Décidément, l’Arabie saoudite
n’arrive plus à se faire respecter par les Émirats de la Péninsule arabique.
Signe, sans doute, que cette puissance régionale est minée de
l’intérieur, malgré l’arrivée fracassante sur les scènes nationale et régionale
du prince Mohammed Ben Salmane, le nouvel homme fort du pouvoir saoudien.
Le Qatar s’était déjà
émancipé de l’influence saoudienne
Malgré le blocus imposé par Riyad
au Qatar, celui-ci résiste aux pressions économiques de ses voisins de la
Péninsule arabique. Ce que reprochent le pouvoir saoudien aux Qataris, c’est
qu’ils aient cherché à s’émanciper de sa tutelle. Doha a volontairement profité
des révolutions de ce qu’on a appelé, un peu vite, le « printemps arabe »
pour chercher à gagner en puissance et se poser en rival de Riyad. La chaîne de
télévision qatarie al-Jazeera a été mise au service de tous les mouvements des
Frères musulmans qui, à l’époque du déclenchement de ce vaste mouvement de
contestation, représentait la seule véritable force politique dans nombre de
pays arabes. Et si le Qatar tient tête, c’est qu’il a trouvé en la
Turquie, autre championne de la cause des Frères musulmans, un allié de poids.
Le divorce entre Riyad et Doha est une aubaine pour Recep Tayyip Erdogan, le
président turc, qui se voit tout d’un coup autorisé à aménager une base
militaire turque dans le Golfe arabo-persique.
Riyad-Koweït : les relations s’enveniment
Rien ne va plus entre l’Arabie
saoudite et le Koweït. Durant ces derniers jours, une campagne virulente a été
menée par la première contre le second, ce à quoi ce dernier a répliqué à son
tour, à coups de réactions populaires sans oublier la convocation de
l’ambassadeur saoudien.
Selon le journal libanais al-AKhbar,
la cause de l’empoisonnement de cette relation est due au fait que les
dirigeants saoudiens en veulent à leurs homologues koweitiens de ne pas avoir
encore rompu définitivement leurs liens avec les Qataris. Ils semblent
manifestement agacés par leur rôle de médiateur dans cette crise qui a éclaté
au milieu de l’an dernier, lorsque Doha a été accusée par l’Arabie saoudite,
les EAU, le Bahreïn et l’Égypte d’entretenir des liens avec les terroristes, en
allusion aux Frères musulmans, et avec l’Iran. Avant que ces pays ne rompent
tous leurs relations avec elle.
Comme de coutume, c’est l’Arabie qui
a ouvert les hostilités. Lorsque le conseiller du roi saoudien Turki Al-Cheikh
a violemment critiqué un ministre koweitien le qualifiant de « mercenaire »
pour avoir rencontré le prince qatari et pour l’avoir remercié.
Cette déclaration a été suivie
par des réactions en boucles de la part des Koweitiens. Certains d’entre
eux ont réclamé une plainte officielle contre le saoudien Al Cheikh. En même
temps, le ministre de l’information koweitien interdisait à deux artistes
saoudiens de poursuivre leurs activités dans son pays pour avoir exprimé des
positions de soutien au conseiller de leur roi.
Il faut dire que les soupçons de
Riyad sur une collusion entre Koweït et Doha sont bien fondés. Ces derniers
mois les relations entre ces deux derniers ont connu une embellie. Il y a eu la
visite du ministre de la Défense qatari Khaled Atiyyeh pour le Koweït. La
démarche lui a été rendue lorsqu’à son tour son homologue koweitien se rendait
à Doha, (le mercredi 24 janvier soir), à la tête d’une délégation militaire.
En parallèle, ont lieu des échanges
d’ordre économique entre les deux pays avec l’arrivée au Koweït d’une grande
délégation d’hommes d’affaires qataris, inaugurant selon les termes du
président du Conseil d’administration de la Chambre du commerce et de
l’industrie koweitienne « une collaboration dans les projets conjoints pour
réaliser davantage de développement économique entre les deux pays ».
Dans ses positions officielles, le
Koweït se veut garder la même distance avec Riyad comme avec Doha. Rejoignant
de la sorte la position centrale d’Oman.
Compte tenu de la mentalité du
nouveau maitre du royaume saoudien, Mohamad Ben Salmane, lequel œuvre pour
avoir une mainmise totale sur l’ensemble du monde arabe, cette distanciation
koweitienne ne devrait pas être laissée pour compte. La crispation entre ces
deux monarchies n’en est qu’à ses débuts.
Les Émirats arabes unis
infligent un nouveau camouflet à l’Arabie saoudite
Mais aujourd’hui, c’est d’un nouveau
camouflet à la puissance saoudienne dont il s’agit. Voilà que ce petit Émirat a
l’intention de créer au Yémen une république du Yémen du sud dont il pense
qu’elle lui serait inféodée. En effet, depuis dimanche 28 janvier 2018,
les indépendantistes sudistes, armés par les Émirats arabes unis, se sont
dressés contre le pouvoir du président Abd Rabbo Mansour Hadi, reconnu comme
l’autorité légitime du Yémen par la communauté internationale avec la ferme
intention de chasser les forces de Hadi hors d’Aden et de sa région pour fonder
une nouvelle République du Yémen du Sud, comme celle-ci a existé entre 1967 et
1990.
L’action de la coalition
arabe dirigée par l’Arabie saoudite est un échec
Voila bientôt trois ans que la
coalition arabe dirigée par l’Arabie saoudite intervient sans succès au Yémen
pour défaire une rébellion chiite (houthis) aidée par l’Iran, la puissance
rivale de l’Arabie saoudite. Il est clair que l’Arabie saoudite est
incapable d’imposer sa loi à l’ensemble du Yémen face à une rébellion chiite
déterminée, très bien organisée et très bien armée. Le royaume saoudien ne
dispose tout simplement pas du personnel suffisant pour entreprendre une
intervention au sol.
Le prince héritier Ben Salmane a
bien tenté de former une « alliance militaire islamique
anti-terroriste » (lire anti-chiite) mais il n’a reçu que des refus polis
des puissances qui disposaient de forces militaires nombreuses, comme le
Pakistan et l’Égypte, qui auraient pu, éventuellement, engager sur le terrain
un personnel nombreux.
Quant aux forces locales alliées,
elles sont trop fragiles et trop peu fiables en raison du jeu entre tribus,
hommes forts (zouama) et rivalités de toutes sortes.
Le président Abd Rabbo Mansour Hadi,
réfugié en Arabie saoudite, ne contrôle même pas la ville d’Aden où son
gouvernement s’est réfugié, n’arrive pas à progresser le long de la mer rouge
pour prendre le port d’al-Hudaydah, piétine dans la province de Marib pour
progresser vers Sanaa et est mis en échec dans ses tentatives de dégager la
garnison gouvernementale encerclée dans la ville de Taëz.
Le constat devient évident :
l’action de la coalition internationale ne mène nulle part, sauf à mener une
guerre sans fin dans ce pays désertique et pauvre parmi les pauvres.
Ce constat, les autorités émiraties
ont du le faire et trouver qu’il était temps de tirer leur épingle du jeu.
Depuis des mois, ils ont armé et entraîné une force sudiste, soi-disant pour
lutter contre les chiites houthis et contre les groupes jihadistes qui
prospèrent dans le pays, al-Qaïda dans la Péninsule arabique (AQPA) et l’État
islamique.
Pourquoi les Émirats
arabes unis prennent-ils le risque de s’affronter à Riyad ?
Pour les Émirats, l’enjeu en vaut la
chandelle. Si l’offensive des indépendantistes sudistes réussies, ils savent
pouvoir compter sur l’alliance émiratie. En contrepartie, les Émirats auront à
disposition le port d’Aden, éminemment stratégique là où mer rouge et océan
indien se rencontrent. Il ne reste plus qu’à convaincre le sultanat
d’Oman de rester neutre, ce qu’il aspire de toute façon à être pour faire passer
des convois terrestres ou maritimes entre les Émirats et le port d’Aden.
Grandes puissances :
Faites vos jeux !
Les grandes puissances ne peuvent
rester à l’écart de l’énorme partie de poker qui est en train de se jouer dans
la région. Les pays occidentaux, États-Unis en tête, disposent de bases
militaires et de centres de commandement dans toute la région, Arabie saoudite,
Qatar, et Émirats arabes unis. La Russie est restée absente de cette région,
malgré ses efforts pour entamer un dialogue « apaisé » avec les
monarchies de la Péninsule arabique. Mais Moscou n’a certainement pas oublié
que l’éphémère République du sud Yémen survivait grâce à l’assistance
économique de l’Union soviétique. Si, donc, une république du sud Yémen revoit
le jour, il est probable que ses dirigeants se tournent à nouveau vers Moscou
pour bénéficier de son aide politico-économique. Après Tartous en Syrie, les
Russes pourraient très vite disposer d’une nouvelle base à Aden et entamer par
la même occasion un dialogue fructueux avec les Émirats arabes unis. Grandes
puissances, faites vos jeux !
Sources : Al-Manar ; Jean-René Belliard