mercredi 30 décembre 2020

L’Inde et la Chine se préparent à une nouvelle bataille, cette fois-ci sur l’eau

La construction d'un ou plusieurs barrages sur le Brahmapoutre au Tibet est envisagée par la Chine. De par son débit et surtout sa hauteur de chute, le fleuve (localement appelé Yarlung Tsangpo) offre un potentiel hydroélectrique considérable, qui pourrait servir à alimenter la croissance de la demande électrique chinoise. Selon les sources officielles de Pékin, ces barrages permettraient également la Chine de réduire les émissions de CO2 de son secteur électrique. Selon le projet réalisé à l'avenir, le barrage des Trois-Gorges, avec 22,5 GW de puissance installée, pourrait hypothétiquement céder son titre de barrage hydroélectrique le plus puissant du monde à un nouvel ouvrage sur le Brahmapoutre.

Les plans de Pékin pour un super barrage ont conduit New Delhi à réfléchir à la construction d’un projet concurrent sur un fleuve nommé Brahmapoutre en Inde et Yarlung Zangbo en Chine

Les analystes avertissent qu’une telle course pourrait devenir incontrôlable, avec des répercussions non seulement pour les deux mais aussi pour le Bangladesh, que le fleuve traverse également [En retenant les limons, les barrrages favorisent la submersion des deltas, déjà fragilisés par l’élévation des mers, NdT]

Schéma de la problématique de la construction d'un barrage sur le Brahmapoutre

Des indiens, fidèles hindous, procèdent
à des rituels sur les rives du Brahmapoutre
à Guwahati, en Assam, en Inde.

Au plus fort d’une confrontation frontalière interminable de sept mois entre leurs troupes et d’un découplage économique, les liens effilochés entre l’Inde et la Chine ont maintenant un nouveau point de tension : l’eau.

Ce nouveau conflit est alimenté par un mélange de méfiance mutuelle, de manque de transparence et d’une intense rivalité autour de l’un des plus grands fleuves du monde, le Brahmapoutre en Inde et le Yarlung Zangbo en Chine.

À la fin du mois dernier, la Chine a annoncé son intention de construire ce qui pourrait être son plus grand projet hydroélectrique, produisant potentiellement trois fois plus d’énergie que le projet des Trois Gorges, le plus grand de ce type au monde actuellement.

Inde : la position de Pékin sur le Brahmapoutre énerve New Delhi - Asialyst

Le tabloïd nationaliste Global Times a cité Yan Zhiyong, président de la Power Construction Corporation of China, qui a déclaré qu’un tel projet pourrait produire 70 millions de kilowattheures et n’aurait « aucun équivalent dans l’histoire. »

Bien que Pékin n’ait pas annoncé l’emplacement exact, il a indiqué qu’il pourrait se situer près de ce que l’on nomme « le Grand Coude » [la plus profonde gorge du monde avec 5000 m de profondeur, NdT], où le fleuve tourne brusquement vers le sud pour entrer dans la région de l’Arunachal Pradesh, au nord-est de l’Inde.

Beaucoup en Inde s’inquiètent de l’impact qu’un projet d’une telle ampleur aurait sur l’eau et la sécurité alimentaire du pays, ainsi que de l’éventuelle instrumentalisation de l’eau par la Chine en raison de sa forte emprise sur le débit – en l’utilisant pour provoquer des inondations ou induire des sécheresses.

Deux jours plus tard, New Delhi a déclaré qu’elle envisageait un grand projet hydroélectrique sur le Brahmapoutre pour « atténuer l’impact négatif des projets de barrages chinois », a déclaré à Reuters un responsable du ministère indien de l’eau.

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Le barrage des Trois Gorges en Chine est confronté à de graves inondations suite aux crues du Yangtsé

Les analystes avertissent qu’une telle course entre les deux puissances asiatiques pourrait facilement dégénérer et avoir des répercussions non seulement pour les deux, mais aussi pour le Bangladesh, que le fleuve traverse avant de se jeter dans le golfe du Bengale.

« Le conflit frontalier, les mystères, les non-dits à propos des barrages et les nombreuses informations exacerbent la situation », a déclaré B.R. Deepak, sinologue et professeur de chinois et d’études chinoises à l’université Jawaharlal Nehru.

Jusqu’à présent, New Delhi a été prudente dans sa réaction.

Jeudi, le porte-parole du ministère des affaires étrangères a déclaré que le pays « surveille attentivement toutes les avancées autour du fleuve. Le gouvernement a constamment fait part de ses vues et de ses préoccupations aux autorités chinoises et les a exhortées à veiller à ce que les intérêts des États en aval ne soient pas lésés par des activités dans les zones en amont », a déclaré le porte-parole.

S’il y a un accident et que le barrage cède, cela fera des ravages… Cela aura un impact sur l’Inde, en aval

Sayanangshu Modak, analyste

Cependant, les analystes pensent que la réaction de New Delhi a infirmé les craintes que l’Inde pourrait entretenir autour du projet de la Chine, qui a été qualifié de « super barrage » par les médias indiens.

Selon Sayanangshu Modak, assistant de recherche à l’Observer Research Foundation, spécialiste de la gouvernance des eaux transfrontalières et de la gestion des risques d’inondation, ce sera une « préoccupation majeure pour l’Inde » si la Chine poursuit ses projets.

« La région a un passé d’avalanches et de glissements de terrain, elle est également une région à risque puisque tectoniquement active. Si un accident se produisait et que le barrage cédait, cela ferait des ravages, a-t-il déclaré. Mais la Chine ne perdrait rien puisque c’est l’endroit où le fleuve quitte la Chine. Il aura un impact sur l’Inde, en aval. »

En contrôlant le débit du fleuve, la Chine pourrait également « provoquer des inondations en aval » par une libération soudaine de l’eau du fleuve, a déclaré Modak.

Des pêcheurs à l’oeuvre dans le Brahmapoutre à Guwahati, en Inde. Photo : AFP

Cette « guerre psychologique » pourrait être la plus dévastatrice de toutes les conséquences du « super barrage » que Pékin pourrait préparer, indique un document de recherche publié en 2013 par le Centre for Irregular Warfare and Armed Groups de l’US Naval War College.

Le contrôle du débit de l’eau par la construction de barrages et la dérivation pourrait donner à la Chine « la capacité de réduire l’approvisionnement alimentaire de son plus grand voisin », selon le document, qui souligne la capacité du Brahmapoutre à aider à soutenir l’agriculture dans la région nord-est de l’Inde.

« Une fois les barrages construits, la capacité à créer des problèmes humains en Inde et au Bangladesh par le biais de pénuries d’eau et de nourriture, sera implicitement sous-jacent de toute demande émanant de Pékin », selon le document, qui qualifie un tel scénario de « menace quasi existentielle » pour l’Inde.

Modak a déclaré que ces inquiétudes pouvaient être exagérées puisque le débit de la rivière est augmenté des précipitations dans les régions indiennes. Mais il a ajouté que le barrage pourrait également avoir un effet sur l’écologie des régions indiennes en aval.

« En général, les rivières ont des schémas de débit saisonniers : à certaines saisons, les rivières ont beaucoup d’eau alors qu’à d’autres, il n’y a qu’un filet d’eau, a-t-il dit. Mais une fois que vous avez créé un barrage aussi important, ces modèles changeront chaque jour, et non de façon saisonnière. Lorsque les turbines sont en marche, le débit de l’eau augmentera et lorsqu’elles sont arrêtées, le débit s’arrêtera. »

Normalement, de tels projets méritent des discussions et une planification approfondies entre les pays qui se partagent les eaux. Cependant, les deux voisins himalayens n’ont signé aucun accord de partage des eaux entre eux.

L’Inde encourage la construction de routes près de la frontière chinoise, afin de renforcer les infrastructures dans les zones frontalières

À cela s’ajoute la méfiance mutuelle qui a façonné les liens bilatéraux – les deux sont pris dans un conflit frontalier depuis près de sept décennies maintenant, les deux parties ayant des revendications qui se superposent sur un territoire contrôlé par l’autre. Ce différend a donné lieu à des escarmouches entre soldats ainsi qu’à une véritable guerre en 1962.

Selon l’universitaire Deepak, cette méfiance a également façonné les liens des voisins en matière de partage de l’eau et de planification, l’Inde craignant que la Chine n’utilise le contrôle de l’eau comme un outil de guerre.

Il a évoqué un accord de 2002 pour partager les données hydrologiques du fleuve, favorisant la transparence et la coopération dans les relations.

« Cet accord n’a pas toujours été respecté par la partie chinoise, comme en 2017 », a déclaré Deepak, soulignant la décision de la Chine d’interrompre le partage des données après l’affrontement de 72 jours entre les soldats indiens et chinois à la jonction entre l’Inde, le Bouthan et la Chine sur le plateau de Doklam.

Les craintes de New Delhi se sont encore renforcées après les événements de juin de cette année, lorsque des images satellites ont montré que des bulldozers chinois avaient bloqué le débit de la rivière Galwan, quelques jours seulement après que des troupes des deux côtés se soient affrontées sur ses rives, entraînant la mort de 20 soldats indiens et d’un nombre indéterminé de soldats chinois.

Le brigadier (retraité) Deepak Sinha, de l’armée indienne, qui a mené des opérations spéciales anti-insurrectionnelles et aéroportées dans le nord-est de l’Inde, a déclaré que militariser les eaux et le débit des rivières n’était pas une technique militaire exceptionnelle. « Mais elles ne sont pas très efficaces aujourd’hui, car l’élément de surprise est perdu sur l’ennemi grâce à des techniques de surveillance avancées. »

Pour l’instant, les deux camps semblent vouloir jouer la carte de la prudence.

Un lendemain de la parution dans le Global Times de l’annonce que la Chine allait « construire (le) projet hydroélectrique historique », l’ambassade de Chine en Inde a précisé que le projet en était au stade de la « planification préliminaire et qu’il n’était pas nécessaire de l’interpréter de manière excessive », même si la porte-parole du ministère chinois des affaires étrangères, Hua Chunying, a déclaré que la construction d’un tel projet était « le droit légitime de la Chine. »

L’Inde, pour sa part, a déclaré à la Chine « à plusieurs reprises qu’elle n’acceptera que les projets hydroélectriques au fil de l’eau qui n’impliquent pas de détournement des eaux du Brahmapoutre, et qu’elle entend poursuivre son partenariat avec la Chine », selon un porte-parole du gouvernement.

Mais comme New Delhi a rendu public son projet de barrage sur le fleuve dans l’Arunachal Pradesh, la relation pourrait entrer dans des eaux de plus en plus agitées, selon M. Deepak.

« La Chine s’oppose à de tels barrages ainsi qu’à d’autres projets d’infrastructure que l’Inde entreprend dans l’Arunachal Pradesh en raison de sa propre vision du secteur oriental », a-t-il déclaré.

En conséquence, « le fleuve, fondamentalement, devient une partie de la question de la frontière et de la géopolitique» entre les deux pays.

Cet article est paru dans l’édition imprimée du South China Morning Post sous le titre : Le barrage projeté est une nouvelle source de préoccupation

Source : SCMP, Kunal Purohit, 07-12-2020
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Kunal Purohit est un journaliste indépendant, basé à Bombay. Il suit les interactions entre le développement, la justice sociale, les relations internationales et la politique.

1 commentaire:

  1. Suppression et confiscation de la propriété du logement : The Economist s'en vante. On ne va pas y couper là non plus. Et tout le monde sera d'accord grâce à la télé...La menace bolchévique est mondiale cette fois - avec personne ou presque pour nous défendre. LIESI : "Le gouvernement indien teste le programme de Davos et a décidé que pour retirer de l’argent dans n’importe quel distributeur, vous deviez être vacciné. La preuve de votre docilité est liée à votre carte d’identité biométrique et à votre domicile de confinement. Le logiciel de la carte d’identité biométrique s’appelle AADHAR et est fourni par Microsoft." En Inde tous les politiciens ont été achetés par les GAFAM (cinquante mille milliards de dollars...). Le vaccin Pfizer continue de tuer - en Suisse cette fois. Raison pourquoi il faut continuer de "vacciner férocement" - Catherine Hill sur BFM.

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