Pour éviter de se lancer dans de grands conflits, Trump en crée de plus petits

Hier, lors d'un événement médiatique, le président élu Donald Trump a tenu l'une de ses divagations habituelles (video, transcrite) passant du coq à l’âne sans aucun lien logique.

Il s'agissait principalement de ses projets pour son prochain règne. Il a promis davantage d'allègements fiscaux pour les riches, des réglementations environnementales répressives et une augmentation de la production de pétrole et de gaz.

Mais ce qui a retenu l'attention de la plupart des observateurs, ce sont ses idées sur la politique étrangère.

Trump refuse d'attiser davantage les conflits avec les « ennemis » les plus évidents - la Russie, la Chine et l'Iran. Il détourne plutôt l'attention du public en fournissant de nouvelles cibles - le Canada, le Groenland et le Panama.

Trump a déclaré qu'il comprenait la position de la Russie concernant l'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN. Il semble donc avoir vraiment l'intention de mettre fin à ce conflit :

Nous allons devoir régler certains gros problèmes qui se posent en ce moment. Nous allons devoir régler avec la Russie, l'Ukraine - c'est un désastre. Je regarde les chiffres chaque semaine. ... Donc, il va falloir régler ce problème aussi. C'est une question difficile, beaucoup plus difficile qu'elle ne l'aurait été avant qu'elle ne commence, je peux vous le dire.

et :

Donc, vous savez, une grande partie du problème était que, pendant de très nombreuses années, bien avant Poutine, la Russie a toujours dit que l’Ukraine ne doit jamais rejoindre  l'OTAN. Ils ont dit que c'était comme gravé dans la pierre. Et quelque part en cours de route, Biden a dit non, que les Ukrainiens devraient pouvoir rejoindre l'OTAN. Eh bien, la Russie a donc quelqu'un [de menaçant] à sa porte et je peux comprendre son sentiment à ce sujet.
Mais de nombreuses erreurs ont été commises dans cette négociation. Et lorsque j'ai entendu la façon dont Biden négociait, j'ai dit que vous alliez vous retrouver dans une guerre et cela s'est avéré être une très mauvaise guerre. Et elle pourrait s'intensifier - cette guerre pourrait s'intensifier et être bien pire qu'elle ne l'est actuellement.
Eh bien, mon point de vue est que cela a toujours été compris. En fait, je crois qu'il y avait un accord et que Biden l'a rompu. Ils avaient un accord qui aurait été satisfaisant pour l'Ukraine et pour tout le monde. Mais Biden a dit : « Non,  l’Ukraine doit pouvoir rejoindre l'OTAN. »

Il continue à faire pression sur les pays de l'OTAN pour qu'ils versent plus d'argent à l'industrie d'armement américaine. Mais il ne semble pas disposé à conclure un accord - plus d'argent en échange de la poursuite de la guerre en Ukraine. C'est juste sa façon habituelle de faire pression sur ses alliés.

On demande ensuite à Trump quand il rencontrera Poutine :

Eh bien, je ne peux pas vous le dire, mais je sais que Poutine aimerait me rencontrer. Je ne pense pas qu'il soit approprié que je le rencontre avant le 20, ce que je déteste parce que chaque jour, des gens sont tués - beaucoup, beaucoup de jeunes sont tués, des soldats. Vous savez, le terrain est très plat et des centaines de milliers de soldats de chaque côté sont morts et ils sont étendus dans les champs partout, personne pour les ramasser, il y a des mines terrestres partout, c'est un désastre.
...
J'espère avoir six mois. ... Non, je pense – j'espère bien avant six mois. Écoutez, la Russie perd beaucoup de jeunes, tout comme l'Ukraine, et cette guerre n'aurait jamais dû avoir lieu. C'est une guerre qui n'aurait jamais dû avoir lieu. Je vous garantis que si j'étais président, cette guerre n'aurait jamais eu lieu.

La poursuite de cette guerre semble être hors de question pour Trump – du moins pour l'instant. Le fait qu'il reconnaisse ouvertement la préoccupation stratégique de la Russie – l'Ukraine au sein de l'OTAN – me donne l'espoir qu'il trouvera un moyen de résoudre le conflit.

Au cours de son discours, Trump n'a pas du tout mentionné la Chine, même comme principal concurrent ou même comme « ennemi ». La Chine n'est évoquée que dans le contexte du canal de Panama (plus de détails ci-dessous).

Trump a également refusé de parler de l'Iran :

Q : La dernière fois que vous étiez ici, on vous a posé une question sur la possibilité que les États-Unis lancent une frappe préventive contre l'Iran. Vous avez dit que vous ne répondriez pas à cette question.

Trump : Et j'ai dit que je ne parlais pas de – c'est une stratégie militaire. ... Écoutez, c'est une stratégie militaire et je ne réponds pas à vos questions sur la stratégie militaire. Très bien. Encore une. Brian, allez-y. Brian.

Trump a ainsi rejeté les trois conflits potentiels, avec la Russie, la Chine et l'Iran, qui ont longtemps fait la une des journaux. Il perçoit probablement qu'il n'y a rien à gagner dans ces conflits.

Mais comme il doit fournir de la matière à réflexion aux médias ainsi qu'à ses partisans du MAGA, il invente plutôt de nouveaux conflits qui pourraient même s'avérer gagnables.

Pourquoi ne pas prendre le Canada et l'intégrer aux États-Unis eux-mêmes ? Prenons le Groenland au Danemark pour mieux positionner les États-Unis dans l'Arctique - ou reprenons le canal de Panama :

Le canal de Panama est une honte, ce qui s'est passé au canal de Panama. Jimmy Carter le leur a donné pour 1 dollar et ils étaient censés nous traiter correctement.
...
Nous l'avons donné pour un dollar, mais l'accord était qu'ils devaient nous traiter équitablement. Ils ne nous traitent pas équitablement. Ils facturent plus cher nos navires que ceux des autres pays. Ils facturent plus cher notre marine qu'ils ne facturent e pour les marines d'autres pays.
Ils se moquent de nous parce qu'ils pensent que nous sommes stupides, mais nous ne le sommes plus. Donc le canal de Panama est en discussion avec eux en ce moment. Ils ont violé tous les aspects de l'accord et ils l'ont aussi violé moralement. Et ils veulent notre aide parce qu'il fuit et n'est pas en bon état et ils veulent que nous donnions 3 milliards de dollars pour aider à le réparer. J'ai dit, eh bien, pourquoi ne pas obtenir l'argent de la Chine, parce que la Chine est en train de s'en emparer.
La Chine est aux deux extrémités du canal de Panama. La Chine gère le canal de Panama et ils viennent voir ce Biden, ce type qui n'aurait jamais dû être autorisé à se présenter à la présidence. Bien sûr, elle n'aurait pas dû l'être non plus parce que cela n'est jamais arrivé. J'ai dû battre deux personnes, pas une. Mais ils veulent 3 milliards de dollars pour réparer le canal de Panama qui est géré par la Chine et qui rapporte beaucoup d'argent à la Chine.
L'une des structures les plus rentables jamais construites, parce que vous avez des navires alignés en Floride, franchement, et ils continuent d’attendre pour passer. Et les chiffres sont stupéfiants, de 0,5 à 1 million de dollars par navire. Et ils nous l'ont pris, c'est-à-dire que nous le lui avons donné pour un dollar, mais cela n'arrivera pas. Ce qu'ils nous ont fait, ils nous ont fait payer trop cher nos navires, ils ont fait payer trop cher notre marine et quand ils ont besoin d'argent pour les réparations, ils viennent aux États-Unis pour les payer, nous n'avons rien gagné.

La plupart des affirmations ci-dessus de Trump sont fausses. Les frais de passage du canal dépendent de la taille du navire, pas de sa nationalité. La Chine ne gère pas le canal, mais a loué des espaces portuaires de chaque côté. Le plus gros problème du canal est le manque d'eau douce nécessaire à son fonctionnement. Cela limite le nombre de navires qui peuvent le traverser.

Mais de toute façon, comme les conflits déjà créés au Canada et au Groenland, c'est un excellent thème pour détourner l'attention d'autres conflits.

Cela rappelle Ronald Reagan qui a créé des conflits mineurs, comme à Grenade, pour être libre de conclure des accords avec l'Union soviétique, « l'empire du mal ».

Comme le remarque Gilbert Doctorow :

La logique que je vois ici est une position belliqueuse sur des conflits produits-sur-commande qui peuvent être résolus à peu de frais pour Washington, le proverbial coup de pied au cul que Ronald Reagan a pratiqué avec beaucoup d'efficacité, est destinée à fournir une couverture à ce qui ressemblerait autrement à une défaite humiliante pour Washington s'il coupait l'aide militaire à Kiev et restait passif pendant que le Kremlin impose la capitulation au régime Zelensky.

Dean Baker fait une remarque similaire, mais plus large :

Dean Baker @DeanBaker13 - 18:31 UTC · Jan 7, 2025

Trump est assez intelligent, il a décidé qu'il serait trop difficile d'affronter des ennemis ostensibles des États-Unis comme la Russie, la Chine ou la Corée du Nord, il a donc décidé d'affronter des alliés comme le Danemark et le Canada. C'est très MAGA !

Trump veut éviter les conflits potentiels plus importants car ils sont trop difficiles à gérer et à gagner. Il crée plutôt ses propres petits conflits juste à côté de l'arrière-cour des États-Unis.

C'est une belle astuce et elle pourrait même connaître un certain succès.

Le Panama acceptera probablement des rabais sur le canal ou une priorité pour les navires américains. Le Canada pourrait céder sur des questions commerciales. Et l'UE, qui n'a même pas protesté lorsque les États-Unis ont fait exploser sa principale source d'approvisionnement en énergie, pourrait bien céder le Groenland sans même faire de bruit.

Trois victoires potentielles qui seraient bien accueillies par MAGA.

Publié par b le 8 janvier 2025

Par Moon Of Alabama