Le
8 octobre, alors que les combats faisaient rage à Alep, le projet de
résolution présenté par la France a été rejeté par le Conseil de
sécurité de l’ONU. La Russie et le Vénézuéla ont voté contre. La Chine
et l’Egypte se sont abstenues. François Hollande déclara avant le vote
que le pays qui opposerait son veto à la proposition française serait «
discrédité aux yeux du monde » et que les responsables de « crimes de
guerre » seraient déférés devant la Cour pénale internationale. Trois
jours plus tard, François Hollande manifesta publiquement son «
hésitation » à recevoir Vladimir Poutine à Paris. Moscou préféra
reporter cette rencontre, attendant que M. Hollande soit « prêt ».
Cette
initiative mort-née, suivie de cette palinodie ridicule, est un
excellent résumé de la politique de gribouille qui tient lieu de
diplomatie à la France hollandienne. Repoussant les propositions
d’amendement présentées par Moscou, Paris ne pouvait ignorer que son
projet de résolution finirait à la poubelle. Ce texte surréaliste
demandait l’arrêt des frappes aériennes russes et syriennes, mais ne
mentionnait pas la violence exercée par le camp adverse, lourdement armé
et généreusement financé par des puissances étrangères en violation
flagrante du droit international. Coup d’épée dans l’eau, cette
initiative témoignait d’une agitation stérile et sans issue.
Volant
au secours de ses protégés en mauvaise posture, la politique française
faisait alors une double démonstration. Elle manifestait d’abord une
hypocrisie sans limite en jouant du violon à propos des victimes civiles
d’Alep-Est tout en fermant les yeux sur celles d’Alep-Ouest. Il faut
croire que selon la situation géographique, les considérations
humanitaires subissent de mystérieuses variations. A Paris, on fait
volontiers le tri parmi les victimes. Les bonnes sont du côté des
milices takfiries, les mauvaises du côté du gouvernement syrien.
Orchestrée sur commande à chaque défaite djihadiste, cette indignation
sélective est devenue une véritable spécialité française.
La
deuxième démonstration faite par la diplomatie française est celle de
son alignement pavlovien sur Washington. Au moment où les matamores
galonnés du Pentagone menacent la Russie d’un conflit nucléaire, Paris
fulmine contre Moscou. La propagande anti-russe se déchaîne aux USA, et
M. Hollande ne veut pas être en reste. Tel un roquet teigneux, il aboie
en faisant mine de mordre l’ours russe aux mollets et détale lorsqu’il
se retourne. Une fois de plus, le suivisme atlantiste du président
français atteint des sommets et défie l’imagination. Faute d’en avoir
lui-même, le président français colle à la politique US dans ses
méandres les plus sinueux et s’y perd sans qu’on s’en aperçoive.
Cette
pitoyable servilité du président actuel n’est pas nouvelle. En février
2014, Barack Obama et François Hollande signaient une tribune parue
simultanément dans « Le Monde » et le « Washington Post ». A la fin de
ce texte insipide, véritable filet d’eau tiède qui débitait les poncifs
de la doxa occidentale, on pouvait lire : « Pendant plus de deux
siècles, nos deux peuples ont fait front pour défendre notre liberté
commune. A présent, nous assumons, une fois encore, nos responsabilités,
non seulement l’un envers l’autre, mais envers un monde qui est plus
sûr grâce à la pérennité de notre alliance aujourd’hui réaffirmée ».
Avec
50% des dépenses militaires mondiales, 725 bases militaires à
l’étranger et une doctrine militaire qui autorise la première frappe
nucléaire, qui pourrait nier que les Etats-Unis d’Amérique œuvrent à la
paix mondiale et à la concorde universelle ? Heureusement, grâce à M.
Hollande, ils ne sont plus seuls à apporter la lumière au monde ébahi
devant tant de générosité. Phare de l’humanité, la grande nation au «
destin manifeste » sait désormais qu’elle est fidèlement secondée, pour
accomplir cette tâche grandiose, par un nouvel auxiliaire à la fidélité
de caniche.
Joignant le geste à la parole, François Hollande n’a
cessé de se comporter en supplétif de Washington. Dans son enthousiasme à
servir une puissance qu’il croit invincible, il a toutefois perdu le
sens des réalités. Décidé à bombarder un Etat souverain qui n’a jamais
agressé la France, il joua obstinément le boute-feu en Syrie.
Heureusement, il fut refroidi pour de bon par l’initiative diplomatique
russe. Puis il endossa le rôle du redresseur de torts face à l’Iran.
Peine perdue. En dépit de ses efforts, M. Fabius ne put empêcher
l’accord sur le nucléaire. Dans les deux cas, cette attitude de volaille
en furie qui montre ses ergots n’aboutit à rien. La décision est venue
d’ailleurs. Paris l’a entérinée. Et la diplomatie française apparut
comme un vieux souvenir.
Elle exista pourtant en d’autres temps.
En 1966, le général de Gaulle avait extrait les forces françaises du
commandement intégré de l’OTAN pour redonner à la France son
indépendance stratégique. Prônant un monde multipolaire, il entendait
conjurer les affres de la guerre froide. Le sort du monde était suspendu
à l’affrontement entre les blocs, les USA embourbés au Vietnam, le
Tiers Monde en effervescence. L’affirmation de la souveraineté française
visait à desserrer l’étreinte des impérialismes de tous bords. Cette
époque est révolue. Avec de Gaulle, la France était contre les empires.
Aujourd’hui, la France est une colonie de l’Empire.
Adhérant à
Washington comme l’huître au rocher, la présidence actuelle a abdiqué
toute ambition. Jetant aux orties l’héritage gaulliste, Nicolas Sarkozy
avait replacé les forces françaises sous commandement US. Nouveau
fossoyeur, François Hollande jette à son tour une dernière pelletée de
terre sur la souveraineté française. Le 7 avril 2016, l’Assemblée
nationale a voté à sa demande la ratification du protocole de Paris, un
texte qui entérine la réintégration de la France dans l’organisation
militaire de l’OTAN et autorise la construction sur le territoire
national de ces bases US que le général de Gaulle avait fait démanteler.
Complices
sur toute la ligne, MM. Hollande et Obama ont beaucoup d’amis communs.
Protégée des USA depuis 1945, la pétromonarchie saoudienne est pour
François Hollande un « partenaire de référence » au Moyen-Orient. Paris a
signé avec Riyad des contrats d’équipement militaire pour plusieurs
milliards de dollars. L’Arabie saoudite est son premier client pour la
période 2010-2015. La France livre aux Saoudiens des armes sophistiquées
avec lesquelles ils massacrent la population yéménite. Cela ne suffit
pas. Sans vergogne, l’Elysée distribue des médailles aux dirigeants d’un
pays qui finance ce terrorisme qui frappe régulièrement la population
française. Mais M. Hollande n’en a cure. Ce n’est pas sa priorité.
Benyamin Nétanyahou accueillant François Hollande et sa compagne Valérie Trierweiler à Tel Aviv, le 17 novembre 2013. REUTERS
Appendice
colonial de l’Occident et porte-avions US, Israël bénéficie aussi des
faveurs empressées de la présidence française. La colonisation à
outrance et la répression en Palestine occupée n’empêchent pas François
Hollande de proclamer son soutien sans faille à l’Etat hébreu. A
l’instar de son premier ministre éternellement lié à Israël, le
président français se déclare « l’ami d’Israël pour toujours » (novembre
2013). Une promesse qui sonne étrangement au moment où le ministre des
affaires étrangères israélien parle de « décapiter à la hache » tous
ceux qui s’opposent à ses desseins. Peu importe. Tel Aviv est satisfait
des services de l’Elysée. C’est l’essentiel.
Contre les dirigeants
saoudiens et israéliens, Paris ne brandira jamais la menace de la Cour
pénale internationale. La France ne réclamera pas de « right to protect »
en faveur des enfants palestiniens et yéménites. Elle n’exigera pas de «
no fly zone » pour mettre hors d’état de nuire les bombardiers de Riyad
et de Tel Aviv. Vu de Paris, le droit international humanitaire est
toujours à géométrie variable. C’est une arme d’intimidation massive
dont on use au gré des intérêts de l’Empire. Quand les dirigeants
français invoquent les droits de l’homme, c’est pour la galerie. Et l’on
doit assister au spectacle de ces supplétifs qui apportent leur
misérable contribution à la stratégie du chaos décidée à Washington.
| 16 octobre 2016