lundi 29 janvier 2018

Turquie. C’est désormais "Go East" et non plus "Go West"



L’opération « Branche d’Olivier » du président Tayyip Erdogan semble bénéficier d’un soutien chez lui et à Moscou, mais un échec poserait des problèmes.

 « Branche d’Olivier » est l’invasion turque d’un morceau de Syrie. L’opération n’est pas une surprise. Le président Tayyip Erdogan avait laissé entendre depuis près d’un an qu’une action était probable dans le canton syrien kurde d’Afrin.

Avec Ankara mettant en scène une offensive à grande échelle dans ce  petit morceau de terre syrien d’environ 40 kilomètres de long et 30 km de large, il semble évident que nous approchons de la fin du match.

Après tout, le terrain n’est défendu que par une force minimale de 10.000 hommes. Les soldats turcs devraient le prendre en un temps record.

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Des sources diplomatiques ont confirmé à Asia Times que l’offensive turque a été directement approuvée par les généraux russes après une visite à Moscou de Hakan Fidan, second au MIT, les services secrets turcs.
Pour sa part, Aldar Khalil, le co-président du Mouvement pour une société démocratique à Afrin, s’est exprimé très clairement sur la stratégie de Moscou. Les forces kurdes syriennes ont reçu un ultimatum au cours du week-end, a déclaré M. Khalil.  « [On nous a dit] abandonnez vos positions au régime syrien ou affrontez la colère d’Ankara. Ils ont choisi de rester. »
Cette décision a été prise après que les Russes eurent demandé aux Kurdes de faire au moins un geste d’apaisement envers Ankara. Le plan de Washington visant à soutenir, financer et militariser la formation d’un État kurde syrien dans le nord-est de la Syrie, dans le modèle du gouvernement régional du Kurdistan en Irak, était une ligne rouge absolue pour Ankara.
‘Zone de sécurité’
Même le fait d’offrir à Erdogan la « zone de sécurité » qui lui était si chère ne suffisait pas à l’apaiser – en considérant le fait qu’une « force frontalière » de 30.000 hommes proposée par les États-Unis pourrait toujours être en mesure d’organiser des incursions dans le sud-est de la Turquie dans un avenir proche.
Résultat de recherche d'images pour "turkey afrin syria"En interne, l’Opération Branche d’olivier est un coup astucieux pour Erdogan. Le nationalisme turc est fébrile, donc l’opinion publique est largement derrière l’opération. Pour le président turc, il s’agit d’une véritable aubaine électorale.
Pourtant, les conversations avec les analystes révèlent qu’il n’y a aucune garantie qu’Ankara ait la compétence militaire pour s’accrocher à Afrin. L’armée turque est largement démoralisée après avoir été dépecée par Erdogan au cours des dernières années après la tentative de coup d’État de 2016, qui a été menée par une faction au sein des forces armées.
Il y a aussi une profonde suspicion parmi les hauts gradés que l’armée est utilisée comme chair à canon.
Tant que l’opération sera présentée comme « la défense de la patrie », la motivation dans l’armée tiendra le coup. Mais s’il s’immisce dans une guerre civile arabe insoluble, Erdogan commencera à faire face à des problèmes insurmontables.
Si l’armée turque échoue, sa crédibilité sera en lambeaux. La menace est éminemment plausible. Imaginez si les Kurdes syriens décidaient de s’allier à Damas pour affronter les Turcs, craignant qu’une enclave djihadiste arabe ne soit ravivée à Afrin.
En l’état actuel des choses, nous sommes confrontés à un paradoxe assez savoureux. Nous pourrions avoir un président syrien laïc, Bashar al-Assad, qui surveillerait de loin, alors qu’un allié de l’OTAN des États-Unis prendrait la responsabilité d’écraser ce qui pourrait facilement devenir une autre chaîne de recyclage des djihadistes.
Rappelez-vous, Erdogan est à la merci de la bonne volonté de la Russie, même si Moscou et Ankara sont actuellement en parfaite synchro sur la question clé, à savoir que Washington doit être privé de toute influence en Syrie.
Les choses vont s’arrêter lundi lorsque la Russie accueillera le Congrès du dialogue national syrien à Sotchi. Sotchi, et non Genève, est le forum où la fin de la guerre par procuration syrienne sera décidée.
Damas est à bord. Téhéran aussi. Ankara pourrait aussi l’être, tant qu’il tient en main ces « rebelles modérés » qu’il contrôle dans la province d’Idlib et les amène à la table à Sotchi. Et Moscou était heureux de soutenir Branche d’Olivier; un jour après le lancement de l’opération, la Russie a annoncé une liste finale des participants de Sotchi. Bien sûr, la Turquie était dessus.
En fin de compte, pour le Kremlin, Erdogan est à bord, mais celui-ci marche sur le fil du rasoir. Il est peu probable que Moscou sacrifie une pièce de choix du patrimoine immobilier syrien, ainsi que des relations soigneusement chorégraphiées avec Téhéran et Damas, pour qu’Ankara amène à la table de Sotchi une bande d’extrémistes sunnites.
« Organisation terroriste »
Pour sa part, Ankara a annoncé que « nos opérations se poursuivront jusqu’à ce que l’organisation terroriste séparatiste, YPG [ Yekineyen Parastina Gel ]  soit entièrement éradiquée de la région et que environ 3,5 millions de Syriens qui sont actuellement réfugiés en Turquie soient en mesure de retourner en toute sécurité dans leur patrie » 
Du point de vue d’Ankara, cela implique qu’il n’y aura pas micro-état kurde syrien soutenu par les États-Unis. Il s’agit là d’une mauvaise nouvelle pour les forces démocratiques syriennes (SDF), qui ont fait confiance au gambit de balkanisation de Washington et ont été entraînées par les forces spéciales américaines.
Comme si cela ne suffisait pas, le SDF accuse également les Russes de trahison. Le commandement sud de l’OTAN est en plein désarroi, avec des points d’interrogation concernant  la base aérienne d’Incirlik en Turquie. Les États-Unis ont besoin de la coopération d’Ankara pour l’utiliser.
L’OTAN a également besoin de la Turquie pour l’accès à la mer Noire pour toute opération future contre la Russie et la Crimée. Ce qui est absolument certain, c’est que les Trois de Sotchi – la Russie, l’Iran et la Turquie – ont tous convenu que Washington n’aurait aucune influence en Syrie.
Dans ce dernier chapitre du Nouveau Grand Jeu, la Turquie est au centre. Il dépendra désormais de la Russie et de l’Iran pour l’énergie, avec Moscou pour construire des centrales électriques et livrer un système de défense antimissile S-400 à Ankara.
Le commerce turc comprendra également la nouvelle route de la soie de la Chine, ou Belt and Road Initiative, et l’Union économique eurasiatique d’Iran, de Russie, d’Asie centrale et de Chine.
 « Go East » – pas Go West – sera maintenant le mantra.
Traduction : AvicRéseau International