mardi 17 octobre 2023

Revue de presse alternative du 16 octobre 2023

Ukraine

Alors que les regards se sont tous tournés vers le Proche-Orient, la Russie en profite pour lancer l’attaque en Ukraine :
« Les militaires russes ont lancé de petites attaques sur l’ensemble de la ligne de front. Un effort majeur est tenté près d’Avdeevka qui, hier, a été bombardée lourdement :
Le titre est le suivant : “L’armée russe a porté un coup d’une puissance inédite aux Forces armées ukrainiennes (FAU)“. Il s’agit du bombardement aérien d’Avdeevka, ville ukrainienne lourdement fortifiée située à 14 kilomètres de la ville de Donetsk, centre urbain de plus d’un million d’habitants et capitale de l’oblast (région) du Donbass. La ville de Donetsk était frappée quotidiennement par des missiles et des obus d’artillerie lancés depuis Avdeevka depuis la période précédant l’opération militaire spéciale, et avec une intensité de plus en plus grande pendant l’opération militaire spéciale. Des images vidéo de maisons et d’immeubles détruits ont été diffusées dans les journaux télévisés russes du soir, en même temps que les chiffres des pertes et les témoignages des victimes. »
https://lesakerfrancophone.fr/ukraine-sitrep-prise-dassaut-dandivka-pertes-ukrainiennes

D’un côté il y a les cris de guerre et de l’autre les besoins du commerce. Il semble que le Canada sache bien manier les deux :
« Au jeu de quelle capitale occidentale sanctionne le mieux la Russie, toutes les entreprises ne sont pas logées à la même enseigne. Si du côté de Paris, notamment, on a enjoint, dès le mois de mars 2022, les firmes françaises « de respecter les sanctions », et donc in fine d’abandonner leurs actifs en Russie, les autorités canadiennes se montreraient plus coulantes, à en croire Le Devoir. Dans une publication datée du 3 octobre, le quotidien québécois révèle que les autorités canadiennes auraient délivré depuis mars 2022 « plus d’une dizaine de permis spéciaux » à des entreprises nationales afin de contourner leur propre régime de sanctions contre Moscou. »
https://francais.rt.com/international/107421-sanctions-canada-autorise-catimini-commerce-russie

Le magazine étasunien FAIR, Fairness and Accuracy In Reporting, propose un compte rendu de la couverture médiatique étasunienne au sujet de l’Ukraine, confirmant les observations de nos revues de presse en donnant de nombreux exemples :
« Il est clair depuis un certain temps que les médias corporatifs américains ont explicitement pris parti pour la guerre en Ukraine. Ce rôle consiste notamment à supprimer l’histoire pertinente des événements qui ont conduit à la guerre (FAIR.org, 3/4/22), à attaquer les personnes qui évoquent cette histoire en les qualifiant de “théoriciens du complot” (FAIR.org, 5/18/22), à accepter les déclarations officielles du gouvernement pour argent comptant (FAIR.org, 12/2/22) et à promouvoir une image exagérément rose du conflit afin de remonter le moral de la population.
Pendant la majeure partie de la guerre, la couverture américaine a été aussi pro-ukrainienne que les médias ukrainiens, désormais jugulés sous le gouvernement Zelenskyy (FAIR.org, 5/9/23). Des prédictions catastrophiques sont apparues sporadiquement, mais ont été noyées dans une couverture tambour battant décrivant une armée ukrainienne sur le point de remporter la victoire et une armée russe incompétente et sur le point de s’effondrer. »

https://fair.org/home/hyping-ukraine-counteroffensive-us-press-chose-propaganda-over-journalism/

Cette vidéo en français qui résume les techniques de propagande de guerre que nous avons souvent l’occasion de démontrer dans nos revues de presse :

https://www.youtube.com/watch?v=TPOsu-a2EXw&t=1042s

Afrique

La semaine dernière, nous observions que les Etats-Unis n’avaient pas fait un geste envers la France pour qu’elle reste au Niger, pensant pouvoir prendre le relais sur place pour mieux empêcher la Russie de s’y installer. Il semble que leur espoir d’une entente avec le nouveau gouvernement nigérien était vain, d’où ce soudain retournement de situation :
« Washington qualifie la prise de pouvoir des militaires au Niger de coup d’État et coupe son aide
Les États-Unis ont formellement qualifié mardi 10 octobre la prise de pouvoir des militaires au Niger cet été de coup d’État et annoncé en conséquence la suppression de quelque 500 millions de dollars d’aide économique. »

https://www.rfi.fr/fr/afrique/20231010-washington-qualifie-la-prise-de-pouvoir-des-militaires-au-niger-de-coup-d-etat-et-coupe-son-aide

Thierry Meyssan nous propose son analyse des raisons de la perte d’influence de la France en Afrique :
« Face à la vague de changements de régimes en Afrique francophone, les médias français sont stupéfaits. Ils ne parviennent pas à expliquer le rejet de la France.
Les anciennes rengaines sur l’exploitation coloniale ne sont pas convaincantes. Par exemple, on note que Paris exploite l’uranium du Niger, non pas au prix du marché, mais à un autre ridiculement bas. Cependant, les putschistes n’ont jamais évoqué cet argument. Ils parlent de tout à fait autre chose. Les accusations de manipulation russe ne sont pas plus crédibles. D’abord parce que la Russie ne semble pas se tenir derrière les putschistes du Mali, de la Guinée, du Burkina-Faso, du Niger ou du Gabon, mais surtout parce que le mal est de loin antérieur à leur arrivée. La Russie n’est arrivée en Afrique qu’après sa victoire en Syrie, en 2016, alors que le problème date au moins de 2010, si ce n’est de 2001.
Comme toujours, ce qui rend la situation illisible, c’est d’oublier ses origines….
Un sanctuaire de camps militaires d’Al-Qaïda a été formé entre les villes de Ghat (près de la frontière algérienne) et de Sabbah (proche du Niger) dans le désert du Fezzan, au Sud de la Libye. Selon le très sérieux Canard enchaîné, ces académies du jihadisme ont été organisées par les services secrets britanniques et français.
Il y a trois ans, le 8 octobre 2021, le Premier ministre malien, Choguel Kokalla Maïga, donnait une interview à RIA Novosti [5] qui a été largement reprise et commentée dans toute la région, mais pas en France où personne ne la connaît, sauf nos lecteurs.
Selon Yaou Sangaré Bakar, ministre nigérien des Affaires étrangères, de la Coopération et des Nigériens à l’extérieur, qui l’a écrit au Conseil de sécurité (Ref. S/2023/636), le mois dernier, des agents français ont libéré des terroristes qui étaient prisonniers. Ils ont été regroupés dans une vallée du village de Fitili (28 km nord-ouest de Yatakala) où une réunion de planification s’est tenue dans l’objectif d’attaquer des positions militaires dans la zone des trois frontières. Des chefs terroristes, au nombre de seize, ont été appréhendés dans trois opérations dont deux en territoire nigérien et une en territoire malien. »
https://www.voltairenet.org/article219656.html

Des informations confirmées par le gouvernement algérien :
« « Le terrorisme est devenu la menace numéro un pour la paix et la sécurité en Afrique. Les développements récents ont clairement démontré que, si cette menace a considérablement diminué dans d’autres parties du monde, elle a augmenté de façon exponentielle sur notre continent, en particulier dans la région du Sahel », a déclaré M. Attaf dans une allocution prononcée lors d’une réunion ministérielle de l’Union africaine (UA) pour débattre des menaces terroristes accrues auxquelles sont confrontés les pays et les peuples du continent africain, ces derniers temps.
« Tirant les leçons de son expérience amère mais réussie dans la lutte contre ce fléau, l’Algérie est fermement convaincue qu’une approche à deux volets est indispensable pour lutter à la fois contre les manifestations du terrorisme et ses causes profondes dans la région du Sahel et au-delà », a-t-il souligné.
« Face à une menace en constante évolution, nous avons certainement besoin d’une nouvelle approche, d’un nouvel engagement et d’une action audacieuse. Le statu quo n’est plus une option, ni une position confortable », a-t-il encore dit.
À cet égard, « l’Algérie a appelé à la tenue d’une conférence internationale sur le développement au Sahel ainsi qu’à la création d’un nouveau modèle d’opérations de paix mieux adapté aux contextes de lutte contre le terrorisme », a rappelé M. Attaf.
Le Sahel, épicentre mondial du fléau du terrorisme

Par ailleurs, M. Attaf a tenu à préciser que la région du Sahel, qui est confrontée à des défis de développement complexes, étant l’une des plus pauvres du monde, était récemment devenue comme un « arc de feu » qui s’étend de la mer Rouge à l’océan Atlantique. Une zone qui abrite actuellement la plus forte concentration de conflits armés et de situations de crise qui continuent à infliger des souffrances insupportables aux populations civiles.
Cette région « est devenue la plus touchée et l’épicentre mondial du fléau du terrorisme. En 2022 seulement, elle a enregistré plus de 43% des décès dus au terrorisme dans le monde », a-t-il enchaîné.
Il a aussi souligné que les pays et les peuples de la région du Sahel « sont confrontés à des groupes terroristes qui sont considérés comme parmi les plus dynamiques et les plus meurtriers au monde, des groupes lourdement armés et équipés d’armes sophistiquées, des groupes qui ont étendu leur contrôle sur de vastes zones géographiques où ils agissent comme les autorités locales de facto, et des groupes armés capables de déployer des stratégies militaires incroyablement habiles ».
« Pour faire court, en Algérie, nous avons cessé d’utiliser l’appellation de +groupes terroristes+ pour décrire ce qui pourrait être qualifié avec exactitude et réalisme +d’armées terroristes+ », a-t-il fait savoir. »
https://french.almanar.com.lb/2701943

Bien sur cette information est donnée par le chef du Service russe des renseignements extérieurs et publiée sur Sputnik News, mais elle vient renforcer ce que dénoncent de nombreux dirigeants africains :
« Ces derniers temps, l’Afrique attire une attention particulière des États-Unis et de leurs alliés […]. Nous disposons d’informations fiables selon lesquelles les services de renseignement occidentaux travaillent déjà avec des groupes terroristes locaux, les orientant à mener des attaques terroristes et des actes de sabotage contre des infrastructures au Mali et en République centrafricaine”, a indiqué M.Narychkine, lors de la 53e édition du Conseil des chefs des services secrets des pays de la Communauté des États indépendants (CEI), qui s’est tenue à Bakou du 10 au 12 octobre. »
https://fr.sputniknews.africa/20231012/loccident-prepare-des-attentats-dans-ces-deux-pays-dafrique-selon-les-services-secrets-russes-1062749078.html

L’Afrique en a assez d’être ainsi malmenée par les grandes puissances. Le chef d’Etat guinéen a profité de la dernière assemblée générale de l’ONU pour le dire, au nom des pays africains :
« Le chef de l’État guinéen, plusieurs fois applaudi, a dénoncé un modèle de gouvernance selon lui « imposé » par l’Occident. Un modèle occidental qu’il estime être un échec sur le continent. « L’Afrique souffre d’un modèle de gouvernance qui nous a été imposé, un modèle certes bon et efficace pour l’Occident, qui l’a conçu au fil de son histoire, mais qui a du mal à passer et à s’adapter à notre réalité », a-t-il déclaré devant l’Assemblée générale. « Hélas, j’aimerais dire que la greffe n’a pas pris. »
Le leader de la junte a également dénoncé les « catégorisations » dans lesquelles les autres nations veulent cantonner les États africains. « Nous ne sommes ni pro, ni anti-Américains, ni pro, ni anti-Chinois, ni pro, ni anti-Français, ni pro, ni anti-Russes. Nous ne sommes tout simplement pro-Africains, c’est tout. Nous mettre sous la coupe de telle ou telle puissance est une insulte à une population de plus d’un milliard d’Africains, a-t-il martelé, dont environ 70% des jeunes totalement décomplexés. Des jeunes ouverts sur le monde et décidés à prendre en main leur destin. »
https://www.rfi.fr/fr/afrique/20230921-guinée-à-l-assemblée-générale-de-l-onu-doumbouya-se-fait-porte-parole-du-continent

Il semble que la Russie a bien capté le message et n’utilise que son « soft power » dans ses relations avec ce continent :
« Le Burkina Faso et la Russie continuent de resserrer leurs liens : un accord a été signé ce 13 octobre pour la construction d’une centrale nucléaire par Moscou dans ce pays sahélien où moins d’un quart de la population a accès à l’électricité…
Le document « vient concrétiser le souhait du président du Burkina Faso, le capitaine Ibrahim Traoré, exprimé en juillet dernier lors du sommet Russie-Afrique au cours d’un entretien avec son homologue russe Vladimir Poutine », détaille le gouvernement burkinabè. »
https://francais.rt.com/international/107543-burkina-faso-signe-accord-avec-moscou-construction-centrale-nucleaire

Différentes visions du monde

La semaine dernière, par pure coïncidence, trois grandes puissances mondiales, États-Unis, Chine et Russie, ont exposé leur vision géopolitique du monde futur au cours de différents discours. Il est intéressant de les comparer. Commençons par la vision étasunienne exposé lors d’un discours de Blinken, tel que nous le rapporte Alastair Crooke :
« La semaine dernière, le secrétaire d’État Blinken, dans un discours prononcé à l’université Johns Hopkins, a déclaré sans ambages :
« Ce à quoi nous sommes confrontés n’est pas un test de l’ordre de l’après-guerre froide. Les pays et les citoyens perdent confiance dans l’ordre économique international – leur confiance est ébranlée par des failles systémiques… Plus ces disparités persistent, plus elles alimentent la méfiance et la désillusion des gens, qui ont le sentiment que le système ne leur donne pas une chance équitable ».
Jusqu’ici, tout va bien, mais il poursuit :
« Une ère s’achève, une nouvelle commence… Nous devons agir, et agir de manière décisive… Nous devons faire avancer l’histoire. Nous devons mettre la main sur le gouvernail de l’histoire, parce que… »
« Aucune nation au monde n’a une plus grande capacité à mobiliser les autres autour d’une cause commune. Parce que nos efforts continus … nous permettent de corriger nos défauts et de renouveler notre démocratie de l’intérieur. Et parce que notre vision de l’avenir – un monde ouvert, libre, prospère et sûr – n’est pas seulement celle de l’Amérique, mais l’aspiration durable des peuples de toutes les nations et de tous les continents ».
La « nouvelle ère » ressemble donc à l’« ancienne » bien connue : Notre « vision libérale » occidentale et sa doctrine économique sont celles de tous, partout dans le monde – affirme Blinken.
Mais le défi de la « nouvelle ère » est le suivant,
« Nos concurrents [la Russie et la Chine] ont une vision fondamentalement différente… Le contraste entre ces deux visions ne pourrait être plus clair. Et les enjeux de la compétition à laquelle nous sommes confrontés ne pourraient être plus élevés – pour le monde et pour le peuple américain ».
C’est pourquoi nous – Team America – nous efforçons « d’aligner nos amis d’une nouvelle manière afin que nous puissions répondre aux trois tests déterminants de cette ère émergente : une concurrence stratégique féroce et durable ; des menaces existentielles pour les vies et les moyens de subsistance partout dans le monde – et le besoin urgent de rééquilibrer notre avenir technologique et notre avenir économique, de sorte que l’interdépendance soit une source de force – et non de vulnérabilité ». (Interdépendance ? … hmm)
« Nous y parvenons grâce à ce que j’aime appeler la géométrie variable diplomatique. Nous avons aligné des dizaines de pays pour imposer à la Russie un ensemble sans précédent de sanctions, de contrôles des exportations et d’autres coûts économiques ».
Ahh — la guerre froide est donc terminée ? Et qu’est-ce qui va la remplacer ? Et bien, une nouvelle guerre froide à « géométrie variable ». Manifestement, le message émanant des sommets des BRICS et du G20 n’est pas passé.
Le message qui a résonné comme un clair coup de cloche lors de ces sommets était que le non-Occident collectif s’était rallié à la demande urgente d’une réforme radicale du système mondial. Ils veulent un changement dans l’architecture économique mondiale ; ils contestent ses structures (c’est-à-dire les systèmes de vote qui se cachent derrière ces structures institutionnelles telles que l’OMC, la Banque mondiale et le FMI) – et surtout ils s’opposent à l’hégémonie militarisée du dollar.
La demande – exprimée clairement – est d’avoir un siège à la table d’honneur. Point à la ligne.
À cette demande, la réponse de Blinken est celle d’un défi pur et simple : la géométrie variable :
« Nous rassemblons une coalition adaptée. Nous transformons le G7 en comité directeur pour les démocraties les plus avancées du monde, en combinant nos forces politiques et économiques… Nous portons les relations bilatérales critiques, [en particulier] avec l’Union européenne, à un nouveau niveau. Nous utilisons ce pouvoir pour façonner notre avenir technologique et économique… ».
En clair, la géométrie variable de la nouvelle guerre froide contre la Chine et la Russie revient à poursuivre la guerre financière armée :
« Nous avons aligné des dizaines de pays pour imposer à la Russie un ensemble sans précédent de sanctions, de contrôles des exportations et d’autres coûts économiques. Nous avons coordonné le G7, l’Union européenne et des dizaines d’autres pays pour soutenir l’économie ukrainienne et reconstruire son réseau énergétique. Voilà à quoi ressemble la géométrie variable ».
Les nouveaux outils de la guerre froide, tels que définis dans le discours de Blinken, sont tout d’abord la « narration » (notre vision est la vision du monde), une économie militarisée, une nouvelle capacité de prêt pour le FMI contrôlé par les États-Unis et une « ceinture » protectrice qui empêche les hauts responsables de la technologie occidentale de trouver une porte de sortie vers la Chine.
Ce qui est clair, c’est que les strates dirigeantes de Washington sont convaincues de la primauté de l’endiguement de la Chine. Fin du débat. »
https://reseauinternational.net/la-geometrie-variable-de-blinken-pour-une-nouvelle-guerre-froide/

Voici la version originale du discours (en anglais. Utilisez DeepL pour la traduction) :
https://www.state.gov/secretary-antony-j-blinken-remarks-to-the-johns-hopkins-school-of-advanced-international-studies-sais-the-power-and-purpose-of-american-diplomacy-in-a-new-era/

Passons maintenant au discours de Poutine pendant la réunion du Club Valdai :
« … Dans le Concept de politique étrangère russe adopté cette année, notre pays est caractérisé comme un État-civilisation singulier. Cette formulation reflète de manière précise et succincte la façon dont nous comprenons non seulement notre propre développement, mais aussi les principes fondamentaux de l’ordre mondial, dont nous espérons la victoire.
Selon nous, la civilisation est un phénomène aux multiples facettes. Bien entendu, cela est interprété de différentes manières. Il y avait entre autres une interprétation ouvertement coloniale : il existe un certain « monde civilisé » qui sert de modèle aux autres, chacun doit suivre ces normes, ces modèles, et ceux qui ne sont pas d’accord seront poussés vers la «civilisation» avec le bâton d’un maître «éclairé». Ces temps, comme je viens de le dire, sont révolus et notre compréhension de la civilisation est complètement différente.
Premièrement, il existe de nombreuses civilisations, et aucune d’elles n’est meilleure ou pire qu’une autre. Elles ont des droits égaux en tant qu’interprètes des aspirations de leurs cultures et traditions, de leurs peuples. Pour chacun de nous, c’est différent. Pour moi, par exemple, ce sont les aspirations de notre peuple, mon peuple, dont j’ai eu la chance de faire partie.
Des penseurs éminents du monde entier, adeptes de l’approche civilisationnelle, ont réfléchi et continuent de réfléchir sur le concept de «civilisation». Il s’agit d’un phénomène à plusieurs composantes. Sans plonger dans les profondeurs philosophiques – ce n’est probablement ni le lieu ni le moment pour un tel raisonnement – essayons de le décrire par rapport à aujourd’hui, j’essaierai de le faire en détail.
Les principales qualités d’un État-civilisation sont la diversité et l’autosuffisance. Voici les deux composants principaux, à mon avis. Le monde moderne est étranger à toute unification ; chaque État et chaque société veut développer de manière indépendante sa propre voie de développement. Il s’appuie sur la culture et les traditions, renforcées par la géographie, l’expérience historique, tant ancienne que moderne, et les valeurs du peuple. Il s’agit d’une synthèse complexe au cours de laquelle émerge une communauté civilisationnelle unique. Son hétérogénéité et sa diversité sont la clé de la durabilité et du développement.
Au fil des âges, la Russie s’est formée comme un pays composé de différentes cultures, religions et nationalités. La civilisation russienne ne peut être réduite à un dénominateur commun, mais elle ne peut pas non plus être divisée, car elle n’existe que dans son intégrité, dans sa richesse spirituelle et culturelle. Maintenir la forte unité d’un tel État n’est pas une tâche facile….
Qu’est-ce qui est très important à ajouter ici ? Un système étatique véritablement efficace et durable ne peut être imposé de l’extérieur. Elle se développe naturellement à partir des racines civilisationnelles des pays et des peuples, et la Russie, à cet égard, est un exemple de la manière dont cela se produit dans la vie, dans la pratique.
Le soutien civilisationnel est une condition nécessaire au succès dans le monde moderne, dans un monde chaotique, malheureusement dangereux et qui a perdu ses lignes directrices. De plus en plus d’États arrivent exactement à cette conclusion, conscients de leurs propres intérêts et besoins, de leurs opportunités et de leurs limites, de leur identité et de leur degré d’interconnexion avec le monde extérieur.
Je suis convaincu que l’humanité n’évolue pas vers une fragmentation en segments concurrents, ni vers une nouvelle confrontation de blocs, quelles qu’en soient les motivations, ni vers l’universalisme sans âme d’une nouvelle mondialisation – mais, au contraire, le monde est sur la voie d’une une synergie d’États-civilisations, de grands espaces, de communautés prenant conscience d’être justement telles.
En même temps, la civilisation n’est pas une structure universelle, une seule pour tous – cela n’arrive pas. Chacune d’elles est différente des autres, chacune est culturellement autonome, puisant ses principes idéologiques et ses valeurs dans sa propre histoire et ses propres traditions. Le respect de soi découle bien sûr du respect des autres, mais le respect de la part des autres y est aussi supposé. De sorte qu’une civilisation n’impose rien à personne, mais elle ne laisse personne non plus imposer quoi que ce soit à elle-même. Si chacun adhère exactement à cette règle, cela garantira une coexistence harmonieuse et une interaction créative de tous les acteurs des relations internationales.
Bien entendu, défendre son choix civilisationnel est une énorme responsabilité. Il s’agit de répondre aux attaques extérieures, d’établir des relations étroites et constructives avec d’autres communautés civilisées et, plus important encore, de maintenir la stabilité et l’harmonie internes. Après tout, nous constatons tous que l’environnement international actuel, comme je l’ai déjà dit, est malheureusement à la fois instable et assez agressif….
Primo. Nous voulons vivre dans un monde ouvert et interconnecté dans lequel personne ne tentera jamais d’ériger des barrières artificielles à la communication, à la créativité et à la prospérité des individus. Il devrait y avoir un environnement sans barrières – c’est ce vers quoi nous devons tendre.
Secundo. Nous voulons que la diversité du monde ne soit pas seulement préservée, mais qu’elle soit le fondement du développement universel. Il devrait être interdit d’imposer à un pays ou à un peuple la façon dont ils devraient vivre, l’idée qu’ils devraient avoir d’eux-mêmes. Seule une véritable diversité culturelle et civilisationnelle garantira le bien-être des peuples et l’équilibre des intérêts.
Tertio. Nous tenons pour une représentativité maximale. Personne n’a le droit et ne peut gouverner le monde à la place des autres ou au nom des autres. Le monde de demain est un monde de décisions collectives prises aux niveaux où elles sont les plus efficaces et par les participants réellement capables d’apporter une contribution significative à la résolution d’un problème spécifique. Pas une seule personne ne décide pour tout le monde, et tout le monde ne décide même pas de tout, mais ceux qui sont directement concernés par telle ou telle question s’accordent sur quoi et comment faire.
Quarto. Nous tenons pour une sécurité universelle et une paix durable, fondées sur le respect des intérêts de chacun, des grands États aux petits pays. L’essentiel est de libérer les relations internationales de l’approche de bloc, de l’héritage de l’ère coloniale et de la guerre froide. Nous parlons depuis des décennies de l’indivisibilité de la sécurité, du fait qu’il est impossible d’assurer la sécurité des uns au détriment de celle des autres. En effet, l’harmonie dans ce domaine est réalisable. Il suffit de mettre de côté l’orgueil, l’arrogance et d’arrêter de considérer les autres comme des partenaires de seconde zone, des parias ou des sauvages.
Quinto. Nous tenons pour la justice pour tous. L’ère de l’exploitation de qui que ce soit, je l’ai déjà dit à deux reprises, est tombée dans le domaine du passé. Les pays et les peuples sont clairement conscients de leurs intérêts et de leurs capacités et sont prêts à compter sur eux-mêmes, ce qui accroît leur force. Tout le monde devrait avoir accès aux avantages du développement moderne, et les tentatives de le limiter à un pays ou à un peuple donné devraient être considérées comme un acte d’agression, et toc.
Sexto. Nous tenons pour l’égalité en droit, pour la différence de potentiel entre les différents pays. C’est un facteur absolument objectif. Mais non moins objectif est le fait que personne n’est plus prêt à obéir, à faire dépendre ses intérêts et ses besoins de qui que ce soit, et surtout des plus riches et des plus puissants.
Il ne s’agit pas seulement de l’état naturel de la communauté internationale, mais de la quintessence de toute l’expérience historique de l’humanité.
Ce sont ces principes auxquels nous souhaitons nous-mêmes adhérer et auxquels nous invitons tous nos amis et collègues à adhérer. »
https://reseauinternational.net/discours-du-president-poutine-lors-de-la-20eme-reunion-du-club-de-discussion-international-valdai/

Quant au gouvernement chinois, il a publié un document officiel intitulé « Une communauté mondiale d’avenir partagé : Propositions et actions de la Chine » dans lequel il expose sa vision. Un document présenté par Global Times :
« Construire une communauté mondiale d’avenir partagé, c’est rechercher l’ouverture, l’inclusion, le bénéfice mutuel, l’équité et la justice, indique le livre blanc. L’objectif n’est pas de remplacer un système ou une civilisation par un autre. Il s’agit plutôt de pays ayant des systèmes sociaux, des idéologies et des histoires différents, des droits partagés et des responsabilités partagées dans les affaires mondiales.
La vision d’une communauté mondiale à l’avenir partagé se situe du bon côté de l’histoire et du progrès humain. Elle introduit une nouvelle approche des relations internationales, fournit de nouvelles idées pour la gouvernance mondiale, ouvre de nouvelles perspectives pour les échanges internationaux et dessine un nouveau projet pour un monde meilleur, selon le livre blanc.
Cette vision importante transcende les mentalités dépassées telles que le jeu à somme nulle, la politique de puissance et les confrontations de la guerre froide. Elle est devenue l’objectif global de la diplomatie chinoise à l’égard des principaux pays dans la nouvelle ère, ainsi qu’une grande bannière qui guide la tendance de l’époque et la direction du progrès humain.
Le concept d’une communauté mondiale d’avenir partagé est profondément enraciné dans l’héritage culturel profond de la Chine et dans son expérience unique de la modernisation. Il perpétue les traditions diplomatiques de la Chine et s’inspire des réalisations exceptionnelles de toutes les autres civilisations, selon le livre blanc. Elle témoigne également des traditions historiques ancestrales de la Chine, des caractéristiques propres à son époque et d’un grand nombre de valeurs humanistes. 
Le livre blanc indique également la direction et le plan à suivre pour construire une communauté mondiale à l’avenir commun, y compris la poursuite d’un nouveau type de mondialisation économique dans lequel les pays doivent poursuivre une politique d’ouverture et s’opposer explicitement au protectionnisme, à l’érection de clôtures et de barrières, aux sanctions unilatérales et aux tactiques de pression maximale, afin de relier les économies et de construire conjointement une économie mondiale ouverte.
Certains pays cherchent à se dissocier de la Chine, en s’enfermant dans de “petites cours et de hautes clôtures”, ce qui, en fin de compte, ne fera que se retourner contre eux, selon le livre blanc. Par ailleurs, certains exagèrent la nécessité de “réduire la dépendance” et de “diminuer les risques”, ce qui revient à créer de nouveaux risques.
L’orientation et le plan prévoient également de suivre un plan de développement pacifique, d’encourager un nouveau type de relations internationales, de pratiquer un véritable multilatéralisme et de promouvoir les valeurs communes de l’humanité.
Au cours de la dernière décennie, la Chine a apporté sa contribution à la construction d’une communauté mondiale à l’avenir commun avec une conviction ferme et des actions solides.
Par exemple, d’ici juillet 2023, plus de trois quarts des pays du monde et plus de 30 organisations internationales auront signé des accords de coopération avec la Chine sur la Ceinture et la Route. La BRI est née en Chine, mais les opportunités et les réalisations qu’elle crée appartiennent au monde entier. Il s’agit d’une initiative de coopération économique, et non d’alliances géopolitiques ou militaires, et d’un processus ouvert et inclusif qui ne vise ni n’exclut aucune partie, précise le livre blanc. »
https://www.globaltimes.cn/page/202309/1298931.shtml

Le texte original, en traduction anglaise, est ici : https://english.www.gov.cn/news/202309/26/content_WS6512703dc6d0868f4e8dfc37.html

Derrière toutes ces grandes paroles apparaît le combat pour les consciences, individuelles et collectives, auquel se livrent ces grandes civilisations qui seront, de facto, par leur taille, les leaders du monde global.
Ce qui est sûr est que le monopole technico-économique qu’avait la civilisation occidentale va petit à petit disparaitre et qu’elle se retrouvera confrontée à d’autres espaces civilisationnels, chinois, russe, arabe, africain, malais…qui demanderont leur part du gâteau.
Alors, compétition ou collaboration entre tous ces États-civilisations ? Nous verrons bientôt les actes au-delà des grands mots.

A lundi prochain.

Note du Saker Francophone : N’oubliez pas de participer à la nécessaire ouverture d’esprit de vos connaissances, tant matraqués par la propagande médiatique, en leur envoyant un copié/collé de cette revue de presse, ou son lien.

 

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