lundi 21 août 2017

Fascination du djihad. Fureurs islamistes et défaite de la paix



Instruit par l'œuvre de l'historien tunisien Ibn Khaldoun, Gabriel Martinez-Gros replace l'islamisme au cœur de l'Histoire. Il y voit l'expression contemporaine du conflit entre un empire vieillissant et les barbares de sa périphérie...
Dans un précédent livre, Brève Histoire des Empires (Seuil, 2014), Gabriel Martinez-Gros a bouleversé notre vision de l'Histoire universelle en lui appliquant les concepts d'Ibn Khaldoun (1322-1406). Il a explicité cette vision dans un entretien vidéo avec Herodote.net.
Il y a quelques mois, il a montré la valeur prédictive de ces concepts en les appliquant au terrorisme islamiste dans un petit essai percutant, Fascination du djihad (PUF, 2016). Il l'expose ci-après dans un nouvel entretien vidéo avec Herodote.net.
André Larané

Fascination du djihad (PUF 2016) Fin de l'exception occidentale

Rappelons la thèse d'Ibn Khaldoun exposée par Gabriel Martinez-Gros. Depuis l'apparition des premiers empires, il y a 2500 ans avec Cyrus le Grand, nous voyons se succéder en Eurasie des empires, autrement dit des entités multicuturelles ou multinationales reposant sur la force militaire. Ces empires sont fondés par des conquérants venus de la périphérie et qui, une fois au pouvoir, n'ont plus d'autre ambition que de désarmer et pressurer les masses laborieuses. Les Mandchous en Chine, les Moghols en Inde et bien sûr les Arabes et les Turcs en Orient en sont des exemples caractéristiques.
L'exception de taille à ce modèle historique est constituée par l'Occident médiéval, né vers l'An Mil sur les ruines de l'empire romain.
Dans ce cas, les conquérants barbares et les masses romanisées ont fusionné pour fonder des royaumes qui deviendront nos États-Nations démocratiques. À l'opposé des empires, ceux-ci se caractérisent par le consentement à l'impôt et l'armement généralisé des citoyens.
Alors que ce modèle semble aujourd'hui se diffuser en Extrême-Orient et même en Chine, il est déliquescent en Occident, où les citoyens se désintéressent de la préservation de la Nation, le port des armes est réservé à une poignée de professionnels... et l'impôt de plus en plus subi.
Pour Gabriel Martinez-Gros, l'Occident, en tournant le dos aux États-Nations, semblerait donc vouloir rentrer dans le rang. Il est peut-être en passe de devenir un ectoplasme d'empire. L'historien en voit les symptômes dans sa faible fécondité et le desserrement des solidarités nationales. Dans ce contexte, les djihadistes mais aussi les mafias (Amérique latine) sont analogues aux bédouins et autres nomades qui donnèrent le coup de grâce aux empires passés.  
Retour aux origines de l'islam
Le terrorisme islamiste a un caractère inédit aux yeux de Gabriel Martinez-Gros en ce qu'il est chargé de sens, à la différence par exemple du mouvement anarchiste de la Belle Époque ou des cartels de la drogue.
À la différence des leaders musulmans du XXe siècle (Atatürk, Bourguiba, Nasser, Assad...), les islamistes ont définitivement répudié les valeurs de la modernité occidentale, y compris les mots pour l'exprimer : discriminationsocialisme, démocratie, révolution... Ils se soucient comme d'une guigne du passé colonial et même de la libération des Palestiniens. Ils se situent ailleurs, dans le retour aux valeurs originelles de l'islam et à ses traditions conquérantes.
C'est que l'islam, né à la périphérie des empires perse et byzantin, s'est imposé à ceux-ci par la conquête et les armes. C'est ce qui fait sa différence avec le christianisme : cette religion d'essence pacifique a gagné le cœur des Romains aux premiers siècles de notre ère, quand l'empire se délitait.
Il en a été de même, note Gabriel Martinez-Gros, avec le bouddhisme qui a gagné le cœur des Chinois dans les derniers siècles de l'empire Han, au début de notre ère : « Le christianisme comme le bouddhisme sont historiquement nés sur le versant sédentaire d'empires mûrs et vieillissants. L'Islam est né sur le versant bédouin, violent et conquérant d'un empire à naître ».
L'historien insiste sur le caractère violent de l'islam des origines« Ibn Khaldoun est sur ce point plus brutal que le plus radical des critiques de l'Islam n'oserait l'être ; et d'autant plus qu'il n'en a pas l'intention bien sûr. À ses yeux, l'Islam, dans son principe et ses premiers développements historiques, est inséparable du djihad » (*).
Cela dit, quand des empires musulmans ont émergé après les conquêtes de Mahomet et des premiers califes, tous ces empires, une fois installés, se sont détournés de la guerre sainte et des aventures militaires pour ne plus se soucier que de durer. Il en a été ainsi de l'empire arabo-persan de Damas et Bagdad comme de l'empire fatimide, du sultanat de Delhi, de l'empire moghol, de l'empire ottoman etc.
À toutes les époques, rappelle Gabriel Martinez-Gros, ces empires ont eu à combattre des rebelles qui leur reprochaient leur apathie et levaient l'étendard de la révolte au nom du djihad. C'est que, écrit Ibn Khaldoun lui-même, « dans la communauté musulmane, la guerre sainte est un devoir religieux parce que l'islam a une mission universelle et que tous les hommes doivent s'y convertir de gré ou de force ».
L'Occident chrétien a évolué en sens opposé. Après que l'Église médiévale a réussi à adoucir les mœurs en imposant aux guerriers un code chevaleresque et les trêves de Dieu, les Européens se sont peu à peu éloignés de la religion et ont cherché des valeurs plus guerrières dans les modèles antiques. « Les États modernes ont indiscutablement gagné des droits nouveaux à la violence en se laïcisant », note l'historien. Même processus en Chine, à l'époque des Song (Xe-XIIIe siècles) avec la quête de nouveaux modèles dans les temps anciens et belliqueux des Royaumes combattants...
Si l'Occident et l'Extrême-Orient ont pu espérer à la fin du XXe siècle sortir de l'Histoire et de la guerre, il n'en va pas de même du monde islamique, plus que jamais agité par les rébellions contre les pouvoirs établis.
Les djihadistes renouent avec l'Islam des origines, ce qui leur vaut le soutien implicite d'une partie notable des musulmans... et l'incompréhension de nos élites qui cherchent des motivations plus accessibles à la raison occidentale : misère sociale, combat contre les discriminations etc. Pour l'auteur de Fascination du djihad, la guerre qui s'annonce sera longue. Son issue, encore incertaine, dépendra de notre réponse à « la question de savoir si nous avons mérité d'être libres ».


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Hannibal GENSERIC