long. Et qui servira d’introduction.
C’est l’histoire d’un enfant lourdement handicapé en fauteuil roulant que son père accompagne au stade pour une rencontre de coupe d’Europe. Celui-ci avise le président du club qui reçoit et lui demande l’autorisation de faire un saut dans le vestiaire avant le match pour que son fils y voie son idole, l’Irlandais Sexton. Aussitôt dit aussitôt fait, la chaise roulante parcourt les couloirs et rentre dans le vestiaire. Au moment où Sexton s’approche, le gamin, les yeux brillants, écarte brusquement son blouson pour faire apparaître le maillot floqué au nom de son héros. Celui-ci gorge nouée, yeux embués, et mains tremblantes l’embrasse et lui promet le maillot qu’il porte pour la fin du match. Dans ce vestiaire plein de colosses sentant l’embrocation, on n’entend plus que des reniflements.

Il n’y a qu’un seul Neymar

Et c’est exactement la même chose dans le foot. Il suffit d’écouter Blaise Matuidi. Parce que oui, on l’aime le « passing game ». Le jeu du peuple, de tous les peuples. Et ceux qui y jouent et nous donnent ce plaisir, on les aime aussi. Et tant mieux s’ils gagnent du fric. Eux ne le volent pas. Il y a UN Neymar dans le monde, UN. Qui a bossé comme un chien pour y arriver. Comme il n’y avait qu’UN Zidane. Et des centaines de millions de gens qui les admirent (à juste titre). Même si on sait et le déplore, le rôle du big business qui se gave autour d’eux.
Mais personne ne semble choqué par la fortune d’un Drahi prédateur qui ne crée aucune valeur et s’est contenté de racheter les entreprises des autres avec l’aide de Macron. Il est pourtant 100 fois plus riche que Neymar. Personne ne s’offusque des Yachts à 200 millions d’€ pièce alignés par dizaines à Saint Tropez et par centaines à Monaco. Mais un gosse des quartiers qui sort du rang, c’est insupportable.

En général, les footeux ne se renient pas

Un grand joueur de football c’est une entreprise économique. Ils gagnent beaucoup d’argent mais ceux qui les emploient encore plus. Et ils font des sacrifices, renoncent à leur jeunesse, travaillent, et travaillent encore dans un système où il y a tant d’appelés et tellement peu d’élus. Quand ils deviennent riches, ils en font profiter la famille, le village, la ville. Parce que les footeux ne se renient pas en général.
Alors pourquoi tant d’amour pour ce jeu où on ne peut même pas mettre les mains?
« Le football est universel parce que la bêtise est universelle » disait Jorge Luis Borges, modèle d’arrogance intellectuelle qui se prenait très au sérieux. Mais là il y va quand même un peu fort. Ce qui apporte un peu d’eau à son moulin, c’est que la littérature entretient peu de rapports avec le foot. Pourquoi le football n’est-il pas lui aussi une « province naturelle de la littérature » comme le vélo ? Mystère. Pourtant, beaucoup d’écrivains l’ont aimé, voire  adoré. Beaucoup d’intellectuels aussi. Tous en ont parlé, plus pour se justifier de leur passion que pour l’expliquer. Souvent pour ne pas dire grand-chose. Comme Albert Camus: «Le peu de morale que je sais, je l’ai appris sur les terrains de football et les scènes de théâtre qui resteront mes vraies universités ». Précédé par Antonio Gramsci qui vante le « royaume de la loyauté humaine exercée au grand air ».

Neymar, madeleine de Proust des enfants d’aujourd’hui

Les passionnés qui ont pratiqué (j’ai eu cette maladie, qui s’est révélée incurable) se demandent ce qu’ils pourraient bien dire. Pasolini, qui y voyait « un phénomène de civilisation tellement important », a réglé le problème en expliquant que ce sport n’avait pas besoin de mots, son langage se suffisant à lui-même et à ceux qui le comprennent. Pirouette confortable, qui permet d’en faire une auberge espagnole. Chacun va y apporter ses penchants, ses souvenirs et ses émotions. Et les activer, qui en tapant dans le ballon, qui en regardant les autres le faire. En commençant par ce qui vient de son enfance.
Écoutez ceux qui vous parlent de leur passion pour le football, ils commencent tous par raconter leur premier souvenir de foot. En général vers huit ans, souvent avec son père, l’évocation, au travers d’un souvenir enjolivé, d’un moment de bonheur émerveillé. Avec d’immenses héros lointains, Kopa, Pelé, Platini, Maradona, Zidane, Messi, Neymar… Chacun a les siens, mais en fait, c’est toujours le même. Avec Saint-Exupéry, nous sommes tous « de notre enfance comme d’un pays ».

Le capitalisme a toujours fait du jeu une marchandise

Et puis au football, on y vient avec sa culture. C’est elle qui dictera aussi nos réactions. Ah, la soirée du 8 juillet 1982 à Séville, où la France, ridicule depuis 25 ans, parvenait en demi-finale du tournoi mondial où  elle affrontait l’Allemagne. En alignant, face aux brutes germaniques, un milieu de terrain constitué de quatre fils d’immigrés efflanqués qui était le meilleur du monde. Chacun connaît l’histoire et sa fin, horrible concentré d’injustice. Je me demande bien comment Camus et Gramsci auraient pu voir de la morale et de la loyauté dans l’agression de Schumacher et le penalty manqué par Bossis. Je ne fus pas vraiment surpris de la réaction d’une partie du public français qui, souvent Poulidoriste, adorant les vainqueurs qui perdent, invoqua la malchance, vaguement l’injustice, et plaignit beaucoup les vaincus. Pour ma part, c’était simple et stupide : la haine du boche.
Heureusement, intellectuels gommeux et petits-bourgeois sans passion nous expliquent doctement qu’en fait, nous sommes manipulés. On va nous apprendre tout d’abord que le football est un moyen de gouvernement, un moyen de pression vis-à-vis de l’opinion publique et une manière d’encadrement idéologique des populations. Ensuite, qu’il est devenu un secteur d’accumulation de richesse, d’argent, et donc de capital. C’est une marchandise clé du capitalisme mondialisé. Et enfin, il constitue un corps politique, un lieu d’investissement idéologique sur les gestes, les mouvements. Bigre. Il est vrai que la FIFA n’est guère reluisante. Association à but non lucratif, elle est en réalité une holding transnationale gérant le capital sportif et sa marchandisation. Un milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2013, et autant de réserves financières. Mais la transformation d’un jeu en marchandise n’est pas une nouveauté, le capitalisme l’a toujours fait, dès lors que ce jeu en valait la chandelle.

Le grand-pont de Pelé sur Mazurkiewicz

Cette approche ne répond pas à la question : pourquoi est-ce que tout le monde joue au foot aux quatre coins de la planète sur des terrains vagues, dans des cours d’école, sur les plages ? Et depuis très longtemps. Contrairement à ce que l’on peut penser, en Nouvelle-Zélande, le premier sport pratiqué est bien le football. Et comme, c’est le peuple qui joue, c’est souvent le sport des ouvriers, Jean-Claude Michéa, adorateur du foot mais conscient du problème, nous propose une explication compatible avec sa chère «common decency ». Alors, pourquoi cette fascination pour ce jeu bizarre, qu’on peut certes jouer partout, mais où le descendant d’Homo habilis n’a pas le droit de se servir de ses mains ?
La plus belle et fugace œuvre d’art que j’ai eu l’occasion de voir dans ma vie est « le grand-pont sur Mazurkiewicz ». Le grand-pont, c’est celui de Pelé en demi-finale de la coupe du monde 1970. Parti de la droite du terrain, il va à la rencontre d’une grande transversale que vient de lui délivrer Tostao. Le gardien uruguayen sort à sa rencontre. Pelé croise la trajectoire du ballon sans le toucher. Crucifiant le gardien stupéfait qui voit la balle passer à sa gauche et Pelé à sa droite. Vidéo
Durée de la séquence trois secondes. Du geste génial qui nous arrache un cri que j’entends encore, une demie seconde. Fulgurance qui résume bien le football, un sport d’équipe organisé et rationnel et un JEU individuel et irrationnel.
Je n’aime pas trop le PSG, mais je vais me régaler à regarder jouer Neymar. En attendant M’Bappé…