Le président russe Vladimir Poutine a prononcé lundi
28 septembre 2015 un discours historique lors de la 70e session de
l'Assemblée générale de l'Onu.
Ce
que dit Poutine mérite d’être entendu, discuté, c’est une proposition
basée sur ce qui fonde le droit international, c’est-à-dire la
souveraineté des nations. C’est la vision fondatrice de Kant, de la
modernité, et effectivement notre système qui est celui des croisades
(avec des prétextes faussement humanitaires) est en contradiction avec
ce droit international, donc un danger pour la paix. L’appel répété à
une morale dont nous serions nous occidentaux les juges, les gendarmes
et in fine les gangsters, s’appuie sur un système de propagande qui mène
au désastre. On peut penser ce que l’on veut de Poutine, il est clair
que son discours direct, prononcé après un entretien avec le président
des Etats-Unis, est réaliste et l’accuser de volonté de domination c’est
faire bon marché de l’histoire des agressions mondiales réelles. Le
fait par exemple que ceux qui bombardent en Syrie sans accord avec le
pays bombardé ce ne sont pas les Russes mais bien les Etats-Unis et la
coalition qui viennent de faire échouer un cessez le feu en bombardant
l’armée syrienne et en tuant une soixantaine de ses soldats dans leur
pays.
Ce discours
a été prononcé le lundi 28 septembre (2015) lors de la 70e session de
l’Assemblée générale des Nations Unies à New York, en fin d’après-midi,
alors que Barak Obama avait prononcé le sien en début d’après-midi. Cela
faisait 10 ans que le président de la Russie ne s’était pas exprimé à
l’ONU. Le sujet principal de son intervention concerne la crise du
Proche-Orient et la lutte contre le terrorisme islamique.
TRADUCTION SIMULTANÉE EN FRANÇAIS
« Le
70e anniversaire de l’ONU est l’occasion d’évoquer le passé mais aussi
de réfléchir à notre avenir commun. En 1945, les pays vainqueurs du
nazisme ont uni leurs efforts pour poser des fondements solides à
l’ordre mondial de l’après-guerre. Je rappellerai que c’est dans mon
pays en Crimée, à Yalta que se sont réunis les dirigeants de la
coalition anti-hitlérienne pour décider de la création de l’ONU et des
principes régissant les relations entre les États.
Le
traité de Yalta est donc né d’énormes souffrances, il incarne le pris
payé par des millions de gens qui ont perdu la vie pendant la guerre;
deux guerres mondiales qui ont ravagé la planète au XXème siècle. Et
soyons ici objectif, c’est ce système qui a aidé l’humanité à traverser
des événements turbulents aux suites parfois dramatiques et qui a
préservé le monde de bouleversements plus grands encore.
L’Organisation
des Nations-Unies est sans pareil pour ce qui est de son universalité
et de sa représentativité. Or ces derniers temps l’ONU est le plus
souvent critiquée parce qu’elle manquerait d’efficacité (…)
V.Poutine
« Ceux qui sont au sommet de la pyramide »
Nous
savons tous qu’après la fin de la guerre froide, il n’y a eu plus qu’un
centre de domination dans le monde entier et ceux qui étaient au sommet
de la pyramide se sont dit: puisque nous sommes aussi forts et
exceptionnels, personne ne sait mieux que nous ce qui est possible, ce
qu’il faut faire et par conséquent il n’y a plus à rendre compte aux
Nations-Unies, puisqu’il arrive très souvent que cette organisation gêne
et ne fasse que mettre des bâtons dans les roues au lieu de faire
adopter des décisions afin de légitimer les actes nécessaires. Des
rumeurs ont surgi alors, disant que l’Organisation des Nations Unies
dans la forme sous laquelle elle avait été créée a déjà rempli sa
mission historique et était devenue obsolète. Naturellement le monde
change et l’ONU doit aussi s’adapter à cette transformation. La Russie
est prête à contribuer à cet effort avec ses partenaires sur la base
d’un large consensus, mais nous considérons comme étant extrêmement
dangereuses les tentatives qui visent à ébranler l’autorité et la
légitimité des Nations unies. Cela risque à conduire à l’effondrement de
toute l’architecture des relations internationales. Dans ce cas il ne
resterait plus aucune règle sinon le droit du plus fort. Ce serait un
monde dans lequel l’égoïsme se substituerait au travail d’équipe. Un
monde dans lequel il y aurait de plus en plus d’oppression, et de moins
en moins d’égalité des droits, de démocratie réelle et de liberté, un
monde dans lequel au lieu d’États véritablement indépendants
existeraient des régimes qui, de facto seraient des protectorats et des
territoires contrôlés de l’extérieur.
Pour un nouvel ordre mondial multipolaire
Comment
définir la souveraineté nationale dont mes collègues ont déjà parlé ?
Avant tout la question de la liberté, liberté de choix pour chaque
individu et chaque État. Il se pose aussi la question de la légitimité
étatique. Il ne faut pas jouer ici avec les mots. Chaque terme de droit
international, chaque dossier de droit international doit être clair,
transparent et se fonder sur des critères qui sont compris de manière
uniforme. Nous sommes tous différents et c’est là quelque chose qu’il
faut respecter. Personne
n’est obligé de s’adapter à un mode de développement unique qui serait
reconnu une fois pour toutes par quelqu’un comme étant le seul valable. Nous devons tous garder présent à l’esprit le passé.
« L’histoire de l’Union soviétique n’a pas servi de leçon »
Ainsi
il faut se souvenir de l’histoire de l’Union soviétique. Lorsque l’on
exporte des expériences sociales, lorsque l’on exporte ses propres
clichés idéologiques pour obtenir des changements dans tel ou tel pays
on débouche très souvent sur des conséquences dramatiques, et sur un
recul plutôt que sur un progrès. Pourtant on a l’impression que certains
préfèrent répéter les fautes des autres plutôt que d’en tirer les
leçons.
Aujourd’hui il s’agit de l’exportation des soi-disant révolutions démocratiques. Une
exportation qui se poursuit. Il suffit de voir de plus près ce qui se
passe au Proche-Orient et en Afrique du Nord dont ont aussi parlé les
interlocuteurs précédents. Naturellement dans ces régions se posent des
problèmes d’ordre politique et social et les populations souhaitaient un
changement. Mais que s’est-il passé ?
« Les soi-disant révolutions démocratiques »
L’intervention
agressive extérieure n’a guère débouché sur des réformes des
institutions de l’État, le mode de vie tout entier a été anéanti et
plutôt que le triomphe de la démocratie et du progrès, on a pu voir la
pauvreté, la violence et la catastrophe sociale. Et les droits de
l’homme, y compris le droit à la vie ont été gravement oubliés. On
a envie de demander à ceux qui sont à l’origine de tout cela : est-ce
que vous prenez au moins conscience de ce que vous avez fait ? Mais
je crains que cette interrogation ne reste lettre morte, car les
politiques qui se basent sur la confiance en soi excessive, le principe
d’exclusivité et la certitude d’impunité, perdurent.
Il
est alors évident que la vie politique qui s’est instaurée dans
certains pays du Proche-Orient et de l’Afrique du Nord ont eu comme
répercussion la création de zones d’anarchie qui ont immédiatement
commencé d’attirer extrémistes et terroristes. Des dizaines de milliers
de terroristes sont déjà venus combattre sous les drapeaux de ce qu’on
appelle l’Etat islamique. Avec parmi eux d’anciens soldats irakiens qui
en 2003 se sont trouvés à la rue à la suite de l’invasion militaire en
Irak.
Le recrutement était même organisé par le biais de la
Libye dont les structures étatiques ont été démantelées suite à la
violation flagrante de la résolution 1973 du Conseil de Sécurité des
Nations-Unies. En ce moment des membres de l’opposition syrienne dite
modérée et soutenue par l’Occident adhèrent à ces mouvements
radicalisés. On leur donne des armes, on leur fournit une formation militaire et ensuite ils se retrouvent du côté de l’Etat islamique.
« L’Etat islamique lui-même n’a pas surgi de nulle part »
L’Etat
islamique lui-même n’a pas surgi de nulle part. Il a été au départ
nourri et choyé car apparaissant comme outil de lutte contre des régimes
laïcs indésirables. Une fois sa ligne de déploiement acquise en Syrie
et en Irak, l’Etat islamique continue inexorablement sa progression vers
d’autres territoires pour assurer sa domination sur le monde islamique
et au-delà. Son intention est manifestement loin de se borner à ces
projets. L’état de chose actuel est donc plus que dangereux. Il
est hypocrite et irresponsable de dénoncer solennellement la menace du
terrorisme international tout en fermant les yeux par ailleurs sur ses
canaux de financement et les soutiens au terrorisme. Notamment le trafic
de drogue, la contrebande de pétrole et d’armes. Il est aussi
irresponsable de manipuler ces réseaux extrémistes afin de les engager à
ses propres services pour défendre ses propres fins politiques, tout en
espérant ensuite leur régler leur compte et les anéantir.
Ceux
qui se comportent ainsi doivent l’entendre mesdames et messieurs, vous
avez affaire là à des gens cruels, mais absolument pas stupides pour
autant et pas primaires. Ils ne sont pas plus bêtes que vous et on ne
sait pas en définitive qui manipule qui ?
Les données récentes sur les transferts d’armes à l’opposition « modérée », entre guillemets, en sont la meilleure preuve.
« Flirter avec les terroristes »
Nous
considérons que toute tentative de flirter avec les terroristes ou de
les armer est une approche myope qui risque de provoquer l’incendie et
de faire déborder la menace terroriste qui pourrait se propager à de
nouvelles régions de la planète. D’autant plus que dans les
camps d’entrainement de l’Etat islamique se retrouvent des combattants
en provenance d’un peu partout, y compris de pays européens.
Malheureusement
et je le dis très clairement, la Russie ne fait pas exception, on ne
doit pas tolérer que les criminels qui ont déjà flairé le sang puissent
aussitôt revenir chez eux et continuer leur œuvre sinistre. Nous ne
souhaitons pas que cela se passe ainsi et je pense que personne ne le
souhaite.
La Russie soutient « l’Irak, la Syrie et d’autres pays »
La Russie s’est toujours prononcée de manière ferme et conséquente contre le terrorisme sous toutes ses formes. Aujourd’hui
nous apportons notre soutien militaire et technique à l’Irak, à la
Syrie et à d’autres pays de la région qui mènent le combat contre les
groupements terroristes. Nous pensons que c’est une grave
erreur de refuser de coopérer avec les autorités et l’armée
gouvernementale syrienne, alors qu’ils font preuve de beaucoup de
courage en affrontant la terreur. Il faut dire aussi qu’il n’y a plus
personne d’autre en Syrie qui mène le combat contre l’État islamique et
autres organisations terroristes, sinon l’armée gouvernementale du
président Assad.
Nous
savons les problèmes de la région, nous savons ses contradictions, il
faut partir de ces réalités. Chers collègues, je dois aussi souligner
que cette approche honnête et directe a été récemment utilisée comme un
prétexte pour accuser la Russie de faire montre d’ambitions croissantes,
comme si ceux qui le disaient n’avaient pas eux-mêmes des ambitions
[dit-il d’un air ironique]. De fait il ne s’agit pas ici des ambitions
de la Russie, chers collègues, mais du fait qu’on ne peut tolérer la
situation qui est en train de se développer dans le monde.
« Création d’une véritable coalition contre le terrorisme »
Dans
la réalité nous proposons de suivre les valeurs et les intérêts communs
et non pas de nous inspirer d’ambitions quelconques et d’unir nos
efforts sur la base du droit international pour résoudre les problèmes
qui se posent et pour créer une véritable coalition à portée mondiale contre le terrorisme qui pourra rallier des forces prêtes à agir comme on l’a fait contre le nazisme.
Naturellement les pays musulmans sont les pays clef de cette coalition car
non seulement l’État islamique représente une menace directe, mais bien
au-delà par leurs crimes sanglants, ils sont les terroristes profanes
d’une des plus grandes religion qui soit, l’Islam. Les idéologues et
combattants islamiques se moquent de l’Islam et le dénaturent. J’en
profite pour lancer un appel aux maîtres spirituels du monde musulman.
Plus que jamais aujourd’hui nous avons besoin de votre autorité et de
vos prêches pour prévenir la démarche inconsciente de ceux qu’on essaye
de recruter, mais aussi pour essayer de venir en aide à ceux qui se font
duper et qui, dans certaines circonstances, se sont retrouvés dans les
rangs terroristes. Il faut les aider à revenir à la vie normale, à
déposer les armes et à mettre fin à leur (?). Dans quelques jours la
Russie va présider une réunion du Conseil de sécurité qui sera
consacrée à l’analyse en profondeur des menaces qui existent dans
l’espace du Proche-Orient. L’idée est avant tout de discuter
d’une nouvelle résolution visant à coordonner les démarches de toutes
les forces qui font face à l’Etat islamique et à d’autres structures
terroristes.
Je
le répète une telle coordination doit se fonder sur le respect des
principes inscrits dans la Charte des Nations-unies. Nous comptons que
la communauté internationale saura élaborer une stratégie globale de
stabilisation politique et de redressement social et économique du
Moyen-Orient.
« Il ne sera plus nécessaire de construire des camps pour les réfugiés »
Alors,
mesdames et messieurs, il ne sera plus nécessaire de construire des
camps pour accueillir les réfugiés. Aujourd’hui une personne sur cinq a
quitté son pays d’origine déferle sur les pays voisins et d’abord dans
l’Europe et on les compte déjà par centaine de milliers et bientôt par
millions. Il s’agit d’une nouvelle et tragique grande vague de migration
et des leçons à tirer notamment pour les européens.
Je
voudrais souligner que les réfugiés sans aucun doute ont besoin de
compassion et de soutien, mais pour venir à bout de ce problème il n’y a
d’autres remèdes que de rétablir les structures de l’Etat là où elles
ont été anéanties. Ceci par le renforcement des institutions étatiques
encore intactes ou en cours de reconstitution. Grâce aussi à la
fourniture de l’assistance militaire, économique et matérielle pour les
pays en difficulté et naturellement par une assistance apportée aux
personnes qui malgré les épreuves ne quittent pas leurs pays.
« Assistance aux personnes qui ne quittent pas leurs pays »
Il va de soi que toute assistance apportée aux états souverains ne doit pas leur être imposée, mais
doit être proposée en pleine conformité avec la charte des nations
unies. En d’autres termes, tout ce qui est fait, tout ce qui sera fait
doit l’être conformément aux normes du droit international et doit être
approuvé et doit être appuyé par l’ONU. Tout ce qui va à l’encontre de
la charte universelle doit être rejeté.
Et avant cela il est essentiel de reconstituer les structures gouvernementales en Libye et soutenir le gouvernement. (…) »
Le retour de la guerre froide et Ukraine
Ensuite
Vladimir Poutine déplore la manière de penser bloc contre bloc comme au
temps de la Guerre froide qui domine actuellement avec l’élargissement
de l’OTAN. Tôt ou tard, selon lui, cette logique devait mener à une
crise géopolitique, comme avec l’Ukraine où une guerre civile a été
déclenchée. Il traite rapidement le sujet de l’Ukraine et de la
révolution Orange orchestrée depuis l’extérieur, avec la volonté
manifestée du respect des accords de Minsk et de tenir compte des droits
des populations du Donbass pour que l’Ukraine soit un Etat civilisé, un
maillon entre l’Europe et l’Asie.
« Un petit cercle d’amis décident en cachette »
Il
déplore la façon sournoise qui transgresse les lois internationales
concernant les sanctions unilatérales qui sont devenues la norme et
servent à supprimer des concurrents. Des unions se créent, dit-il, sans
consulter les habitants des différents pays. Tout se fait en cachette,
on nous met devant le fait accompli. « Il s’agit d’un réel petit cercle d’amis qui décide »
La Russie propose d’harmoniser les différents projets économiques fondés sur des règles uniques.
Quant au changement climatique, nous voulons que la conférence sur le climat de Paris porte ses fruits, dit-il.(…)
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Ce discours
de Vladimir Poutine, a été retranscrit au mot-à-mot, pour sa majeure
partie, tel qu’il a été diffusé en direct selon la traduction orale
instantanée de l’ONU. E.D.
SOURCE: