L’opération « Branche
d’Olivier » du président Tayyip Erdogan semble bénéficier d’un soutien
chez lui et à Moscou, mais un échec poserait des problèmes.
« Branche d’Olivier » est l’invasion
turque d’un morceau de Syrie. L’opération n’est pas une surprise. Le
président Tayyip Erdogan avait laissé entendre depuis près d’un an qu’une
action était probable dans le canton syrien kurde d’Afrin.
Avec Ankara mettant en scène une
offensive à grande échelle dans ce petit morceau de terre syrien
d’environ 40 kilomètres de long et 30 km de large, il semble évident que nous
approchons de la fin du match.
Après tout, le terrain n’est défendu
que par une force minimale de 10.000 hommes. Les soldats turcs devraient le
prendre en un temps record.
Des sources diplomatiques ont
confirmé à Asia Times que l’offensive turque a été directement
approuvée par les généraux russes après une visite à Moscou de Hakan Fidan,
second au MIT, les services secrets turcs.
Pour sa part, Aldar Khalil,
le co-président du Mouvement pour une société démocratique à Afrin, s’est
exprimé très clairement sur la stratégie de Moscou. Les forces kurdes syriennes
ont reçu un ultimatum au cours du week-end, a déclaré M. Khalil. « [On
nous a dit] abandonnez vos positions au régime syrien ou affrontez la colère
d’Ankara. Ils ont choisi de rester. »
Cette décision a été prise après que
les Russes eurent demandé aux Kurdes de faire au moins un geste d’apaisement
envers Ankara. Le plan de Washington visant à soutenir, financer et militariser
la formation d’un État kurde syrien dans le nord-est de la Syrie, dans le
modèle du gouvernement régional du Kurdistan en Irak, était une ligne rouge
absolue pour Ankara.
‘Zone de sécurité’
Même le fait d’offrir à Erdogan la « zone
de sécurité » qui lui était si chère ne suffisait pas à l’apaiser – en
considérant le fait qu’une « force frontalière » de 30.000 hommes proposée
par les États-Unis pourrait toujours être en mesure d’organiser des
incursions dans le sud-est de la Turquie dans un avenir proche.
En interne, l’Opération Branche
d’olivier est un coup astucieux pour Erdogan. Le nationalisme turc est
fébrile, donc l’opinion publique est largement derrière l’opération. Pour le
président turc, il s’agit d’une véritable aubaine électorale.
Pourtant, les conversations avec les
analystes révèlent qu’il n’y a aucune garantie qu’Ankara ait la compétence
militaire pour s’accrocher à Afrin. L’armée turque est largement démoralisée
après avoir été dépecée par Erdogan au cours des dernières années après la
tentative de coup d’État de 2016, qui a été menée par une faction au sein des
forces armées.
Il y a aussi une profonde suspicion
parmi les hauts gradés que l’armée est utilisée comme chair à canon.
Tant que l’opération sera présentée
comme « la défense de la patrie », la motivation dans l’armée tiendra
le coup. Mais s’il s’immisce dans une guerre civile arabe insoluble, Erdogan
commencera à faire face à des problèmes insurmontables.
Si l’armée turque échoue, sa
crédibilité sera en lambeaux. La menace est éminemment plausible. Imaginez si
les Kurdes syriens décidaient de s’allier à Damas pour affronter les Turcs,
craignant qu’une enclave djihadiste arabe ne soit ravivée à Afrin.
En l’état actuel des choses, nous
sommes confrontés à un paradoxe assez savoureux. Nous pourrions avoir un
président syrien laïc, Bashar al-Assad, qui surveillerait de loin, alors qu’un
allié de l’OTAN des États-Unis prendrait la responsabilité d’écraser ce qui
pourrait facilement devenir une autre chaîne de recyclage des djihadistes.
Rappelez-vous, Erdogan est à la merci de la bonne volonté de la Russie, même si Moscou et Ankara sont
actuellement en parfaite synchro sur la question clé, à savoir que Washington doit être privé de
toute influence en Syrie.
Les choses vont s’arrêter lundi
lorsque la Russie accueillera le Congrès du dialogue national syrien à
Sotchi. Sotchi, et non Genève, est le forum où la fin de la guerre par
procuration syrienne sera décidée.
Damas est à bord. Téhéran aussi.
Ankara pourrait aussi l’être, tant qu’il tient en main ces « rebelles
modérés » qu’il contrôle dans la province d’Idlib et les amène à la table
à Sotchi. Et Moscou était heureux de soutenir Branche d’Olivier; un jour après
le lancement de l’opération, la Russie a annoncé une liste finale des
participants de Sotchi. Bien sûr, la Turquie était dessus.
En fin de compte, pour le Kremlin,
Erdogan est à bord, mais celui-ci marche sur le fil du rasoir. Il est peu
probable que Moscou sacrifie une pièce de choix du patrimoine immobilier syrien,
ainsi que des relations soigneusement chorégraphiées avec Téhéran et Damas,
pour qu’Ankara amène à la table de Sotchi une bande d’extrémistes sunnites.
« Organisation
terroriste »
Pour sa part, Ankara a annoncé
que « nos opérations se poursuivront jusqu’à ce que l’organisation
terroriste séparatiste, YPG [ Yekineyen Parastina Gel ] soit
entièrement éradiquée de la région et que environ 3,5 millions de Syriens
qui sont actuellement réfugiés en Turquie soient en mesure de retourner
en toute sécurité dans leur patrie »
Du point de vue d’Ankara, cela
implique qu’il n’y aura
pas micro-état kurde syrien soutenu par les États-Unis. Il s’agit là
d’une mauvaise nouvelle pour les forces démocratiques syriennes (SDF), qui ont
fait confiance au gambit de balkanisation de Washington et ont été entraînées
par les forces spéciales américaines.
Comme si cela ne suffisait pas, le
SDF accuse également les Russes de trahison. Le commandement sud de l’OTAN est en plein désarroi,
avec des points d’interrogation concernant la base aérienne
d’Incirlik en Turquie. Les États-Unis ont besoin de la coopération
d’Ankara pour l’utiliser.
L’OTAN a également besoin de la
Turquie pour l’accès à la mer Noire pour toute opération future contre la Russie
et la Crimée. Ce qui est absolument certain, c’est que les Trois de Sotchi – la Russie, l’Iran et la Turquie – ont
tous convenu que Washington n’aurait aucune influence en Syrie.
Dans ce dernier chapitre du Nouveau
Grand Jeu, la Turquie est au centre. Il dépendra désormais de la Russie et
de l’Iran pour l’énergie, avec Moscou pour construire des centrales électriques
et livrer un système de défense antimissile S-400 à Ankara.
Le commerce turc comprendra
également la nouvelle route de la soie de la Chine, ou Belt and Road
Initiative, et l’Union économique eurasiatique d’Iran, de Russie, d’Asie
centrale et de Chine.
« Go East »
– pas Go West – sera maintenant le mantra.
Par PEPE ESCOBAR
Traduction : Avic– Réseau International