mardi 23 janvier 2018

SYRIE : Les Américains "pédalent dans le couscous"



Le doute qui pouvait subsister sur les intentions américaines en Syrie a été levé par Rex Tillerson. Dans un discours prononcé le 17 janvier à Stanford, en Californie, le secrétaire d’État américain a annoncé que l’armée américaine resterait en Syrie jusqu’à ce que l’État islamique soit totalement vaincu.
« L’EI ne doit pas refaire surface » a-t-il précisé, ajoutant qu’il ne fallait pas renouveler l’erreur de 2011, lorsque les Américains se sont retirés d’Irak permettant à Al-Qaïda de prospérer.
Il aurait pu préciser que c’est l’invasion américaine de l’Irak qui a engendré la création d’Al-Qaïda, inexistante jusque là tant le régime de Saddam Hussein était vigilant dans sa traque contre les islamistes….
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Rouge : Zones contrôlées par le gouvernement
marron clair : zones américano-kurdes
Vert : zones terroristes
Le drapeau turc montre les zones d'invasion turque
 Cet argument contre une éventuelle résurgence de Daesh est assez peu crédible : certes, plusieurs milliers de combattants tiennent encore quelques poches dans les provinces de Deir ez-Zor et d’Idleb, mais chacun sait qu’ils sont bien incapables de recréer un califat. D’ailleurs de nombreux islamistes sont partis en Libye, en Asie du sud-est et dans le Caucase (quelques uns en Europe également…), prenant acte de leur défaite en Syrie.
Les vraies raisons sont ailleurs et Tillerson ne les cache pas : il faut d’abord contrer l’expansion de l’Iran et « un désengagement américain » fournirait à l’Iran « une occasion en or de renforcer encore davantage ses positions en Syrie ». Cet argument n’est pas nouveau et peut se compléter par le souci de lutter contre tout ce qui pourrait menacer Israël. Il ne faut jamais oublier que la protection de l’État hébreu est le vecteur numéro un de la politique extérieure américaine au Proche-Orient. Et ce, quel que soit le Président élu.
Le troisième argument en revanche est nouveau depuis l’élection de Trump : pour la première fois en effet Tillerson évoque le départ d’Assad afin de « créer les conditions pour une paix durable. » Or, « un retrait total du personnel américain à ce stade aiderait Assad à continuer de brutaliser son propre peuple. »
On connait l’antienne depuis le début de la guerre, complaisamment relayée par les medias, du tyran qui tue son propre peuple, comme si les dizaines de milliers de syriens assassinés par les islamistes ne faisaient pas partie du peuple…Les récentes scènes de joie dans les rues de Deir ez-Zor libérée de Daesh par l’armée syrienne en sont un démenti cinglant.
Mais au-delà la désinformation rituelle, ce discours marque un tournant dans la politique américaine.
Obama, échaudé par le champ de ruines provoqué par l’invasion américaine de l’Irak, s’était prudemment tenu à l’écart du conflit, se contentant de bombardements réguliers et..inefficaces (sauf pour aider les Kurdes).
Pendant sa campagne, Trump avait indiqué à plusieurs reprises qu’il s’occuperait d’abord de l’Amérique, rejetant la doctrine interventionniste des néo-conservateurs chers aux Bush. Il a manifestement changé d’avis.
Tillerson a en outre ostensiblement ignoré le rôle joué par la Russie en Syrie. C’est assez cocasse car au-delà d’Assad et de l’Iran, c’est l’intervention russe qui  a décidé de l’issue du  conflit. Et il ne faudrait pas oublier non plus que c’est elle qui a la maîtrise des airs : même Washington devra en tenir compte.
Le discours du secrétaire d’État a été prononcé quelques jours après l’annonce de la formation de 30.000 terroristes FDS ( arabo-kurde) par les 2000 soldats américains présents dans le nord de la Syrie. On se sait pas très bien à quoi ils vont être utilisés mais dans le chaudron que sont devenues la province d’Idleb (dernier territoire aux mains des islamistes) et la frontière turco-syrienne, l’installation de cette armée privée au service des États-Unis risque bien de déclencher un nouveau cycle de violences.
La Turquie a été, comme on pouvait s’en douter, la première à réagir. Pour elle en effet cette milice pro américaine de 30.000 hommes est un casus belli : largement dominée par les Kurdes, elle peut être l’élément armé qui permettra la constitution d’un territoire kurde autonome le long de la frontière turque.
Damas avait d’ailleurs violemment contesté la décision américaine, prélude à une possible et inacceptable partition de la Syrie.
Le 20 janvier Erdogan a donc donné l’ordre à l’armée turque d’attaquer l’enclave kurde d’Afrin, située au nord-ouest de la province d’Idleb.  On ne sait pas si les Russes ont donné explicitement leur accord, mais il est certain qu’après une accalmie de plusieurs semaines, la situation est redevenue explosive. Pendant ce temps, au sud-est de la dite province, l’armée syrienne poursuit son offensive contre Al Nosra et ses alliés islamistes. La base aérienne d’Abou Al-Douhour, aux mains des islamistes depuis 2015, vient d’ailleurs d’être reprise par l’armée après de furieux combats.
Le nord-ouest de la Syrie concentre donc de multiples intervenants aux intérêts antagonistes : Turcs, Kurdes, islamistes, et bien sûr, l’armée syrienne épaulée par l’aviation russe. Dans cette mosaïque complexe, les initiatives américaines semblent relever d’une politique d’apprentis sorciers.
Décidément, les Américains n’ont pas retenu grand-chose des leçons du passé.
 Source


Quelques aléas  (Moon of Alabama)
    Un tweet  :
    Asaad Hanna @AsaadHannaa 16h26 - 22 jan 2018

    L'armée d'Assad a lâché des barils de chlore sur la base militaire d'Abu Al Duhur #Idlib        campagne    dans une grande tentative pour en prendre le contrôle.
Ce qui précède est tiré d'un "conseiller des médias, chercheur et journaliste freelance" antisyrien précédemment publié ou cité par Al Jazeera, The Guardian, Business Insider et plusieurs autres médias. Son compte Twitter a la marque "Vérifié".
Il n'y a qu'un petit problème avec le tweet sur la base aérienne d'Abou Al-Duhour. Depuis samedi, la base est entre les mains du gouvernement syrien. Hier, le ministère syrien de la Défense a annoncé officiellement la capture complète de la base aérienne. Il y a des photos et des vidéos d'un point de presse russe montrant des soldats de l'armée syrienne se promenant dans la base. Pendant ce temps, les combats ont dépassé de plusieurs kilomètres les limites de la base. L'armée syrienne lançant des "barils de chlore" sur une base aérienne qui est entre les mains de l'armée syrienne serait un incident surprenant. Il n'y a pas de tels rapports de la part de quiconque. L'affirmation ne semble pas correspondre à la réalité. Encore une fois, peu de ce qui a été publié par ces "journalistes activistes" n'a jamais eu de sens.

Quod licet Iovi (Ce qui est légitime pour Jupiter  ...)

Le Secrétaire d'État Tillerson a déclaré le 17 janvier :
    Les États-Unis maintiendront une présence militaire en Syrie... Notre mission militaire en Syrie demeurera conditionnelle.
    ...
    Les États-Unis souhaitent cinq États clés définitifs pour la Syrie:...
... ... non licet bovi (ne l'est pas pour les bœufs).

La porte-parole du Département d'État, Heather Nauert, a déclaré, le 21 janvier :
    Nous exhortons la Turquie à faire preuve de retenue et à veiller à ce que ses opérations militaires restent limitées dans leur portée et leur durée [...] Nous appelons toutes les parties à rester concentrées sur l'objectif central de la défaite de l'État islamique (EI).

Les illusions que les Kurdes syriens du YPG/PKK ont de leur position sont vraiment étonnantes :
    [Sinam Mohamad, haut fonctionnaire de l'administration syrienne kurde soutenue par le YPG dans le nord de la Syrie et actuellement à Washington avec son homologue syrien Nobahar Mustafa, a déclaré que le peuple syrien kurde s'attendait à ce que les États-Unis déclarent une zone d'interdiction aérienne au-dessus du nord contrôlé par les Kurdes, "y compris l'Afrin". Mustafa, qui était présent lors de l'interview, a confirmé que Afrin "présentait un test très réel et immédiat de l'engagement des États-Unis envers leurs partenaires kurdes". Les États-Unis "doivent et peuvent arrêter la Turquie", a déclaré Mustafa.
Cette déclaration est un vrai problème en soi.
La principale base opérationnelle étatsunienne dans la région est la base aérienne d'Incerlik de l'OTAN en Turquie. Les États-Unis devraient-ils faire voler leurs avions de chasse depuis Incerlik pour combattre les avions de chasse turcs au-dessus d'Afrin qui eux aussi décollent d'Incerlik ? Et qu'en est-il des défenses aériennes syriennes et russes qui couvrent la région ? Les Kurdes s'attendent-ils à ce que les États-Unis entament la troisième guerre mondiale en raison de leur incapacité à faire des compromis avec le gouvernement syrien ?
Est-ce de l'art diplomatique ou des gestes d'impuissance ?
Les forces turques alliées des États-Unis ont envahi la Syrie pour tuer et "nettoyer" les Kurdes alliés syriens du YPG/PKK à Afrin. L'administration Trump est intervenue immédiatement pour assurer ses alliés respectifs de son soutien continu : Aujourd’hui, 22/01/, la secrétaire générale adjointe de l'OTAN et diplomate étatsunienne, Rose Gottemoeller, s'est rendue à Ankara pour dire aux alliés turcs que tout va bien. Les États-Unis les appuieront.
Aujourd'hui, le commandant du Commandement central étatsunien, le général Votel, et le diplomate étatsunien, Brett McGurk, se sont rendus à Kobane pour dire à leurs alliés kurdes syriens du YPG/PKK que tout va bien. Les États-Unis les appuieront.
J'ai l'impression que malgré ces visites, ni les Turcs ni les Kurdes n'étaient satisfaits de leurs alliés étatsuniens.

Décidément, les Américains pédalent dans le couscous. Ou, comme le dit un adage tunisien "Ils ont une main dans la merde, et une autre dans le savon.
Hannibal GENSERIC