dimanche 12 janvier 2025

Comment SWIFT a été mis sous tutelle par «Washington»…et ses conséquences

Les annonces médiatiques faisant état de sanctions imposées par les États-Unis contre des États, des sociétés ou des particuliers, sont devenues tellement fréquentes ces dernières années que la plupart de nos concitoyens n’y prêtent même plus attention, d’autant plus que personne dans les grands partis politiques n’oserait leur expliquer ce qu’elles signifient réellement en termes de guerre et de paix. Bien qu’ils se prétendent encore des régimes démocratiques, les États-Unis, et avec eux leurs alliés, sont tombés sous la dictature d’un véritable complexe militaro-financier qui nous pousse vers un conflit mondial – en réalité, déjà commencé depuis longtemps.

Le livre d’Éloïse Benhammou présente de manière très claire pour le grand public, l’histoire de la composante financière et numérique de ce parti de la guerre.


Internet aux mains de Watchington

Au commencement était internet. Technologie basée sur les travaux de l’ingénieur français Louis Pouzin, dans les années 1970, mais ignorée par les autorités françaises sous Giscard d’Estaing (qui lui préférèrent le Minitel), elle fut donc développée par les États-Unis, d’où sont désormais définis les protocoles et attribuées les adresses IP du monde entier.

Contrôlant ainsi l’infrastructure physique du réseau mondial et son fonctionnement, les États-Unis voient passer sur leur territoire la quasi-totalité des communications par internet, y compris celles entre deux correspondants à l’étranger… que le renseignement américain ne se gêne pas pour intercepter depuis sa situation géographique privilégiée. En principe, la Constitution américaine interdit une telle surveillance vis-à-vis des citoyens des États-Unis, mais suite aux attentats du 11 septembre, cette restriction n’est même plus un obstacle. Cette surveillance générale s’effectua toutefois, dans un premier temps, de manière très discrète.

L’affaire SWIFT

En 1998, le réseau SWIFT bascule sur internet. Dès les années 1970, plusieurs grandes banques internationales, essentiellement basées dans des pays européens, avaient créé ce système de messagerie pour organiser leurs transactions interbancaires.

Par la suite, SWIFT s’élargit pour devenir le principal outil de messagerie du système bancaire mondial – une infrastructure incontournable pour tous ceux qui participent au commerce international, les États-Unis rejoignant SWIFT en 1977. Cependant, SWIFT n’étant pas une agence du gouvernement américain, la sécurisation de ses données sécurisées relevait en principe du domaine privé, même si l’un de ses centres de communication se trouvait aux États-Unis et pouvait donc être soumis à la législation américaine.

Les attentats du 11 septembre

Pour les États-Unis, les attentats du 11 septembre furent l’équivalent de l’incendie du Reichstag pour l’Allemagne en 1933 : ils permirent d’instaurer des lois d’exception au nom de la lutte contre le terrorisme. Du fait que le terrorisme a besoin de procéder à des transactions sur des comptes bancaires pour financer ses activités, le gouvernement américain fut donc en mesure d’exiger de SWIFT l’accès à ses données, afin d’espionner et de bloquer le financement du terrorisme. Il s’agit de facto d’une mise sous tutelle de SWIFT par le gouvernement américain. Bien entendu, ceci lui permit au passage de surveiller toutes les transactions interbancaires gérées par SWIFT, y compris impliquant des comptes non domiciliés aux États-Unis, et y compris des comptes liés à des secteurs vitaux ou à des entreprises de pays alliés comme les pays européens (ceci ne fut révélé au public qu’en 2006, mais sans provoquer aucune réaction sérieuse de la part des Européens). Avez-vous dit «espionnage industriel» ?

«Les États-Unis institutionnalisent le renseignement financier bien avant que l’Union européenne ne donne son aval. Le Bureau de la lutte antiterroriste et du renseignement financier est créé le 8 mars 2004 au sein du département du Trésor. Il constitue une force d’action spéciale consacrée à la lutte contre les réseaux de financement qui portent atteinte à la sécurité des États-Unis (…) Le renseignement financier (FININT) permis grâce à SWIFT sert de tremplin à un système de gouvernance internationale».

Disposant du contrôle de SWIFT, du contrôle d’internet et de lois extraterritoriales sur l’usage du dollar américain, le gouvernement américain peut dès lors appliquer des sanctions économiques à peu près à n’importe qui dans le monde. «Sanctionner» signifie entre autres exclure de SWIFT, donc exclure du commerce international. Le premier État à subir ce type de sanctions américaines fut l’Iran en 2012.

Le règne de la peur

En général, les banques préfèrent jouer le jeu, car si elles étaient accusées de violer les sanctions, elles pourraient elles-mêmes se retrouver sanctionnées à leur tour, avec les conséquences catastrophiques que cela aurait pour leurs activités. Ainsi, en 2014, la BNP-Paribas, qui avait fait des transactions en dollars pour le compte du commerce du pétrole iranien, a préféré plaider coupable, devant la justice américaine, d’avoir violé les sanctions appliquées à l’Iran, et payer une amende record de 9 milliards de dollars, plutôt que de se voir exclue de SWIFT.

Mêmes les banques chinoises se montrent aujourd’hui encore très prudentes dans leurs activités avec la Russie, bien que certains pays des BRICS et associés procèdent à des transactions en monnaies nationales et travaillent à la mise en place d’un système «dédollarisé». La Russie et la Chine ont créé des systèmes alternatifs à SWIFT, mais leur usage est encore assez limité, d’autant plus qu’ils utilisent les infrastructures physiques d’internet et n’échappent donc pas facilement à la surveillance du Trésor américain.

Sous couvert, à l’origine, de mener la guerre au terrorisme, puis aujourd’hui de lutter contre les «régimes autoritaires qui menacent nos démocraties», les États-Unis, ou plutôt ceux qui contrôlent leurs institutions militaires et financières, s’efforcent ainsi d’imposer leur hégémonie au reste du monde. Les sanctions économiques sont donc un outil privilégié de la guerre qu’ils mènent contre leurs ennemis – un outil qui n’a d’équivalent dans aucun autre pays du monde.

Entraînés vers la guerre

Compte tenu de ce pouvoir de nuisance exorbitant envers les économies de tous les pays, on comprend mieux le comportement quasi suicidaire des dirigeants européens dans la guerre menée par l’OTAN contre la Russie en Ukraine, bien que ceci ne constitue aucunement une excuse pour eux.

En effet, force est de constater que les principales victimes des sanctions économiques imposées par nos «alliés américains» à la Russie sont les pays européens eux-mêmes, plombés en particulier par l’explosion de leurs dépenses énergétiques : les restrictions sur l’achat de gaz russe bon marché profitent aux producteurs américains de gaz liquéfié vendu cher à l’Europe.

La Russie a su trouver des parades aux sanctions sur son commerce, notamment en vendant ses hydrocarbures à la Chine et à l’Inde, et en remplaçant certaines importations agricoles par une relance de sa propre production nationale. Quant aux entreprises américaines de l’armement, la guerre est plutôt une bonne affaire pour elles.

Pourtant, ces simples considérations économiques ne semblent pas jusque-là provoquer de sérieuse remise en question, de la part des dirigeants européens, du bien-fondé de cette guerre…

Cachez-moi cet argent de la drogue que je ne saurais voir

Le livre d’Éloïse Benhammou soulève implicitement un autre problème dont il faut ici dire deux mots, puisqu’il est également d’une actualité brûlante des deux côtés de l’Atlantique : l’explosion du trafic de drogue. Aujourd’hui ce fléau tue environ 100 000 Américains par overdose chaque année. Il est l’une des premières causes de la chute de l’espérance de vie aux États-Unis, qui se retrouvent non seulement à la dernière place des pays développés, mais sont même dépassés par des pays à revenu intermédiaire comme la Chine.

Comme S&P l’a documenté depuis des décennies, et tout récemment encore, en décembre 2023, dans son le livre «Trafic de drogue, mafia, oligopole financier – Pour la France, c’est vaincre ou périr !», une véritable guerre à la drogue nécessiterait de démanteler les circuits de blanchiment d’argent sale qui, de notoriété publique, transitent par les principales banques internationales, comme la HSBC. Une telle guerre n’a jamais été menée et n’est clairement pas au programme des gouvernements américains successifs qui disposent pourtant de tous les outils de renseignement financier nécessaires pour cela !

Un certain nombre de points mentionnés à la fin de L’Affaire SWIFT méritent d’être relevés. Ils montrent que le pouvoir du complexe militaro-financier présente tout de même quelques failles, permettant des réponses asymétriques de la part de pays voulant défendre leur souveraineté.

Tout système informatique peut en principe être victime de piratage. SWIFT ne fait aucunement exception à cette règle et des hackers suffisamment doués, par exemple au service de nations disposant d’alternatives à SWIFT, pourraient menacer de désorganiser l’hégémonie économique américaine.

par ailleurs, il faut bien reconnaître que la plupart du temps, les sanctions économiques font souffrir les peuples mais ne permettent pas d’atteindre leur but réel qui est de renverser les gouvernements ennemis (exception notable à cela, le cas de la chute de la Syrie, survenue après la parution de L’Affaire SWIFT).

Non seulement l’économie russe n’a pas coulé sous le poids des sanctions économiques américaines, contrairement à ce que croyaient certains Mozart français de la finance, mais le processus de «dédollarisation» entrepris par les pays des BRICS et associés est irréversible (même s’il prendra du temps) d’autant plus que cette association de pays attire désormais la plupart des pays du Sud planétaire qui aspirent au développement, comme tout le monde a pu le constater lors du sommet de Kazan en octobre dernier.

Affrontement ou nouvelle ère ?

Éloïse Benhammou conclut ainsi son livre :

«Ce n’est qu’une question de temps avant que le monde bascule soit dans une société totalitaire avec une mainmise totale sur les infrastructures du système par les États-Unis, soit vers un monde multipolaire permis par la balkanisation des réseaux de télécommunications. Dans un cas comme dans l’autre, l’affrontement mondial est inévitable».

Il existe pourtant une possibilité d’éviter l’affrontement mondial : non pas un monde multipolaire, mais un monde basé sur la coopération entre nations souveraines. Utopie ?

L’utopie : Pas si nous parvenons à faire émerger un internet coopératif échappant à toute domination. Et pas si nous parvenons à créer en Occident un mouvement citoyen pacifiste et déterminé à défendre le droit au développement pour tous.

C’est à cela que travaille Solidarité & Progrès avec ses amis à travers le monde, y compris aux États-Unis. Mais ces citoyens engagés doivent bien connaître l’ennemi qu’ils combattent, et c’est pourquoi nous leur recommandons la lecture de L’Affaire SWIFT.

source : Solidarité et Progrès via Valérie Bugault

12 janvier 2025

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