La réponse
arrogante du président Trump aux menaces saoudiennes contre le Qatar pourrait
être considérée comme le « feu vert » à une invasion saoudienne – et
la prochaine étape vers une guerre régionale avec l’Iran, rapporte Joe Lauria.
La scission
dans l’administration Trump sur la façon de faire face à la crise du Qatar
ouvre une situation dangereuse qui pourrait conduire bientôt à un conflit armé.
Le président Donald Trump touche un globe illuminé en présence du président égyptien Abdel Fattah al-Sissi, et du roi saoudien Salmane à l’ouverture du Centre mondial de lutte contre l’idéologie extrémiste, en Arabie saoudite le 21 mai 2017. (Photo de Saudi TV) |
Le
département d’État et celui de la Défense se sont largement rangés du côté du
Qatar, mais la Maison-Blanche a sapé l’influence que les États-Unis avaient sur
l’Arabie saoudite pour freiner le comportement agressif de Riyad envers son
voisin. Le président Donald Trump, par exemple, a appelé la semaine dernière le
Qatar « un grand commanditaire » du terrorisme, faisant
silence sur le fait que l’Arabie saoudite en est également un grand partisan.
Un feu vert
En Syrie et
en Afghanistan, Trump a laissé la plupart des décisions à l’armée, ce qui rend
non pertinents nombre de ses tweets et déclarations. Mais dans la crise du
Golfe, il s’affirme. Il a même essayé de récupérer le crédit de l’embargo après
sa visite à Riyad le mois dernier, où il a également rencontré l’émir du Qatar.
Alors que le Pentagone et le Département d’État veulent une médiation pour
régler la crise, le porte-parole de la Maison-Blanche, Sean Spicer, a déclaré
vendredi qu’elle devait être résolue par les seuls pays participants.
« Les
quatre pays impliqués – nous pensons qu’il s’agit d’un problème de famille et
que c’est à eux de le résoudre », a déclaré Spicer. « Si nous
pouvons aider à faciliter ces discussions, alors très bien », a-t-il dit.
« Mais ils veulent, et ils devraient, le résoudre par eux-mêmes ».
La remarque
de Spicer rappelle à Ali al-Ahmed, directeur de l’Institut pour les Affaires du
Golfe de Washington, comment l’ambassadrice de l’administration de George H. W.
Bush en Irak, April Glaspie, avait déclaré à Saddam Hussein en 1990 que les
États-Unis n’avaient « pas d’opinion sur les différends inter-arabes,
comme votre désaccord frontalier avec le Koweït ». Huit jours plus
tard, Saddam Hussein envahissait le Koweït.
Al-Ahmed
pense que la remarque de Spicer est également le signe que Trump a donné à Riyad son feu
vert pour envahir le Qatar. Un autre signe inquiétant, m’a-t-il déclaré,
est l’élévation de Mohammed ben Salmane au rang de prince héritier saoudien, la
semaine dernière. Ben Salmane, qui en tant que ministre de la Défense a montré
son agressivité dans l’attaque désastreuse lancée depuis deux ans, sans fin en
vue, contre le Yémen voisin, a ainsi remplacé Mohammed ben Nayef,
« considéré comme trop proche du Qatar et qui devait être éjecté »,
m’a dit Al-Ahmed.
Ben Salmane va vouloir consolider son pouvoir dans son
nouveau poste en lançant une guerre, comme il l’a fait quand il a été nommé
ministre de la Défense, a déclaré
Al-Ahmed. Il a tracé un autre parallèle avec Saddam Hussein qui avait envahi
l’Iran un an après son arrivée au pouvoir pour renforcer son autorité, avec le
soutien des États-Unis à ce moment-là aussi.
L’impasse de
la guerre au Yémen a épuisé le trésor saoudien. Il y a aussi la question de la prise de contrôle des
ressources en gaz naturel du Qatar, les troisièmes plus grandes au
monde, à travers un régime de marionnettes que Riyad chercherait à installer à
Doha, déclare M. Al-Ahmed.
La peur d’un conflit plus large
Compte tenu
des dangers encourus, au lieu de rester extérieure, la Maison-Blanche devrait
envoyer un message sans équivoque, ajoute Al-Ahmed.
« Les
États-Unis devraient expliquer que l’utilisation de la violence contre un autre
pays n’est pas acceptable et aura des conséquences », dit-il. Avec
l’influence de Washington, « je pense que si les États-Unis veulent
vraiment résoudre cela, ils peuvent y arriver facilement ».
Giorgio
Cafiero, directeur général de Gulf State Analytics à Washington, m’a dit que si
les États-Unis résolvent la crise du Golfe, ils devraient en tirer des
bénéfices.
« Il
est incontestable que l’intérêt de Washington est de voir ses alliés arabes
sunnites maintenir un semblant d’unité et de cohésion, cette querelle constitue
donc un problème majeur pour les États-Unis et sa politique étrangère dans la
région du Golfe », selon Cafiero.
Tandis que
les États-Unis bottaient largement en touche, le Koweït a mené une tentative
auprès du Conseil de coopération du Golfe pour résoudre la crise sans aide
extérieure. Avec ses « messages contradictoires » sur la
crise, Washington « semble être dans une position relativement faible
pour faciliter la restauration des relations diplomatiques et économiques entre
les États impliqués », déclare M. Cafiero.
Et cela ne
peut être que dangereux. « Plus cette impasse s’installe, plus il
sera politiquement coûteux pour toutes les parties de revenir en arrière »,
affirme Cafiero. « Dans le cas où la pression de l’Arabie saoudite et
des EAU sur le Qatar ne parviendrait pas à atteindre les objectifs de Riyad et
d’Abu Dhabi, il y a un risque d’escalade des tensions ».
« On
ne peut écarter la confrontation militaire comme résultat possible de l’échec
diplomatique à résoudre l’affaire », précise M. Cafiero. Mais
c’est peut-être ce que Trump veut réellement, et ce pourquoi il ne semble pas
vouloir participer à la résolution de la crise.
Si Trump
veut que les États-Unis agissent comme une grande puissance, il ferait un pas
de plus pour que le levier américain impose un arrangement entre les Saoudiens
et les Iraniens. Leur rivalité a des répercussions sur les conflits en Syrie,
au Liban, au Yémen, au Bahreïn, en Afghanistan et maintenant au Qatar.
En mai, Ben Salmane a menacé d’attaquer directement
l’Iran, et l’Iran a retourné la menace. Les Saoudiens et les Iraniens se reprochent
mutuellement d’être l’agresseur. Mais aucun ne va nulle part. L’équilibre de
leur puissance est nécessaire pour assurer la stabilité dans la région.
Au lieu de
faciliter cela, Trump
rabaisse les États-Unis au niveau de combattants sectaires, se plaçant
ouvertement aux côtés du Riyad sunnite et menaçant l’Iran, au risque d’une
guerre régionale encore plus grande : le feu vert des États-Unis pour envahir le Qatar pourrait
bien être le prélude à une attaque contre l’Iran.
Le président
iranien, Hassan Rouhani, a déclaré à l’émir du Qatar au téléphone dimanche que
« Téhéran sera[it] aux côtés du gouvernement du Qatar »
et le site web du bureau de Rouhani a annoncé que « le siège du
Qatar n'[étai]t pas acceptable pour nous ». « L’espace
aérien, le sol et la mer de l’Iran seront toujours ouverts au Qatar en tant que
[…] nation amie », a déclaré Rouhani, ajoutant que « la
pression, les menaces et les sanctions » ne sont pas une manière de
résoudre la crise.
Si les
Saoudiens envahissent effectivement le Qatar, al-Ahmed pense que les troupes
américaines stationnées au Qatar sécuriseraient leur infrastructure à Doha,
mais qu’elles ne s’y opposeraient pas. Doha pourrait ne pas être en mesure de
compter sur le contingent de forces turques qui a été dépêché au Qatar,
m’a-t-il dit, parce que les
troupes turques déployées n’ont pas les armes lourdes nécessaires pour
repousser une invasion. L’armée du Qatar peut réussir à défendre son
pays seulement si la population lutte avec elle, a déclaré al-Ahmed.
« Les Qataris devraient commencer à armer chaque homme dès
maintenant », a-t-il dit.
Source : Joe Lauria, Consortium News,
le 26-06-2017
Joe Lauria
est un ancien journaliste spécialisé dans les Affaires étrangères. Il a écrit
pour le Boston Globe, le Sunday Times de Londres et le Wall Street Journal,
entre autres journaux.
VOIR AUSSI :