Les
multiples formes de collaboration entre certains services de
renseignements arabes et les renseignements israéliens ont déjà fait
couler beaucoup d’encre ; il n’en reste pas moins que tout éclairage
nouveau, toute divulgation de données inédites sur le sujet, ne manquent
jamais de produire un effet de surprise sur la plupart des gens,
notamment sur les esprits qui n’ont pas bien assimilé ce genre
d’informations, et sur les jeunes générations.
Les médias
israéliens fournissent parfois eux-mêmes certaines données, suite à une
fuite d’informations ou à travers leurs propres reportages. Parmi ces
informations, les plus récurrentes concernent sans doute l’assassinat du
militant marocain Mehdi Ben Barka. Une série d’investigations ont en
effet été menées par les Français suite au tollé suscité par la
révélation d’une collaboration française avec les services marocains et
israéliens dans l’assassinat de l’opposant sur le territoire français.
Mais une nouvelle enquête conduite en Israël par les célèbres chasseurs
de renseignements Ronen Bergman et Shlomo Nakdimon, dévoile d’autres
aspects méconnus de cette collaboration ; on y apprend notamment la
coopération entre les renseignements israéliens et français dans la
poursuite des activistes de la révolution algérienne et de ses leaders,
et ce jusqu’en Égypte.
Pour maintes raisons, la France
constituait alors le siège central des renseignements israéliens en
Europe. Enlisée dans le bourbier algérien, elle menait une lutte
acharnée contre le Front de libération nationale (FLN) et
avait, à cet effet, sollicité l’aide du Mossad israélien ; celui-ci
avait mis à la disposition des Français des informations sur le FLN
et leur avait fourni, via ses agents, des fusils de précision, des
pistolets et des explosifs destinés à être utilisés dans des opérations
contre les chefs du FLN localisés au Caire.
Lorsque ces
activités s’intensifièrent, le besoin se fit pressant d’un canal
permanent vers l’Égypte, considérée alors comme l’ennemi numéro un
d’Israël. Une initiative inédite fut prise au sein des renseignements
israéliens : le vice-président de la section des renseignements
militaires, Yuval Ne’eman, mobilisa deux pilotes juifs américains et
leur fournit les fonds nécessaires pour la création d’une compagnie
d’aviation qui serait basée au Koweït, et qui desservirait l’ensemble du
monde arabe. La proposition, accueillie à bras ouverts par le
gouvernement koweïtien, se concrétisa d’abord par trois vols
hebdomadaires réguliers à destination du Caire, avant que la compagnie
ne devienne entièrement koweïtienne. Elle demeure opérationnelle jusqu’à
ce jour sous le nom de Kuwait Airways ou Compagnie nationale koweïtienne d’aviation.
L’enquête
montre aussi que Paris a aplani la route du Mossad pour son
implantation en Afrique et en Asie, où il ne tarda pas à devenir l’un
des services les plus actifs et les plus performants sur le terrain.
L’accord prévoyait une aide militaire israélienne ainsi que
l’entraînement des effectifs des services de renseignements locaux, et
parfois même la création desdits services. En contrepartie, le Mossad
bénéficiait d’une autorisation quasi inconditionnelle de manœuvrer dans
tous les pays concernés ; il collectait alors principalement des
informations sur les pays arabes et sur les activistes du camp
soviétique, qu’il s’empressait de partager avec les États-Unis. La
principale alliance secrète conclue dans ce cadre est celle dite du « pacte périphérique»;
elle s’est nouée entre le Mossad et ses homologues turc, iranien et
éthiopien, et est devenue une véritable plate-forme de coordination en
matière de renseignement entre ces puissances régionales.
Mais le Mossad s’était fixé une cible autrement plus complexe : le Maroc. Le rapport d’enquête de poursuivre : «
La relation avec le Maroc en matière de renseignement commence en 1960.
Hassan II était encore prince héritier. Après son intronisation, Israël
lui demande d’autoriser l’émigration des juifs du Maroc. Mohamed
Oufkir, alors responsable des services secrets marocains, conclut le
marché avec les envoyés du Mossad à raison de 250 dollars par tête.
L’argent payé en échange de 80 000 juifs est versé par chèques de 250
000 dollars, tous déposés sur un compte secret ». Par suite, ajoute le rapport, «
les Marocains demandent au Mossad de leur créer une unité spéciale pour
la protection des personnalités. On confie cette mission délicate à
l’agent du Mossad David Shomron et à Yoska Shiner, l’un des gardes du
corps de l’ancien Premier ministre israélien David Ben Gourion. Shomron
avait dit alors : "Le roi craignait d’être tué. Il avait suffisamment
d’ennemis et ne se sentait pas en sécurité" ».
L’enquête décrit les étapes d’une fructueuse collaboration : «
Au cours des pourparlers il s’est avéré qu’Oufkir et son fidèle adjoint
Ahmed Dlimi étaient non seulement soucieux de préserver la vie du roi
mais également désireux de sauvegarder son règne, et qu’ils étaient, à
ce propos, fortement embarrassés par les tentatives de complot contre
Hassan II fomentées en Egypte et en Algérie. Les ambassades du Maroc
dans ces pays étaient devenues l’objet d’agressions répétées. Israël se
charge alors de réorganiser tout le dispositif marocain des
renseignements, d’équiper des bâtiments navals marocains de matériel
électronique susceptible de détecter les infiltrations maritimes, et
d’entraîner les Marocains à déjouer les plans d’infiltration de leurs
ambassades. En échange, Israël est autorisé à établir une agence
permanente du Mossad dans la capitale Rabat. C’était là une réalisation
majeure. Lorsque le conflit frontalier algéro-marocain s’envenime, le
chef du Mossad Meir Amit, muni d’un faux passeport, prend l’avion et
rencontre le roi en urgence, à qui il assure : "Nous sommes en mesure de
vous aider et nous voulons vous prêter main forte" ».
D’après
le rapport, le roi accepta l’offre et Israël, outre les renseignements
qu’il fournit, se chargea d’entraîner des pilotes marocains et d’équiper
l’armée locale.
La coopération atteignit toutefois son apogée
en septembre 1965, lors de la conférence des chefs d’État arabes qui se
tenait à Casablanca, et au cours de laquelle il était question de créer
un commandement militaire unifié en vue de combattre Israël à l’avenir.
Le roi, qui n’avait aucune confiance en ses hôtes, les dirigeants du
monde arabe de l’époque, autorisa le Mossad à surveiller de près cette
rencontre au sommet. Rafi Eitan déclare à ce propos : «Dès la clôture du sommet ils nous fournirent tous les renseignements nécessaires et n’en occultèrent aucun ».
D’après le quotidien israélien Yediot Aharonot,
parmi ces informations de la plus haute importance on trouvait les
déclarations des commandants des armées arabes, qui avertissaient les
chefs d’État que leurs forces n’étaient pas prêtes à mener une nouvelle
guerre contre Israël.
Ces renseignements serviront ultérieurement de
fondement stratégique à l’attaque éclair de juin 1967, qui conduisit à
la victoire écrasante de la guerre des Six Jours.
Dans un document des
services de renseignements, il est noté que ces éléments d’information
d’une extrême sensibilité constituent sans doute un summum dans la série
de réalisations des renseignements israéliens depuis leur création.