lundi 5 février 2018

Syrie. Les mauvais choix de Washington peuvent mener à une guerre contre la Turquie



Les conséquences des choix contradictoires des États-Unis en Syrie commencent à apparaître. Les efforts obsessionnels pour faire avancer les objectifs géopolitiques avec la guerre, le chaos, les trahisons et les alliances hésitantes nous ont amenés aux événements récents dans le nord de la Syrie à la frontière avec la Turquie dans l'enclave kurde d'Afrin.

L'image globale des alliances et des alignements, en particulier dans le nord de la Syrie, n'est plus simple et nécessite quelques précisions. Les Kurdes (PKK / YPG) en Syrie sont essentiellement des alliés des États-Unis et d’Israël. Ils utilisent le territoire sous leur contrôle pour former des djihadistes supplémentaires afin de propager le chaos dans le pays. En particulier, il y a plus de dix bases militaires américaines en Syrie, violant toutes sortes de lois internationales. Selon les médias de propagande  occidentaux, « les Kurdes seraient d'excellents combattants en raison de leur capacité à combattre Daech ». Mais en regardant la situation plus honnêtement, la collusion avec Daech des les États-Unis et des pays alliés dans la région est évidente, en particulier Israël, l’Arabie saoudite et les EAU. La fourniture à Daech de soins de santé, d'armes, de logistique, de renseignements, de soutien financier et diplomatique n'a jamais manqué au fil des ans. Il semble évident que les Kurdes (sous le nom de SDF) ont souvent trouvé un accommodement facile avec les terroristes islamistes de Daech, s’accordant mutuellement des relocalisations volontaires aux combattants dans les zones adjacentes à l'Armée Arabe Syrienne (AAS). Des politiciens et des généraux américains et israéliens ont déclaré ouvertement qu'il ne sert à rien de combattre Daech si cela finit par profiter à Assad.

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La zone kurde en Syrie est divisée entre les zones à l'est et à l'ouest de l'Euphrate. Le canton d'Afrin est sous protection russe, la police militaire russe était présente à Afrin il y a quelques jours,  et les Russes contrôlent les airs. La zone kurde à l'est de l'Euphrate, qui va jusqu’en Irak, et qui cherche ouvertement l'indépendance, est sous contrôle américain et menace évidemment l'intégrité territoriale de la Syrie. C'est le résultat d'un plan stratégique américain B conçu par Brookings en 2009 qui continue à donner de l'espoir aux néocons de Washington. Mais comme nous le verrons, c'est un espoir perdu.
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Après la libération d'Alep, les relations entre Damas et les Kurdes d'Afrin ont connu des premiers progrès, grâce à la diplomatie russe. Le compromis temporaire entre Damas et les Kurdes a vu Moscou déployer un nombre symbolique de policiers militaires russes à Afrin, la défense aérienne beaucoup plus importante étant garantie par la portée opérationnelle des systèmes de défense aérienne S-400 déployés en Syrie.
En attendant, les progrès de l'accord diplomatique et de négociation entre Ankara, Moscou et Téhéran portent leurs fruits, diminuant l'importance des pourparlers de paix de Genève sur la Syrie.
Les événements de ces derniers jours sont le résultat combiné des actions néfastes des États-Unis, de l'incompétence des Kurdes et des superbes actions diplomatiques et stratégiques de Damas et de Moscou.
Le point de départ pour l'Iran, la Russie, la Syrie et la Turquie concerne l'unité territoriale de la Syrie. Les pays opposés à cela sont clairement les États-Unis, Israël et l'Arabie Saoudite.
Les Kurdes de Rojava revendiquent leur indépendance, et se voient donc facilement comme des alliés des États-Unis, ouvertement soutenus par Israël (cas du référendum sur l'indépendance) et même par les Saoudiens. Les Kurdes d'Afrin sont dans une position différente, ce qui explique pourquoi Moscou s'est retrouvée face à une situation parfaite, le résultat de plusieurs mois de travail diplomatique, lui permettant d'obtenir un tiercé stratégique. Moscou a d'abord accepté le bluff kurde, qui a consisté à refuser l'entrée de l’AAS à Afrin et refuser le retour du canton aux frontières qui ont précédé le chaos qui a commencé en 2011 (quand les Kurdes avaient en fait leur autonomie de Damas). Moscou avait probablement garanti à Erdogan que si les Kurdes d'Afrin refusaient l'entrée des troupes de l’AAS dans la ville, l'opération militaire d'Ankara serait autorisée et justifiée. Peut-être que Poutine aurait pu persuader Erdogan de reporter l'Opération Olive Branch, mais il ne l'a pas fait, et la raison en est en rapport avec les considérations stratégiques en jeu.
L'objectif de Damas, Moscou et Téhéran est le retrait des États-Unis de la Syrie. Bien sûr, ils se battent actuellement par procuration contre l'Amérique dans la région, mais les semis du chaos qui ont été semés dans le pays devront être déracinés sur le long terme. L'action militaire d'Erdogan dans la région d'Afrin met directement en cause les intérêts de Washington et d'Ankara. Erdogan est conscient de ce que fait Poutine, mais il s'intéresse davantage à ce que Trump fait avec les Kurdes le long de sa frontière qu'avec l'unité territoriale de la Syrie et de l'Irak. Washington est dos au mur, obligé de défendre un allié kurde contre un membre clé de l'OTAN, dans l'espoir désespéré de conserver une certaine importance dans le tableau syrien. La faiblesse de la position américaine les conduira à abandonner leur allié kurde à son destin aux mains de Moscou et de Damas, qui auront tout le poids nécessaire auprès des Kurdes pour obtenir ce qu'ils veulent pour le bien de la Syrie. Il y a déjà des rumeurs selon lesquelles des troupes de l'armée syrienne entreraient dans la ville d'Afrin à l'invitation des Kurdes. Les Kurdes le nient, mais nous verrons pendant combien de temps ils pourront résister à Erdogan, qui trouve la route devant lui claire pour forcer Washington à rompre avec son allié kurde si une guerre meurtrière entre alliés de l'OTAN doit être évitée.
Nous pouvons imaginer les pensées et les impressions des diplomates dans les chancelleries du monde, alors qu'ils observent l'habileté diplomatique de Moscou, capable de garantir l'intégrité territoriale de la Syrie au détriment de deux membres de l'OTAN ennemis d’Assad.
Hannibal GENSERIC