L’annonce
par le Pakistan de l’expulsion de plus de 1,5 million de réfugiés afghans dans
les 30 prochains jours est tacitement justifiée par le tweet de Trump. Elle
s’appuie sur cette position de Trump de tolérance zéro envers une immigration provenant
d’États « terroristes » mais elle représente aussi l’emploi d’une « arme
de migration de masse » retournée en poussant Kaboul plus près de la
limite de l’effondrement et par conséquent en remplissant les rangs des talibans. L'Arroseur arrosé : les soldats américains en Afghanistan ne sont pas prêts de sortir de l'auberge.
Donald J.
Trump – 13h12 – a écrit le 1er janvier 2018 :
« Les
États-Unis ont bêtement donné au Pakistan plus de 33 milliards de dollars
d’aide au cours des 15 dernières années, et ils ne nous ont rendu que des
mensonges et de la tromperie, pensant que nos dirigeants étaient des imbéciles.
Ils donnent refuge aux terroristes que nous chassons en Afghanistan, sans aide.
Plus jamais ça ! »
Trump va
bientôt regretter ce qu’il a tweeté au sujet du Pakistan le jour du Nouvel An
en l’accusant de « donner refuge aux terroristes » puisque Islamabad
est sur le point de frapper Washington avec une contre-mesure asymétrique qu’il
n’oubliera certainement pas.
Le
gouvernement pakistanais vient d’annoncer que plus de 1,5 million de
réfugiés afghans doivent quitter le pays dans les 30 prochains jours, un plan
sur lequel il travaille depuis un moment mais qui vient de recevoir un
nouvel élan et une justification internationalement acceptable avec le tweet de
Trump.
Sans cette
politique de tolérance zéro du président américain vis-à-vis de l’immigration
provenant de ce que son administration qualifie de pays « terroristes »
ce qui inclut l’Afghanistan pour des raisons substantielles et non politiques
(comme l’inclusion de l’Iran et l’exclusion de l’Arabie saoudite dans cette
liste), alors le Pakistan aurait risqué de subir de fortes pressions de la part
du Département d’État avec des allégations exagérées selon lesquelles il « violait
les droits de l’homme » des réfugiés.
Trump,
cependant, a déclaré que le Pakistan « donnait refuge aux
terroristes » et comme les États-Unis considèrent officiellement les
réfugiés afghans comme un risque potentiel de sécurité trop fort pour les
autoriser à immigrer, ils sont forcés d’accepter leur expulsion du Pakistan sur
la base implicite qu’ils constituent également une menace terroriste grave pour
un État, comme le président vient de le tweeter.
Ce n’est pas
du tout ce que Trump voulait dire quand il a publié son tweet, ni la réaction
qu’il attendait, mais en exploitant habilement la politique du président chez
lui et ses allusions faites contre le Pakistan à l’étranger, Islamabad a trouvé
une manière créative asymétrique de riposter à Washington.
Non
seulement le Pakistan pourrait bientôt se débarrasser des cellules dormantes
terroristes réelles et du mécontentement social dans un pays qui a depuis
longtemps dépassé ses capacités d’accueil comme voisin [de l’Afganistan, NdT],
mais il catalysera aussi une série de crises en cascade pour Kaboul en
employant ce qui peut être décrit comme une « arme de migration de masse » retournée.
Pour
expliquer brièvement, la chercheur de l’Ivy League, Kelly M. Greenhill a
introduit le concept d’« arme de migration de masse » en 2010 pour
décrire les façons dont les mouvements de population à grande échelle – qu’ils
soient naturels, artificiels ou exploités – influencent leur société d’origine,
de transit et de destination, estimant que ce phénomène peut avoir une
utilisation stratégique dans certains cas.
L’afflux de
millions de ces « armes de migration de masse » afghanes au
Pakistan depuis 1979 a eu pour effet de déstabiliser les communautés
frontalières du pays hôte et de contribuer à la vague d’attentats terroristes
qui ont fait plus de 60.000 victimes depuis 15 ans. Mais
maintenant, le retour rapide et à grande échelle de ces « armes »
dans leur pays d’origine déstabilisera inévitablement l’Afghanistan.
Ce pays,
enclavé et déchiré par la guerre, est totalement incapable de faire face à une
augmentation d’environ 3% de sa population totale dans les 30 prochains jours,
d’autant plus que le gouvernement de Kaboul exerce peu d’influence au-delà de
sa capitale et n’a aucune influence sur environ la moitié du pays qui est sous le contrôle des
talibans.
Situation en Afghanistan
- Territoire contrôlé par les Talibans
- Territoire contrôlé par l'État islamique
- Territoire contrôlé par le Gouvernement afghan
Le
gouvernement afghan soutenu par les États-Unis échoue devant ses citoyens et
c’est pourquoi tant d’entre eux ont rejoint les talibans ou sympathisent avec eux,
de sorte que les chances de ces réfugiés rapatriés de réintégrer avec succès le
tissu socio-économique de leur patrie et de devenir des « citoyens
modèles » est proche de zéro. Cela signifie que la grande majorité de ces
1,5 million de personnes se rapprochera probablement plus des talibans que de
Kaboul et rendra par conséquent le pays beaucoup plus difficile à contrôler
pour les États-Unis.
Donc, le
Pakistan a renvoyé le tweet de Trump à l’envoyeur en l’utilisant comme prétexte
internationalement plausible pour entamer ce mouvement planifié depuis
longtemps, à l’origine fondé sur des intérêts purement centrés sur la sécurité
apolitique, mais maintenant devenu pertinent pour incarner les contours
géostratégiques d’un puissant renversement de table contre les États-Unis en
Afghanistan à travers l’utilisation d’« armes de migration de masse »
retournée.
Par Andrew
Korybko – Le 5 janvier 2018 – Source Oriental Review
Traduit par
Hervé. vérifié par Wayan, relu Cat pour le Saker Francophone
Andrew
Korybko est le
commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence
Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la
monographie « Guerres hybrides : l’approche adaptative indirecte pour un
changement de régime » (2015). Ce texte sera inclus dans son prochain
livre sur la théorie de la guerre hybride. Le livre est disponible en PDF
gratuitement et à télécharger ici.