samedi 28 mai 2016

L’Arabie saoudite met la main sur la région comme une famille mafieuse

Si l'extrémisme religieux qui a englouti le monde arabe est un serpent responsable des actes de brutalité et de barbarie les plus odieux et les plus injustifiés, la tête de ce serpent se trouve à Riyad», considère le journaliste John Wight.

Le prétendu gouvernement de saoudien vient de menacer : si les choses ne changent pas en Syrie, il aura recours au «plan B», prouvant ainsi que l'arrogance et l'impertinence de cette dictature médiévale ne connaît pas de limites.
Soyons clairs : si l'extrémisme religieux qui a englouti le monde arabe au cours des dernières années est un serpent responsable des actes de brutalité et de barbarie les plus odieux et les plus injustifiés que ce monde n’ait jamais connu, la tête de ce serpent se trouve à Riyad.
Ce n’est pas pour dire que l'Arabie saoudite doit être envahie et occupée - nous avons certainement vu suffisamment de ces invasions et occupations pour savoir qu'elles ne font qu'aggraver la situation plutôt que de l’améliorer. Mais il est, vraiment, nécessaire que des pays comme les États-Unis, le Royaume-Uni et la France reconsidèrent leurs politiques étrangères qui sont depuis longtemps orientées dans le sens d’un maintien d’étroites relations avec un gouvernement qui, par le biais du poison du sectarisme religieux, a fait plus pour déstabiliser la région que n’importe qui d’autre.
Ce sectarisme s’inscrit dans la doctrine sunnite wahhabite qui donne aux Saoudiens la légitimité dont ils jouissent en tant que «gardiens de la vraie foi», et qui est une interprétation littérale de l'islam sunnite, incompatible avec le monde moderne et toutes les normes de la décence humaine.
Il est stupéfiant de penser que cet Etat où les droits humains sont considérés comme un concept étranger, un Etat qui décapite autant, voire plus de gens que Daesh, n'a pas seulement eu la possibilité de prospérer mais a aussi été accompagné par ses amis occidentaux sur ce chemin – et ce au point de participer aux entreprises d’ultimatums et de menaces faites aux gouvernements laïques et non-sectaires, tels que le gouvernement syrien à Damas. Et ce à la manière dont une famille mafieuse de New York revendiquerait son droit sur le bout de gazon contesté.

Les efforts des Saoudiens dans la propagation et la diffusion de l'influence du wahhabisme ne se limitent pas au Moyen-Orient

Dans toute autre circonstance, on pourrait en rire.
Sauf que, pour le peuple syrien, ce sujet est loin d'être amusant. Au cours des cinq dernières années, ils ont vu des milliers de fous, djihadistes, salafistes déchirer leur pays et être bien décidés à revenir en arrière, au VIIe siècle, en faisant de la Syrie la fosse commune des nombreuses communautés minoritaires qui avaient fait de la société syrienne, quel que soit son gouvernement, une mosaïque culturelle riche et diversifiée, offrant un espoir dans une région assaillie par les forces centrifuges du sectarisme.
La question cruciale qui a préoccupé beaucoup d'entre nous, tout au long du conflit en Syrie, n’a pas été de savoir si des groupes tels que le Front al-Nosra ou Daesh avaient reçu le soutien de l'Arabie Saoudite, mais si ledit soutien avait émané de particuliers ou de l'Etat - ou peut-être même de l'Etat par le biais des particuliers.
Comme l’a écrit le journaliste britannique Patrick Cockburn dans son livre The Rise of Islamic State (La montée de l’Etat islamique) : «le rôle de l'Arabie Saoudite dans la montée et le retour d'Al-Qaïda est souvent mal compris et sous-estimé.» Il poursuit pour identifier le rôle saoudien dans la «propagation du wahhabisme, la version fondamentaliste de l'islam du XVIIIe siècle qui impose le charia, relègue les femmes au statut de citoyens de deuxième classe et considère les musulmans chiites et soufis comme des non-musulmans à être persécutés au même titre que les chrétiens et les juifs».
Cockburn va même jusqu’à prétendre que le wahhabisme a «de nombreuses similitudes avec le fascisme européen des années 1930».

L'argent saoudien finance la construction des mosquées et des écoles où on promeut la théologie et l'idéologie wahhabite au détriment de toutes les autres interprétations du Coran

Les efforts des Saoudiens dans la propagation et la diffusion de l'influence du wahhabisme ne se limitent pas au Moyen-Orient. Dans un article paru en 2015 et intitulé The Saudi Connection: Wahhabism and Global Jihad  (La filière saoudienne : le wahhabisme et le djihad mondial) publié sur un site américain conservateur, World Affairs, les auteurs Carl E. B. Chosky et Jamsheed K. Chosky révèlent que «80% des 1 200 mosquées aux États-Unis ont été construits après 2001, le plus souvent avec un financement saoudien. En conséquence, l'influence wahhabite sur les institutions islamiques aux États-Unis a été considérable vers l’année 2003, selon un témoignage au Sénat américain. Des centaines de publications faites par le gouvernement saoudien et ses filiales, résolument intolérantes envers les chrétiens, les juifs, et d'autres Américains, ont été diffusées à travers le pays [les Etats-Unis] aux alentours de 2006».
Cette influence pernicieuse s’est répandue dans le monde, où l'argent saoudien finance la construction des mosquées et des écoles où on promeut et endoctrine la théologie et l'idéologie wahhabite au détriment de toutes les autres interprétations du Coran.
Nous parlons d’un Etat qui d'une part use de sa considérable richesse issue du business pétrolier pour devenir encore plus indispensable pour l'Occident en tant que client important des industries d'armement occidentales et allié arabe prêt à accepter l’hégémonie géopolitique de l’Ouest dans la région. D'autre part, il se sert de son «contrôle des 4/5 de toutes les maisons d'édition islamiques à travers le monde pour faire entendre [ses] propos agressifs dans des lieux éloignés».
Les Saoudiens sont dépendants du clergé wahhabite dans leur politique intérieure pour veiller à ce que toute dissidence dans le pays soit étiquetée en tant qu’apostasie et pour que la punition soit sévère. En retour, ces membres du clergé obtiendraient le soutien de l'Etat et le financement leur permettant de cracher leurs conneries remplies de haine. C’est exactement la définition d’une alliance sacrilège.
En ce qui concerne le conflit en Syrie, les Chosky nous informent que «plus de 11 000 étrangers wahhabites radicalisés avaient rejoint le djihad syrien en septembre 2014, alors que les citoyens français et britanniques constituaient la majeure partie des recrues européens.

Pendant trop longtemps Washington et ses alliés européens ont été réticents à faire face à la principale source de désordre et de chaos qui ont englouti la région

En moyenne la formation d’un djihadiste ne coûte que 2 500 dollars – indiquent avec fierté aux donateurs potentiels les collecteurs de fonds, exhortant les premiers à donner plus. Après avoir été marqués par le sang dans la bataille, de nombreux djihadistes reviennent dans leur pays d'origine, tout comme un des frères Kouachi - ou même les deux - [responsables de l'attaque terroriste Charlie Hebdo à Paris], après un temps au Yémen».
Pendant trop longtemps Washington et ses alliés européens ont été visiblement réticents à faire face à la principale source de désordre et de chaos qui ont englouti la région au cours des dernières années. Cette réticence - ou cette incapacité - nous confirme que la rhétorique qu'ils mènent sans cesse en promettant d’affronter et de vaincre le terrorisme n'a jamais été conjuguée à l'action nécessaire pour atteindre ce but.
Le seul «Plan B» qui devrait être discuté, par un monde intéressé à l’idée de mettre fin au cancer de l'extrémisme et du terrorisme, est celui qui comporte des mesures limitant la puissance et l'influence des Saoudiens dans la propagation et la diffusion de ce poison. En fait, peu importe le «Plan B» -  cela devrait aussi être au cœur du «Plan A».

John Wight écrit pour de nombreux journaux et sites web américains et anglais, notamment The Independent, The Morning Star, Huffington Post, Counterpunch, London Progressive Journal et Foreign Policy Journal. Il est aussi un commentateur régulier sur RT et la BBC. John Wight a été l'organisateur du mouvement pacifiste américain dans la période qui a suivi les attaques terroristes du 11 septembre 2001.

L'Arabie saoudite a-t-elle la capacité de trouver des sources de revenus pour remplacer le pétrole ?

RT France : l’Arabie saoudite a approuvé le plan «Vision Arabie 2030», qui consiste à diversifier son économie et à privatiser certains biens du royaume. Le gouvernement annonce même que les  Saoudiens pourront vivre sans pétrole dès 2020. Ce plan vous semble-t-il plausible ?
Jean-Pierre Favennec (J.-P. F.) : L’Arabie saoudite dépend très largement du pétrole, 90% des recettes à l’exportation sont issues du pétrole, la consommation de pétrole dans le pays est extrêmement importante, on voit mal comment elle pourrait se passer de pétrole dès 2020, c’est dans à peine 4 ans. Ce pays consomme deux fois plus de pétrole que la France avec une population moitié moins nombreuse. L’Arabie saoudite dépend complètement du pétrole et du gaz pour le transport, l’électricité, pour dessaler l’eau de mer, pour la pétrochimie… Il y a une industrie pétrochimique importante qui vit à partir du pétrole. Je pense que c’est compliqué.
Il est clair que l’Arabie saoudite comprend qu’à terme elle devra passer à autre chose. La consommation de pétrole est tellement élevée que si ça continue comme cela dans 20 ou 30 ans l’Arabie saoudite pourrait devenir un pays importateur de pétrole. C’est en prenant conscience de cette situation que les autorités saoudiennes cherchent à réduire leur dépendance au pétrole. Des plans sont établis pour développer les énergies renouvelables, pour mettre en place des centrales nucléaires. On voit qu’il y a une volonté de sortir progressivement du pétrole. Maintenant deux questions se posent : leur capacité à remplacer le pétrole comme source d’énergie locale en Arabie saoudite, et leur capacité à trouver des sources de revenus pour remplacer les exportations de pétrole.
Le plan annoncé consiste à mettre en place un fonds souverain énorme, de 2 000 milliards de dollars. C’est pratiquement le PNB de la France, c’est deux fois et demi les deux fonds les plus importants que sont le fonds norvégien et le fonds d’Abou Dhabi.
Ce fonds sera alimenté essentiellement par la vente des actifs de l’Aramco. C’est une société pétrolière absolument énorme dont la capitalisation boursière, si elle était entièrement privatisée, serait faramineuse. Maintenant, est-il possible et faisable pour l’Arabie saoudite de vendre une grande partie de l’Aramco ? La taille de la vente serait telle qu’elle risquerait d’affecter considérablement les marchés financiers. D’autre part, il n’est pas certain que l’Arabie saoudite soit prête à vendre tout Aramco, au contraire, on pense que la privatisation serait limitée à une partie des activités avales, c’est-à-dire une partie des activités de raffinage et de pétrochimie.  
RT France : Quelles sont les conséquences de telles annonces sur le prix du pétrole et l’économie pétrolière ?
J.-P. F. : Les conséquences immédiates sont relativement faibles, mais cette déclaration semble indiquer qu’à terme l’Arabie saoudite produira et consommera moins de pétrole. Et cela a un effet dépressif sur le prix du pétrole. Mais à court terme je ne vois pas de réaction immédiate importante parce qu’on sait que c’est un processus extrêmement compliqué et long qui ne prendra pas seulement quelques années, mais beaucoup plus.
RT France : Pourquoi ce plan arrive-t-il aujourd’hui ?
J.-P. F. : La dépendance de l’Arabie saoudite vis-à-vis du pétrole est un fait. Et à 40 dollars le baril de pétrole, il est vrai que la situation n’est plus la même qu’avant. On sait qu’il y a un déficit budgétaire de l’ordre de 100 milliards de dollars, alors que le fonds souverain pour le moment représente 700 milliards de dollars. L’Arabie saoudite pourrait se permettre un prix de 40 dollars le baril pendant 7 ans, puisque c’est le temps de puiser l’ensemble des réserves du fonds souverain. On ne peut pas imaginer que la pays reste inerte face à cette situation et attende tranquillement que les réserves se vident.
Comme l’Arabie saoudite a une stratégie qui est de dire : je veux un prix du pétrole bas, je suis prêt à produire si le prix du pétrole tombe à 20 dollars, cela élimine un certain nombre d’autres producteurs sur le marché. Mais d’un autre côté, les recettes de l’Arabie saoudite risquent de devenir très faibles, donc il faut bien trouver un moyen de trouver d’autres activités rémunératrices pour engranger des dollars et faire vivre la population.
RT France : Quel avenir pour les pays de l’Opep ?
J.-P. F. : On est actuellement dans l’après-COP21 et on sent qu’il y a des changements dans les comportements et dans la réaction des populations. Il est normal que certains pays disent vouloir être moins dépendants du pétrole. Mais il faut rappeler que les énergies fossiles – pétrole, gaz et charbon – représentent 86% de la consommation d’énergie dans le monde et les énergies renouvelables seulement 3%. On ne peut pas sortir immédiatement de ce système, même s’il faut le faire à terme.
On a besoin de pétrole, car rien que pour le transport cela reste le moyen le plus simple. Donc les pays producteurs de pétrole ont encore de l’avenir devant eux. Pour preuve, deux pays ont souhaité rejoindre l’Opep : l’Indonésie et le Gabon, ce qui prouve bien la volonté d’un certain nombre de pays de continuer à avoir une politique commune en matière pétrolière.

Jean-Pierre Favennec, professeur à Sciences Po, à l’IFP School et consultant spécialiste en énergie, analyse les annonces de l'Arabie saoudite sur son avenir après pétrole.