lundi 17 octobre 2016

François Hollande ou la déchéance française

Le 8 octobre, alors que les combats faisaient rage à Alep, le projet de résolution présenté par la France a été rejeté par le Conseil de sécurité de l’ONU. La Russie et le Vénézuéla ont voté contre. La Chine et l’Egypte se sont abstenues. François Hollande déclara avant le vote que le pays qui opposerait son veto à la proposition française serait « discrédité aux yeux du monde » et que les responsables de « crimes de guerre » seraient déférés devant la Cour pénale internationale. Trois jours plus tard, François Hollande manifesta publiquement son « hésitation » à recevoir Vladimir Poutine à Paris. Moscou préféra reporter cette rencontre, attendant que M. Hollande soit « prêt ».

Cette initiative mort-née, suivie de cette palinodie ridicule, est un excellent résumé de la politique de gribouille qui tient lieu de diplomatie à la France hollandienne. Repoussant les propositions d’amendement présentées par Moscou, Paris ne pouvait ignorer que son projet de résolution finirait à la poubelle. Ce texte surréaliste demandait l’arrêt des frappes aériennes russes et syriennes, mais ne mentionnait pas la violence exercée par le camp adverse, lourdement armé et généreusement financé par des puissances étrangères en violation flagrante du droit international. Coup d’épée dans l’eau, cette initiative témoignait d’une agitation stérile et sans issue.
Volant au secours de ses protégés en mauvaise posture, la politique française faisait alors une double démonstration. Elle manifestait d’abord une hypocrisie sans limite en jouant du violon à propos des victimes civiles d’Alep-Est tout en fermant les yeux sur celles d’Alep-Ouest. Il faut croire que selon la situation géographique, les considérations humanitaires subissent de mystérieuses variations. A Paris, on fait volontiers le tri parmi les victimes. Les bonnes sont du côté des milices takfiries, les mauvaises du côté du gouvernement syrien. Orchestrée sur commande à chaque défaite djihadiste, cette indignation sélective est devenue une véritable spécialité française.
La deuxième démonstration faite par la diplomatie française est celle de son alignement pavlovien sur Washington. Au moment où les matamores galonnés du Pentagone menacent la Russie d’un conflit nucléaire, Paris fulmine contre Moscou. La propagande anti-russe se déchaîne aux USA, et M. Hollande ne veut pas être en reste. Tel un roquet teigneux, il aboie en faisant mine de mordre l’ours russe aux mollets et détale lorsqu’il se retourne. Une fois de plus, le suivisme atlantiste du président français atteint des sommets et défie l’imagination. Faute d’en avoir lui-même, le président français colle à la politique US dans ses méandres les plus sinueux et s’y perd sans qu’on s’en aperçoive.
Cette pitoyable servilité du président actuel n’est pas nouvelle. En février 2014, Barack Obama et François Hollande signaient une tribune parue simultanément dans « Le Monde » et le « Washington Post ». A la fin de ce texte insipide, véritable filet d’eau tiède qui débitait les poncifs de la doxa occidentale, on pouvait lire : « Pendant plus de deux siècles, nos deux peuples ont fait front pour défendre notre liberté commune. A présent, nous assumons, une fois encore, nos responsabilités, non seulement l’un envers l’autre, mais envers un monde qui est plus sûr grâce à la pérennité de notre alliance aujourd’hui réaffirmée ».
Avec 50% des dépenses militaires mondiales, 725 bases militaires à l’étranger et une doctrine militaire qui autorise la première frappe nucléaire, qui pourrait nier que les Etats-Unis d’Amérique œuvrent à la paix mondiale et à la concorde universelle ? Heureusement, grâce à M. Hollande, ils ne sont plus seuls à apporter la lumière au monde ébahi devant tant de générosité. Phare de l’humanité, la grande nation au « destin manifeste » sait désormais qu’elle est fidèlement secondée, pour accomplir cette tâche grandiose, par un nouvel auxiliaire à la fidélité de caniche.
Joignant le geste à la parole, François Hollande n’a cessé de se comporter en supplétif de Washington. Dans son enthousiasme à servir une puissance qu’il croit invincible, il a toutefois perdu le sens des réalités. Décidé à bombarder un Etat souverain qui n’a jamais agressé la France, il joua obstinément le boute-feu en Syrie. Heureusement, il fut refroidi pour de bon par l’initiative diplomatique russe. Puis il endossa le rôle du redresseur de torts face à l’Iran. Peine perdue. En dépit de ses efforts, M. Fabius ne put empêcher l’accord sur le nucléaire. Dans les deux cas, cette attitude de volaille en furie qui montre ses ergots n’aboutit à rien. La décision est venue d’ailleurs. Paris l’a entérinée. Et la diplomatie française apparut comme un vieux souvenir.
Elle exista pourtant en d’autres temps. En 1966, le général de Gaulle avait extrait les forces françaises du commandement intégré de l’OTAN pour redonner à la France son indépendance stratégique. Prônant un monde multipolaire, il entendait conjurer les affres de la guerre froide. Le sort du monde était suspendu à l’affrontement entre les blocs, les USA embourbés au Vietnam, le Tiers Monde en effervescence. L’affirmation de la souveraineté française visait à desserrer l’étreinte des impérialismes de tous bords. Cette époque est révolue. Avec de Gaulle, la France était contre les empires. Aujourd’hui, la France est une colonie de l’Empire.
Adhérant à Washington comme l’huître au rocher, la présidence actuelle a abdiqué toute ambition. Jetant aux orties l’héritage gaulliste, Nicolas Sarkozy avait replacé les forces françaises sous commandement US. Nouveau fossoyeur, François Hollande jette à son tour une dernière pelletée de terre sur la souveraineté française. Le 7 avril 2016, l’Assemblée nationale a voté à sa demande la ratification du protocole de Paris, un texte qui entérine la réintégration de la France dans l’organisation militaire de l’OTAN et autorise la construction sur le territoire national de ces bases US que le général de Gaulle avait fait démanteler.
Complices sur toute la ligne, MM. Hollande et Obama ont beaucoup d’amis communs. Protégée des USA depuis 1945, la pétromonarchie saoudienne est pour François Hollande un « partenaire de référence » au Moyen-Orient. Paris a signé avec Riyad des contrats d’équipement militaire pour plusieurs milliards de dollars. L’Arabie saoudite est son premier client pour la période 2010-2015. La France livre aux Saoudiens des armes sophistiquées avec lesquelles ils massacrent la population yéménite. Cela ne suffit pas. Sans vergogne, l’Elysée distribue des médailles aux dirigeants d’un pays qui finance ce terrorisme qui frappe régulièrement la population française. Mais M. Hollande n’en a cure. Ce n’est pas sa priorité.
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Benyamin Nétanyahou accueillant François Hollande et sa compagne Valérie Trierweiler à Tel Aviv, le 17 novembre 2013. REUTERS
Appendice colonial de l’Occident et porte-avions US, Israël bénéficie aussi des faveurs empressées de la présidence française. La colonisation à outrance et la répression en Palestine occupée n’empêchent pas François Hollande de proclamer son soutien sans faille à l’Etat hébreu. A l’instar de son premier ministre éternellement lié à Israël, le président français se déclare « l’ami d’Israël pour toujours » (novembre 2013). Une promesse qui sonne étrangement au moment où le ministre des affaires étrangères israélien parle de « décapiter à la hache » tous ceux qui s’opposent à ses desseins. Peu importe. Tel Aviv est satisfait des services de l’Elysée. C’est l’essentiel.
Contre les dirigeants saoudiens et israéliens, Paris ne brandira jamais la menace de la Cour pénale internationale. La France ne réclamera pas de « right to protect » en faveur des enfants palestiniens et yéménites. Elle n’exigera pas de « no fly zone » pour mettre hors d’état de nuire les bombardiers de Riyad et de Tel Aviv. Vu de Paris, le droit international humanitaire est toujours à géométrie variable. C’est une arme d’intimidation massive dont on use au gré des intérêts de l’Empire. Quand les dirigeants français invoquent les droits de l’homme, c’est pour la galerie. Et l’on doit assister au spectacle de ces supplétifs qui apportent leur misérable contribution à la stratégie du chaos décidée à Washington.
| 16 octobre 2016