mardi 6 février 2018

L’« Entente cordiale » franco-britannique


Passée inaperçue en Occident, la relance du Traité de Lancaster House par Londres et Paris instaure une super « Entente cordiale », bien plus profonde que celle de 1904. Elle participe du rétablissement d’un monde bipolaire et provoquera inévitablement la sortie de la France de l’Union européenne et le retour des tensions entre Paris et Berlin.

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En 2010, David Cameron et Nicolas Sarkozy décidèrent de joindre les forces de projection du Royaume-Uni et de la France [1]. Par « force de projection », il faut comprendre les anciennes troupes coloniales. Le Traité de Lancaster House était assorti de plusieurs annexes, dont une prévoyait un gigantesque exercice joint, Southern Mistral. Il s’avéra, quelques mois plus tard, que l’exercice se transforma en une véritable mobilisation des mêmes unités et à la même date pour une vraie guerre, contre la Libye, sous le nom d’Opération Harmattan (traduction littérale de Southern Mistral) [2].
À l’époque, l’initiative franco-britannique était pilotée par Washington en application de la stratégie du « leadership par l’arrière ». Les troupes des deux pays tenaient le devant de la scène, tandis qu’en coulisse Washington leur assignait des missions précises.
Le Traité de Lancaster House visait à créer un cadre juridique pour des interventions comme celle (à venir) contre la Libye, et à fusionner les forces dans un souci d’économie et d’efficacité. Ce choix suppose une véritable révolution : une politique étrangère commune.
Cependant, l’essor insufflé par le Traité et par l’expédition contre la Libye s’est progressivement dissipé avec l’inquiétude de l’opinion publique et des diplomates britanniques qui a suivi la Résistance iraqienne à l’occupation anglo-saxonne [3].
Déjà, à partir de 2004, le Royaume-Uni a commencé à préparer une nouvelle « révolte arabe » comme en 1915, sous le nom de « printemps arabe » [4], puis a refusé de bombarder Damas.
Actuellement, Londres est en train de réorganiser sa Défense suite au Brexit, au refus de Donald Trump de continuer à manipuler le terrorisme islamique, et à l’implantation russe en Syrie.
Londres a d’abord signé des accords bilatéraux avec le Danemark, les Pays-Bas, la Norvège et les États baltes posant le cadre d’éventuelles actions communes ultérieures. Puis, il a commencé à réorganiser les réseaux jihadistes du Moyen-Orient autour de la Turquie et du Qatar. Il a facilité le rapprochement militaire de la Turquie, de la Somalie, du Soudan et du Tchad. Enfin, s’appuyant sur le Traité de Lancaster House, il met aujourd’hui en place une super « Entente cordiale » avec la France.
Si le Traité négocié par David Cameron et Nicolas Sarkozy pouvait sembler n’être qu’une opportunité de faire la guerre à la Libye, la relance de ce Traité par Theresa May et Emmanuel Macron est le fruit d’un choix réfléchi sur le long terme [5]. Cette nouvelle étape a été négociée par le mentor du président Macron, Jean-Pierre Jouyet [6], nouvel ambassadeur de France à Londres.
Londres et Paris siègent tous deux au Conseil de sécurité de l’Onu. Ils disposent de l’arme nucléaire. Ensemble, ils ont un budget militaire 30% supérieur à celui de la Russie (mais inférieur à ceux des États-Unis et de la Chine).
En choisissant de privilégier son alliance militaire avec Londres, Paris s’éloigne de Berlin qui prépare son réarmement et souhaite prendre le leadership des autres armées européennes [7]. Si ce processus continue, Paris devra à son tour sortir de l’Union européenne dont Berlin assume déjà de fait le leadership.
Les déclarations d’Emmanuel Macron et la création par Theresa May d’une unité militaire contre les « mensonges » russes [8] annoncent le retour d’un monde bipolaire et la censure des informations provenant de Moscou. L’abandon du couple franco-allemand pour une Entente franco-britannique annonce quant à elle le retour des tensions tant redoutées entre Paris et Berlin.


[2] « Washington regarde se lever "l’aube de l’odyssée" africaine », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 19 mars 2011.
[3]Letter of the 52 Diplomats to Tony Blair”, Voltaire Network, 26 April 2004.
[4] When progressives threat with reactionaries. The British State flirtation wih radical Islamism, Martin Bright, Policy Exchange, 2004.
[6] Contrairement aux allégations de BFM TV, c’est bien Jean-Pierre Jouyet, alors secrétaire général de l’Élysée qui a organisé la chute de François Fillon. NdlR.
[7] « Pour Berlin, prendre le leadership de l’Otan, ça en vaut la peine », par German Foreign Policy, Traduction Christine Maurel, Réseau Voltaire, 7 septembre 2017.