"Une élite dont la priorité des priorités est de rester le pôle
dominant économiquement, militairement et politiquement, en ne permettant à
aucune force la constitution d’un autre pôle, afin de piller la richesse des
peuples, comme l’ont précédemment fait les puissances coloniales ; une
élite à l’origine de toutes les tentatives et de tous les plans des services
secrets étatsuniens, et d’autres, durant des décennies, jusque la dislocation
de l’Union soviétique ; une élite qui a fini par étendre l’hégémonie des
États-Unis ces vingt dernières années sur le monde, sur ses richesses, ses
institutions, son organisation onusienne ; une élite qui refuse toute
autre réalité que la sienne.
Bouthaïna Shaaban
Conseillère politique du Président syrien Bachar al-Assad
AVANT PROPOS
Extrait du discours de fin de mandat du
président des États-Unis, Dwight David Eisenhower [17 janvier 1961] :
« Mais désormais, nous ne pouvons plus
risquer l’improvisation dans l’urgence en ce qui concerne notre défense
nationale. Nous avons été obligés de créer une industrie d’armement permanente
de grande échelle. De plus, trois millions et demi d’hommes et de femmes sont
directement impliqués dans la défense en tant qu’institution. Nous dépensons
chaque année, rien que pour la sécurité militaire, une somme supérieure au
revenu net de la totalité des sociétés US.
Cette conjonction d’une immense institution
militaire et d’une grande industrie de l’armement est nouvelle dans
l’expérience américaine. Son influence totale, économique, politique,
spirituelle même, est ressentie dans chaque ville, dans chaque Parlement d’État,
dans chaque bureau du Gouvernement fédéral. Nous reconnaissons le besoin
impératif de ce développement. Mais nous ne devons pas manquer de comprendre
ses graves implications. Notre labeur, nos ressources, nos gagne-pain… tous
sont impliqués ; ainsi en va-t-il de la structure même de notre société.
Dans les assemblées du gouvernement, nous
devons donc nous garder de toute influence injustifiée, qu’elle ait ou non été
sollicitée, exercée par le complexe militaro-industriel. Le risque potentiel
d’une désastreuse ascension d’un pouvoir illégitime existe et persistera.
Nous ne devons jamais laisser le poids de cette
combinaison mettre en danger nos libertés et nos processus démocratiques. Nous
ne devrions jamais rien prendre pour argent comptant. Seule une communauté de
citoyens prompts à la réaction et bien informés pourra imposer un véritable
entrelacement de l’énorme machinerie industrielle et militaire de la défense
avec nos méthodes et nos buts pacifiques, de telle sorte que sécurité et
liberté puissent prospérer ensemble » [1].
Extrait d’un discours du président de l’Égypte,
Gamal Abdel-Nasser, sur les Mémoires de Dwight Eisenhower [début des années
60 ?] :
« En 1957, les États-Unis ont
tenté d’utiliser l’Arabie saoudite contre le Forces syriennes… propos
tenus par Eisenhower en personne. Les Américains nient certains faits mais,
chez eux, dès qu’un président a terminé son mandat, il publie ses mémoires et
reconnait des faits qu’ils ont niés.
Ainsi, en 1957, ils disaient qu’ils ne
soutenaient aucunement une alliance
islamiste, une opération islamiste ou une action contre les forces
syriennes ; alors que, dans ses mémoires, Eisenhower
écrit qu’en 1957 ils voulaient envahir la Syrie et, qu’après
avoir discuté de cette invasion avec les Turcs, ils ont préféré la confier à
l’Irak.
Nous nous souvenons tous de ce qui s’est passé
en cette année 1957 lorsque nous avons dépêché les forces parachutistes
égyptiennes en Syrie avant l’Union [avec la Syrie : République Arabe Unie
de 1958 à 1961] et avons déclaré que l’armée égyptienne se tenait aux côtés de
l’armée syrienne […].
En vérité, en 1957, lorsque les renseignements
m’ont informé qu’un plan américain d’invasion de la Syrie était en cours de
préparation avec la Turquie et l’Irak, je n’y ai pas cru […]. Mais, dans ses
mémoires, Eisenhower décrit tout le plan et dit avoir envoyé Loy
Henderson en Turquie pour se mettre d’accord sur l’attaque contre la
Syrie ; qu’ensuite ses envoyés sont allés en Irak et se sont entendus avec
Nouri al-Saïd [a] ; mais, qu’une
fois l’accord conclu avec l’Irak, ils avaient reculé […] » [2].
Vidéo rediffusée à l’occasion du 100ème anniversaire de
la naissance du président Nasser qui montre que le plan de déstabilisation de
la Syrie a été conçu, au moins, depuis 1957 ; un plan du MI6 et de la CIA,
approuvé par le président Eisenhower et Harold Macmillan, lequel plan prévoyait
déjà l’invasion de la Syrie par ses voisins pro-occidentaux ainsi que
l’assassinat de dirigeants syriens, tel que décrit par un article du quotidien
« The Guardian » de 2003 [3][4].
Aujourd’hui, ce n’est plus un secret que cette première coalition
contre la Syrie s’est transformée en ladite « Coalition internationale »,
laquelle a atteint, en 2012, 114 États membres des Nations Unies, pour ensuite
tomber assez bas, avant de remonter ce 23 janvier [5]
à une trentaine d’États membres, visiblement tentés par le contournement des
résolutions du Conseil de sécurité, grâce à la stratégie de communication
diplomatique de Paris qui n’a plus rien à envier à celle de Washington… [NdT]
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Que le ministre américain de la défense, James Mattis, déclare que
la priorité de Washington en matière de sécurité nationale n’est plus la lutte
contre le terrorisme, mais la compétition entre les grandes puissances, et que
l’avantage compétitif de l’armée américaine diminue [6]
est un aveu important, à un moment politique important, qui exige que nous nous
arrêtions pour réfléchir sur ses raisons, ses causes et ses conséquences.
Et que le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov,
lui réponde que la « stabilité stratégique » ne peut être atteinte
qu’en coopération avec la Russie et la Chine, c’est aussi une réponse très
importante dont il nous faut analyser les conditions de réalisation dans un
contexte de dispositions américaines absolument contraires aux aspirations des
peuples à la paix, à la stabilité, à la sécurité et à la prospérité.
Tout aussi important est le fait que l’aveu américain émane du
ministre de la Défense, si bien qu’il ne peut être attribué aux délires de Donald
Trump et à ses folies coutumières, mais à un haut responsable trônant au sommet
du « gouvernement
profond » ou « Deep State »qui dirige effectivement
les États-Unis et représente l’élite possédant plus de 85% de la richesse du
pays.
Une élite dont la priorité des priorités est de rester le pôle
dominant économiquement, militairement et politiquement, en ne permettant à
aucune force la constitution d’un autre pôle, afin de piller la richesse des
peuples, comme l’ont précédemment fait les puissances coloniales ; une
élite à l’origine de toutes les tentatives et de tous les plans des services
secrets étatsuniens, et d’autres, durant des décennies, jusque la dislocation
de l’Union soviétique ; une élite qui a fini par étendre l’hégémonie des
États-Unis ces vingt dernières années sur le monde, sur ses richesses, ses
institutions, son organisation onusienne ; une élite qui refuse toute
autre réalité que la sienne.
Par conséquent, les guerres étatsuniennes contre l’Afghanistan,
l’Irak, la Libye, la Syrie, et plus récemment contre le Yémen, n’étaient
absolument pas destinées à combattre le terrorisme. Bien au contraire, les États-Unis ont inventé le
terrorisme, ont créé ses diverses organisations, les ont entraînées, armées et
financées grâce à leurs valets gouvernant la Saoudie et à des hommes d’affaires
islamistes, dans le but de le répandre et de freiner les forces
montantes de la Russie et de la Chine.
D’où la pertinence et la justesse des propos du président Vladimir
Poutine lorsqu’il révèle le but ultime de la guerre des Étasuniens contre les
Arabes et leur allié, l’Iran, en déclarant que « combattre le terrorisme en Syrie c’est défendre Moscou ».
De même pour l’Iran qui dit que « défendre la
Syrie contre le terrorisme c’est défendre Téhéran », sans
parler de l’amitié historique entre les deux États et les deux peuples.
Cependant, tous leurs efforts pour renverser l’État syrien, diviser
l’Irak par la création d’une entité kurde au nord du pays, démanteler l’axe de
la Résistance, ont échoué grâce aux sacrifices de l’Armée arabe syrienne, de
ses forces supplétives et du soutien constant, politique et militaire, des
forces alliées.
Ce qui a contraint le gouvernement profond aux États-Unis à
chercher une alternative pouvant néanmoins assurer deux priorités :
d’abord, continuer à freiner tout pôle montant par n’importe quel moyen,
notamment par des opérations menées via les terroristes et les services
secrets ; ensuite, stimuler la roue de l’économie américaine pour qu’elle
reste la locomotive tirant l’économie mondiale et ainsi accumuler encore plus
de richesse entre les mains de l’élite possédante.
Or, la furie
manifeste du ministre américain de la Défense contre la Russie et la Chine
traduit l’inquiétude de cette élite, et de son gouvernement profond,
face au pôle sino-russe devenu réalité. Quant à sa déclaration concernant la
diminution incessante de l’avantage militaire américain, elle suggère la
crainte d’une crise économique grave du fait d’un nombre de guerres insuffisant
au maintien du dynamisme des
industries militaires, hautement lucratives et première locomotive de
l’économie américaine
En effet, après la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis ont
principalement investi dans le développement des industries militaires, au
détriment d’autres secteurs. Aujourd’hui, avec les médias et les institutions
financières, elles sont devenues l’épine dorsale de l’économie américaine.
Or ces industries ont désespérément besoin de guerres nouvelles et
continuelles, pour que l’armée américaine, et les armées des États alliés,
achètent leurs productions et fassent main basse sur de nouvelles ressources
qui nourriront, en retour, les possesseurs de ces industries sanguinaires.
Par conséquent, l’absence de guerres importantes et prolongées
signifie, pour les États-Unis, non seulement l’érosion de leur suprématie
militaire, mais aussi la récession de leur économie.
Certes, ils ont tenté de remédier à cette récession en volant des milliers de tonnes d’or à l’Irak et à la Libye,
avec plus de 800 milliards de dollars évaporés quelque part pour l’Irak, et
Trump a récemment extorqué plus de 500 milliards de dollars à l’Arabie saoudite contre le maintien des
dirigeants saoudiens au pouvoir. Mais tout cela ne relancera pas
l’industrie militaire américaine.
C’est pourquoi la réponse de Lavrov à Mattis, qu’il a invité au
dialogue et non à la confrontation, est celle de ceux qui croient en la
complémentarité et en l’importance des relations entre États fondées sur la
préservation de la paix et de la sécurité internationales. C’est une réponse
légitime et humaine, sans rapport avec le problème structurel dont souffre déjà
l’économie américaine de l’après-impérialisme ; lequel problème ne peut
donc être résolu que par la fabrication constante de grandes guerres pour la
prospérité des usines d’armes américaines.
Telle est la crise structurelle de l’économie américaine qui étend
son ombre sur la plupart des économies du monde. Telle est aujourd’hui la
calamité pour l’humanité : celle du pays le plus puissant du monde dont l’économie s’est
construite sur une industrie sanguinaire et destructrice, et sur la création
des guerres pour maintenir sa suprématie.
Conseillère politique du Président syrien Bachar al-Assad
23/01/2018
Article original en arabe : New orient News
Traduction de l’arabe et avant-propos par
Mouna Alno-Nakhal pour Mondialisation.ca
Notes :
[1] Discours d’adieu prononcé par le président Dwight David
Eisenhower
(Traduction de
Pascal Delamaire)
[2] Discours du président Gamal Abdel-Nasser
[3] Macmillan backed Syria assassination
plot
[4] Le plan contre la Syrie date de 1957 [Traduction de Mounadil
al-Djazairi]
[5] Déclaration de principe du Partenariat international contre
l’impunité d’utilisation d’armes chimiques
[6] L’administration Trump dévoile sa nouvelle stratégie de défense
nationale
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Copyright © Bouthaïna Shaaban, New orient
News, 2018
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