Décidément,
le crash du F16 israélien fait parler dans les chaumières
et le Hezbollah n'a pas tout à fait tort de parler d'une "nouvelle phase
stratégique", comme le montre un très intéressant article d'Atimes.
Il faut
remonter à 1983 (!) pour voir le dernier avion de l'aviation israélienne
abattu. Durant des décennies, cette dernière s'est cru maîtresse des ciels
moyen-orientaux et agissait en toute liberté - Irak (réacteur d'Osirak en 1981), Liban en 2006, Syrie (le
mystérieux bombardement de 2007 puis les nombreuses incursions depuis
le début de la guerre civile en 2011).
Trente-quatre
ans d'impunité jusqu'à ce fatal 10 février 2018. On comprend que la pilule ait
du mal à passer à Tel Aviv...
Pire, la
cause de tout ce ramdam ne serait qu'un vulgaire et antique S-200, peut-être
tout de même amélioré par les Russes. Cela donne en tout cas du crédit à un autre incident que nous avions rapporté il y a quatre mois
:
Coïncidence ou pas, il s'est encore passé
quelque chose d'intrigant dans le ciel syrien il y a quelques jours. Le 16
octobre, un énième incident aérien a eu lieu entre Tel Aviv et Damas, des jets
israéliens bombardant une batterie antiaérienne prétextant un tir
syrien contre deux avions ayant auparavant survolé le Liban. Jusqu'ici, rien
que de très habituel même si l'affaire était presque concomitante à la visite
de Choïgu en Israël, ce que d'aucuns ont vu comme une petite démonstration de
force vis-à-vis de Moscou (précisons tout de même que les Russes ont été prévenus de l'attaque).
Manque de bol pour Bibi la Terreur, il y a
comme un air de couac. Que le ministre syrien de la Défense déclare que l'un
des deux F-35 israéliens ait été touché par un missile participe de la
traditionnelle guerre de l'information et il est difficile de confirmer ou
d'infirmer les dires de Damas. Plus intéressant, la presse israélienne a reconnu que le même
jour, un F-35 avait été endommagé par... des oiseaux
(!) et qu'il prenait la direction du garage.
D'ici à penser que l'avion a en réalité été
touché par un vieux S200 syrien de l'époque soviétique, démontrant encore une
fois l'inanité du chasseur furtif le plus cher de l'histoire, il n'y a qu'un
pas que beaucoup envisagent de franchir.
F35
endommagé et F16 abattu par les S-200, confirmant ce que nous rapportions
l'année dernière, à savoir que les Russes avaient décidé de réhabiliter et
améliorer la défense anti-aérienne syrienne (désolé cher lecteur, je ne
retrouve plus le billet en question).
Pour
Israël, c'est tout sauf une bonne nouvelle et cela rappelle le flop stratégique
de la guerre du Kippour de 1973. Lors de celle des Six jours (1967), la
supériorité aérienne israélienne avait fait merveille et permis une victoire
rapide. L'URSS avait alors décidé de fournir à son allié égyptien des systèmes
anti-aériens performants. Résultat six ans plus tard : 102 avions israéliens
abattus sur 383. Seule la livraison en urgence de jets par les Américains avait
permis à l'IAF de rester opérationnelle.
Bis
repetita ? Dans un contexte de montée de tension entre Israël et le binôme
Hezbollah-Iran (dont la présence en Syrie, notamment du sud près de la
frontière israélienne, se fait sentir chaque jour un peu plus, profitant du
relatif flou de l'accord Poutine-Trump), Tel Aviv ne dispose que
d'un atout majeur : sa supposée supériorité aérienne. Que celle-ci soit mise à
mal et c'est son château de cartes stratégique qui s'écroule.
D'autant
qu'en face, le Hezbollah posséderait 100 000 missiles pointés vers le sud et
qui ne demandent qu'à décoller en cas de conflit. Sans compter les énormes
dividendes retirés de sa participation dans le conflit syrien, comme nous l'expliquions il y a deux ans déjà :
Le Hezbollah a vu avec horreur l'avancée des
takfiris sunnites en Syrie à partir de 2012. Idéologiquement et stratégiquement
(rupture du croissant chiite, donc de l'approvisionnement iranien), une Syrie
qatarisée ou saoudisée était un coup mortel porté au mouvement chiite libanais.
Aussi, personne n'a vraiment été surpris quand Hassan Nasrallah décida de voler
au secours de Bachar en 2013, envoyant des milliers de combattants, d'abord à
la frontière syro-libanaise puis partout en Syrie.
Par contrecoup, Israël a longtemps flirté
avec Al Qaeda, soignant quelques djihadistes par-ci, fournissant quelques armes
par-là, sans doute plus pour embêter Assad et le Hezbollah que pour réellement
provoquer une victoire djihadiste.
On en était là quand l'intervention russe a
sérieusement rebattu les cartes, Tel Aviv et Beyrouth-Sud se mettant sur leur
31 pour courtiser Poutine.
L'alliance entre Moscou et le Hezbollah est
logique, presque naturelle. Mêmes alliés (Assad, Téhéran), même farouche
opposition à l'islamisme sunnite. La tolérance absolue du Hezbollah envers les
chrétiens d'Orient (voir ces étonnantes
photos des combattants chiites au garde-à-vous devant Jésus dans des
villages chrétiens syriens libérés) joue également en sa faveur, la Russie se considérant
comme la protectrice du christianisme moyen-oriental. Alarmé, Netanyahou s'est alors
précipité à Moscou faire des ronds de jambe à Poutine. On avait connu Bibi
la Terreur moins placide...
Ce voyage n'a pas empêché le Hezbollah de
mettre la main sur des armements russes. Qu'ils aient été livrés par les
Syriens qui les avaient eux-mêmes reçus (plus probable) ou livrés directement
par Moscou selon les
dires de hauts responsables du mouvement chiite, cela importe somme tout
assez peu.
L'état-major de Tsahal est plus que remué,
notamment par le fait que le mouvement libanais est vraisemblablement en
possession de missiles de croisière supersoniques Yakhont. Les récentes
déclarations de Nasrallah - "les stock de gaz ammoniac d'Haïfa sont
notre bombe nucléaire" - ont également provoqué la panique en Israël où
l'on considère sérieusement transférer les usines chimiques dans le sud du
pays, à un coût exorbitant.
Les sacrifices auxquels se soumet le Hezbollah
en Syrie pourraient finalement lui rapporter gros. L'espèce d'équilibre de la
terreur en train de s'installer avec Israël est une assurance contre toute
intervention militaire future de l'Etat hébreux et pérennise la présence du
"parti de Dieu" au Liban. Il convient de mettre tout cela en relation
avec la brusque
décision de
l'Arabie saoudite de couper son aide financière
militaire à Beyrouth et des pétromonarchies fondamentalistes du Golfe d'appeler
sans rire leurs ressortissants à quitter le pays, arguant de la "mainmise
du Hezbollah sur l'Etat libanais".
On
imagine aisément la sueur perler au front des stratèges dans les officines de
Washington, Tel Aviv et Riyad. Quant aux Russes, ils se retrouvent plus que
jamais au centre du jeu, Le Kremlin est créditeur de Damas, du Hezbollah et de
Téhéran qui lui doivent tout ou presque. Les Israéliens, Saoudiens ou Turcs
quant à eux sont obligés de passer par la case Moscou pour quémander des
concessions face à leurs adversaires.
Source :http://www.chroniquesdugrandjeu.com/2018/02/bibizute.html?utm_source=_ob_email&utm_medium=_ob_notification&utm_campaign=_ob_pushmail