samedi 29 juin 2024

La défense aérienne européenne pourrait être divisée en deux sphères d’influence (Korybko)

Dans la suite de l’article d’hier sur l’édification par l’Union européenne d’un Rideau de fer militaire aux confins Est de l’Europe : La «ligne de défense de l’UE» est le dernier euphémisme pour désigner le nouveau rideau de fer  – voir ci-dessous, Andrew Korybko propose ici un article décrivant la tactique militaire pour la gestion des forces aériennes de l’Union (UE) en prévision d’une agression contre la Russie dans le cadre de la guerre de proxy ukrainienne.



L’Allemagne peut gérer directement la moitié nord tandis que la France et l’Italie (partenaires seniors et juniors respectivement) font de même avec la moitié sud.

Politico a rapporté que « Von der Leyen soutient les appels polonais et grecs à un bouclier de défense aérienne de l’UE » après que leurs Premiers ministres ont exigé que « notre union économique et monétaire soit accompagnée d’une union de défense forte » dans une lettre conjointe adressée à elle la semaine dernière pour l’exhorter à créer ce programme « phare ». Le média a également déclaré que l’initiative allemande « European Sky Shield » (ESSI), « qui vise à acquérir conjointement des systèmes de défense aérienne allemands, américains et israéliens », est en concurrence avec l’initiative franco-italienne d’utilisation des systèmes SAMP/T.

La première a été analysée ici en ce qui concerne le débat qui fait rage en Pologne entre le président Duda et le Premier ministre Tusk sur le maintien de la dépendance prévue de leur pays vis-à-vis des défenses aériennes anglo-américaines ou la participation à l’ESSI dirigée par l’Allemagne, respectivement. Étant donné que le gouvernement de Tusk vient d’annoncer que la Pologne combinera ses fortifications de sécurité frontalières « Bouclier Est » avec le « Bouclier balte » des États baltes, ce qui étendra l’influence militaire allemande vers l’est, ESSI est probablement un favori.

Quant au second, l’influence militaire à peine discutée de la France en Roumanie et en Moldavie la positionne parfaitement, ainsi que l’Italie, pour pousser le SAMP/T sur cette partie de l’Europe, qui pourrait aussi naturellement inclure le reste des pays des Balkans entre eux. Dans ce cas, la défense aérienne européenne serait divisée en deux sphères d’influence, l’Allemagne gérant directement la moitié nord tandis que la France et l’Italie (partenaires seniors et juniors respectivement) font de même avec la moitié sud.

D’un point de vue américain, il y a des avantages et des inconvénients à ce scénario. D’une part, il est plus facile pour une sous-hégémonie comme l’Allemagne d’être responsable du théâtre européen de la nouvelle guerre froide au nom des États-Unis que de le répartir entre partenaires. D’autre part, cependant, maintenir le continent divisé selon deux axes pourrait se prémunir contre le risque improbable mais à fort impact que l’Allemagne « devienne un jour voyou » en réparant unilatéralement ses relations avec la Russie sans l’approbation préalable des États-Unis et en secouant le monde.

Alors que leur hégémonie unipolaire précédente dans son ensemble continue de s’affaiblir dans le cadre de la transition systémique mondiale vers la multipolarité, (sic) les États-Unis auront de moins en moins de moyens d’influencer l’issue de cette compétition intra-européenne. En outre, les États-Unis se préparent à « pivoter vers l’Asie » pour contenir la Chine, ce qui est la principale raison pour laquelle les Européens veulent construire leur propre système de défense aérienne – même si c’est en partie avec des produits américains selon le modèle ESSI – de peur d’être laissés pour compte lorsque cela se produira.

Objectivement parlant, cependant, l’UE n’a pas à s’inquiéter de la Russie puisque cette dernière ne va pas envahir le bloc et déclencher le déclencheur de l’article 5 pour un échange nucléaire avec les États-Unis. L’Amérique a si bien réaffirmé son hégémonie sur l’UE depuis 2022 que les décideurs politiques européens semblent avoir vraiment adhéré à la campagne alarmiste de leur suzerain. C’est pourquoi beaucoup s’inquiètent de ce qui se passera lorsque ce dernier reviendra en Asie ou si Trump revient au pouvoir en premier.

Les grands avantages stratégiques de la réaffirmation de son hégémonie sur l’UE l’emportent de loin sur le retour de bâton de la possibilité de perdre des contrats militaires très rentables si la défense aérienne européenne bifurque entre le nord partiellement fourni par les États-Unis et dirigé par l’Allemagne et le sud franco-italien. Différents décideurs américains, y compris ceux qui se trouvent aux mêmes niveaux de la hiérarchie politique, ont des points de vue différents sur le scénario le plus optimal pour les intérêts de leur pays, compte tenu des avantages et des inconvénients.

Dans l’ensemble, les États-Unis s’adapteront avec souplesse aux circonstances au fur et à mesure qu’elles se présenteront pour s’assurer que leur hégémonie réaffirmée avec succès sur l’UE ne soit pas affaiblie dans le scénario où l’Allemagne et la France-Italie divisent l’Europe en sphères d’influence de la défense aérienne. Cette concurrence intra-UE est stratégiquement insensée, comme cela a été expliqué, puisque la Russie ne va pas bombarder le bloc, mais est une aubaine pour le complexe militaro-industriel, c’est pourquoi tous les acteurs concernés rivalisent pour faire avancer leurs plans afin d’en tirer le maximum de profit.

Par Andrew Korybko. Sur European Air Defense Might Be Divided Into Two Spheres Of Influence (substack.com)

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La «ligne de défense de l’UE» est le dernier euphémisme pour désigner le nouveau rideau de fer

L’intérêt de rebaptiser ce qui a d’abord été conceptualisé comme la « ligne de défense balte » est d’imposer ce « projet » comme un projet paneuropéen inclusif qui est censé être construit pour le «plus grand bien» des citoyens du bloc impérial occidental en préparation de la guerre à poursuivre.

La Pologne et les États baltes viennent de demander un financement de l’UE pour financer ce qu’ils appellent maintenant la «ligne de défense de l’UE », qui n’est en fait que le dernier changement de nom de la «ligne de défense balte» de janvier qui a ensuite été rebaptisée «bouclier balte» avant sa dernière itération. C’est au cours de la deuxième phase conceptuelle de ce projet qu’il s’est associé à la Pologne et a jeté les bases d’une initiative conjointe «Bouclier». Voici cinq briefings de fond pour les lecteurs qui n’ont pas suivi de près ce projet :


* 22 janvier : « La ‘ligne de défense balte’ est destinée à accélérer le ‘Schengen militaire’ dirigé par l’Allemagne »

13 mai : « Le renforcement des fortifications frontalières en Pologne n’a rien à voir avec les perceptions légitimes de la menace »

* 25 mai : « Un nouveau rideau de fer est en train de se construire de l’Arctique à l’Europe centrale »

* 2 juin : « La Pologne peut se défendre contre l’invasion des immigrants illégaux sans aggraver les tensions avec la Russie »

* 7 juin : « Le sommet de l’OTAN du mois prochain pourrait voir la plupart des membres rejoindre le ‘Schengen militaire’ »


Pour résumer, les États-Unis envisagent que l’Allemagne utilise le «Schengen militaire» pour accélérer la construction de la «forteresse Europe», ce qui permettra à l’Allemagne de contenir la Russie à la demande des États-Unis, tandis que les États-Unis «pivotent vers l’Asie» pour contenir  la Chine. Les deux analyses précédentes développent le concept de « forteresse Europe » pour ceux qui souhaitent en savoir plus à ce sujet. Ce projet vise essentiellement à restaurer la trajectoire de superpuissance perdue depuis longtemps de l’Allemagne avec le soutien américain.

Sa pertinence pour la « ligne de défense de l’UE » est que le financement (au moins partiel) du bloc dirigé par l’Allemagne servira probablement de prétexte à une implication directe de l’Allemagne dans sa construction, surtout si la Lettonie et l’Estonie rejoignent le «Schengen militaire» lors du prochain sommet de l’OTAN, comme l’une des analyses citées précédemment l’avait prédit. La demande de la Pologne pour l’ aide de la police allemande pour aider à garder la frontière du bloc avec la Biélorussie facilite également la probabilité que Berlin joue un rôle de premier plan dans la construction de la « ligne de défense de l’UE ».

L’une des autres analyses mentionnées précédemment était liée au nouveau rideau de fer qui devrait s’abattre sur l’UE de l’Arctique à l’Europe centrale, ses extrémités les plus septentrionales faisant référence au scénario de la Finlande rejoignant ce qui a maintenant été rebaptisé «ligne de défense de l’UE». Dans ce cas, une ligne Maginot moderne serait construite le long de la frontière UE/OTAN-Russie, mais cette fois avec l’Allemagne prenant la tête de sa construction (et avec le soutien total des États-Unis) à la place de la France.

L’intérêt de rebaptiser ce qui a d’abord été conceptualisé comme la « ligne de défense balte » est de commercialiser ce projet comme un projet paneuropéen inclusif qui est censé être construit pour le « plus grand bien » des citoyens du bloc. Cette notion est destinée à justifier le financement de l’UE puisque la Pologne et les États baltes ne veulent pas payer la totalité de la facture eux-mêmes (et ne peuvent probablement pas se le permettre) tout en renforçant la fausse perception d’une soi-disant « menace russe » conçue pour rallier les peuples du bloc autour de cette cause commune…de cette guerre mondiale « commune ».

Compte tenu du chevauchement des intérêts militaires, politiques et stratégiques en jeu, il faut donc tenir pour acquis que la «ligne de défense de l’UE» sera probablement construite et fonctionnera ensuite comme le nouveau rideau de fer. Il symbolisera la nouvelle guerre froide pour la prochaine génération et garantira que les tensions entre l’OTAN et la Russie restent la «nouvelle norme». Aucune normalisation entre ces deux éléments ne sera jamais possible après la construction de ces fortifications, mais c’est précisément ce que veulent les États-Unis afin de les diviser pour régner indéfiniment…rendre impossible un rapprochement de l’Allemagne et de la Russie.

Par Andrew Korybko. Sur The “EU Defense Line” Is The Latest Euphemism For The New Iron Curtain (substack.com)

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Les États-Unis vont-ils remplacer Zelensky au premier semestre 2025 ?

Zelensky ne sert plus actuellement qu’à légitimer des politiques radicales, et il sera prochainement mis de côté une fois qu’il aura rempli son rôle, même si l’on ne saurait dire pour le moment quand cela va se produire : tout dépend de savoir si l’OTAN va intervenir de manière conventionnelle en Ukraine ou non.


Le président Poutine a exprimé son opinion au cours d’une conférence de presse tenue à Hanoï : les États-Unis vont remplacer Zelensky au premier semestre 2025, après l’avoir utilisé pour prendre des décisions impopulaires, comme une nouvelle baisse de l’âge de la conscription. Cette prédiction coïncide avec la publication par les services de renseignements russes de leur dernier rapport sur le sujet, évoquant un tel scénario, affirmant que les États-Unis envisagent sérieusement de le remplacer par Zaluzhny. Ce scénario apparaît également comme plus propice que les autres à des négociations de paix avec Moscou.

J’ai expliqué le mois dernier que la Russie espère influencer le processus potentiellement en cours de changement de régime soutenu par les États-Unis après que les services de renseignements russes ont publié un rapport sur ce thème. Cette stratégie continue de se développer, comme l’indique la déclaration par le président Poutine, il y a deux semaines, selon laquelle le président de la Rada serait désormais le dirigeant légitime de l’Ukraine si l’on s’en tenait à la constitution ukrainienne. Il a également affirmé que la Russie pouvait négocier avec lui ou avec un autre représentant si Kiev était intéressée par la paix, mais pas avec Zelensky.

La dynamique militaro-stratégique du conflit continue de jouer en faveur de la Russie, et les ajustements mineurs des politiques étasuniennes, consistant à laisser l’Ukraine faire usage des armes étasuniennes à destination de cibles supposées au delà de la frontière, ne sont pas de nature à modifier cette dynamique. La seule variable susceptible de modifier significativement le jeu à ce stade serait une intervention conventionnelle lancée par l’OTAN, mais une telle décision risquerait de constituer un mauvais calcul et de déclencher la troisième guerre mondiale.

Pour en revenir à la prédiction du président Poutine sur un remplacement de Zelensky début 2025, ou bien le président russe suppose que ce type d’intervention conventionnelle ne se produira pas, ou bien que l’escalade qui va s’ensuivre restera gérable au lieu de virer à l’apocalypse. Concernant la première possibilité, il existe une chance que l’OTAN ne lance pas d’intervention conventionnelle, car celle-ci est conditionnée à une percée russe des lignes de front, que l’OTAN pourrait exploiter pour justifier son implication directe dans le conflit.

Il se peut que cette percée ne se produise pas, ce qui exclurait ce scénario, ou bien qu’elle se produise, et qu’elle déclenche cette séquence d’événements, ce qui conduira à la seconde possibilité et à une possible gestion de cette escalade. Dans ce cas, la Russie pourrait soit éviter de frapper les unités de l’OTAN tant qu’elles resteraient à l’Ouest du Dniepr et ne constitueraient pas une menace crédible pour ses nouvelles régions, ou bien s’engager dans des frappes au coup pour coup, contrôlables, avant de geler le conflit. Mais quoi qu’il en soit, le destin politique de Zelensky est gravé dans le marbre.

C’est la première possibilité qui serait la pire pour lui, car il subirait des pressions plus fortes que jamais pour faire baisser l’âge de conscription dès que possible afin de remplacer toute la chair à canon qu’il faudra déployer au sol pour empêcher une percée russe des lignes de front. Il est impossible de prédire à quel moment précis il sera remplacé, car cela dépend du moment auquel cette politique sera mise en œuvre, et si (et pour combien de temps) la police secrète pourra contrôler les réactions furieuses de la population ukrainienne à l’envoi à la boucherie de ses jeunes hommes adultes.

Si l’OTAN pratique une intervention conventionnelle en Ukraine, et que l’escalade ne dégénère pas en troisième guerre mondiale pour cause de mauvais calculs, ce qui bien entendu n’est pas garanti d’avance, le bloc pourrait maintenir Zelensky en poste jusqu’à être parvenu avec la Russie à un accord étendu sur la gestion la “nouvelle normalité” de l’Europe. Une fois cela conclu, et nonobstant quand cela se produirait, il sera alors écarté pour proclamer l’advenue de ce qui sera présenté comme une “nouvelle Ukraine” conformément à la nouvelle situation, et pour tourner la page de cette sombre période.

Tout comme suivant la première possibilité, il ne resterait au pouvoir que le temps de prendre des décisions impopulaires, certes suivant des circonstances totalement différentes. Quoi qu’il en soit, une chose est bel et bien écrite : sa carrière politique approche de sa fin dans tous les cas. Zelensky ne sert plus désormais qu’à légitimer des politiques radicales, quel que soit le scénario. Il sera écarté une fois qu’on aura obtenu ce qu’on voulait de sa part ; même s’il reste incertain de prédire à quel moment exact, car tout dépend de l’occurrence ou non d’une intervention conventionnelle par l’OTAN.

 Andrew Korybko − Le 20 juin 2024 − Source korybko.substack.com 

Andrew Korybko est un analyste politique étasunien, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.

Via le Saker Francophone

 

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