Oh, oh, nous y sommes encore ! En 1967, c’était alors la «menace» permanente des
armées arabes – et la guerre de six jours qui a suivi contre l’Égypte et la
Syrie ; en 1980, c’était l’Iran – et la guerre irakienne qui s’ensuivit
contre l’Iran ; en 1996, David Wurmser et son document intitulé Coping
with Crumbling States [Se farcir les pays en ruines] – déjection de
l’infâme document
de stratégie politique Clean Break – ciblaient à l’époque les États
nationalistes arabes et laïques, éreintés à la fois comme « des
reliques en ruine de l’URSS diabolique » et intrinsèquement hostiles à
Israël ; et dans les guerres de 2003 et 2006, c’était d’abord Saddam
Hussein ; puis le Hezbollah, qui menaçait la sécurité de l’avant-poste de
la civilisation occidentale au Moyen-Orient.
Et nous y voilà à nouveau, Israël ne peut pas «vivre» en toute
sécurité dans une région contenant un Hezbollah militant.
Il n’est pas surprenant que l’ambassadeur de Russie à Beyrouth, Alexander
Zasypkin, ait rapidement reconnu ce schéma trop familier : s’étant entretenu avec al-Akhbar
le 9 octobre à Beyrouth – plus d’une semaine avant l’éclatement des
manifestations à Beyrouth – l’ambassadeur a rejeté l’espoir d’une
atténuation des tensions régionales ; mais a plutôt identifié la crise économique qui se
construit depuis des années au Liban comme étant le « pivot » autour duquel
les États-Unis et leurs alliés pourraient axer le chaos – de même
que dans la calamité économique parallèle de l’Irak – pour frapper le
Hezbollah et le Hash’d A -Sha’abi – les adversaires d’Israël
et de l’Amérique dans la région.
Pourquoi maintenant ? Parce que ce qui est arrivé à Aramco le 14
septembre a choqué Israël et
les États-Unis :
l’ancien commandant de l’armée de l’air israélienne a écrit
récemment : «Les événements récents obligent Israël à recalculer sa
trajectoire au fil des événements. Les capacités technologiques de l’Iran et de
ses différents mandataires ont atteint un niveau tel qu’ils peuvent maintenant
modifier l’équilibre des pouvoirs dans le monde ». Non seulement aucun État n’a pu identifier le
mode opératoire des frappes – même à ce jour ; mais pire,
aucune des deux, Israël ou États-Unis, n’a eu de réponse à l’exploit
technologique que les frappes représentaient clairement. En fait, l’absence de «réponse»
disponible a incité un des principaux analystes occidentaux de la défense à
suggérer que l’Arabie saoudite achète
des missiles russes Pantsir plutôt que des défenses anti-aériennes américaines.
Et pire. Pour Israël, le choc Aramco est arrivé au moment même où les
États-Unis ont commencé
à retirer de la région leur confortable «couverture de sécurité», laissant Israël et les États du
Golfe, seuls et désormais vulnérables à une technologie
qu’ils ne s’attendaient jamais à voir tomber entre les mains de leurs
adversaires. Les Israéliens – et en particulier son Premier ministre – bien que
toujours conscients de la possibilité hypothétique, n’ont jamais pensé que le
retrait des États-Unis se produirait réellement, et surtout jamais
pendant la durée de l’administration Trump [1].
Cela a laissé Israël complètement
assommé et dans le brouillard et mis sa stratégie cul par dessus tête. L’ancien commandant de
l’armée de l’air israélienne – mentionné ci-dessus – spéculant
sur les options inconfortables d’Israël – aller de l’avant, ou faire maintenant
une ouverture vers l’Iran. Bien sûr, cette dernière option serait
culturellement répugnante pour la plupart des Israéliens.[2] Ils préféreraient un paradigme israélien
audacieux et hors-norme, qui «changerait la donne» –
c’est-à-dire comme ce qui s’est passé en 1967 – plutôt qu’une
démarche vers l’Iran. C’est le vrai danger.
Il est peu probable que l’agitation des manifestations au Liban et en Irak
soit en quelque sorte une réponse directe à ce qui précède. Plus
vraisemblablement cela repose sur des plans anciens – y compris le document de stratégie sur la
lutte contre l’Iran récemment divulgué, présenté par Mohammed ben Salmane (MbS)
à la Maison Blanche – et lors des réunions stratégiques régulières entre
le Mossad et le Conseil de sécurité nationale des États-Unis, sous la
présidence de John Bolton.
Quelle que soit la filiation particulière, le «script» est assez
familier : susciter
une dissidence «démocratique» populaire – basée sur de
véritables griefs ; des slogans sur mesure et une campagne de presse
polarisant la population et détournant la colère du mécontentement généralisé
pour cibler des ennemis spécifiques, dans ce cas, le Hezbollah, le
président Aoun et le ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil – dont les
sympathies pour le Hezbollah et le président Assad font un objectif principal,
et aussi particulièrement en tant qu’héritier apparent de la majorité des
chrétiens. L’objectif
est, comme toujours, de créer un fossé entre le Hezbollah et l’armée, entre le
Hezbollah et le peuple libanais.
Tout a commencé lorsque, lors de sa rencontre avec le président Aoun
en mars 2019, le secrétaire d’État américain Mike Pompeo aurait présenté
un ultimatum : contenir le Hezbollah
ou s’attendre à des conséquences sans précédent, notamment des sanctions et la
perte de l’aide américaine. Selon des informations confidentielles, Pompeo
aurait, par la suite, amené le Premier ministre Hariri, son allié, dans le
scénario des troubles planifiés, lors d’une invitation à déjeuner dans le ranch
de Hariri et de son épouse, près de Washington, à la fin de la visite du premier
ministre libanais aux États-Unis.
Alors que les manifestations libanaises commençaient, les informations
selon lesquelles une « salle des opérations » à Beyrouth
serait chargée de la gestion et de l’analyse des manifestations et qu’un
financement à grande échelle serait fourni par les États du Golfe, se sont
multipliées. Mais pour des raisons qui ne sont pas claires, les protestations
ont faibli. L’armée qui se tenait à l’origine étrangement à l’écart, a fini par
nettoyer les rues et retrouver un semblant de normalité – et les prévisions
étrangement alarmistes du gouverneur de la Banque centrale sur un effondrement
financier imminent ont été contrées par d’autres experts financiers présentant
un tableau moins effrayant.
Il semble que, ni au Liban, ni en Irak les objectifs des États-Unis ne soient
finalement atteints – c’est-à-dire l’émasculation du Hezbollah et de Hach’d
A-Sha’abi. En Irak, l’issue pourrait toutefois être moins certaine
et les risques potentiels courus par les États-Unis, en fomentant
le chaos, bien plus grands, si l’Irak tombait dans l’anarchie. La perte
de 5 millions de barils / jour de brut irakien créerait un tremblement de
terre sur le marché du brut – et en ces temps économiquement fébriles, cela
pourrait suffire à faire basculer l’économie mondiale dans la récession.
Mais ce serait de la « petite bière »
par rapport au risque que les États-Unis encourraient en forçant le « destin » d’une
guerre régionale qui atteindrait Israël.[3]
Mais y a-t-il un schéma plus vaste reliant ces manifestations du
Moyen-Orient à celles en éruption en Amérique latine ? Un analyste a
forgé, pour cette époque, le terme d’Âge de la colère dégorgeant
des «geysers en série» de mécontentement à travers le monde, de l’Équateur au
Chili en passant par l’Égypte [et la France, NdT]. Son thème est que le
néolibéralisme est partout – littéralement – en feu.
Nous avons déjà noté comment les États-Unis avaient cherché à tirer
parti des conséquences uniques de deux guerres mondiales et du fardeau de la
dette que celles-ci ont légué, pour s’attribuer l’hégémonie du dollar,
ainsi que la capacité exceptionnelle à émettre gratuitement du crédit
fiduciaire dans le monde entier – les États-Unis ont simplement «imprimé» leurs
billets. Les institutions financières américaines pouvaient obtenir des crédits
pour investir partout dans le monde à un coût pratiquement nul, et vivre du loyer
que ces investissements leur rapportaient. Mais cela a finalement eu un
prix : la limitation – d’être le rentier global – est devenue évidente à
cause des disparités de richesse et de l’appauvrissement progressif des classes
moyennes américaines provoqué par la délocalisation concomitante. Les emplois
bien rémunérés se sont évaporés, alors même que le bilan bancaire des
États-Unis gonflait à travers le monde.
Mais il y avait peut-être un autre aspect à cet Âge de colère
actuel. C’est TINA (There is no alternative) « Il
n’y a pas d’alternative ». Non pas à cause d’une
absence de principe – mais parce que les alternatives ont été
étouffées. Après les deux guerres mondiales, on comprenait qu’il était
nécessaire d’adopter un mode de vie différent, d’en finir avec l’ère précédente
de servitude, il fallait une nouvelle société, un nouveau contrat social. Mais
cela a été de courte durée.
Et, pour faire brève une longue histoire, le désir d’équité – peu importe
ce que cela voulait dire – de l’après-guerre a été étouffé. Toute «autre
politique ou économie», quelle que soit sa couleur, a été considérée comme
une «infox» – et à la suite de la grande crise financière de 2008,
toutes sortes de filets de sécurité ont été sacrifiés et la richesse privée a
été «appropriée» pour la reconstitution des bilans des banques, en
préservant l’intégrité de la dette et en maintenant les taux d’intérêt bas. Les
gens sont devenus des «individus» – laissés à eux-mêmes – pour régler
leur propre austérité. Est-ce alors étonnant que les gens se sentent à la fois
appauvris matériellement par cette austérité et appauvris humainement par une
nouvelle ère de servitude ?
Le Moyen-Orient pourrait traverser – ou non – les crises
d’aujourd’hui, mais sachez que, dans le désespoir de l’Amérique latine, le principe «il n’existe pas
d’alternative» est en train de devenir une raison pour les manifestants de «brûler
le système» pour l’abattre. C’est ce qui se produit lorsque les
alternatives sont exclues – même si c’est dans l’intérêt de nous
préserver de l’effondrement du système.
Par Alastair Crooke − Le 4 novembre 2019 − Source Strategic
Culture
Traduit par jj, relu par San pour le Saker
Francophone
NOTES d’Hannibal
Genséric
[1] D’où la cabale juive actuelle contre
Trump :
Certains juifs qui, de nos jours,
célèbrent Pourim, peuvent n’y voir que la célébration du désamorçage du complot
d’Haman par Esther. Ils peuvent ne pas considérer cette fête comme la
célébration du massacre de 75.000 personnes (l'équivalent de 7,5 millions de personnes d'aujourd'hui
suite à un petit bombardement nucléaire sur l'Iran), même si le Livre
d’Esther, qu’ils lisent durant les cérémonies religieuses propres à cette fête,
dit très clairement quel en est le motif essentiel. Certains juifs, qui célèbrent
aujourd’hui Pourim, peuvent voir dans le Livre d’Esther une histoire ancienne,
voire même mythique, qui n’a rien à voir avec des événements actuels, mais
l’obsession des juifs à vouloir entraîner les États-Unis et l’Occident à
détruire l’Iran prouve le contraire..
VOIR AUSSI :
Hannibal GENSÉRIC
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Les commentaires hors sujet, ou comportant des attaques personnelles ou des insultes seront supprimés. Les auteurs des écrits publiés en sont les seuls responsables. Leur contenu n'engage pas la responsabilité de ce blog ou de Hannibal Genséric.