Le rendez-vous de Genève de deux présidents reste une énigme. Pourquoi se sont-ils rencontrés ? Ils se sont mis d’accord sur le fait que la guerre nucléaire est mauvaise pour tous ; très bien ! Mais ne le savaient-ils pas ? Ont-ils sondé l’âme de leur partenaire, l’ont-ils regardé dans les yeux ? Nous avons maintenant quelques réponses, basées sur des conversations avec mes amis israéliens qui ont eu l’avantage d’entendre les deux côtés, les Russes et les Américains. Nos fidèles lecteurs méritent de savoir ce qui s’est réellement passé à Genève.
En bref : Biden est venu dire à Poutine que les États-Unis sont en bonne forme, qu’ils se sont remis de la pandémie, que leur économie est meilleure que celle de la Chine et que c’est lui qui dirige. La réunion s’est déroulée dans le calme ; Biden était plutôt détendu, tandis que le secrétaire d’État Blinken était en mode attaque ; il s’est disputé avec son propre président et il tentait de lui donner des ordres. Les Russes étaient préparés à pire, bien pire. Ils pensaient que les rencontres de Biden avec le G7 et avec l’OTAN mèneraient à un crescendo à Genève, et ont été soulagés d’apprendre que cette réunion ne visait pas à la présentation d’une position occidentale unie envers la Russie.
Prologue : Les préparatifs du sommet
Poutine a donné une interview à Keir Simmons de NBC. L’idée était de se préparer au pire qui pourrait se produire lors du sommet. Un autre homme aurait dit à Simmons d’aller se faire voir après les premières questions, mais Poutine a supporté sa grossièreté immodérée et ses insultes avec le sourire, comme un valeureux chef indien capturé par ses ennemis. Il n’est jamais tombé dans l’impolitesse. Simmons a parlé à Poutine comme l’aurait fait Tim Sebastian dans l’émission Hard Talk de la BBC ; les Romains auraient pu parler ainsi à un roi amené enchaîné à Rome. Poutine a tout supporté, et il s’est préparé mentalement à être traité durement à Genève. Ce n’était pas nécessaire, en fin de compte. Le sommet s’est déroulé bien mieux que ce que les médias occidentaux avaient prévu.
Je crois que le monde a besoin de la Russie, non pas parce qu’elle est merveilleuse, mais pour que le monde ne tombe pas sous le talon de fer du Pentagone/CIA/Wall Street/NY Times. La Russie est une garantie de diversité. Marx, en son temps, avait soutenu la colonisation de la Californie ; il pensait que ce serait progressiste. Trotsky, en son temps, avait renié Marx, en disant qu’il soutiendrait le chef indien arriéré qui combat un colonisateur progressiste. Marx était du côté du progrès, mais je pense que Trotsky avait raison : au diable le progrès, la diversité est plus importante.
Au sommet
Le seul sujet dont Biden ait parlé au nom de l’Occident uni c’était la Biélorussie. Il a déclaré que l’Occident avait accepté de punir Loukachenko pour avoir fait atterrir un avion de ligne et pour l’arrestation de dissidents. Poutine a répondu sans hésiter : La Russie soutient pleinement la Biélorussie. Ils ont fait ce qu’ils étaient autorisés à faire par le droit international ; ils étaient dans leur droit. Et personne ne peut punir le Belarus sans le consentement de la Russie.
Sur l’Ukraine, Poutine a « sermonné » les Américains (selon Blinken). Il a déclaré que la Russie accepterait la participation des États-Unis au processus de Normandie (processus de médiation entre la Russie, l’Allemagne et la France), mais que Merkel et Macron ne sont pas prêts à laisser les États-Unis y participer. M. Biden a déclaré que les États-Unis pourraient contribuer à la mise en œuvre des accords de Minsk. (Les accords de Minsk ont été signés entre le Donbass et Kiev à la suite de la défaite militaire de l’armée de Kiev face au Donbass. En vertu de ces accords, l’Ukraine deviendrait une république fédérée avec des pouvoirs accrus dévolus à toutes ses provinces, y compris le Donbass. Le Donbass serait ensuite réintégré au sein de l’Ukraine. Les accords de Minsk n’ont jamais été appliqués, car Kiev, par différents subterfuges, a refusé de déléguer ses pouvoirs. La Russie souhaite que les accords de Minsk soient mis en œuvre, et Poutine a déclaré que c’était la seule façon de parvenir à un règlement en Ukraine). Les propos de M. Biden ont agacé son secrétaire d’État, M. Blinken. Il a déclaré : « Ce sera une perte de temps, nous n’avons pas besoin de nous engager dans cette voie. »
En ce qui concerne le retrait d’Afghanistan, Biden a formulé une demande inattendue. Les États-Unis ont demandé que des bases militaires temporaires soient établies au Tadjikistan et en Ouzbékistan, dans un double but : (1) faciliter le retrait des troupes américaines et (2) continuer à approvisionner le gouvernement de Kaboul en armes et en munitions après le retrait. Cette demande était (presque) inattendue, mais Poutine l’a rapidement refusée pour les raisons suivantes. Ces bases susciteraient l’ire des Talibans, ce qui les amènerait à être nécessairement attaqués, et ces deux États seraient entraînés dans une guerre. Ceci est inacceptable pour la Russie, car elle y a des obligations militaires, et ces États sont très proches de la Russie proprement dite. En outre, la Chine considérerait le placement de bases militaires près de sa frontière comme un acte hostile.
M. Biden a souligné le caractère temporaire d’un tel arrangement. Poutine aurait pu répondre qu’il n’y a rien de plus durable qu’un arrangement temporaire. Il a refusé catégoriquement. C’est probablement sage : La Russie s’est retirée d’Afghanistan en 1989, et il n’y avait aucune raison d’importer la guerre afghane dans l’ancien territoire soviétique pour faire plaisir à l’ancien adversaire. M. Poutine aurait également pu ajouter que la constitution ouzbèke interdit explicitement l’installation de bases étrangères sur son sol, et ce pour une bonne raison : lorsqu’il y avait une base américaine en Ouzbékistan, elle était utilisée par les Américains pour promouvoir des dirigeants politiques pro-américains qui s’opposaient au président de l’époque, M. Karimov. Mais Poutine ne s’est pas étendu sur le sujet, pour ne pas donner l’impression de rejeter la responsabilité sur le dirigeant ouzbek. La responsabilité incombe au Kremlin. Sa référence aux intérêts chinois a marqué les esprits, selon les Américains. En 2001, le même Poutine avait permis aux États-Unis d’attaquer l’Afghanistan et de transférer du matériel via la Russie. Vingt ans ont passé, et Poutine a appris que faire le jeu de l’Empire n’apporte aucun retour. Il a ensuite aidé les États-Unis, qui, en guise de remerciement, ont provoqué le soulèvement des Tchétchènes et des attaques terroristes. C’est Poutine l’a dit à Munich, en 2007.
L’équipe de Biden a essayé de surprendre et de faire pression sur les Russes à propos de la Syrie. Avant même le sommet, l’équipe américaine avait tenté de joindre aux trois paragraphes déclaratifs de leur déclaration commune (assez vagues et dénués de sens en eux-mêmes) un quatrième paragraphe très significatif. Ce paragraphe appelait en fait à la perpétuation du désordre actuel en Syrie, à l’éclatement perpétuel de la Syrie, en le couvrant de mots peu sincères sur la satisfaction des besoins humanitaires. Il existait des arrangements transfrontaliers à Bab al-Hawa utilisés par les États-Unis et leurs alliés pour réapprovisionner les rebelles islamistes en Syrie et les retirer en cas de besoin. C’est grâce à ces arrangements que les Américains ont retiré les combattants d’ISIS et les ont déplacés en Afghanistan, afin qu’ils combattent les talibans. La préservation de ces arrangements conduirait à la séparation permanente de l’enclave d’Idlib. La Russie était contre, et c’est ce que les Russes ont déclaré et expliqué au CSNU (Conseil de sécurité de l’ONU).
Comme ce sujet sera abordé au CSNU le 10 juillet, la
Russie a l’intention d’opposer son veto (si nécessaire) à toute résolution qui
perpétuerait cette porte ouverte sur la Syrie. Les Syriens ont effectivement
besoin d’aide humanitaire, mais le gouvernement syrien est bien mieux préparé à
gérer la crise et la distribution de l’aide que les
combattants islamistes qui volent tout et revendent la marchandise sur les
marchés turcs. C’est Poutine qui l’a dit.
Il aurait pu ajouter que si les États-Unis se préoccupent du bien-être des
Syriens, ils pourraient lever les sanctions qui affament les Syriens. La Syrie est
soumise à des sanctions occidentales qui interdisent même l’importation de
nourriture, de médicaments et de carburant. En outre, les États-Unis volent le pétrole syrien et le pétrole
iranien en route vers la Syrie. Les appels des États-Unis au sujet
de la crise humanitaire en Syrie font penser à un fils parricide demandant
grâce pour l’orphelin qu’il est. Il n’y aurait
pas de crise en Syrie si l’Occident n’avait pas soutenu les rebelles islamistes
et sanctionné la Syrie à mort.
Poutine ne s’est pas étendu sur le sujet. Le ministre russe des Affaires étrangères, M. Lavrov, a proposé de mettre en place des négociations pour l’ensemble de la zone MENA (Moyen-Orient – Afrique du Nord), y compris la Syrie et la Libye. Dans un tel cadre, la question de Bab al-Hawa pourrait être discutée. Il a également suggéré que l’Occident cesse de chercher à destituer le président Assad. Cependant, la partie américaine a refusé cette suggestion. Aucun accord n’a été trouvé, et Biden y a fait référence dans sa conférence de presse, répétant tous les regrets hypocrites habituels sur la crise syrienne.
Les parties ont également discuté cyber-sécurité. Comme nous le savons, Biden a proposé une liste de 16 éléments d’infrastructures sensibles qui ne devraient pas être attaqués par des pirates informatiques. Les parties devraient arrêter tous les pirates qui s’en prennent à ces éléments. M. Biden n’a pas essayé d’accuser Poutine, que ce soit à titre personnel ou au nom de la Russie en tant qu’État, de pirater les infrastructures américaines. M. Biden a souligné qu’il faisait référence à des pirates informatiques individuels malhonnêtes qui font ce genre de choses. M. Poutine a répondu qu’en fait c’est le territoire américain qui est la principale source d’attaques informatiques, le Canada venant loin derrière. (Le territoire russe conserve la cinquième ou la sixième place dans ce classement). M. Poutine a déclaré que la Russie avait reçu dix demandes d’assistance de la part des États-Unis en rapport avec les attaques de pirates informatiques ; et que les dix demandes avaient été traitées. Dans le même temps, la Russie a déposé 45 demandes l’année dernière et 35 demandes cette année concernant des attaques de pirates informatiques basées aux États-Unis contre des actifs russes. Toutes sont restées sans réponse. Les États-Unis ne répondent tout simplement jamais.
Biden a fait référence à la Chine, mais (contre l’usage avec Trump) sans véhémence anti-chinoise. Il a déclaré que l’économie américaine était beaucoup plus forte que l’économie chinoise et qu’elle s’était remise de la crise de Covid. Il a exprimé sa compassion à l’égard de la Russie, qui partage une frontière longue de mille kilomètres avec la Chine ; cela devrait gêner énormément les Russes, a-t-il dit. Il a répété cette déclaration lors de sa conférence de presse. Les Russes ont été stupéfaits par cette tentative naïve de créer un fossé entre la Russie et la Chine. M. Poutine a déclaré que la Chine était l’amie de la Russie et que leur amitié n’était pas dirigée contre les États-Unis, mais qu’elle était due aux efforts de l’administration américaine précédente pour dresser l’une contre l’autre la Russie et la Chine, en déclarant que la Russie était un ennemi. Lors de sa conférence de presse, M. Poutine a déclaré que la Russie ne s’inquiète pas des porte-avions chinois, car leur frontière se situe principalement sur la terre ferme ; et de toute façon, la Chine a si peu de porte-avions par rapport aux États-Unis qu’il n’y a pas lieu d’en parler.
En ce qui concerne l’économie, M. Poutine a déclaré que si les entreprises américaines souffrent sur le marché russe, c’est en raison des sanctions américaines. Il a suggéré de créer une commission bilatérale pour promouvoir les relations économiques. Biden a regardé cette proposition d’un œil favorable, mais il a changé de sujet pour parler de trois Américains qui se trouvent actuellement dans des prisons russes, l’un pour espionnage, l’autre pour des délits financiers et le dernier pour une bagarre en état d’ivresse avec la police. Ils doivent être libérés, a déclaré M. Biden, pour que les affaires puissent progresser. M. Poutine a rétorqué que les États-Unis enlevaient des citoyens russes dans des pays tiers et les extradaient vers les États-Unis pour les juger devant des tribunaux américains.
M. Biden a fait référence à Navalny et à l’opposition politique en Russie. M. Poutine a rétorqué que les participants à la manifestation du Capitole (6 janvier 2021) ont été poursuivis et s’attendent à de longues peines dans les prisons américaines. Comment pouvez-vous comparer, a dit M. Blinken, ces terroristes internes qui ont pris d’assaut le Capitole avec une opposition pacifique ? Poutine aurait pu montrer les vidéos de l’entrée pacifique au Capitole, lorsque les manifestants ont été salués par la police, il aurait pu également montrer les vidéos des attaques sauvages contre la police par les partisans de Navalny en Russie ; il y a fait référence dans sa conférence de presse.
Biden a fait référence à l’Arctique, en des termes plutôt favorables (à la Russie). Blinken est alors intervenu et a accusé les Russes de militariser l’Arctique. Poutine s’est opposé. Il a déclaré que la Russie est contre la militarisation de l’Arctique ; la Russie répare son infrastructure militaire dans l’Arctique, celle qui existait à l’époque soviétique et qui s’est dégradée depuis. Les Russes ont suggéré de convoquer à nouveau les réunions régulières des chefs d’état-major qui se tenaient jusqu’en 2014, pour traiter de la question. La partie américaine n’a pas répondu à cette suggestion.
Les parties ont convenu de renvoyer leurs ambassadeurs à Moscou et à Washington, respectivement. Il reste à voir comment cela se passera. Avant que l’ambassadeur russe ne soit rappelé chez lui pour des consultations, il était traité de haut par Washington. Il ne pouvait pas joindre les responsables américains ; en raison du Kremlingate, ils avaient peur de rencontrer les diplomates russes. Si cette attitude perdure, le retour de l’ambassadeur ne sera pas d’une grande utilité.
Les parties ont convenu de poursuivre leurs négociations en juillet ; la cybersécurité et d’autres sujets seront probablement abordés à ce moment-là. Poutine a suggéré d’organiser un sommet des cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies ; il s’agit d’une vieille idée qu’il a exprimée à plusieurs reprises, mais elle n’a pas été bien accueillie par l’équipe de Biden. Le sommet n’a donné aucun résultat tangible, mais les présidents se sont rencontrés. Biden était lucide et cohérent. Il est susceptible de tenir et de survivre à nombre de ceux qui évoquent sa démence. Il s’est également montré très amical envers Poutine ; le rôle du « méchant flic » était joué par Blinken, accompagné de Victoria (« f*ck UE ») Nuland.
La référence de Biden aux mots de sa mère était tout à fait raisonnable et elle a été bien accueillie. Biden a cité sa mère disant qu’un conflit non intentionnel pouvait être pire qu’un conflit délibéré ; ce qui signifie que la Russie et les États-Unis devraient essayer d’éviter les conflits non intentionnels par le biais de réunions et de négociations. C’est également l’avis de la Russie. Biden s’est fatigué assez rapidement, et le sommet a été écourté avant l’heure.
La conférence de presse
Après la réunion, ils ont tenu leurs conférences de presse respectives. Fait inhabituel, les conférences de presse étaient totalement séparées et se sont tenues dans des lieux différents. Les journalistes américains et étrangers ont assisté à la conférence de Poutine et ont posé des questions impertinentes et offensantes. Poutine a répondu à toutes les questions. Les journalistes russes n’ont pas été admis à la conférence de Biden. Les questions posées à Biden avaient été préparées à l’avance. Il n’y a pas eu une seule question insolente ou même difficile, dans le genre: Poutine a-t-il promis de bien se comporter ?. Aucune des questions brutales que les journalistes américains posaient à Trump. Biden avait l’avantage supplémentaire de parler après Poutine, il savait ce que Poutine avait répondu.
Biden avait pour sa conférence un emplacement de choix surplombant le lac de Genève ; il avait donc l’avantage d’une bonne photo. Poutine devait parler en premier, dans une tente, sans vue. Mais d’un autre côté, Biden se tenait sous un soleil de plomb et transpirait beaucoup ; Poutine avait la climatisation. Poutine n’a pas eu peur de répondre aux questions, n’a pas marmonné et il a répondu durement, mais pas grossièrement – même si certaines questions méritaient une grossièreté réciproque.
Apparemment, les Hautes Parties Contractantes ne se sont mises d’accord sur rien, ce qui est déjà bien. Les médias occidentaux s’attendaient à ce que Biden pousse Poutine dans ses retranchements, qu’il se repente et promette de bien se comporter. Cela n’a pas fonctionné. L’arrogance de la partie américaine était frappante à chaque étape. La situation était assez difficile pour le président russe, bien qu’il soit fort, énergique et qu’il trouve facilement les mots justes. Il n’avait pas de médias flagorneurs comme Biden. Biden s’est mis en colère à la suite d’une question et a suggéré au journaliste de changer de métier. Poutine a gardé son sang-froid jusqu’au bout.
Le plus embarrassant a probablement été l’ouverture de la conférence de presse de Biden lorsqu’il a parlé de l’engagement de l’Amérique envers la démocratie et l’ouverture. J’entendais ce genre de discours quand j’avais quarante ou cinquante ans de moins, mais aujourd’hui cela semble plus qu’improbable. Hélas, les États-Unis ne sont plus le pays libre qu’ils étaient autrefois. Cependant, le sommet s’est conclu sans conséquences tragiques, ce qui est déjà une bonne chose. La vie continue.
Les suites du sommet
En Russie, il y a eu un changement radical. Si avant le voyage de Poutine, la Russie était plutôt paisible et satisfaite, dès le départ du grand homme, Moscou a sombré dans un spasme de fièvre vaccinale. Le maire de Moscou, M. Sergei Sobyanin, qui avait ordonné un confinement très sévère au printemps 2020, est revenu à ses mauvaises vieilles habitudes et a commencé à imposer la vaccination. Jusqu’au 16 juin, la vaccination était une affaire parfaitement volontaire en Russie ; disponible pour tous ceux qui le voulaient, mais personne n’était forcé de se faire vacciner. Au début du mois de juin, les responsables russes déclaraient que la pandémie était derrière nous. Poutine a explicitement dit que personne ne devait être forcé de se faire vacciner. Et apparemment, seuls 9 % de la population adulte russe se sont fait piquer. Les gens étaient plutôt satisfaits et s’en sortaient bien.
Tout cela a changé en un jour. Aujourd’hui, la propagande en faveur du vaxx est ininterrompue ; sur les réseaux sociaux, les influenceurs prêchent la haine envers les personnes irresponsables qui ont refusé le vaccin. Ils les traitent de « meurtriers » ; de nombreux employeurs ont l’intention de licencier leurs employés non vaccinés. Moscou a de nouveau introduit les QR-codes pour les restaurants. Dans la ville de Nijni, les couples non vaccinés ne peuvent pas se marier. Dans le sud, les églises et les mosquées ont été fermées aux fidèles. Le changement est si soudain, si brutal et inattendu ! Dans le même temps, les vols vers la Turquie et d’autres destinations de vacances ont repris après une longue pause. Les matchs de football de l’Euro 2020 se poursuivent dans le stade de Saint-Pétersbourg, qui est plein à craquer ; la ville a demandé à ce que les matchs de la finale soient plus nombreux.
Le sujet de la vaccination ou du Covid n’a pas été abordé lors du sommet, on ne peut donc pas dire qu’il s’agisse d’une initiative américaine. Apparemment, les maîtres du Covid ont remarqué que les Russes ont la vie trop belle. Le Dr Alexander Ginzburg, directeur de Gamaleya, le développeur et producteur du vaccin Sputnik V, a conseillé aux gens de se faire revacciner afin de se protéger du variant indien, le redoutable Delta, même s’ils ont déjà été vaccinés.
Je peux proposer une explication supplémentaire. Les classes supérieures russes veulent coller avec le mode de vie européen. Pierre le Grand, le premier empereur russe, aimait tellement les manières européennes qu’il s’en prenait aux barbes que les autochtones avaient l’habitude de laisser pousser. On raconte qu’il avait même coupé la barbe aux boyards désobéissants avec sa puissante hache. Les classes supérieures russes se sont mises à porter des perruques ; elles ont accepté de fumer du tabac au 18e siècle pour s’en passer à la fin du 20e siècle. La mode était toujours farouchement imposée. Peut-être que maintenant les habitants de Moscou, avec leur tendance à suivre la mode européenne, ont décidé d’embrasser les vaccins et les masques.
Une autre explication relie le changement à la production de vaccins. La production était assez faible ; même si elle était suffisante pour ceux qui voulaient se faire vacciner, elle ne l’aurait pas été si tous les Russes avaient voulu se faire vacciner. Aujourd’hui, la capacité de production a augmenté, mais le vaccin ne peut pas être stocké éternellement, il faut l’injecter sans attendre. Cela pourrait être une explication plausible : le désir d’utiliser les vaccins produits qui ne pouvaient pas être vendus à l’étranger, l’Occident ayant effectivement bloqué les ventes de Spoutnik et d’autres vaccins russes sur son territoire. Ils voulaient garder le marché pour Pfizer et Moderna, au lieu de le partager pour le plus grand bénéfice de la population.
(On a vu des évènements similaires en Israël, où on disposait d’un million de vaccins prêts à l’emploi, proches de leur date de péremption. Ils ont essayé de les donner à la Palestine, en échange d’une promesse de doses plus récentes en septembre, mais les Palestiniens ont refusé car ils ne pouvaient pas les utiliser dans la semaine impartie. C’est alors que les Israéliens ont décidé de vacciner les enfants).
Poutine ne s’est jamais impliqué dans les mesures de restriction covidiques. Il n’est pas allé aussi loin que le président Loukachenko qui a simplement ignoré le Covid, mais il n’a jamais appelé au confinement ou à la vaccination obligatoire. Cette tâche a été déléguée aux autorités locales, qui ont généralement été suffisamment diligentes, notamment à Moscou. Le maire a peut-être pris l’initiative en profitant du fait que Poutine était occupé ailleurs. Poutine est un leader puissant, sans aucun doute, mais ce n’est pas le chef tout puissant de la Russie. Il doit tenir compte d’autres opinions et positions, lui aussi.
N’oubliez pas que la Chine connaît la même évolution. Pendant un an, on a considéré que les Chinois avaient vaincu le virus. Il était possible de se faire vacciner, mais peu de gens l’avaient fait. En mars 2021, un million de Chinois avaient reçu un vaccin ; aujourd’hui, 700 millions ont reçu au moins une injection. Et en Chine aussi, les autorités ont fait la vie impossible à ceux qui ne voulaient pas se soumettre. En revanche, l’Ukraine n’est pas vaccinée. Ils ont refusé le vaccin russe ; l’Occident ne leur a jamais fourni de vaccins occidentaux. Mais rien de particulièrement grave n’est arrivé aux Ukrainiens. En revanche, ils traitent les covidés avec de l’Ivermectine, et leurs résultats sont meilleurs que ceux de la Pologne voisine (vaccinée).
Quoi qu’il en soit, à Genève, les présidents n’ont pas discuté de la crise du Covid ni des vaccinations ; apparemment, la ruée actuelle de la Russie vers les vaccins n’est pas directement liée au sommet, mais seulement au départ temporaire de Poutine, selon le principe « Quand le chat n’est pas là, les souris dansent ». C’est un grand soulagement : Je craignais que la vaccination tous azimuts ne soit une demande occidentale. Nous savons maintenant que ce n’est pas le cas.
Par
Israël Adam SHAMIR
https://www.unz.com/ishamir/geneva-rendezvous/
Traduction: MP
VOIR AUSSI :
Biden-Poutine, un Yalta II plutôt qu’un nouveau Berlin par Thierry Meyssan :
Les États-Unis, vaincus à plate couture en Syrie, se sont rendus à Genève accepter les conditions du vainqueur, la Russie. Le sommet du 16 juin 2021 devrait mettre un terme aux hostilités à la condition que l’Administration Biden tienne ses troupes. Les Européens de l’Ouest devront payer l’addition. La Chine se voit confirmée dans sa position de partenaire de la Russie.
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