mardi 30 janvier 2018

Rien ne va plus dans la péninsule arabique : Grandes puissances, faites vos jeux !



Décidément, l’Arabie saoudite n’arrive plus à se faire respecter par les Émirats de la Péninsule arabique. Signe, sans doute,  que cette puissance régionale est minée de l’intérieur, malgré l’arrivée fracassante sur les scènes nationale et régionale du prince Mohammed Ben Salmane, le nouvel homme fort du pouvoir saoudien.

Le Qatar s’était déjà émancipé de l’influence saoudienne
Malgré le blocus imposé par Riyad au Qatar, celui-ci résiste aux pressions économiques de ses voisins de la Péninsule arabique. Ce que reprochent le pouvoir saoudien aux Qataris, c’est qu’ils aient cherché à s’émanciper de sa tutelle. Doha a volontairement profité des révolutions de ce qu’on a appelé, un peu vite, le « printemps arabe » pour chercher à gagner en puissance et se poser en rival de Riyad. La chaîne de télévision qatarie al-Jazeera a été mise au service de tous les mouvements des Frères musulmans qui, à l’époque du déclenchement de ce vaste mouvement de contestation, représentait la seule véritable force politique dans nombre de pays arabes.  Et si le Qatar tient tête, c’est qu’il a trouvé en la Turquie, autre championne de la cause des Frères musulmans, un allié de poids. Le divorce entre Riyad et Doha est une aubaine pour Recep Tayyip Erdogan, le président turc, qui se voit tout d’un coup autorisé à aménager une base militaire turque dans le Golfe arabo-persique.

Riyad-Koweït : les relations s’enveniment

Rien ne va plus entre l’Arabie saoudite et le Koweït. Durant ces derniers jours, une campagne virulente a été menée par la première contre le second, ce à quoi ce dernier a répliqué à son tour, à coups de réactions populaires sans oublier la convocation de l’ambassadeur saoudien.
Selon le journal libanais al-AKhbar, la cause de l’empoisonnement de cette relation est due au fait que les dirigeants saoudiens en veulent à leurs homologues koweitiens de ne pas avoir encore rompu définitivement leurs liens avec les Qataris. Ils semblent manifestement agacés par leur rôle de médiateur dans cette crise qui a éclaté au milieu de l’an dernier, lorsque Doha a été accusée par l’Arabie saoudite, les EAU, le Bahreïn et l’Égypte d’entretenir des liens avec les terroristes, en allusion aux Frères musulmans, et avec l’Iran. Avant que ces pays ne rompent tous leurs relations avec elle.
Comme de coutume, c’est l’Arabie qui a ouvert les hostilités. Lorsque le conseiller du roi saoudien Turki Al-Cheikh a violemment critiqué un ministre koweitien le qualifiant de « mercenaire » pour avoir rencontré le prince qatari et pour l’avoir remercié.
Cette déclaration a été suivie par  des réactions en boucles de la part des Koweitiens. Certains d’entre eux ont réclamé une plainte officielle contre le saoudien Al Cheikh. En même temps, le ministre de l’information koweitien interdisait à deux artistes saoudiens de poursuivre leurs activités dans son pays pour avoir exprimé des positions de soutien au conseiller de leur roi.
Il faut dire que les soupçons de Riyad sur une collusion entre Koweït et Doha sont bien fondés. Ces derniers mois les relations entre ces deux derniers ont connu une embellie. Il y a eu la visite du ministre de la Défense qatari Khaled Atiyyeh pour le Koweït. La démarche lui a été rendue lorsqu’à son tour son homologue koweitien se rendait à Doha, (le mercredi 24 janvier soir), à la tête d’une délégation militaire.
En parallèle, ont lieu des échanges d’ordre économique entre les deux pays avec l’arrivée au Koweït d’une grande délégation d’hommes d’affaires qataris, inaugurant selon les termes du  président du Conseil d’administration de la Chambre du commerce et de l’industrie koweitienne « une collaboration dans les projets conjoints pour réaliser davantage de développement économique entre les deux pays ».
Dans ses positions officielles, le Koweït se veut garder la même distance avec Riyad comme avec Doha. Rejoignant de la sorte la position centrale d’Oman.
Compte tenu de la mentalité du nouveau maitre du royaume saoudien, Mohamad Ben Salmane, lequel œuvre pour avoir une mainmise totale sur l’ensemble du monde arabe, cette distanciation koweitienne ne devrait pas être laissée pour compte. La crispation entre ces deux monarchies n’en est qu’à ses débuts.
Les Émirats arabes unis infligent un nouveau camouflet à l’Arabie saoudite
Mais aujourd’hui, c’est d’un nouveau camouflet à la puissance saoudienne dont il s’agit. Voilà que ce petit Émirat a l’intention de créer au Yémen une république du Yémen du sud dont il pense qu’elle lui serait inféodée.  En effet, depuis dimanche 28 janvier 2018, les indépendantistes sudistes, armés par les Émirats arabes unis, se sont dressés contre le pouvoir du président Abd Rabbo Mansour Hadi, reconnu comme l’autorité légitime du Yémen par la communauté internationale avec la ferme intention de chasser les forces de Hadi hors d’Aden et de sa région pour fonder une nouvelle République du Yémen du Sud, comme celle-ci a existé entre 1967 et 1990.
L’action de la coalition arabe dirigée par l’Arabie saoudite est un échec
Voila bientôt trois ans que la coalition arabe dirigée par l’Arabie saoudite intervient sans succès au Yémen pour défaire une rébellion chiite (houthis) aidée par l’Iran, la puissance rivale de l’Arabie saoudite.  Il est clair que l’Arabie saoudite est incapable d’imposer sa loi à l’ensemble du Yémen face à une rébellion chiite déterminée, très bien organisée et très bien armée. Le royaume saoudien ne dispose tout simplement pas du personnel suffisant pour entreprendre une intervention au sol.
Le prince héritier Ben Salmane a bien tenté de former une « alliance militaire islamique anti-terroriste » (lire anti-chiite) mais il n’a reçu que des refus polis des puissances qui disposaient de forces militaires nombreuses, comme le Pakistan et l’Égypte, qui auraient pu, éventuellement, engager sur le terrain un personnel nombreux.
Quant aux forces locales alliées, elles sont trop fragiles et trop peu fiables en raison du jeu entre tribus, hommes forts (zouama) et rivalités de toutes sortes.
Le président Abd Rabbo Mansour Hadi, réfugié en Arabie saoudite, ne contrôle même pas la ville d’Aden où son gouvernement s’est réfugié, n’arrive pas à progresser le long de la mer rouge pour prendre le port d’al-Hudaydah, piétine dans la province de Marib pour progresser vers Sanaa et est mis en échec dans ses tentatives de dégager la garnison gouvernementale encerclée dans la ville de Taëz.
Le constat devient évident : l’action de la coalition internationale ne mène nulle part, sauf à mener une guerre sans fin dans ce pays désertique et pauvre parmi les pauvres.
Ce constat, les autorités émiraties ont du le faire et trouver qu’il était temps de tirer leur épingle du jeu. Depuis des mois, ils ont armé et entraîné une force sudiste, soi-disant pour lutter contre les chiites houthis et contre les groupes jihadistes qui prospèrent dans le pays, al-Qaïda dans la Péninsule arabique (AQPA) et l’État islamique.
Pourquoi les Émirats arabes unis prennent-ils le risque de s’affronter à Riyad ?
Pour les Émirats, l’enjeu en vaut la chandelle. Si l’offensive des indépendantistes sudistes réussies, ils savent pouvoir compter sur l’alliance émiratie. En contrepartie, les Émirats auront à disposition le port d’Aden, éminemment stratégique là où mer rouge et océan indien se rencontrent.  Il ne reste plus qu’à convaincre le sultanat d’Oman de rester neutre, ce qu’il aspire de toute façon à être pour faire passer des convois terrestres ou maritimes entre les Émirats et le port d’Aden.
Grandes puissances : Faites vos jeux !
Les grandes puissances ne peuvent rester à l’écart de l’énorme partie de poker qui est en train de se jouer dans la région.  Les pays occidentaux, États-Unis en tête, disposent de bases militaires et de centres de commandement dans toute la région, Arabie saoudite, Qatar, et Émirats arabes unis. La Russie est restée absente de cette région, malgré ses efforts pour entamer un dialogue « apaisé » avec les monarchies de la Péninsule arabique. Mais Moscou n’a certainement pas oublié que l’éphémère République du sud Yémen survivait grâce à l’assistance économique de l’Union soviétique. Si, donc, une république du sud Yémen revoit le jour, il est probable que ses dirigeants se tournent à nouveau vers Moscou pour bénéficier de son aide politico-économique. Après Tartous en Syrie, les Russes pourraient très vite disposer d’une nouvelle base à Aden et entamer par la même occasion un dialogue fructueux avec les Émirats arabes unis. Grandes puissances, faites vos jeux !

Sources : Al-Manar ;  Jean-René Belliard