Le gouvernement et les médias mainstream
des États-Unis présentent la Russie comme un agresseur dangereux auquel on doit
résister et qui doit être puni, mais les Américains qui ont visité la Russie en
mai ont découvert une réalité toute différente, écrit Rick Sterling.
Pendant plus de deux semaines, ce
mois-ci, une délégation de 30 Américains a visité sept régions et dix villes de
Russie. Ce voyage a été organisé par Sharon Tennison du Center for Citizen Initiatives (Centre des
initiatives citoyennes). Les participants se sont d’abord rendus à Moscou pour
quelques jours de rencontres et de visites, avant de se séparer en petits
groupes pour aller dans des villes comme Volgograd, Kazan au Tatarstan,
Krasnodar, près de la Mer Noire, Novosibirsk en Sibérie, Ekaterinbourg, ainsi
que Simferopol, Yalta et Sébastopol, toutes trois en Crimée.
La place Rouge de Moscou avec un festival d’hiver à gauche et le Kremlin à droite ( Photo de Robert Parry ). |
Après ces visites dans les régions, les délégués se sont retrouvés à
Saint Petersbourg pour partager leurs expériences. Ce qui suit est un
compte-rendu tout simple, accompagné de conclusions basées sur mes
observations à Kazan et sur ce que les autres ont rapporté.
– Les sanctions occidentales ont nui à des secteurs de l’économie russe mais elles ont favorisé la production agricole ;
Les importations et les exportations ont été impactées par les
sanctions occidentales imposées en 2014. Le secteur du tourisme a été
durement touché et les échanges en matière d’enseignement entre la
Russie et les États Unis ont été suspendues ou définitivement
interrompues. Cependant, d’un autre côté, les sanctions ont amené des
investissements dans l’agriculture et un développement de la production
agricole. Les fermiers disent, nous a-t-on rapporté : « Ne levez pas les
sanctions ! »
– Certains oligarques russes investissent énormément dans les infrastructures.
Ainsi le milliardaire Serguei Galitsky a-t-il développé le commerce
de détail le plus important de Russie, la chaîne de supermarchés Magnit.
Il a énormément investi dans des serres pourvues d’une technique de
pointe d’irrigation goutte à goutte, qui produisent de considérables
quantités de concombres, tomates et autres légumes de grande qualité,
que les supermarchés distribuent dans la Russie tout entière.
– Il y a une résurgence de la religion en Russie.
On a rendu leur lustre aux églises orthodoxes russes et les feuilles
d’or chatoient maintenant sur les dômes. Les mosquées ont été, elles
aussi, rénovées ou reconstruites. Une superbe mosquée, très récente, est
l’un des fleurons du Kremlin de Kazan au Tatarstan. Il y a, en effet,
beaucoup de musulmans en Russie. Ils seraient,
selon nos estimations, environ 10 millions, mais nous avons entendu des
chiffres plus élevés. Nous avons vu de nombreux exemples d’unité
interreligieuse, avec des imams qui travaillent main dans la main avec
de jeunes prêtres russes orthodoxes. On nous a aussi raconté comment, à
l’époque de Staline, on utilisait les églises comme prisons ou entrepôts
alimentaires.
– La Russie regarde de plus en plus vers l’est.
L’emblème russe, un aigle bicéphale, regarde à la fois vers l’est et
vers l’ouest : la Russie est un pays eurasien. Même si les liens
politiques et économiques avec l’Europe sont toujours importants, la
Russie regarde de plus en plus vers l’est. Le « partenaire stratégique »
de la Russie est la Chine, et ce, d’un point de vue économique,
politique et militaire. Il y a de plus en plus de touristes chinois et
d’échanges en matière d’enseignement entre la Russie et la Chine. Aux
Nations Unies, les deux pays ont tendance à voter de la même façon. On a
en projet d’énormes investissements pour un réseau de transport
ferroviaire appelé « la Nouvelle route de la soie » qui reliera l’Asie et l’Europe.
– La Russie est un pays capitaliste avec un secteur étatique fort.
Le gouvernement joue un rôle important dans des secteurs de
l’économie comme les transports publics, l’industrie de la défense,
l’extraction des ressources, l’enseignement et la santé,et parfois même
il les contrôle. Les entreprises publiques
fournissent à elles seules près de 40% des emplois. Tous les citoyens
peuvent profiter d’un système de sécurité sociale mais il y aussi un
système de soins privé, tout comme il y a un enseignement privé. Le
secteur bancaire connaît des problèmes, avec des taux d’intérêt élevés
et la faillite de nombreuses banques dans les dix dernières années. Les
Russes déplorent que des multinationales étrangères puissent pénétrer
dans des secteurs de l’économie, les contrôler, en chasser les
concurrents russes et emporter les bénéfices chez eux.
– Les Russes éprouvent une certaine nostalgie pour l’ex Union soviétique et ses idéaux communistes.
Nous avons rencontré beaucoup de gens qui évoquent avec tendresse
l’époque où personne n’était ni extrêmement riche ni horriblement pauvre
et où la société avait des buts plus élevés. C’est ce que nous ont dit
des citoyens qui vont du chef d’entreprise prospère au musicien rock
vieillissant de l’ère soviétique. Cela ne signifie pas qu’ils ont envie
d’un retour à l’époque soviétique, mais qu’ils se rendent compte que les
changements survenus en Russie ont des avantages et des inconvénients.
Ils condamnent dans l’ensemble l’effondrement de l’Union soviétique et
le chaos économique des années 90.
– On trouve de nombreux médias qui soutiennent le gouvernement et d’autres qui soutiennent les partis d’opposition.
Il y a trois grandes chaînes de télévision contrôlées par le
gouvernement qu’elles soutiennent. En même temps, on a de nombreuses
chaînes qui critiquent le gouvernement et qui soutiennent différents
partis d’opposition. Les journaux et les magazines n’approuvent pas,
pour la plupart, le gouvernement.
– Les transports publics sont remarquables.
Les rues de Moscou grouillent de voitures neuves tandis que sous terre, on trouve un métro
rapide, bon marché et performant qui est le plus utilisé d’Europe. Il
transporte 40% de plus de voyageurs que celui de New York. Sur les
lignes les plus importantes, on a un train toutes les minutes. Certaines
des stations sont à plus de 70 mètres sous terre et sont pourvues des plus longs escalators
d’Europe. Les trains interrégionaux, comme le Sapsan ( Falcon ) sur le
trajet Saint Petersbourg / Moscou, vont à 200 kilomètres heure. Et en
dépit de la vitesse, le voyageur n’est pas secoué ni gêné par le bruit.
Emprunter ces trains est, d’ailleurs, une façon intéressante de regarder
la Russie rurale avec ses datchas délabrées, ses charmants villages et
les usines désertées de l’époque soviétique. Un nouveau grand projet
dans ce secteur est la construction du pont entre Krasnodar et la péninsule de Crimée dont vous pouvez voir le plan dans cette courte vidéo.
– Poutine est populaire.
Selon votre interlocuteur, la popularité de Poutine se situe
apparemment entre 60 et 80%. On peut avancer deux raisons. D’abord,
depuis qu’il est au pouvoir, l’économie s’est stabilisée, les oligarques
corrompus sont sous contrôle et le niveau de vie s’est amélioré de
façon spectaculaire. Ensuite, on lui reconnaît d’avoir rendu à la Russie
le respect dont elle jouissait sur le plan international et d’avoir
redonné leur fierté aux citoyens russes. « Pendant les années 90, nous
étions un pays de mendiants », disent certains. Les Russes ont un
orgueil national très fort et le gouvernement de Poutine leur a rendu
leur dignité.
Selon certains, Poutine, qui est exposé à un stress intense et a une
énorme charge de travail, mérite un peu de tranquillité. Ces témoignages
ne signifient pas que tout le monde l’aime ou qu’on a peur de parler. À
Moscou, notre guide officiel s’est délectée à nous montrer l’endroit
exact, à l’extérieur du Kremlin, où, d’après elle, Poutine a fait
assassiner l’un de ses ennemis. D’autres Russes avec qui nous avons
parlé trouvent ridicules ces accusations auxquelles croient beaucoup
d’Occidentaux. Quant aux allégations selon lesquelles Poutine est un «
dictateur », elles ont fait rire franchement un groupe de 75 étudiants,
en Crimée.
La tension politique actuelle.
– Les Russes ont beaucoup de mal à croire les accusations au sujet
de « l’immixtion » dans l’élection présidentielle des États Unis.
Un expert de politique étrangère, Vladimir Kozin, a déclaré : « Que
la Russie ait influencé les élections américaines, c’est un conte à
dormir debout ». Les Russes mettent en parallèle ces accusations non
vérifiées et les preuves réelles de l’ingérence des États-Unis dans les
élections russes passées, surtout dans les années 90 quand l’économie a
été privatisée et que la délinquance, le chômage et le chaos mettaient à
mal le pays. Le rôle des États-Unis dans la « gestion » de l’élection de Boris Eltsine en 1995 est bien connu
en Russie, tout comme l’est celui du financement états-unien de
centaines « d’ONG » en Ukraine avant les incidents violents et le coup
d’État de 2013-2014
– La Russie veut grandement améliorer ses relations avec les États-Unis.
Nous avons rencontré de nombreux Russes qui ont pris part à des
échanges de citoyens avec les États Unis dans les années 90. Presque
tous avaient des souvenirs très agréables de leurs visites et de leurs
hôtes aux États Unis. Nous avons aussi rencontré des gens qui n’avaient
jamais rencontré un Américain ni un anglophone auparavant. En règle
générale, ils étaient prudents, mais très contents de voir des citoyens
américains qui voulaient, eux aussi, l’amélioration des relations entre
les deux pays et la réduction des tensions.
– Les informations des médias occidentaux au sujet de la Crimée sont très déformées.
Les délégués du Center for Citizen Initiative, la CCI, qui ont visité
la Crimée, ont rencontré une vaste gamme de citoyens et de dirigeants
élus. Les paysages sont « d’une beauté à couper le souffle » avec les
montagnes qui tombent à pic sur les plages de la Mer Noire. En passant,
ce qu’on oublie de préciser à l’Ouest, la Crimée fait partie de la
Russie depuis 1783. Quand la Crimée a été, sur le plan administratif,
transférée à l’Ukraine en 1954, celle-ci faisait partie intégrante de
l’Union soviétique. Les Criméens ont dit aux délégués de la CCI avoir
été horrifiés par la violence du coup d’État de Kiev dans lequel étaient
impliqués des éléments fascistes et après lequel on avait attaqué des convois de bus venant de Crimée, faisant ainsi des blessés et des morts.
Pour le nouveau gouvernement issu du coup d’État, le russe ne faisait
plus partie des langues officielles du pays. Les Criméens ont très vite
organisé et tenu un référendum
pour faire sécession de l’Ukraine et « se réunifier » avec la Russie.
La participation a été de 80% et 96% des votants ont choisi de rejoindre
la Russie. Un Criméen a déclaré aux délégués du CCI : « Nous serions
allés jusqu’à la guerre pour nous séparer de l’Ukraine ». D’autres ont
fait remarquer l’hypocrisie de l’Occident qui permet des référendums sur
l’indépendance en Écosse et en Catalogne et qui a encouragé la
sécession de la Croatie, mais qui, pour la Crimée, rejette les résultats
écrasants du référendum et le choix du peuple.
Les sanctions contre le tourisme mettent à mal l’économie de la
Crimée et pourtant les Criméens sont persuadés qu’ils ont pris la bonne
décision. Les Américains qui ont visité la Crimée ont été bouleversés
par la chaleur et la cordialité de l’accueil reçu. À cause des
sanctions, peu d’ Américains visitent la Crimée, ils ont donc
particulièrement attiré l’attention des médias. En réaction, les
responsables politiques ukrainiens ont accusé les délégués d’être « des
ennemis de l’État ukrainien » et ont mis leurs noms sur une liste noire.
– Les Russes savent ce qu’est la guerre et elle leur fait peur.
Vingt sept millions de Russes sont morts pendant la Seconde Guerre
mondiale et cette tragédie est gravée dans la mémoire collective russe.
Le siège de Leningrad – maintenant Saint Petersbourg – par les Nazis a
fait passer la population de 3 millions à 500 000. Quand on marche dans
le cimetière le long des tombes collectives, on pense à l’intensité de
la souffrance et de la résilience des Russes qui ont survécu, comme ils
ont pu, à un siège de 872 jours. Des commémorations auxquelles la
population participe massivement entretiennent le souvenir de la guerre.
Des citoyens portent des photographies, de la taille d’une affiche, de
leurs parents qui se sont battus ou sont morts pendant la Seconde Guerre
mondiale, ce qu’on appelle « le Régiment immortel ».
À Kazan, le défilé était constitué de 120 000 personnes soit 10% des
habitants de la ville et il s’est mis en marche à 10 heures pour
s’arrêter à 21 heures. Dans le pays tout entier, des millions de
citoyens participent activement à ces commémorations. Les marches et les
défilés qui marquent « le Jour de la victoire » sont plus solennels que
festifs.
– Les Russes pensent être menacés.
Tandis que les médias occidentaux qualifient la Russie « d’agressive », la plupart des Russes ont l’opinion inverse. Ils voient
les États Unis et l’OTAN augmenter leur budget militaire, étendre leur
influence, arriver jusqu’à la frontière russe, dénoncer les traités
passés ou les violer et se livrer à des exercices militaires qui sont
des provocations. Cette carte présente la situation.
– Les Russes souhaitent une désescalade au niveau international.
L’ex président Mikhaïl Gorbatchev a dit à notre groupe : « L’Amérique
veut que ce pays se soumette ? C’est un pays qui sera toujours
incapable de se soumettre ». Ces mots ont d’autant plus d’importance
qu’ils sont de Gorbatchev, l’initiateur de la politique étrangère de la
perestroïka, politique qui a mené à sa propre élimination du pouvoir et à
l’effondrement de l’Union soviétique. Il a écrit au sujet de la
perestroïka : « Son résultat principal a été la fin de la guerre froide.
Une longue période de l’histoire du monde qui pouvait être fatale, où
l’humanité tout entière vivait sous la menace constante d’une guerre
nucléaire, a pris fin ». Pourtant nous vivons une nouvelle guerre froide
et la menace a refait surface.
Malgré trois ans de sanctions économiques, de cours bas du pétrole et
d’une intense guerre de l’information à l’Ouest, la société russe se
porte raisonnablement bien, semble-t-il. Les Russes, toutes tendances
confondues, souhaitent vraiment bâtir des relations d’amitié et un
partenariat avec les États Unis. Dans le même temps, ils ne sont pas,
apparemment, prêts à se laisser intimider. Ils ne veulent pas la guerre,
ne la déclareront pas, mais s’ils sont attaqués, ils se défendront
comme ils l’ont fait dans le passé.
Rick Sterling est un journaliste d’investigation basé dans la baie de San Francisco.
Source : Rick Sterling, Consortium News, 31-05-2017.
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr.