1240 – SAINT
LOUIS N’EST PAS UN ROI JUIF
« Le roi de France descend du roi David ; le peuple français descend du peuple d’Israël : la langue française même, au-delà de ses origines latines ou grecques, tire sa source de l’hébreu. Rien n’arrêtera les historiographes des monarques capétiens dans la quête de leurs racines juives. » Éric Zemmour, Destin français, op. cit., p. 86.
Mort de de Saint Louis à Tunis |
Commençons
par dissiper un malentendu : Éric Zemmour ne prétend pas que les rois de France
descendent vraiment de David, il reprend les termes des auteurs médiévaux qui subliment
la monarchie comme héritière des rois d’Israël. Là où il dépasse leur pensée, c’est quand il
affirme que les rois de France chercheraient des « racines juives » : les
racines que recherchent les rois médiévaux sont bibliques, et non pas juives, ce qui
représente une grande différence.
La monarchie française, et
particulièrement celle de Louis IX (le futur saint Louis [1]), cherche à présenter le peuple
franc comme le nouveau peuple élu, et la France comme une nouvelle terre
promise, le tout en s’appuyant sur une rhétorique antisémite et xénophobe
très marquée.
Les juifs, en tant que peuple, ne sont jamais un modèle pour les
rois de France.
Dans ce passage, Éric Zemmour tord fortement les
travaux d’historiens et d’historiennes, de même que les sources médiévales.
Pourquoi ? Parce qu’il s’agit pour lui de présenter la monarchie française
comme une synthèse entre « universalisme chrétien » et « nationalisme juif ».
La monarchie réussirait là où le judaïsme aurait échoué : constituer une nation
élue, croyant en un destin privilégié.
Cette volonté de mettre en avant les liens
entre chrétienté médiévale et judaïsme est caractéristique de la nouvelle extrême
droite, car elle permet à la fois d’unir les deux contre un ennemi commun
(l’islam/les musulmans) et de faire de l’État d’Israël l’exemple même d’un
nationalisme méritoire, donc un allié.
Or ce lien minore évidemment les violences médiévales
contre les juifs, qu’Éric Zemmour ne fait qu’évoquer en passant :
quelques juifs sont brûlés, on expulse puis on annule l’expulsion, explique-t-il.
Pourtant, ces violences sont tout sauf anecdotiques et constituent même le cœur de
la construction monarchique française. La naissance de la nation
française se fait largement au détriment des juifs et d’ailleurs de toute autre minorité
religieuse : le roi très- chrétien français expulse et spolie les juifs de son
royaume afin d’y affirmer son droit de vie et de mort, puis il les réintègre jusqu’à
leur expulsion finale en 1394.
La violence que représente un pouvoir qui se
croit investi d’un destin privilégié et qui cherche à unifier religieusement son
territoire est fondamentale.
La « souillure » que représentent les juifs pour Louis IX – des hommes et des femmes bien
réels, et non pas les modèles mythiques de David et Salomon – justifie des persécutions politiques
récurrentes. Éric Zemmour les minimise, préférant rêver à un nationalisme
anachronique. [2]
1359 – LE GRAND FERRÉ N’EST PAS UN HÉROS PATRIOTE
« “Le Grand Ferré”. Il va incarner le peuple de
France... Alors le peuple se rebelle contre la trahison des élites prédatrices
et leur rappelle le chemin du patriotisme. Le Grand Ferré n’a plus jamais rangé
sa hache au rayon des
accessoires. » Éric Zemmour,
Destin français, op. cit., p. 103-109.
Éric Zemmour s’appuie sur une idée déjà ancienne : les révoltes de la
fin du
Moyen Âge préfigurent la Révolution française et
illustrent la volonté du
peuple français de prendre son destin en main.
Quitte à prêter aux acteurs des intentions qui n’étaient pas les leurs...
Ainsi du Grand Ferré, héros paysan de la guerre de Cent Ans.
Celui-ci organise la résistance de son village et hache menu (littéralement) les
Anglais
qui les menacent. Il a été présenté par les auteurs
de la IIIe République au XIXe siècle comme un homme du peuple qui a su s’élever au-dessus
de sa condition
en réussissant là où les nobles ont échoué :
combattre et vaincre l’envahisseur, à un moment où les
armées françaises ne parviennent pas à protéger les campagnes des exactions des mercenaires.
Le Grand Ferré
représente-t-il une forme de révolte contre les élites ?
Peut- être. Peut-être même a-t-il participé aux grandes révoltes, les
Jacqueries, contre
la noblesse incapable de protéger ses communautés
rurales des violences de la guerre. Pourtant, quand il s’agit de se défendre
contre les Anglais, le Grand Ferré agit avec l’accord des seigneurs locaux, à
qui il a demandé l’autorisation de s’armer et d’établir des fortifications. On est
loin ici d’une remise en cause de l’ordre social. Plus encore, le patriotisme du
Grand Ferré est une invention du XIXe siècle : les sources médiévales permettent surtout de
dire que ce héros
paysan, comme les gens qui se battent avec lui,
défendent leur vie, leur
communauté, leur terre locale, et non le royaume ou
la nation qui ne sont
encore que des réalités très abstraites et peu
ancrées dans les esprits.
Les auteurs du XIXe siècle faisaient du Grand Ferré
un héros patriote,
résistant contre l’envahisseur. Éric Zemmour va
plus loin : il en fait le héros de la révolte armée
contre des élites prédatrices qui ont oublié le peuple français. Il parle de la faillite des nobles et de la monarchie, mais aussi des
élites
marchandes parisiennes, des élites cosmopolites
enrichies par le commerce de la « ville-monde » qui ont trahi les campagnes
après leur avoir fait miroiter monts et merveilles. Les résonances contemporaines
sont évidentes : les élites politiques et financières contre le peuple qui,
lui, serait porteur des vraies valeurs nationales. Difficile de ne pas voir dans
la dernière phrase, « Le Grand Ferré n’a plus jamais rangé sa hache au rayon des
accessoires », un appel à
l’usage de la violence contre des élites qui ont
trahi l’intérêt national.
La hache doit-elle
vraiment faire son retour comme instrument du débat politique ?
1572 – LES VICTIMES NE SONT PAS LES
BOURREAUX
« Il faudrait un implacable Richelieu combattant
sans relâche “l’État dans
l’État” et “les partis de l’étranger” pour abattre
les La Rochelle islamiques qui s’édifient sur tout le territoire. » Éric Zemmour, Le Suicide français, Albin Michel, 2014, p. 526.
Rejetant toute
repentance, Éric Zemmour ne pleure pas les milliers de protestants, hommes, femmes et enfants assassinés par des catholiques en 1572. Il regrette qu’on n’ait alors pas fini le travail : la « vague
» protestante
était très haute, « la Saint-Barthélemy l’a
repoussée mais ne l’a pas brisée » (Destin
français, p. 332).
Plongeons dans sa lecture du massacre.
À ses yeux,
les musulmans sont les
nouveaux huguenots ; l’enjeu souterrain de la
Saint-Barthélemy, c’est donc le prétendu grand remplacement. Le massacre est un
geste de résistance, par
lequel la France catholique refuse de céder devant
l’envahisseur protestant,
venu d’Allemagne – même si Calvin est en réalité
picard. Il faut donc en finir par la force avec les minorités avant que celles-ci
n’en finissent avec nous.
Comme toujours, Éric Zemmour inverse les rôles,
transformant les victimes en bourreaux.
À ses yeux, le massacre est la
conséquence du « fondamentalisme huguenot », la
réponse justifiée à l’arrogance des protestants « intolérants, persécuteurs de catholiques » (Mélancolie française, p. 25).
Que les
huguenots
n’aient jamais représenté plus de dix pour cent du
royaume et aient fort peu
massacré ne gêne guère sa démonstration. Force est
de constater pourtant que
la Michelade de Nîmes (1567), aussi tragique
soit-elle avec quatre-vingts morts catholiques, n’a
rien de comparable avec les dix mille victimes de la Saint- Barthélemy ni même
avec les nombreux massacres antérieurs de protestants (Wassy, Tours, Sens, Amiens, Toulouse, etc.).
« Nous sommes tous des Catherine de Médicis », proclame Éric Zemmour (Mélancolie française, p. 26). Coming out féministe ? Pas vraiment. Pour
lui, l’histoire ne s’écrit qu’au masculin. Des hommes finiront l’histoire que « l’Italienne » avait par faiblesse à peine ébauchée. Richelieu
parviendra à
éradiquer le protestantisme, grâce au siège de La
Rochelle (1628, plus de vingt mille morts) et Louis XIV révoquera l’édit de
Nantes (1685).
Si l’extirpation de l’hérésie
protestante a échoué en 1572, c’est donc pour Éric Zemmour à cause de Catherine qui, à l’image de « nos élites », est « hésitante » et «
tolérante ».
Catherine gouverne à l’émotion : après avoir
célébré le mariage de sa fille avec le huguenot
Henri de Navarre le 18 août 1572, elle ordonne « affolée », le 22 août, l’assassinat de l’amiral Coligny puis « cède aux sirènes du machiavélisme le plus fruste » en commandant la mise à mort des «
huguenots
de guerre », déclenchant la « fureur exterminatrice
» du « peuple de Paris »
(Destin français, p. 299).
En réalité, ce sont les
Guise, zélés catholiques, et non Catherine qui
commanditent l’attentat contre Coligny. C’est non « en panique », mais par calcul, qu’elle ordonne l’assassinat préventif des
meneurs
protestants. Enfin, les huguenots ont été massacrés
non par la populace mais
par de bons bourgeois, des voisins miliciens,
catholiques fondamentalistes, chauffés depuis une décennie par une armée de
prêcheurs de haine. Des zemmouriens.
Article précédent : Comment le "super menteur" Zemmour déforme l’Histoire (1/5)
à suivre
NOTES de H. Genséric
[1] USA. Appels à abattre la statue du roi Louis IX à St Louis
- Interview autour du livre « L’Autre Zemmour »
[2] Sur
les célébrités bibliques et le symbolisme juif :
le personnage du roi David est perçu par de nombreux érudits contemporains et amateurs de LGBTQ comme une icône gay. Les érudits bibliques qui souscrivent à cette idée soulignent l’histoire d’amour de David avec Jonathan. Dans Samuel 2 1:26, le roi hébreu écrit: «Je suis en peine pour toi, Jonathan mon frère; tu m'étais très cher. Votre amour pour moi était merveilleux, plus merveilleux que celui des femmes. »
Certains érudits considèrent cette preuve d'attraction du même sexe allait au-delà d'une affaire platonique. Une autre preuve vient de l'exclamation du roi Saül à son fils Jonathan à la table du dîner: "Je sais que vous avez choisi le fils de Jessé - ce qui est une honte pour vous et la nudité de votre mère!".
En 1993, l'homosexualité du roi David a été intégrée à la Knesset israélienne. Yael Dayan, à l'époque membre du parti travailliste à la Knesset, a évoqué l'homosexualité du roi David au Parlement israélien et cité les versets bibliques pertinents.
Si le roi David était homosexuel, comment peut-il avoir des descendants ? Zemmour vous dira que c'est un miracle juif .
VOIR AUSSI
- Youssef Hindi : "On peut voir le phénomène Zemmour comme un contre-feu allumé par l’oligarchie"
Hannibal Genséric
Zemmour pour le président de la France ?? Pourquoi pas B Henry-Lévy ?? Ou encore mieux J Attali ??
RépondreSupprimerL'homme en general est tellement aveugle et pourri que le mot ou le concept "amour" n'évoque toujours et que la pourriture qui est en lui. Et il a aussi le delire de faire des discours, d'ecrires des livres, etc. pour demontrer, justifier, legaliser, imposer aux autres sa vision aveugle et pourri de l'amour.
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