Barack à frites parti, les geignards ont perdu
leur source d'inspiration face aux lourdes réalités économiques et au
simple bon sens. Se profile à l'horizon un grignotage à la sauce gazière
dont Moscou a le secret, contribuant à l'intégration énergétique de
l'Eurasie pour le plus grand malheur de McKinder, Spykman et leurs
descendants à Washington...
Pour son 25ème anniversaire, Gazprom a tout lieu de se réjouir. Non content de caracoler en tête des prix Pulitzer de l'énergie et d'avoir les fondamentaux pour lui, le géant russe voit peu à peu se concrétiser ses projets pharaoniques que nous présentions il y a deux ans et demi.
Gazprom
a vraiment la folie des grandeurs. Ils sont maintenant engagés dans la
construction simultanée des quatre plus grands pipelines de la planète !
Comment vont-ils financer
tout ça ? Certes, ils ne sont pas tout seuls dans le Nord Stream 2,
Shell, E.ON (Allemagne) et OMV (Autriche) vont participer ; certes, les
Chinois vont financer une partie des travaux de l'Altaî et du Force de
Sibérie. Mais enfin, quand même... Il y a deux ans, même dans leurs
rêves les plus fous, ils n'auraient jamais pu imaginer en être là.
Preuve supplémentaire que, en dépit de quelques difficultés économiques
passagères, la crise ukrainienne a été du pain béni pour la Russie
(Crimée russe, neutralisation définitive de l'Ukraine qui n'entrera
jamais dans l'OTAN, développement des BRICS et de l'OCS, Union
Eurasienne...)
Petit tour d'horizon...
Le Turk Stream, remplaçant du défunt South Stream torpillé par l'empire, est en bonne voie. La construction des deux lignes avance rapidement
: la première, destinée uniquement au marché turc, entre dans sa
dernière phase (déjà 530 km sur les 930 km prévus). Quant à la seconde,
signée plus tard et visant l'Europe du sud, 224 km de tubes ont été
posés.
Le pipe devrait entrer en service en 2019, année également prévue pour la fin des travaux du Nord Stream II. Le 31 janvier, l'Allemagne a donné l'autorisation de poser un tronçon du gazoduc dans ses eaux territoriales, ce que nous avions prévu fin 2016 :
C'est
le genre de petite nouvelle banale qui passe totalement inaperçue, pas
même digne d'être évoquée dans les fils de dépêches des journaux. Et
pour une fois, je ne les en blâme pas, car seuls les initiés peuvent
comprendre la portée de l'information sur notre Grand jeu
énergético-eurasiatique.
Une première livraison de tubes est arrivée
dans la presqu'île de Rügen, sur la côte baltique de l'Allemagne, et il
y en aura désormais 148 par jour, acheminés par trains spéciaux (chaque
tuyau mesure en effet 12 mètres et pèse 24 tonnes). Vous l'avez
compris, il s'agit des composants du Nord Stream II qui devraient
commencer à être assemblés au printemps prochain.
Ainsi,
même si aucune décision officielle n'a encore été prise, ou du moins
annoncée, le doublement du gazoduc baltique semble bien parti (...)
Gazprom prendrait-il le risque de les acheter et de les acheminer sans
avoir une idée assez sûre du dénouement ?
Là encore, les fondamentaux - irrésistible et inévitable ascension
de la part de gaz russe dans la consommation européenne (+ 30% en trois
ans malgré le harcèlement US) - jouent en faveur de Gazprom qui est en
train de battre tous ses records sur le Vieux continent. Vladimirovitch est optimiste sur la réalisation du Nord Stream II et Frau Merkel le défend bec et ongles, assurant qu'il ne représente pas une "menace". Là encore, le fidèle lecteur du blog ne sera pas surpris :
La perspective du doublement
du Nord Stream - Nord Stream II pour les intimes - rend les pays de la
"nouvelle Europe" (© Bush) chaque jour plus émotifs. L'on se rappelle
les réactions hystériques lors de la construction du gazoduc à la fin
des années 2000, l'inénarrable Radoslaw Sikorski, pillier
néo-conservateur des Affaires étrangères polonaises, comparant même le
projet au pacte germano-soviétique ! Rien que ça... Malgré l'opposition
résolue des Etats-Unis, utilisant leurs créatures baltes et polonaises
afin de couper l'Europe de la Russie, l'Allemagne de Schroeder avait mis
tout son poids dans la bataille pour faire passer le tube.
Une
demi-décennie plus tard, on prend presque les mêmes et on recommence,
mémère Merkel ayant remplacé papi Gerhard. Pourtant, dame Angela aura
d'abord tout fait pour crier au grand méchant ours russe. Russophobie
réelle, chantage à l'or allemand entreposé à la FED américaine et dont on ne sait plus trop s'il existe encore, chantage de la NSA sur la jeunesse
peu reluisante de la possible informatrice de la Stasi, ou tout cela à
la fois ? Mémère a en tout cas tout fait pour torpiller le South Stream
devant fournir le gaz russe aux Balkans.
Jamais
à court de ressources et sachant parfaitement jauger le poids de chaque
acteur européen, Moscou a fait contre mauvaise fortune ("abandon" des
amis balkaniques qui s'étaient eux-mêmes mis dans la panade en entrant
dans l'UE) bon coeur et fait à l'Allemagne une proposition que Berlin ne
pouvait refuser. Comme nous l'écrivions en septembre :
"Moscou
assure ses arrières en doublant le Nord Stream. Grande intelligence de
Poutine qui parie sur l'égoïsme allemand ; la mère Merkel est toute
pleine de paroles grandiloquentes sauf quand l'économie de son pays est
en jeu. Avec le doublement du tube baltique, l'Allemagne deviendra le
hub gazier d'une grande partie de l'Europe, renforçant encore sa
mainmise économique sur le Vieux continent. De quoi faire réfléchir la
chancelière..."
C'est
maintenant tout réfléchi ; mémère ne minaude plus devant la possibilité
de faire de l'Allemagne la plateforme énergétique du Vieux continent.
Mais c'est là que réapparaissent nos petits geignards de la "nouvelle
Europe", jamais à court de critiques acerbes contre la Russie et son gaz
mais ne dédaignant visiblement pas les confortables frais de transit de
ce même gaz russe. Le beurre et l'argent du beurre, comme toujours...
Que pèsent ces nains geignards maintenant que le système impérial a perdu sa tête avec l'élection du Donald ? On se rappelle
qu'il en était autrement sous la présidence du prix Nobel de la paix
(défense de rire), comme l'avait avoué candidement une membre du comité
des Affaires étrangères du Congrès américain :
Les Etats-Unis devraient agir contre le projet russe de gazoduc afin de soutenir la sécurité énergétique de l'Union européenne [qui eut cru que la novlangue pouvait être amusante ?] L'administration Obama et l'UE ont travaillé contre le Nord Stream II
(...) L'administration Obama a fait de la sécurité énergétique
européenne une question de haute priorité de la politique étrangère
américaine. L'administration Trump serait bien avisée de continuer sur
cette voie.
Barack à frites parti, les geignards ont perdu
leur source d'inspiration face aux lourdes réalités économiques et au
simple bon sens. Se profile à l'horizon un grignotage à la sauce gazière
dont Moscou a le secret, contribuant à l'intégration énergétique de
l'Eurasie pour le plus grand malheur de McKinder, Spykman et leurs
descendants à Washington...
A l'autre bout du continent-monde, les tubes continentaux avancent inexorablement, marginalisant là aussi l'empire maritime. Le Sila Sibirii
- chantier pharaonique de 4 000 km suite au contrat du siècle de 400
Mds d'équivalents dollars signé en 2014 entre Gazprom et le chinois CNPC
- est aux deux-tiers construit (en avance sur le plan) et devrait bientôt entrer en fonction.
Gazprom
vise 13% de part du colossal marché chinois d'ici une quinzaine
d'années et l'objectif est loin d'être irréalisable, d'autant que l'on
reparle de l'Altaï, le dernier gazoduc de la bande des quatre. Les
négociations ont continué ces derniers mois, les positions se sont rapprochées et le projet est une telle évidence que les deux parties, par ailleurs alliés stratégiques, devraient assez rapidement se mettre d'accord.