lundi 7 mars 2022

Comment le "super menteur" Zemmour déforme l’Histoire (2/5)

À l’heure du soupçon, il y a deux attitudes possibles. Celle de la désillusion et du renoncement, d’une part, nourrie par le constat que le temps de la réflexion et celui de la décision n’ont plus rien en commun ; celle d’un regain d’attention, d’autre part, dont témoignent le retour des cahiers de doléances et la réactivation d’un débat d’ampleur nationale. Notre liberté de penser, comme au vrai toutes nos libertés, ne peut s’exercer en dehors de notre volonté de comprendre. Voilà pourquoi la collection « Tracts » fera entrer les femmes et les hommes de lettres dans le débat, en accueillant des essais en prise avec leur temps mais riches de la distance propre à leur singularité. Ces voix doivent se faire entendre en tous lieux, comme ce fut le cas des grands « tracts de la NRF » qui parurent dans les années 1930, signés par André Gide, Jules Romains, Thomas Mann ou Jean Giono – lequel rappelait en son temps : « Nous vivons les mots quand ils sont justes. » Puissions-nous tous ensemble faire revivre cette belle exigence.  ANTOINE GALLIMARD

1240 – SAINT LOUIS N’EST PAS UN ROI JUIF

« Le roi de France descend du roi David ; le peuple français descend du peuple d’Israël : la langue française même, au-delà de ses origines latines ou grecques, tire sa source de l’hébreu. Rien n’arrêtera les historiographes des monarques capétiens dans la quête de leurs racines juives. » Éric Zemmour, Destin français, op. cit., p. 86.   

Mort de Saint Louis: un médecin légiste a rouvert ce "cold case"
Mort de de Saint Louis à Tunis

Commençons par dissiper un malentendu : Éric Zemmour ne prétend pas que les rois de France descendent vraiment de David, il reprend les termes des auteurs médiévaux qui subliment la monarchie comme héritière des rois d’Israël. Là où il dépasse leur pensée, c’est quand il affirme que les rois de France chercheraient des « racines juives » : les racines que recherchent les rois médiévaux sont bibliques, et non pas juives, ce qui représente une grande différence.
La monarchie française, et particulièrement celle de Louis IX (le futur saint Louis [1]), cherche à présenter le peuple franc comme le nouveau peuple élu, et la France comme une nouvelle terre promise, le tout en s’appuyant sur une rhétorique antisémite et xénophobe très marquée.
Les juifs,
en tant que peuple, ne sont jamais un modèle pour les rois de France.
Dans ce passage, Éric Zemmour tord fortement les travaux d’historiens et
d’historiennes, de même que les sources médiévales. Pourquoi ? Parce qu’il s’agit pour lui de présenter la monarchie française comme une synthèse entre « universalisme chrétien » et « nationalisme juif ». La monarchie réussirait là où le judaïsme aurait échoué : constituer une nation élue, croyant en un destin privilégié.
Cette volonté de mettre en avant les liens entre chrétienté médiévale
et judaïsme est caractéristique de la nouvelle extrême droite, car elle permet à la fois d’unir les deux contre un ennemi commun (l’islam/les musulmans) et de faire de l’État d’Israël l’exemple même d’un nationalisme méritoire, donc un allié.
Or ce lien minore évidemment les violences médiévales contre les juifs, qu’Éric Zemmour ne fait qu’évoquer en passant : quelques juifs sont brûlés, on expulse puis on annule l’expulsion, explique-t-il. Pourtant, ces violences sont tout sauf anecdotiques et constituent même le cœur de la construction monarchique française. La naissance de la nation française se fait largement au détriment des juifs et d’ailleurs de toute autre minorité religieuse : le roi très- chrétien français expulse et spolie les juifs de son royaume afin d’y affirmer son droit de vie et de mort, puis il les réintègre jusqu’à leur expulsion finale en 1394.
La violence que représente un pouvoir qui se croit investi d’un destin
privilégié et qui cherche à unifier religieusement son territoire est fondamentale. La « souillure » que représentent les juifs pour Louis IX – des hommes et des femmes bien réels, et non pas les modèles mythiques de David et Salomon – justifie des persécutions politiques récurrentes. Éric Zemmour les minimise, préférant rêver à un nationalisme anachronique. [2]

1359 – LE GRAND FERRÉ N’EST PAS UN HÉROS PATRIOTE
« “Le Grand Ferré”. Il va incarner le peuple de France... Alors le peuple se
rebelle contre la trahison des élites prédatrices et leur rappelle le chemin du patriotisme. Le Grand Ferré n’a plus jamais rangé sa hache au rayon des accessoires. » Éric Zemmour, Destin français, op. cit., p. 103-109.  

Éric Zemmour s’appuie sur une idée déjà ancienne : les révoltes de la fin du Moyen Âge préfigurent la Révolution française et illustrent la volonté du peuple français de prendre son destin en main. Quitte à prêter aux acteurs des intentions qui n’étaient pas les leurs...
Ainsi du Grand Ferré, héros paysan de la guerre de Cent Ans.
Celui-ci
organise la résistance de son village et hache menu (littéralement) les Anglais qui les menacent. Il a été présenté par les auteurs de la IIIe République au XIXe siècle comme un homme du peuple qui a su s’élever au-dessus de sa condition en réussissant là où les nobles ont échoué : combattre et vaincre l’envahisseur, à un moment où les armées françaises ne parviennent pas à protéger les campagnes des exactions des mercenaires.
Le Grand Ferré représente-t-il une forme de révolte contre les élites ?
Peut-
être. Peut-être même a-t-il participé aux grandes révoltes, les Jacqueries, contre la noblesse incapable de protéger ses communautés rurales des violences de la guerre. Pourtant, quand il s’agit de se défendre contre les Anglais, le Grand Ferré agit avec l’accord des seigneurs locaux, à qui il a demandé l’autorisation de s’armer et d’établir des fortifications. On est loin ici d’une remise en cause de l’ordre social. Plus encore, le patriotisme du Grand Ferré est une invention du XIXe siècle :  les sources médiévales permettent surtout de dire que ce héros paysan, comme les gens qui se battent avec lui, défendent leur vie, leur communauté, leur terre locale, et non le royaume ou la nation qui ne sont encore que des réalités très abstraites et peu ancrées dans les esprits. 

Les auteurs du XIXe siècle faisaient du Grand Ferré un héros patriote, résistant contre l’envahisseur. Éric Zemmour va plus loin : il en fait le héros de la révolte armée contre des élites prédatrices qui ont oublié le peuple français. Il parle de la faillite des nobles et de la monarchie, mais aussi des élites marchandes parisiennes, des élites cosmopolites enrichies par le commerce de la « ville-monde » qui ont trahi les campagnes après leur avoir fait miroiter monts et merveilles. Les résonances contemporaines sont évidentes : les élites politiques et financières contre le peuple qui, lui, serait porteur des vraies valeurs nationales. Difficile de ne pas voir dans la dernière phrase, « Le Grand Ferré n’a plus jamais rangé sa hache au rayon des accessoires », un appel à l’usage de la violence contre des élites qui ont trahi l’intérêt national.
La hache
doit-elle vraiment faire son retour comme instrument du débat politique ?

1572 – LES VICTIMES NE SONT PAS LES BOURREAUX
« Il faudrait un implacable Richelieu combattant sans relâche “l’État dans l’État” et “les partis de l’étranger” pour abattre les La Rochelle islamiques qui s’édifient sur tout le territoire. » Éric Zemmour, Le Suicide français, Albin Michel, 2014, p. 526.   

Rejetant toute repentance, Éric Zemmour ne pleure pas les milliers de protestants, hommes, femmes et enfants assassinés par des catholiques en 1572. Il regrette qu’on n’ait alors pas fini le travail : la « vague » protestante était très haute, « la Saint-Barthélemy l’a repoussée mais ne l’a pas brisée » (Destin français, p. 332).
Massacre de la Saint-Barthélemy : assassinat des protestants le 24 août 1572 Fichier:Assassinat de Coligny et massacre de la Saint-Barthélemy.jpg —  Wikipédia

Plongeons dans sa lecture du massacre.
À ses yeux, les musulmans sont les
nouveaux huguenots ; l’enjeu souterrain de la Saint-Barthélemy, c’est donc le prétendu grand remplacement. Le massacre est un geste de résistance, par lequel la France catholique refuse de céder devant l’envahisseur protestant, venu d’Allemagne – même si Calvin est en réalité picard. Il faut donc en finir par la force avec les minorités avant que celles-ci n’en finissent avec nous.
Comme toujours, Éric Zemmour inverse les rôles, transformant les victimes en
bourreaux.
À ses yeux, le massacre est la conséquence du « fondamentalisme
huguenot », la réponse justifiée à l’arrogance des protestants « intolérants, persécuteurs de catholiques » (Mélancolie française, p. 25).
Que les huguenots
n’aient jamais représenté plus de dix pour cent du royaume et aient fort peu massacré ne gêne guère sa démonstration. Force est de constater pourtant que la Michelade de Nîmes (1567), aussi tragique soit-elle avec quatre-vingts morts catholiques, n’a rien de comparable avec les dix mille victimes de la Saint- Barthélemy ni même avec les nombreux massacres antérieurs de protestants (Wassy, Tours, Sens, Amiens, Toulouse, etc.).
« Nous sommes tous des Catherine de Médicis », proclame Éric Zemmour (Mélancolie française, p. 26). Coming out féministe ? Pas vraiment. Pour lui, l’histoire ne s’écrit qu’au masculin. Des hommes finiront l’histoire que « l’Italienne » avait par faiblesse à peine ébauchée. Richelieu parviendra à éradiquer le protestantisme, grâce au siège de La Rochelle (1628, plus de vingt mille morts) et Louis XIV révoquera l’édit de Nantes (1685).
Si l’extirpation de
l’hérésie protestante a échoué en 1572, c’est donc pour Éric Zemmour à cause de Catherine qui, à l’image de « nos élites », est « hésitante » et « tolérante ». Catherine gouverne à l’émotion : après avoir célébré le mariage de sa fille avec le huguenot Henri de Navarre le 18 août 1572, elle ordonne « affolée », le 22 août, l’assassinat de l’amiral Coligny puis « cède aux sirènes du machiavélisme le plus fruste » en commandant la mise à mort des « huguenots de guerre », déclenchant la « fureur exterminatrice » du « peuple de Paris » (Destin français, p. 299).
En réalité, ce sont les Guise, zélés catholiques, et non
Catherine qui commanditent l’attentat contre Coligny. C’est non « en panique », mais par calcul, qu’elle ordonne l’assassinat préventif des meneurs protestants. Enfin, les huguenots ont été massacrés non par la populace mais par de bons bourgeois, des voisins miliciens, catholiques fondamentalistes, chauffés depuis une décennie par une armée de prêcheurs de haine. Des zemmouriens.

Article précédent :  Comment le "super menteur" Zemmour déforme l’Histoire (1/5)

 à suivre

NOTES de H. Genséric

[1] USA. Appels à abattre la statue du roi Louis IX à St Louis

Interview autour du livre « L’Autre Zemmour » 

[2] Sur les célébrités bibliques et le symbolisme juif :

le personnage du roi David est perçu par de nombreux érudits contemporains et amateurs de LGBTQ comme une icône gay. Les érudits bibliques qui souscrivent à cette idée soulignent l’histoire d’amour de David avec Jonathan. Dans Samuel 2 1:26, le roi hébreu écrit: «Je suis en peine pour toi, Jonathan mon frère; tu m'étais très cher. Votre amour pour moi était merveilleux, plus merveilleux que celui des femmes. »

Certains érudits considèrent cette preuve d'attraction du même sexe  allait au-delà d'une affaire platonique. Une autre preuve vient de l'exclamation du roi Saül à son fils Jonathan à la table du dîner: "Je sais que vous avez choisi le fils de Jessé - ce qui est une honte pour vous et la nudité de votre mère!".

 En 1993, l'homosexualité du roi David a été intégrée à la Knesset israélienne. Yael Dayan, à l'époque membre du parti travailliste à la Knesset, a évoqué l'homosexualité du roi David au Parlement israélien et cité les versets bibliques pertinents.

Si le roi David était homosexuel, comment peut-il avoir des descendants ? Zemmour vous dira que c'est  un miracle juif .

VOIR AUSSI

Youssef Hindi : "On peut voir le phénomène Zemmour comme un contre-feu allumé par l’oligarchie"

Hannibal Genséric

2 commentaires:

  1. Zemmour pour le président de la France ?? Pourquoi pas B Henry-Lévy ?? Ou encore mieux J Attali ??

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  2. L'homme en general est tellement aveugle et pourri que le mot ou le concept "amour" n'évoque toujours et que la pourriture qui est en lui. Et il a aussi le delire de faire des discours, d'ecrires des livres, etc. pour demontrer, justifier, legaliser, imposer aux autres sa vision aveugle et pourri de l'amour.

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