dimanche 1 mai 2016

IRAK. état d'urgence à Bagdad. Les manifestants occupent le Parlement. Le gouvernement en fuite

La capitale irakienne est en état d'urgence depuis samedi, après que des milliers de manifestants ont envahi le Parlement à Bagdad. Ils protestent contre l'incapacité de la classe politique à s'accorder sur un nouveau gouvernement. Ils protestent surtout contre la corruption que le gouvernement ne veut pas combattre. Toutes les entrées vers Bagdad sont fermées. Pour le moment, les Américains n'évacuent pas leur ambassade.

La "zone verte" de Bagdad, quartier fortifié abritant les principaux lieux de pouvoir, a été envahie par des centaines de partisans de l'imam Moqtada al-Sadr [1], samedi 30 avril. Plusieurs d'entre eux ont pénétré dans le Parlement pour protester contre l'incapacité de la classe politique à s'accorder sur un nouveau gouvernement en Irak.
Iraq -Inside parliament
Les manifestants occupant le parlment
Criant, chantant et brandissant des drapeaux irakiens, les protestataires ont occupé pendant plusieurs heures samedi après-midi le Parlement situé dans le quartier ultra-sécurisé de Bagdad où se trouvent les principales institutions de l'État. Les forces de sécurité irakiennes ont tiré en l'air et fait usage de gaz lacrymogènes pour tenter de dissuader une partie des militants de rejoindre la zone, d'après des sources policières et membre de l'entourage de Sadr.
Iraq 
Certains des partisans de l'influent chef chiite Moqtada Sadr ont saccagé du mobilier, a constaté un journaliste de l'AFP. "C'est nous qui dirigeons ce pays à présent ! Le temps de la corruption est révolu", a lancé un manifestant.

Le Premier ministre dément les rumeurs de fuite

Les manifestants, d'abord rassemblés à l'extérieur de la "zone verte" ont franchi un pont sur le Tigre aux cris de "Les lâches fuient", par allusion aux députés quittant le Parlement, ont constaté des journalistes de Reuters sur place.
Ils ont ensuite pénétré dans la zone fortifiée en agitant des drapeaux irakiens et en affirmant le caractère pacifique de leur mouvement. Certains ont grimpé sur les barrières de béton protégeant le quartier hautement sécurisé du centre de la capitale irakienne.
Quelques manifestants ont placé des barbelés sur une route menant à l'une des sorties du quartier, empêchant certains parlementaires de s'enfuir. Plusieurs véhicules ont été pris pour cible et endommagés.
La chaîne de télévision Charkiya TV a montré le Premier ministre irakien, Haïdar al-Abadi, marchant dans la zone verte, entouré de dizaines de gardes du corps, afin de démentir des rumeurs de fuite.

"Les entrées de Bagdad ont été fermées"

Toutes les entrées de Bagdad ont été fermées "à titre de précaution pour maintenir la sécurité dans la capitale", a précisé un responsable des services de sécurité.
Un porte-parole des Nations unies et des diplomates occidentaux installés dans la zone verte ont déclaré que leurs enceintes avaient été barricadées. Un représentant de l'ambassade des États-Unis a démenti toute évacuation de la mission.
Les manifestants ont occupé les lieux pendant six heures avant de commencer dans la soirée à quitter le bâtiment abritant le Parlement, à l'appel de membres de la milice de Moqtada Sadr, a constaté un photographe de l'AFP.
Les sadristes multiplient les initiatives depuis des semaines pour obtenir la constitution par le Premier ministre Haïdar al-Abadi d'un nouveau cabinet de techniciens chargé de lutter contre la corruption. Ils étaient déjà des dizaines de milliers mardi dans les rues de Bagdad pour exiger des parlementaires un vote en faveur d'un remaniement.

[1] Moqtada Sadr, ex-bête noire des Américains, devenu champion des réformes

Le chef chiite, Moqtada Sadr, lors d'une conférence de presse le 30 avril 2016 à Najaf en Irak
Le puissant chef chiite Moqtada Sadr, qui s'est réinventé comme le champion des réformes en Irak, est un descendant d'une influente famille religieuse devenu populaire après s'être rebellé contre les Américains durant l'invasion du pays.
Toujours coiffé du turban noir des descendants du Prophète, le visage rond et la barbe grisonnante, Moqtada Sadr est à la tête d'un des mouvements chiites les plus importants d'Irak, représenté depuis des années au Parlement même si ses partisans fustigent aujourd'hui l'establishment politique. 
Né dans les années 1970 à Koufa au sud de Bagdad, Moqtada est le fils de Mohammed Sadek Sadr, héraut d'un chiisme militant que Saddam Hussein a fait assassiner en 1999. Le cousin de son père, Mohammad Baker, était un grand penseur chiite, lui-même éliminé en 1980 par le dictateur irakien. Grâce à cette prestigieuse lignée, Moqtada Sadr est propulsé, à partir de 2003, à la tête de la "résistance" chiite à l'occupation de son pays par les forces de la coalition emmenée par les Etats-Unis. Les musulmans chiites sont majoritaires en Irak. 
Un an plus tard, en 2004, il crée l'Armée du Mahdi, qui devient rapidement la plus puissante des milices irakiennes avec 60.000 combattants. 
Les stratèges américains, qui avaient mésestimé son influence, doivent prendre la mesure de sa puissance. En 2004, de violents combats opposent à Najaf, ville sainte chiite au sud de Bagdad, les GIs à ses miliciens qui sont défaits mais qui établiront leur réputation de combattants déterminés. 
En décembre 2006, les généraux américains considéraient encore que Moqtada Sadr était la plus grave menace à la stabilité de l'Irak. 
- Hostile à l'occupation américaine - 
C'est à peu près à cette période que Sadr part en Iran, pour se consacrer pendant environ quatre ans à des études religieuses dans la ville sainte de Qom, tout en conservant la main sur ses partisans en Irak. 
Après plusieurs semaines de combats contre les forces américaines et irakiennes dans son bastion de Sadr City à Bagdad en 2008, il met fin aux opérations de sa milice, sans toutefois renoncer à faire entendre sa voix, surtout son hostilité à "l'occupation américaine". 
A la tête d'une vaste organisation sociale, il s'est parallèlement prêté au jeu politique dans le nouvel Irak en participant au gouvernement de Nouri al-Maliki avant d'en faire sortir ses six ministres, en 2007. 
Mais en 2010, Moqtada Sadr va jouer un rôle crucial pour sortir le pays de la crise liée à l'incapacité des partis à forger une coalition de gouvernement. 
Malgré sa rancune tenace à l'égard de M. Maliki pour la répression menée en 2008 contre l'Armée du Mahdi, il choisit de le soutenir, lui donnant un avantage décisif sur ses rivaux. 
Néanmoins, le leader chiite, critique régulièrement M. Maliki l'accusant de se comporter comme un "dictateur". En 2012, il tentera en vain de retirer la confiance au Premier ministre avec les autres responsables irakiens. 
- 'Eliminer la corruption' - 
Il a ensuite alterné entre des périodes de quasi retrait de la vie publique, se consacrant à l'étude de la religion à Najaf, et des prises de position publiques marquées comme lorsqu'il a appelé ses partisans à un sit-in devant la Zone verte ultra-sécurisé de Bagdad. 
"Il est temps pour vous d'éliminer la corruption et les corrompus", a lancé en mars dernier le chef religieux depuis Najaf. 
Durant deux semaines, des milliers de partisans de Sadr camperont devant cette zone où se concentrent les institutions du pouvoir pour réclamer un nouveau gouvernement à même d'appliquer les réformes politiques et économiques promises par le successeur de M. Maliki, Haider al-Abadi. 
M. Sadr entrera lui même dans la Zone verte le 27 mars pour accentuer la pression sur le Parlement et le gouvernement. 
"Sadr est très apprécié par les classes populaires chiites et il utilise cet avantage pour asseoir le succès de son mouvement", estime Ahmed Ali, chercheur à l'Institut des études régionales et internationales de l'Université américaine d'Irak.