Dès qu’on critique les dirigeants des États-Unis, de
l’UE ou d’Israël, certains agitent un épouvantail : « Vous êtes
complotiste ! ». Sous-entendu : vous voyez le mal partout, mais
ces dirigeants sont des démocrates, certes ils peuvent commettre des erreurs,
mais ils agissent avec de bonnes intentions.
Voilà, en gros, nous serions forcés de choisir entre :
- La théorie du complot : tout est manigancé dans l’ombre, on nous cache tout, les maîtres du monde sont (au choix) : les juifs, les banquiers, les francs-maçons, les Illuminati, etc.
- La théorie de la naïveté : nos dirigeants occidentaux travaillent pour le bien commun. Ils nous disent ce qu’ils font et ils font ce qu’ils disent.
Ni l’une, ni l’autre, merci ! Nous revendiquons
une troisième façon d’expliquer le fonctionnement de la société, et elle n’a
rien à voir avec ces deux fantasmes. Pour clarifier tout ça nous devrons
répondre à quatre questions :
- Les complots, ça existe ou pas ?
- Le complotisme permet-il de comprendre le monde ?
- Pourquoi certains parlent-ils tant de « théorie du complot » ?
- Les médias font-ils le jeu du complotisme ?
1-Les complots, ça existe ou pas ?
Partons de la définition. Une synthèse des
dictionnaires peut se résumer ainsi: « projet secret élaboré par
plusieurs personnes contre une autre ou contre une institution ». Sur
base de ces divers éléments, vérifions ensemble :
- Quand la CIA et le MI 6 britannique organisent en 1953 un plan secret avec des troubles et une campagne de diffamation pour renverser le premier ministre Mossadegh en Iran, et le remplacer par le Chah d’Iran, soumis aux USA[1], est-ce un complot ? Oui, il n’y a pas d’autre mot.
- Quand Henry Kissinger et la CIA organisent en 1973 un plan secret pour renverser le président progressiste Allende[2] et le remplacer par la dictature militaire néo-libérale du général Pinochet, est-ce un complot ? Oui.
- Quand Brzezinski, conseiller du président Carter, organise secrètement l’envoi en 1979 de Ben Laden et autres terroristes en Afghanistan pour renverser le gouvernement de gauche (il le reconnaîtra vingt ans plus tard[3]), est-ce un complot ? Oui.
- Quand, en 2003, le ministre de la Guerre US Donald Rumsfeld prévient ses proches, mais pas l’opinion, que les Etats-Unis « vont prendre sept pays Afghanistan, Irak, Somalie, Soudan, Libye, Syrie pour finir par l’Iran »[4], plan qui sera effectivement mis en oeuvre, est-ce un complot ? Oui.
- Quand Bush et Blair fabriquent en 2003 de faux rapports[5] affirmant que l’Irak possède des armes de destruction massive et cela pour justifier leur guerre du pétrole, est-ce un complot ? Oui.
Nous ne
discuterons pas ici la question de savoir si chaque guerre est vendue avec de
tels médiamensonges (cachant à l’opinion les véritables objectifs). Nous
voulons juste souligner que les complots font bel et bien partie de la
politique internationale, particulièrement en ce qui concerne les guerres et
les coups d’État.
Les complots
sont-ils toujours de droite ? Non. Si on se base sur la définition du
dictionnaire, quand Castro et Che Guevara organisent à partir de 1955 – en
secret évidemment – une insurrection pour renverser la dictature militaire
pro-US qui opprime Cuba, est-ce un complot ? Oui. Progressiste cette
fois : en faveur du peuple. Au contraire des complots tramés par des
élites pour leurs intérêts égoïstes. Bref, il existe des complots de droite et
des complots de gauche.
2- Le complotisme permet-il de comprendre le monde ?
Ma réponse a
toujours été très claire : Non ! Je l’ai écrit noir sur blanc dans
mon livre Israël, parlons-en ! : « Le conflit Israël –
Palestine n’est pas une guerre de religion. Ce n’est pas non plus un complot
juif. (…) La réalité est bien plus simple. La réalité derrière Israël, c’est
tout simplement notre système économique et social. Le capitalisme, de par ses
lois économiques « naturelles », provoque inévitablement une grande
accumulation de richesses à un pôle, et de pauvreté à un autre pôle. Depuis sa
formation jusqu’à aujourd’hui, le capitalisme a créé des fortunes de plus en
plus grandes et de plus en plus puissantes. Ces gens entendent contrôler les
matières premières et le pétrole est la plus stratégique. Pour le contrôler,
ils soutiennent les dictatures pétrolières arabes et Israël. Ce n’est pas un
mystérieux « complot », c’est juste une question de logique
économique. »[6]
Je l’ai répété
dans mon livre sur Charlie : « La seule façon de dépasser le faux
problème du complot consiste à débattre objectivement sur les faits : en
confrontant les deux versions, en ne croyant personne sur parole et en
vérifiant tout sur base des meilleures sources selon les possibilités :
témoins directs, témoins indirects fiables, documents, rapports et communiqués.
Tout cela des deux côtés bien sûr. »[7]
Mais qui a
développé ce concept de « complotisme » ? C’est l’historien US Richard Hofstadter.
Dans son
ouvrage The Paranoid Style in American Politics (1964), il étudia
l’idéologie de l’extrême droite US et notamment la chasse aux sorcières du
maccarthysme (1950 – 1956)[8]. Cette
campagne de répression anticommuniste d’extrême droite avait été orchestrée par
le sénateur Joseph McCarthy. Il prétendait
que les Etats-Unis étaient gravement menacés par un complot : « Des
hommes haut placés dans ce gouvernement travaillent de concert pour nous livrer
à la catastrophe ? Ceci doit être le produit d’une grande conspiration, une
conspiration si ignominieuse que, lorsqu’elle sera mise à jour, ses principaux
protagonistes seront à jamais voués aux gémonies par les honnêtes gens. »[9] Au fond,
McCarthy reprenait le thème obsessionnel d’Hitler : une grande
conspiration mondiale judéo-maçonnico-bolchévique menaçant l’Allemagne.
Le travail
d’Hofstadter mérite notre attention. Car il fournit une grille très précise
pour analyser les composantes de l’esprit complotiste qu’il appelle
« paranoïaque ». Selon Hofstadter, le porte-parole paranoïaque
nous entraîne dans un univers où politique et théologie
« expliquent » des événements qui en réalité ont été prophétisés et
se préparent depuis plusieurs générations. La « grande conspiration »
est tramée par des forces maléfiques aux pouvoirs gigantesques et quasi
surnaturels ; cette machination envahit tous les pouvoirs :
politiques, éducatifs, médiatiques, religieux, et donc aussi l’Etat. C’est même
pour cela qu’on n’en parle pas : le silence a été bien organisé, ce qui
confirme l’emprise des comploteurs. Dans cet univers, le genre humain verra
très bientôt le « bien » triompher du « mal ». Il s’agit
donc de se ranger du bon côté.
Dans les
périodes de crise et de désarroi idéologique, on assiste toujours à une
recrudescence de la croyance aux complots. Et actuellement nous sommes bien
dans une telle période pour diverses raisons :
- la crise économique, politique et morale du système social
- la perception sensible des dangers qu’il apporte (environnement, guerres)
- la perte de crédibilité des médias officiels
- l’effondrement des partis de gauche en Europe
- la disparition donc du cadre d’analyse objectif en termes d’intérêts des classes sociales
Le
complotisme ne permet pas de comprendre l’économie
En matière
économique, le complotisme est particulièrement à côté de la plaque. Certes,
les complots existent. Quand les principales banques du monde s’entendent pour
manipuler les taux de change de devises et accumuler ainsi des bénéfices extra,
et qu’elles sont condamnées à 1,7 milliards d’amendes par l’UE [10], de quoi
s’agit-il, sinon d’un complot ? De même, quand des multinationales
s’arrangent entre elles, secrètement, pour fixer des prix trop bas aux matières
premières qu’elles achètent ou des prix trop élevés aux produits qu’elles
vendent, n’est-ce pas un complot ? Et quand une juge de New York, Denise
Cote, condamne Apple pour avoir orchestré une entente avec de grands éditeurs
aux Etats-Unis pour augmenter les prix des livres électroniques (« Les
plaignants ont démontré qu’Apple avait conspiré pour relever les prix »),
elle applique une définition juridique correcte.
Mais
généraliser et prétendre que l’économie est complètement manipulée par un grand
complot, que par exemple la crise économique a été délibérément provoquée par
les banques pour augmenter leurs profits ou pour détruire les classes moyennes,
là on entre dans le fantasme, car cela ne correspond pas aux faits observés.
En réalité, dès
sa naissance quasiment, le système capitaliste n’a cessé d’être accompagné de
crises à intervalles plus ou moins réguliers. Pourquoi ? Parce que ce
système est basé sur trois lois économiques fondamentales :
- La propriété privée des grandes usines et autres entreprises (les forces de production).
- La concurrence entre ces patrons.
- Le profit maximum comme moyen fondamental de vaincre ses concurrents.
Ensemble ces
trois lois produisent un engrenage qui s’impose de manière automatique :
chaque grand capitaliste doit absolument exploiter au maximum ceux qui
travaillent pour lui. C’est-à-dire les faire produire le plus possible, les
payer le moins possible, et même parfois licencier le plus possible en
intensifiant le travail de ceux qui restent. Et ce n’est pas une question de
sentiments : les capitalistes agissent ainsi non parce qu’ils sont
« méchants » mais parce que s’ils ne le font pas, ils seront éliminés
ou avalés par les concurrents. Chacun pour soi et tous contre tous.
Problème :
quand un capitaliste réalise de telles économies, ses rivaux font évidemment
pareil. Résultat : tous appauvrissent ceux qui travaillent pour eux. Dès
lors à qui vont-ils vendre puisqu’ils ont détruit le pouvoir d’achat de leurs
acheteurs ?
On pourrait se
dire : mais les capitalistes s’étant enrichis, ils vont dépenser davantage
et quand même faire tourner l’économie ? Non. En augmentant la part des
profits au détriment des salaires, ils se donnent les moyens d’augmenter leur
capital et leurs forces de production. Mais le pouvoir de consommation ne peut pas
suivre puisqu’il a été réduit. Et ce déséquilibre fondamental revient sans
cesse dans le système capitaliste. Il n’y a pas de planification veillant à
l’équilibre entre les investissements et les salaires.
En conséquence,
à un moment donné, il y a trop de produits sur le marché par rapport aux
revenus qui peuvent être employés à les acheter. C’est la
« surproduction », le blocage. Les uns sont capables de produire de
plus en plus, mais les autres ne peuvent acheter tout ça. Ne pouvant plus vendre
assez, les capitalistes arrêtent partiellement la production et donc leur
accumulation de richesses.
Conclusion.
Cela ne provient pas du complot de quelques-uns. C’est un effet automatique des
trois lois du capitalisme et, contrairement à certains récits complotistes, les
capitalistes n’en sont pas heureux car cela met en danger leurs profits, et
parfois même l’existence de certains d’entre eux.
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Sont-ils tout
puissants ?
Une variante du
complotisme prétend que l’économie serait dirigée de façon occulte par un petit
groupe de gens mystérieux qui tirent les ficelles clandestinement. La réalité
est bien plus simple : environ deux cent grandes multinationales dominent
tous les secteurs clés de l’économie. Et ça n’a rien de clandestin, elles ont
toutes un siège social et une adresse, des dirigeants et des actionnaires
connus. Avec des revenus et des propriétés identifiés, des trains de vie
luxueux. Tout cela généralement discret, oui, mais secret, non. Les
« maîtres du monde » sont donc bien connus. Et c’est important, car
on peut donc décider qui il faut combattre si on veut défendre l’intérêt
collectif contre les intérêts égoïstes.
Alors,
qu’est-ce qui freine ou empêche ce combat ? Plusieurs causes que nous
verrons. Mais d’abord le fait que les médias présentent l’économie de façon
déformée en ne donnant la parole qu’aux experts procapitalistes. On en vient à
présenter les lois économiques du capitalisme comme « naturelles et
inévitables » en martelant qu’il n’y a pas d’alternative. On tue l’espoir.
Mais revenons
au complotisme. En réalité, cette vision d’une économie qui serait dirigée par
des comploteurs tout puissants est fausse et dangereuse. Fausse parce qu’en
réalité personne ne peut contrôler l’ensemble de l’économie. Certes, d’un côté,
les capitalistes s’entendent entre eux pour défendre leurs intérêts face aux
travailleurs et aux populations. Et aussi pour défendre leurs intérêts contre
ceux des autres pays. En ce sens, ce sont clairement eux qui dominent une
économie qui n’est pas du tout démocratique. Mais, de l’autre côté, ils se font
aussi concurrence entre eux et cela affaiblit l’ensemble de leur système. Comme
Albert Einstein l’avait très bien analysé en 1949 : « L’anarchie
économique de la société capitaliste, telle qu’elle existe aujourd’hui, est, à
mon avis, la source réelle du mal. Nous voyons devant nous une immense société
de producteurs dont les membres cherchent sans cesse à se priver mutuellement
du fruit de leur travail collectif — non pas par la force, mais, en somme, conformément
aux règles légalement établies. L’aiguillon du profit en conjonction avec
la compétition entre les capitalistes est responsable de l’instabilité dans
l’accumulation et l’utilisation du capital qui amène des dépressions
économiques de plus en plus graves. La compétition illimitée conduit à un
gaspillage considérable de travail et à la mutilation de la conscience sociale
des individus. » [11] Bon diagnostic
avec les trois éléments : propriété, profit maximum, compétition.
De ce
diagnostic (où Einstein rejoint Marx en fait) nous pouvons tirer deux
conclusions. 1. Sur le rapport entre les banquiers et les industriels. 2. Sur
les rapports au sein même de la classe capitaliste en général.
- Ne pas exagérer l’importance de la banque. Certes, historiquement, les banquiers ont joué un rôle important dans la première accumulation du capital qui a permis la révolution industrielle et la formation des grands monopoles. Et ils restent un rouage important du système économique actuel. Mais l’idée qu’eux et la spéculation seraient seuls responsables de la crise et des maux du capitalisme n’est pas scientifique, elle ne reflète pas les lois réelles de son fonctionnement.
En réalité, les
multinationales industrielles sont la base du capitalisme, leur exploitation
est la cause fondamentale de la crise, et ce sont elles, en dernière instance,
qui provoquent les guerres. Einstein montre bien qu’en supposant que les
banques n’existeraient pas, eh bien, même dans ce cas, les industriels
provoqueraient des crises, conséquences des règles que nous avons décrites. Dès
lors, centrer toute l’attention, par exemple, sur Goldman Sachs et ses complots
(réels ou imaginaires), c’est nier le problème d’ensemble de ce système
capitaliste. C’est faire croire qu’en le guérissant de sa « maladie
banquière ou spéculative » il serait capable de mettre fin à
l’exploitation et d’assurer le bien-être à tous. Illusion réfutée par les
faits : jamais l’humanité n’a produit autant de richesses, jamais il n’y a
eu autant d’hommes mourant de faim.
- Bien mesurer les contradictions entre capitalistes. On parle souvent des rencontres du groupe Bilderberg comme étant le pouvoir absolu et totalement secret de notre société. D’un côté, il est exact que cet organe où se concertent les plus grandes multinationales a davantage de pouvoir que les gouvernements et peut leur dicter les grandes orientations. De l’autre côté, le fait que les principaux capitalistes se concertent entre eux et tentent de s’entendre sur certaines questions ne supprime pas la concurrence acharnée que ces grandes multinationales se mènent également entre elles et qui les affaiblit.
Quand les
principales banques US se voient infliger des amendes colossales, comme indiqué
plus haut, et que Goldman Sachs écope de cinq milliards de dollars, il est
difficile de croire que tout cela fait partie du grand complot tramé par
Goldman Sachs qui serait le maître absolu du monde. Il faut rester
sérieux. Cette amende est l’effet concret des contradictions entre les banques
et les autres capitalistes, ceux-ci estimant que les banques leur ont fait du
tort, voire ont mis l’ensemble du système en danger et qu’il faut donc faire la
police.
La Première
Guerre mondiale est bien la preuve que si les capitalistes peuvent en effet
s’entendre sur certaines questions d’intérêt commun, ils peuvent aussi avoir
entre eux des conflits totalement destructeurs et pas du tout planifiés.
Certes, au départ, chaque camp souhaitait la guerre, espérant la gagner vite et
pas cher. Cependant personne n’avait prévu qu’elle durerait aussi longtemps et
que certaines puissances en sortiraient très affaiblies, voire détruites.
L’Allemagne, récemment montée en puissance, exigeait : 1.
L’Alsace-Lorraine, c’est-à-dire le charbon et l’acier. 2. Les Balkans comme
voie stratégique vers l’Orient et le pétrole. 3. Les colonies africaines enfin
dont elle estimait « ne pas avoir eu sa part ». La Grande-Bretagne et
la France poursuivaient leurs propres objectifs impérialistes. L’idée que ces
puissances auraient comploté ensemble est absurde[12].
Pour conclure
sur ce point, un « complot global » est impossible car les
capitalistes sont en concurrence entre eux. Ils peuvent s’entendre sur un ou
plusieurs complots quand leurs intérêts convergent sur un point, dans une
région ou pour abattre un dirigeant. Mais ils ne peuvent pas s’entendre sur un
« complot global » car leurs intérêts divergent et que chacun veut
abattre l’autre.
Analyse
complotiste ou analyse stratégique ?
Fausse donc,
cette vision du « capitalisme complot tout puissant » est dangereuse.
Car elle donne l’impression que l’Histoire est faite non par la lutte entre les
diverses classes et forces sociales dont chacune défend ses intérêts mais par
une poignée de gens tout-puissants. Et donc cette vision décourage la
résistance des victimes de ce système. Elle donne l’impression que les
travailleurs et citoyens n’ont aucune chance de marquer des points. Or, toute
l’histoire de la lutte ouvrière et citoyenne montre qu’il est tout à fait
possible de se défendre et d’obtenir des progrès sociaux : interdiction du
travail des enfants, limitation de la journée de travail (jusqu’à quinze
heures/jour au 19ème siècle !), obtention de la Sécurité
sociale (assurances contre le chômage, la maladie, l’accident de travail, la
vieillesse), respect de l’hygiène et de la sécurité au travail. Toutes ces
avancées ont été obtenues par des luttes ouvrières. Si les travailleurs
européens d’aujourd’hui ont un certain niveau de vie, c’est grâce aux luttes de
leurs parents et grands-parents, il ne faut jamais l’oublier. Surtout que les
capitalistes veulent à présent reprendre tout ce qu’ils ont dû concéder.
Pour défendre
ces conquêtes et pour obtenir de nouveaux progrès, il faut donc ne pas se
laisser intimider par une prétendue toute puissance, occulte ou non, des
patrons, mais au contraire les voir tels qu’ils sont : avec leurs forces
mais aussi leurs faiblesses. On doit, sans nier les difficultés, avoir
confiance en ses propres forces. Le complotisme est une forme de défaitisme et
au fond il fait le jeu des patrons et de l’exploitation.
Saïd Bouamama a
bien expliqué l’opposition complète entre les deux modes de pensée : « La
théorie du complot présente les événements politiquement signifiants comme le
résultat d’une conspiration globale orchestrée en secret par un groupe social
plus ou moins important. L’approche stratégique c’est-à-dire matérialiste
analyse l’histoire comme le résultat de la lutte entre les groupes dominés
(classes, minorités nationale et/ou ethniques, nations, femmes, etc.) et les
groupes dominants basée sur une divergence d’intérêt matériel. » [13]
La différence
est essentielle : l’analyse matérialiste (au sens d’une approche
scientifique basée sur les faits matériels, observables et prouvables) montre
comment il est possible de lutter en profitant des points faibles de
l’adversaire. Tandis que le complotisme mène dans une impasse en ciblant de
faux ennemis, généralement inatteignables.
Le
complotisme ne permet pas de comprendre les guerres
En matière de
guerre, il y a bel et bien des complots, on l’a vu. Mais là aussi il serait
dangereux de croire que les grandes puissances réussissent tous les complots
qu’elles préparent. Le complot réussit quand il y a dépolitisation et absence
de mobilisation. Il échoue quand la résistance des « victimes »
est consciente et bien organisée. Les Etats-Unis ont été vaincus au Vietnam, le
peuple palestinien résiste depuis plus de soixante ans, les Etats-Unis ont
certes plongé l’Irak dans le chaos mais ils n’ont pas réussi à contrôler et
exploiter ce pays comme Bush l’espérait, des coups d’Etat ont échoué en
Bolivie, en Equateur, au Venezuela. Bref, le monde est une lutte entre des
forces opposées, ce ne sont pas toujours les mêmes qui gagnent et beaucoup
dépend de l’unité et de la conscience des populations. Leurs agressions et
complots peuvent donc être mis en échec si la population a été bien préparée à
résister. Ce qui commence par une bonne information sur la réalité des choses.
Et pour bien
s’informer, il faut rompre consciemment et entièrement avec les deux fantasmes :
le complotisme et la naïveté. Car nous nous trouvons face à deux dangers :
voir des complots partout et voir des complots nulle part. La première théorie
nous propose une explication bidon qui ne permet pas de comprendre la société,
ni de la transformer. En cachant les vraies cibles, elle fait le jeu du
pouvoir. La seconde théorie veut nous pousser à faire confiance aux dirigeants
politiques qui nous diraient la vérité. Toutes deux sont des pièges parallèles.
Voir des
complots partout ? Au lieu d’étudier
soigneusement les mécanismes du capitalisme, le complotisme est une explication
paresseuse que certains veulent imposer aux masses pour les empêcher de
réfléchir et pour les manipuler. Souvent en vue de s’emparer du pouvoir. Hitler
parlait du « grand complot judéo-bolchévique » et au début il
tonnait, en paroles, contre les banques, mais il était payé par les grands
banquiers et industriels allemands et toute son action les a servis[14].
Voir des
complots nulle part ? Ceux qui ne
voient de complots « nulle part » devraient alors à nous expliquer à
quoi servent les services secrets ! Les vingt mille employés de la CIA
sont-ils payés pour jouer aux mots croisés ou pour comploter ? C’est
le moment de citer cette plaisanterie fort en vogue en Amérique latine : « Pourquoi
n’y a-t-il jamais eu de coup d’Etat aux Etats-Unis ? »
Réponse : « Parce que c’est le seul pays où il n’y pas d’ambassade
des Etats-Unis ! ».
Et quand la NSA
espionne le monde entier, vous croyez que c’est juste contre le terrorisme ou
pour aider secrètement les entreprises US à affaiblir leurs rivales étrangères
? La théorie de la naïveté, franchement, ne vaut pas mieux que la théorie du
complot !
Finalement,
comment arriver à une vision objective de l’Histoire et des conflits actuels? A
mon sens, il faut dire qu’il y a eu des complots dans l’Histoire, assez bien
même (pensons aux nombreux coups pour remplacer un dirigeant par un autre),
mais qu’ils ne font pas l’Histoire, ils n’en constituent pas l’essence. Ils ne
sont qu’un moyen parmi d’autres pour défendre des intérêts.
3- Pourquoi certains parlent-ils tant de « théorie du complot » ?
Alors, si je
dénonce clairement le complotisme, pourquoi certains m’accusent-ils quand même
d’être un « complotiste » ? Et suis-je le seul ?
En fait, pas du
tout, dès que quelqu’un critique la politique internationale des États-Unis, de
la France ou d’Israël, en montrant son caractère global, il se voit accusé de
« théorie du complot ».
Voici une
petite liste (très incomplète) des “diabolisés” : Ziegler, Chavez, Castro, Le
Grand Soir, Lordon, Ruffin, Kempf, Carles, Gresh, Bricmont, Bourdieu, Morin,
Mermet, Boniface, Enderlin, Cassen, Siné, Bové, Péan, Godard, Jean Ferrat,
Seymour Hersh, Wikileaks, et même des analystes juifs : Hessel, Chomsky,
Finkelstein.
En fait, c’est
très pratique. Vous n’avez pas d’arguments à opposer aux faits avancés ?
Alors, traitez simplement vos adversaires de « complotistes », et le
tour est joué : plus besoin d’argumenter sur les faits, plus besoin de
réfuter les preuves ! La « théorie du complot », c’est le truc
de l’avocat qui sait que son dossier est pourri.
J’en ai eu
personnellement la preuve quand j’ai débattu avec Henri Guaino (auteur des
discours de Sarkozy). J’exposais concrètement les crimes de ses amis des
multinationales françaises au Mali et au Niger. N’ayant rien à répondre, tout
ce qu’il a trouvé à sortir, c’est « théorie du complot » ! [15]
Nous avons vu
que « théorie du complot » était au départ un concept progressiste
développé par Hofstadter pour rendre compte des délires et fantasmes de la
pensée d’extrême droite. Malheureusement, selon une méthode assez typique, il
fut ensuite récupéré et manipulé par la CIA à partir de 1963. Il s’agissait
alors de discréditer ceux qui demandaient une véritable enquête sur
l’assassinat du président Kennedy : par un homme seul ou bien par une
conspiration ? Et depuis lors, « théorie du complot » est
constamment utilisé par les responsables des Etats-Unis pour discréditer les
critiques et refuser de débattre sur les faits. Car le meilleur moyen de
manipuler, de diviser et de battre les progressistes, c’est d’utiliser et
détourner leurs propres arguments, tant les idées conservatrices sont en soi
inconsistantes.
Si ça se
limitait à cela, ce ne serait pas un si grand problème. Mais ces dernières
années a été relancée dans les médias et sur Internet une campagne systématique
contre certains analystes arbitrairement étiquetés « complotistes ».
A partir de quand ? A partir du massacre de Gaza, en janvier 2009, quand
Israël se retrouva de plus en plus critiqué et isolé dans l’opinion publique
internationale.
Cette campagne
ne tombe pas du ciel. Enfin un peu quand même : disons, du sommet de
l’Etat. Aux USA, le site officiel du Département d’Etat brode pas mal sur le
thème « complotisme et antisémitisme ». De même, en France, après
Sarkozy, le président Hollande a exploité le filon devant le lobby pro-Israël
du CRIF :
« L’antisémitisme
a changé de visage. (…) aujourd’hui, il se nourrit aussi de la haine d’Israël.
Il importe ici les conflits du Moyen Orient. Il établit de façon obscure la
culpabilité des juifs dans le malheur des peuples. Il entretient les théories
du complot qui se diffusent sans limite. Celles même qui ont conduit au pire. Nous devons prendre conscience que les thèses
complotistes prennent leur diffusion par internet et les réseaux sociaux. Or
nous devons nous souvenir que c’est d’abord par le verbe que s’est préparée
l’extermination. Nous devons agir au niveau européen et même international pour
qu’un cadre juridique puisse être défini et que les plateformes internet qui
gèrent les réseaux sociaux soient mises devant leurs responsabilités, et que
des sanctions soient prononcées en cas de manquements. »[16]
Confondant avec
mauvaise foi l’antisémitisme (racisme anti-juifs) et l’antisionisme (refus du
colonialisme israélien, c’est-à-dire d’un Etat théocratique reposant sur une
discrimination ethnique, bref un Etat complètement antidémocratique), le
président Hollande criminalise ceux qui sont solidaires des Palestiniens. Il
les assimile carrément aux nazis et cherche en fait à nous interdire de parler
contre la politique d’Israël. La thèse « théorie du complot » prépare
donc une très grave attaque contre la liberté d’expression.
Toujours proche
de l’Elysée, Bernard-Henri Lévy emboîte évidemment le pas en accusant «
cette maladie moderne qui s’appelle le complotisme »[17] et en
organisant un « débat » en 2012 contre « le
conspirationnisme ». Comme le fit remarquer un spectateur, aucun
contradicteur ne fut invité. Cet homme qui jouit d’une énorme fortune,
accumulée sur le dos de travailleurs africains du bois, mal payés, mal soignés
et carrément volés par sa société familiale, se permet de donner au monde
entier des leçons de dignité humaine et de rigueur de pensée.
Des
lobbyistes manipulant les textes
Alors est-ce un
hasard si les politiques fuient tout débat contradictoire et s’ils sont
remplacés par quelques pseudo-journalistes proches d’Israël et des néo-cons
US ? Dans ce lobby d’un nouveau genre, on retrouve Caroline Fourest, Rudy
Reichstadt et Ornella Guyet. Tous trois ont coopéré avec des think tanks
de droite radicale, US ou français[18].
Faut-il alors
s’étonner que Caroline Fourest me traite de « complotiste », Rudy
Reichstadt de « conspirationniste » et Ornella Guyet (souvent cachée
sous divers pseudos antifascistes) de « confusionniste » ?
Tiens, pourquoi a-t-elle sorti ce curieux concept ? Parce qu’elle se
rendait compte que les autres accusations ne tenaient pas debout ? Pour
faire preuve d’originalité ? L’explication est peut-être plus
simple : personne ne comprend ce terme qui ne veut rien dire, et dès lors
comment voulez-vous réfuter un concept aussi… confus ? C’est pratique.
Les
manipulations et les sources d’extrême droite de ce trio ont été exposées très
clairement par divers critiques : Fourest ici[19], Reichstadt et
son site Conspiracy Watch ici[20] et Guyet,
démasquée par Le Grand Soir, Acrimed et Le Monde Diplomatique, ici[21]. Ces obsédés
de la théorie du complot ont en commun deux caractéristiques :
Première
caractéristique : la manipulation des textes. Ils ne cherchent pas la vérité mais cachent ou
déforment systématiquement mes textes qui gênent leurs thèses. Ou alors ils me
prêtent des amitiés avec des gens que je ne soutiens pas (et parfois même ne
connais pas !), espérant ainsi salir en amalgamant. Tout ceci n’a rien à
voir avec le journalisme dont ils se réclament, ce sont en fait des procureurs
acharnés qui enquêtent toujours à charge et écartent tout ce qui contredit
leurs accusations. Ce ne sont pas des journalistes, mais des lobbyistes.
Ils se
comportent ainsi avec toutes leurs « cibles ». D’une façon si
malhonnête que Pascal Boniface leur a consacré un livre : « Les
intellectuels faussaires ». Comme l’a indiqué François Ruffin (mensuel
Fakir, également diabolisé), les diaboliseurs appliquent une recette
malhonnête : « D’abord caricaturer à l’extrême de façon à donner une
image simpliste de l’adversaire. Puis conclure, du soi-disant
« simplisme » de ces « néo-gauchistes » à leur prétendue
adoption généralisée de la théorie du complot. »[22].
Deuxième
caractéristique : la lâcheté. Les diaboliseurs refusent soigneusement de débattre avec ceux qu’ils
diabolisent. Voilà qui est surprenant : ils se désolent qu’un large public
sombre dans le complotisme en étant influencé et manipulé par des gens comme moi.
Mais chaque fois que je leur ai proposé un débat contradictoire et publié sur
mon site Investig’Action, ce qui leur aurait donné une chance extraordinaire de
faire revenir au bercail toutes ces brebis égarées, ils ont lâchement refusé.
Pourquoi ? La seule explication est qu’ils savent qu’ils mentent, ils
savent que leurs arguments reposent sur des falsifications de textes.
Le débat sur le
complotisme est un faux débat agité pour faire diversion. La vérité est
beaucoup plus simple : dans les luttes sociales comme dans les luttes Nord
– Sud, dominants et dominés élaborent des stratégies pour l’emporter, c’est
tout à fait normal. Ces stratégies comportent des combats idéologiques, des
affrontements ouverts et aussi des complots. Tout ne se ramène pas aux complots
mais ils font partie de la stratégie de lutte. En accusant de
« complotisme », on veut décourager de dénoncer les stratégies
néocoloniales et guerrières.
Reste une
question : pourquoi dépenser tant d’énergie à diaboliser ? Faire changer
d’avis ceux qui me lisent ? Impossible : ils savent que j’ai écrit
exactement le contraire de ce qu’ils m’attribuent. Mais alors quel est le
véritable objectif des diaboliseurs ? Il s’agit de faire peur à ceux qui
ne me connaissent pas. Il s’agit de dresser un mur entre les gens qui se posent
des questions sans avoir les moyens d’y répondre et nous qui apportons des
réponses avec des faits concrets. Il s’agit de rabattre les hésitants vers la
version officielle. Ridiculiser les citoyens qui mettent en doute la version
officielle, marteler que le pouvoir est honnête malgré ses défauts et qu’il ne
faut ne pas se poser de questions : à qui cela profite-t-il ?
Pour le
comprendre, il ne faut pas se limiter à parcourir telle ou attaque circulant en
boucle sur le Net mais il faut absolument regarder l’ensemble de ce que ces
gens ont écrit. Afin de comprendre dans quel camp ils se rangent et où ils
veulent nous embarquer.
Caroline
Fourest : une complotiste ?
Prenons le cas
de Fourest. Parmi les médias qui la citent complaisamment comme « experte
du complotisme », lequel ira creuser un peu et signaler l’article qu’elle
a publié dans le Wall Street Journal (journal patronal des États-Unis),
article intitulé « La Guerre pour l’Eurabie »[23] ? Selon
Fourest, l’Europe serait en train d’être envahie par les Arabes. Manipulés par
l’islamisme, ces immigrants incapables de s’intégrer représenteraient une
menace pour la démocratie. Au point que Londres serait devenue « Londonistan ».
Cette thèse
délirante, elle l’a recopiée directement de trois idéologues d’extrême droite.
L’un s’appelle Norman Podhoretz, c’est un auteur US qui a constamment mené
campagne pour bombarder l’Iran : « principal foyer de
l’idéologie islamo-fasciste contre laquelle nous nous battons depuis le 11
septembre »[24]. Une autre
source est Daniel Pipes, autre idéologue US d’extrême droite, auteur de La
Menace de l’Islam, s’est notamment signalé en soutenant le xénophobe
hollandais Geert Wilders.
Mais la
créatrice originelle du terme Eurabia, c’est Bat Ye’or, essayiste
britannique porte-parole du lobby pro-Israël.
Voici comment est présenté son livre « Eurabia – L’axe euro-arabe » :
« Depuis plus de trois décennies, l’Europe planifie avec les pays de la
Ligue arabe la fusion des deux rives de la Méditerranée. Par le « Dialogue
euro-arabe », elle a développé une structure d’alliances, et souvent d’allégeances,
avec le monde arabe. Elle sacrifie son indépendance politique tout comme ses
valeurs culturelles et spirituelles en échange de garanties (quelque peu
illusoires) contre le terrorisme et d’avantages économiques que lui dispensent
les pays arabes. Si ces derniers fournissent à l’Europe des hydrocarbures,
s’ils lui offrent des marchés, ce n’est pas sans lui imposer des contreparties
: ils exigent d’elle une ouverture sans cesse accrue à leur culture, à leur
langue, à leur religion – l’islam -, à leurs émigrants, qu’ils veulent toujours
plus nombreux. Ils arrachent aux pays d’accueil des conditions visant à
maintenir ces émigrants dans leur culture d’origine au lieu de faciliter leur
intégration. Enfin l’alliance euro-arabe se base sur une politique commune
hostile à Israël et aux Etats-Unis. C’est une stratégie de subornation de
l’Europe qui est ainsi mise en œuvre par les pays arabes, avec l’active
complicité des instances dirigeantes européennes : la Commission européenne
pilote un puissant dispositif financier servant cette politique ; elle a
déployé une immense toile médiatique fabriquant le « politiquement correct
eurabien » ; elle a enrégimenté les institutions scolaires et
universitaires, et parfois même les Eglises, dans cette entreprise de dénaturation
de l’identité européenne ».
Résumons cette thèse Eurabia : les pays arabes
appliquent un plan secret d’islamisation de l’Europe et les élites européennes
sont complices. Si ça n’est pas une théorie du complot, nous sommes le
Pape ! Il est donc étonnant de constater
que les médias si élogieux sur Fourest se taisent complètement sur ce concept
Eurabia, clé de voute de sa « pensée ». Pourtant, une analyse
rapide permet d’y retrouver tous les critères permettant de définir une théorie
complotiste selon Hofstadter : 1. La conspiration dure depuis plusieurs
décennies. 2. Allégeance à une puissance étrangère (le monde arabe). 3.
L’Europe sacrifie ses valeurs. 4. Les Arabes imposent leur langue, leur
religion et leurs valeurs. 5. L’axe euro-arabe est hostile à Israël et aux États-Unis.
6. Les dirigeants européens laissent faire ou sont complices. 7. Tout cela
constitue une entreprise pour dénaturer l’identité européenne.
Le problème ne
se limite pas à Fourest. Le site Conspiracy Watch est aussi érigé
en « expert » du complotisme par certains médias, lesquels oublient de mentionner que
Reichstadt y recopie les thèses les plus racistes des néocons US et israéliens.
Leur père
spirituel, Pierre André Taguieff, est souvent présenté comme un penseur, grand
théoricien du conspirationnisme. En réalité Taguieff a grossièrement contrefait
la grille d’analyse de Richard Hofstadter, en la fusionnant au prêche
islamophobe et belliqueux de Daniel Pipes et Bat Ye’or. De 2009 à 2013,
Taguieff a publié ses nombreuses « analyses » sur le site dreuz.info. Ce site islamophobe d’extrême droite
voit en Obama un « antisémite », qui nommerait un peu partout des
« frères musulmans », ce qui serait normal vu son second prénom
« Hussein » [25]. On voit le
niveau, et ces gens-là nous donnent des leçons sur ce qu’est le
complotisme !
Ainsi, Lévy, Fourest, Reichstadt, Guyet se sont
instaurés en une véritable police de la pensée unique. Pour étouffer tout
questionnement. A travers nous, ce qu’ils attaquent c’est en fait le droit de
tous les citoyens de s’informer librement. Évidemment, quand on voit leurs
méthodes de faussaires, on doit vraiment se demander pourquoi tant de médias
les recopient complaisamment alors que ces accusations ne tiennent pas
debout ? Dans quel intérêt ? Ceci nous amène à notre dernière
question…
4- Les médias font-ils le jeu du complotisme ?
Cette question
pourra sembler bizarre puisque les médias dominants ne cessent de mettre en
garde contre le complotisme. Mais peut-être faut-il y regarder de plus
près ? Certains journalistes aiment à se moquer du public qui serait porté
à « croire n’importe quoi sur Internet » et à tomber dans le
complotisme. Ce sentiment de supériorité me semble déplacé. Pour deux raisons.
Première
raison : ces « grands journalistes » ne sont-ils pas eux-mêmes
tombés dans de nombreuses théories du complot ?
– En Roumanie,
en décembre 1989, ils annoncent un charnier de 4.632 victimes des émeutes, tués
par balles ou éventrés à la baïonnette. « Horrible charnier des
victimes des manifestations de dimanche », affirme Le Monde. « Boucherie »
titre Libération, « Chambres de torture où, systématiquement, on
défigurait à l’acide les visages des dissidents et des leaders ouvriers »,
révèle El Pais. « Ceaucescu, atteint de leucémie, aurait besoin
de changer son sang tous les mois », explique le scientifique TF1. En
fait, ce grand complot de Ceaucescu n’a jamais existé comme nous l’expliquions
dès ces « révélations » et comme les grands médias ont dû le
reconnaître deux semaines plus tard [26]. Le charnier
était totalement bidon.
– En 1990, ces
mêmes médias annoncent que Saddam Hussein dont les troupes ont envahi le Koweït
a fait voler toutes les couveuses d’une maternité à Koweit-City, condamnant les
bébés à une mort atroce. Bidon aussi.
– En 1999, ils
justifient les bombardements de l’Otan contre la Yougoslavie par l’existence
d’un « Plan Fer-à-Cheval » serbe pour vider le Kosovo de ses
habitants albanais. Ce complot n’existait que dans l’imagination fertile des
conseillers com du ministre allemand de la Guerre Rudolf Scharping.
– En 2003,
l’invasion de l’Irak est justifiée par le fait que Saddam Hussein cacherait des
armes de destruction massive (chimiques et biologiques) pouvant nous menacer.
Bidon encore.
– En 2011, le
bombardement de la Libye est justifié par le fait que Kadhafi prévoirait
d’exterminer les populations résistantes et aurait déjà massacré six mille
personnes en quelques jours. Bidon toujours.
Et on pourrait
ajouter de nombreux autres exemples. Bref, ces grands médias donneurs de leçons
sont tombés dans tous les pièges de la propagande de guerre des trente
dernières années. Pire : ils ont censuré nos infos quand nous donnions
l’alerte. Bref, on peut se demander qui doit prendre des leçons de vigilance.
Deuxième raison
pour être moins arrogant : en continuant à défendre bec et ongles la version
officielle sur les guerres, en refusant de critiquer leurs propres erreurs et
en refusant tout débat public sur la fiabilité de l’info, les médias dominants
ne créent-ils pas eux-mêmes ce réflexe de méfiance généralisée dont ils
souffrent aujourd’hui ?
- Quand les revues stratégiques des USA, ou d’autres puissances occidentales (Stratfor, Rand Corporation, Foreign Affairs, etc.) exposent une version totalement contraire à ce qu’on raconte à l’opinion publique, pourquoi les médias n’en parlent-ils pas ? Un seul exemple, Georges Friedman, directeur de Stratfor (proche du Pentagone) : « Les événements du début 2014 en Ukraine (furent) le coup d’État le plus flagrant de l’histoire. » « Tout le Maïdan (…) Les USA ont ouvertement soutenu les mouvements pour les droits de l’homme, y compris financièrement (…) Les Russes n’ont pas compris ce qui se passait » « Les USA ne cherchent pas à « vaincre » la Serbie, l’Iran ou l’Irak, il leur faut y répandre le chaos, de façon à empêcher ces pays de devenir trop forts. »[27] Quand nous on écrit la moitié de ça, on se fait traiter de complotiste !
- Quand Obama affirme lui-même : « Le leadership américain implique de forcer la main des États qui ne font pas ce que nous voulons qu’ils fassent. (…)Les États-Unis comptent sur la force militaire et d’autres leviers pour atteindre leurs buts. (…) Nous sommes le plus grand, le plus puissant pays sur terre. Nous acceptons cette responsabilité. Mon administration est très agressive dans ses efforts pour essayer de résoudre les problèmes. » [28], on aimerait que les médias nous expliquent si Obama est aussi un complotiste ?
- Quand les emails d’Hillary Clinton confirment ce que nous disions dès le départ, à savoir que le but de Sarkozy était de faire main basse sur le pétrole et l’or libyens, on aimerait que les médias nous expliquent si Clinton est aussi une complotiste ?
Selon moi, ces deux raisons (tomber soi-même dans des
théories du complot et refuser le débat) font que les médias dominants sont
eux-mêmes responsables de la montée du sentiment complotiste. Les gens ont de
bonnes raisons de se méfier, ils ont été tant de fois bernés, et tant
d’innocents ont été tués à cause de ces médiamensonges ! On dira que les
journalistes n’en sont pas eux-mêmes responsables, que cela provient de
conseillers en com et en manipulations ? Sans doute, mais alors pourquoi
ne pas lancer une grande enquête et un débat sur ces manipulations ? Ne
faudrait-il pas mettre les gens en garde contre la propagande de guerre qui se
répète à chaque fois ? Les traiter en adultes ?
En refusant de le faire, en continuant à informer
comme si on nous disait toujours ou presque toujours la vérité, les médias
poussent les gens à chercher l’explication ailleurs. Et vu qu’il n’y a
malheureusement pas d’éducation aux médias dans les écoles, il est alors
inévitable qu’une partie de ce public méfiant tombe dans les fantasmes répandus
sur Internet.
Mais si les journalistes se méfiaient un peu plus, on
n’aurait pas le coup des armes de destruction massive à chaque guerre. Bref,
les médias ne sont pas innocents, ils sont les premiers responsables de ce
qu’ils déplorent sans l’analyser sérieusement et sans se remettre en question.
A mes yeux, le complotisme est l’enfant non reconnu des médias dominants.
La seule profession qui ne fasse jamais d’erreurs ?
Lancer à tout bout de champ l’étiquette
« complotiste » me paraît un aveu d’impuissance du journaliste qui
craint d’engager un débat démocratique sur la façon dont l’info peut être
manipulée d’en haut. Malheureusement, il semble qu’il soit interdit à certains
journalistes d’avouer qu’ils se sont trompés ou ont été trompés. Comme si cette
profession était la seule à ne jamais commettre d’erreurs.
En réalité, quel journaliste ne s’est jamais
trompé ? Mais les autocritiques sont rarissimes. On ne peut pas risquer de
faire baisser l’audimat et perdre des recettes publicitaires ? Il
semblerait que les médias appliquent la recette négationniste de Manuel Valls
refusant d’analyser les causes, c’est l’eurojihadisme « Expliquer, c’est
déjà un peu s’excuser »[29].
Pratique !
On ne débat pas ! Ainsi, quand l’hebdomadaire L’Express
– Le Vif consacre un dossier au conspirationnisme, une
« experte » en com, Aurore Vande Winkel, y recommande de ne jamais
inviter les « complotistes » à l’écran. Même pour les réfuter car, « s’ils
le faisaient, ils en “contamineraient” (sic) d’autres. Ce que les
médias doivent faire, c’est donner la parole à des experts extrêmement pointus
qui démonteront leurs arguments un par un. (…) Il faut prioritairement rétablir
la confiance de la population dans les gouvernements et les médias »[30].
Ici, n’est-ce pas le tiroir-caisse qui parle ? Et quel mépris pour les
gens, supposés incapables de se faire leur opinion par eux-mêmes entre deux
points de vue ! Mais, service public ou service privé, les gens vous
paient pour les informer correctement, pas pour répéter les communiqués des
autorités !
Le mépris, Henri Maler (Acrimed) le considère comme
une défaillance grave des médias dominants : « Trop rares sont les
enquêtes journalistiques qui (…) dans les grands médias, ne se bornent pas à
dénoncer des « cerveaux malades » et tentent de répondre à des
arguments réputés « conspirationnistes » en s’adressant à de vastes
publics qui doutent. Les explications journalistiques, quand elles existent,
sont diffusées par des médias dont l’audience reste limitée. Voir du
conspirationnisme partout interdit aux journalistes de lui faire face quand il
est avéré. » Et il propose une autre méthode : « À ces défaites
du journalisme, un seul remède : un peu moins d’imprécations et un plus de
journalisme ! »[31]
Le philosophe Laurent Paillard pense aussi qu’il faut
absolument débattre sur les infos : « La critique des médias
inspirée de la sociologie est le meilleur antidote à la théorie du complot.
Elle montre en effet que l’absence de pluralisme est l’effet d’une logique de
classe et pas le résultat d’un pacte secret. »[32]
Logique de classe ? Le manque d’objectivité des
médias dominants et leur soumission à l’ordre établi nécessitent en effet des
analyses sociologiques dont Herman et Chomsky ont brillamment montré l’exemple
dans Manufacturing Consent (La Fabrication du Consentement) en 1988 [33].
Les contenus médiatiques sont influencés par quatre grands facteurs :
propriété des médias (aux mains du 1%), publicité envahissante des
multinationales (idem), liaisons entre pouvoirs économiques, politiques et
médiatiques (idem), et enfin domination – consciente ou non – de l’idéologie
dominante (aussi celle du 1%).
On ne développera pas ici cette analyse que nous avons
menée ailleurs. Mais il convient de réfuter l’idée que tout le problème
viendrait du manque de temps dont les journalistes disposent pour bien
travailler. Certes, il y a la pression du « toujours plus
vite ! », mais elle n’explique pas tout. Il faut distinguer deux
catégories. On a d’un côté les journalistes (la grande majorité) à qui leur
patron ne laisse pas le temps de bien travailler, vérifier, recouper, enquêter.
Ceux-là, on ne peut que les plaindre : dans l’info-marchandise (c’est-à-dire
l’info support de pub), il n’est pas « rentable » de pratiquer la
rigueur qu’on leur avait enseignée dans (certaines) écoles de journalisme.
Mais de l’autre côté, on a aussi le journaliste qui
fait ses choix politiques, consciemment, aux côtés du 1%, et qui se prend pour
Dieu-je-sais-tout. Par exemple, sur Arte, voici comment Daniel Leconte a
introduit une grande soirée censée démasquer les complotistes : « On
croyait tout savoir. Eh bien, paraît-il qu’on avait tort.[34]
« Tout savoir », c’est ça votre définition du bon journaliste ?!
Mais n’est-ce pas exactement le contraire ? Chercher et creuser ce qu’il
ne sait pas pour bien nous l’expliquer ? En fait, Leconte ne manque pas de
temps, il manque de dignité.
Le même mépris du citoyen spectateur se retrouve chez
Fourest. Voici comment en février 2013, elle présentait son émission « Les
obsédés du complot » sur France 5 : « Ils voient
des complots partout et ont fait de la manipulation par les médias leur unique
grille de lecture du monde et de l’actualité. Ce sont les « obsédés du
complot », ces tribus d’internautes soumis à des mercenaires de la
propagande passés maîtres dans l’art de désinformer pour radicaliser les
identités et discréditer la démocratie en même temps que la presse. »
Admirez les divers trucs…
- Des « tribus d’internautes » : des sauvages au fond, mais heureusement, une anthropologue n’écoutant que son courage va nous délivrer !
- Des « internautes soumis ». Incapables donc de réfléchir par eux-mêmes.
- « Manipulés » par « des mercenaires ». Bien sûr, Fourest ne cite pas de noms ici pour éviter un procès qu’elle perdrait. Juste, elle insinue que les gens qui n’adorent pas la politique de Washington ou de Tel-Aviv sont forcément payés. Des traîtres, on vous dit.
- Traîtres à quoi ? « A la démocratie ». Qui, comme chacun le sait, fonctionne admirablement, les citoyens étant tous enchantés qu’on écoute si bien leurs besoins.
- Et traîtres aussi envers « la presse ». Qui, chacun le sait aussi, n’a cessé de dire la vérité sur toutes les guerres. Fourest se gardera bien de dire qui la paie pour répandre ses bobards.
Fourest ne travaille pas comme journaliste, mais comme
lobbyiste. Elle ne cherche pas la vérité, mais le rôle de chien de garde.
Alors, quand on nous balance cette étiquette « obsédés du complot »,
il faudra toujours se demander qui parle, quels sont ses antécédents, quels
intérêts il ou elle défend. Il faudra toujours dépasser le jeu des étiquettes,
vérifier les textes et analyser le fond des dossiers. Se faire son opinion par
soi-même, ne croire personne sur parole.
Conclusion
Résumons notre analyse :
- Oui, les complots existent. Dans l’économie, dans la politique, dans les guerres.
- Mais ils ne constituent pas l’explication essentielle du fonctionnement de notre société. Le complotisme est une impasse qui empêche de comprendre.
- Les obsédés de la « théorie du complot » font ainsi diversion pour cacher leur absence d’arguments.
- Les médias, en refusant le débat sur leurs manquements, font le jeu du complotisme.
Investig’Action, par contre,
travaille à proposer des explications qui ne soient pas simplistes, mais
objectives. Prendre en compte la complexité des situations, en extraire les
intérêts essentiels qui s’affrontent, éclairer les méthodes de désinformation
qui cachent ces intérêts. Et exposer tout cela simplement dans un langage
accessible à tous. Parce que la vérité est au service des gens.
Source: Investig’Action
Notes:
[1] La
responsabilité de la CIA a été décrite dans un rapport interne The Battle for
Iran vers 1975, établie par James Risen (New York Times) en 2000
et finalement reconnue en… 2009 par Obama dans son Discours du Caire : «
The United States played a role in the overthrow of a democratically elected
Iranian government. »
[2] William Colby, directeur de la CIA (1973 à 1976) a reconnu que la
CIA avait dépensé sept millions $ sur injonction de Kissinger pour « alimenter
un climat propice au coup d’État ». 30 ans de CIA, 1978.
[5]
http://www.independent.co.uk/news/uk/politics/tony-blair-and-iraq-the-damning-evidence-8563133.html
[8] Observatoire
du néo-conservatisme, Hoftstadter et les théories du complot,
https://anticons.wordpress.com/tag/hofstadter/
[9]
https://anticons.wordpress.com/2015/04/28/theorie-du-complot-comment-le-best-seller-de-richard-hofstadter-le-style-paranoiaque-fut-detourne-par-les-neo-conservateurs-12/
[10]
http://www.liberation.fr/futurs/2013/12/04/cartel-des-taux-l-ue-inflige-17-milliard-d-euros-d-amendes-a-8-banques_964103
[12] Michel Collon
et Denise Vindevogel, 14-18, on croit mourir pour la patrie, on meurt pour des
industriels (vidéo),
http://www.michelcollon.info/14-18-On-croit-mourir-pour-la.html
[13]
https://bouamamas.wordpress.com/2016/01/01/de-lesprit-du-11-janvier-a-la-decheance-de-la-nationalite-chronique-dune-annee-de-regression-culturaliste/
[14] Jacques
Pauwels, Big business avec Hitler, Aden, Bruxelles, 2013. Kurt Gossweiler,
Hitler, L’irrésistible ascension ?, Aden, 2006.
[16]
http://www.lepoint.fr/societe/au-memorial-de-la-shoah-hollande-pourfend-la-theorie-du-complot-et-le-negationnisme-27-01-2015-1899969_23.php
[18] Fourest :
Aussi avec le PDG de Total en mars 2012 et à Tel-Aviv http://www.ojim.fr/portraits/caroline-fourest/. Guyet : http://www.upr.fr/actualite/upr-parti-politique/qui-veut-nuire-a-lupr-dr-jekyll-mrs-hyde-lantifasciste-boutoleau-et-la-tres-americanophile-professor-guyet
[19] Lien Lettre à
Karim Fadoul. Voir aussi mon livre, Je suis ou je ne suis pas Charlie, chapitre
9. LIEN
[21] http://www.legrandsoir.info/analyse-de-la-culture-du-mensonge-et-de-la-manipulation-a-la-marie-anne-boutoleau-ornella-guyet-sur-un-site-alter.html Voir aussi :
http://free.niooz.fr/ornella-guyet-l-archetype-de-la-desinformation-anticons-observatoire-du-neo-conservatisme-4198539.shtml
[25] http://www.dreuz.info/2009/06/08/article-32392664/ http://www.dreuz.info/2015/09/29/barack-obama-nest-pas-musulman-mais-comme-il-les-aime-regardez-sa-nouvelle-trouvaille
[29]
https://jeanyvesnau.com/2016/01/11/manuel-valls-expliquer-cest-deja-vouloir-un-peu-excuser-comment-faut-il-entendre-le-premier-ministre/
[32] « Opération
Correa : un film antidote à la théorie du complot », Laurent Paillard, Les
ZIndigné(e)s no 24)
[34]
http://www.acrimed.org/Arte-et-la-theorie-du-complot-une-emission-de-propagande-de-Daniel-Leconte
- See more at:
http://www.investigaction.net/complotiste-moi/#sthash.fM9gKAN4.dpuf