La capitale irakienne est en état d'urgence depuis samedi, après
que des milliers de manifestants ont envahi le Parlement à Bagdad. Ils
protestent contre l'incapacité de la classe politique à s'accorder sur
un nouveau gouvernement. Ils protestent surtout contre la corruption que le gouvernement ne veut pas combattre. Toutes les entrées vers Bagdad sont fermées. Pour le moment, les Américains n'évacuent pas leur ambassade.
La "zone verte" de Bagdad, quartier fortifié abritant
les principaux lieux de pouvoir, a été envahie par des centaines de
partisans de l'imam Moqtada al-Sadr [1],
samedi 30 avril. Plusieurs d'entre eux ont pénétré dans le Parlement
pour protester contre l'incapacité de la classe politique à s'accorder
sur un nouveau gouvernement en Irak.
Les manifestants occupant le parlment |
Criant, chantant et brandissant des drapeaux irakiens, les
protestataires ont occupé pendant plusieurs heures samedi après-midi le
Parlement situé dans le quartier ultra-sécurisé de Bagdad où se trouvent
les principales institutions de l'État. Les forces de sécurité
irakiennes ont tiré en l'air et fait usage de gaz lacrymogènes pour
tenter de dissuader une partie des militants de rejoindre la zone,
d'après des sources policières et membre de l'entourage de Sadr.
Certains des partisans de l'influent chef chiite Moqtada Sadr ont
saccagé du mobilier, a constaté un journaliste de l'AFP. "C'est nous qui
dirigeons ce pays à présent ! Le temps de la corruption est révolu", a
lancé un manifestant.
Le Premier ministre dément les rumeurs de fuite
Les manifestants, d'abord rassemblés à l'extérieur de la "zone verte"
ont franchi un pont sur le Tigre aux cris de "Les lâches fuient", par
allusion aux députés quittant le Parlement, ont constaté des
journalistes de Reuters sur place.
Ils ont ensuite pénétré dans la zone fortifiée en agitant des
drapeaux irakiens et en affirmant le caractère pacifique de leur
mouvement. Certains ont grimpé sur les barrières de béton protégeant le
quartier hautement sécurisé du centre de la capitale irakienne.
Quelques manifestants ont placé des barbelés sur une route menant à
l'une des sorties du quartier, empêchant certains parlementaires de
s'enfuir. Plusieurs véhicules ont été pris pour cible et endommagés.
La chaîne de télévision Charkiya TV a montré le Premier ministre irakien, Haïdar al-Abadi, marchant dans la zone verte, entouré de dizaines de gardes du corps, afin de démentir des rumeurs de fuite.
"Les entrées de Bagdad ont été fermées"
Toutes les entrées de Bagdad ont été fermées "à titre de précaution
pour maintenir la sécurité dans la capitale", a précisé un responsable
des services de sécurité.
Un porte-parole des Nations unies et des diplomates occidentaux
installés dans la zone verte ont déclaré que leurs enceintes avaient été
barricadées. Un représentant de l'ambassade des États-Unis a démenti
toute évacuation de la mission.
Les manifestants ont occupé les lieux pendant six heures avant de
commencer dans la soirée à quitter le bâtiment abritant le Parlement, à
l'appel de membres de la milice de Moqtada Sadr, a constaté un
photographe de l'AFP.
Les sadristes multiplient les initiatives depuis des semaines pour
obtenir la constitution par le Premier ministre Haïdar al-Abadi d'un
nouveau cabinet de techniciens chargé de lutter contre la corruption.
Ils étaient déjà des dizaines de milliers mardi dans les rues de Bagdad
pour exiger des parlementaires un vote en faveur d'un remaniement.
[1] Moqtada Sadr, ex-bête noire des Américains, devenu champion des réformes
Le puissant chef chiite Moqtada Sadr, qui s'est réinventé
comme le champion des réformes en Irak, est un descendant d'une
influente famille religieuse devenu populaire après s'être rebellé
contre les Américains durant l'invasion du pays.
Toujours coiffé du turban noir des
descendants du Prophète, le visage rond et la barbe grisonnante, Moqtada
Sadr est à la tête d'un des mouvements chiites les plus importants
d'Irak, représenté depuis des années au Parlement même si ses partisans
fustigent aujourd'hui l'establishment politique.
Né dans les
années 1970 à Koufa au sud de Bagdad, Moqtada est le fils de Mohammed
Sadek Sadr, héraut d'un chiisme militant que Saddam Hussein a fait
assassiner en 1999. Le cousin de son père, Mohammad Baker, était un
grand penseur chiite, lui-même éliminé en 1980 par le dictateur
irakien. Grâce à cette prestigieuse lignée, Moqtada Sadr est propulsé, à partir de 2003, à la tête de la "résistance"
chiite à l'occupation de son pays par les forces de la coalition
emmenée par les Etats-Unis. Les musulmans chiites sont majoritaires en
Irak.
Un an plus tard, en 2004, il crée l'Armée du Mahdi, qui
devient rapidement la plus puissante des milices irakiennes avec 60.000
combattants.
Les
stratèges américains, qui avaient mésestimé son influence, doivent
prendre la mesure de sa puissance. En 2004, de violents combats opposent
à Najaf, ville sainte chiite au sud de Bagdad, les GIs à ses miliciens
qui sont défaits mais qui établiront leur réputation de combattants
déterminés.
En décembre 2006, les généraux américains
considéraient encore que Moqtada Sadr était la plus grave menace à la
stabilité de l'Irak.
- Hostile à l'occupation américaine -
C'est
à peu près à cette période que Sadr part en Iran, pour se consacrer
pendant environ quatre ans à des études religieuses dans la ville sainte
de Qom, tout en conservant la main sur ses partisans en Irak.
Après
plusieurs semaines de combats contre les forces américaines et
irakiennes dans son bastion de Sadr City à Bagdad en 2008, il met fin
aux opérations de sa milice, sans toutefois renoncer à faire entendre sa
voix, surtout son hostilité à "l'occupation américaine".
A
la tête d'une vaste organisation sociale, il s'est parallèlement prêté
au jeu politique dans le nouvel Irak en participant au gouvernement de
Nouri al-Maliki avant d'en faire sortir ses six ministres, en 2007.
Mais
en 2010, Moqtada Sadr va jouer un rôle crucial pour sortir le pays de
la crise liée à l'incapacité des partis à forger une coalition de
gouvernement.
Malgré sa rancune tenace à l'égard de M. Maliki
pour la répression menée en 2008 contre l'Armée du Mahdi, il choisit de
le soutenir, lui donnant un avantage décisif sur ses rivaux.
Néanmoins, le leader chiite, critique régulièrement M. Maliki l'accusant de se comporter comme un "dictateur". En 2012, il tentera en vain de retirer la confiance au Premier ministre avec les autres responsables irakiens.
- 'Eliminer la corruption' -
Il
a ensuite alterné entre des périodes de quasi retrait de la vie
publique, se consacrant à l'étude de la religion à Najaf, et des prises
de position publiques marquées comme lorsqu'il a appelé ses partisans à
un sit-in devant la Zone verte ultra-sécurisé de Bagdad.
"Il est temps pour vous d'éliminer la corruption et les corrompus", a lancé en mars dernier le chef religieux depuis Najaf.
Durant
deux semaines, des milliers de partisans de Sadr camperont devant cette
zone où se concentrent les institutions du pouvoir pour réclamer un
nouveau gouvernement à même d'appliquer les réformes politiques et
économiques promises par le successeur de M. Maliki, Haider al-Abadi.
M. Sadr entrera lui même dans la Zone verte le 27 mars pour accentuer la pression sur le Parlement et le gouvernement.
"Sadr est très apprécié par les classes populaires chiites et il utilise cet avantage pour asseoir le succès de son mouvement", estime Ahmed Ali, chercheur à l'Institut des études régionales et internationales de l'Université américaine d'Irak.